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souffrez tant, et d'aller vivre à Paris; vous y trouverez les nobles |
distractions dont une âme comme la vôtre a besoin, la musique, les arts |
et des relations que votre intelligence élevée et votre coeur généreux |
sauront vite créer. |
Si le catholicisme vous est nécessaire, vous rencontrerez certainement |
un directeur de conscience assez éclairé pour vous guérir de cette |
maladie des scrupules, que je connais bien, et que j'ai subie dans ma |
jeunesse assez cruellement pour vous comprendre et vous plaindre. Non, |
il ne faut pas qu'une âme comme la vôtre succombé à ces vaines terreurs. |
Il faut vous relever par de fortes et saines lectures. Je suis trop |
ignorante pour vous les indiquer; mais écrivez à M. Jean Reynaud, |
envoyez-lui ma lettre, si vous voulez. Il saura par là que je vous |
connais et que votre besoin de secours intellectuel n'est pas une |
frivole inquiétude. |
Oui, je vous connais sans vous avoir vue; mais n'y a-t-il pas bientôt |
dix ans que vous m'écrivez ces grandes lettres où, au milieu des |
contradictions et des troubles d'une pensée ardente, j'ai toujours |
trouvé, votre bonté si entière, si spontanée, si naïve, et votre |
jugement si généreux et si droit en tout ce qui est essentiel! |
Demandez-lui de vous indiquer des livres qui vous sauvent, et, faites |
mieux, quittez cette solitude où vous vous consumez, où ce qui vous |
entoure vous laisse et vous _rend_ encore plus seule, je le vois bien. |
Je ne connais pas assez M. Jean Reynaud pour vous adresser à lui, sans |
qu'il vous connaisse. Mais faites-vous connaître à lui; son livre m'a |
fait un grand bien, à moi aussi, et j'avais grand besoin de trouver, |
dans la haute science d'un esprit de premier ordre, la confirmation |
raisonnée de tous mes instincts; car mon courage a été bien éprouvé |
dernièrement! |
J'ai perdu une enfant adorable et adorée, la fille de ma pauvre fille. |
Je viens d'être malade, ce qui m'a empêchée de vous répondre, et, |
maintenant, je suis encore si délabrée, que mon fils, mon cher fils, |
m'emmène voyager un peu. Je pars dans deux jours. Dans deux mois, je |
serai de retour à Nohant, où vous m'en verrez, j'espère, de meilleures |
nouvelles de vous. Avant de rentrer ici, je passerai quelque jours |
probablement à Paris. Si vous réalisez votre tentation d'y aller |
demeurer, faites-le-moi savoir à Paris, dans les premiers jours de mai. |
Pardonnez-moi de vous répondre si peu, je suis brisée encore, mais _je |
crois_. Je suis sûre de retrouver mon enfant dans un meilleur monde; |
et, vous dont le coeur est si pur, vous devez être sûre aussi de votre |
avenir. Douter de la bonté de Dieu est une faiblesse de notre nature. |
Mettez toutes les forces de votre esprit à croire à cette bonté, et vous |
sentirez qu'elle a son reflet en vous-même. |
N'ayez pas peur de la mort: c'est un bien bon refuge, allez, et, quand |
on le comprend, le courage consiste à ne pas la désirer trop. |
À vous de coeur toujours, chère âme en peine. |
GEORGE SAND. |
CCCLXXXIX |
A M. EUGÈNE LAMBERT, A PARIS |
Frascati, mars 1855. |
Mon cher Lambruche, |
Tout va bien, Maurice nous a donné quelque inquiétude, non pas à cause |
de la maladie qu'il a eue, mais à cause de celle qu'il aurait pu avoir. |
Heureusement, il a passé à côté, grâce à un bien bon médecin, excellent |
homme par-dessus le marché. Il y a eu nécessairement pour nous un peu |
de spleen à Rome. Cinq ou six jours dans une chambre d'auberge, c'est |
triste. |
D'ailleurs, Rome, à bien des égards, est une vraie _balançoire_; il faut |
être ingriste pour aimer et admirer tout, et pour ne pas se dire, au |
bout de trois jours, que ce qu'on a à voir est absolument pareil à ce |
qu'on a déjà vu sous le rapport de l'aspect, du caractère, de la couleur |
et du sentiment des choses. Ensuite, on peut entrer dans le détail des |
ruines, des palais, des musées, etc., et, là, c'est l'infini; car il |
y en a tant, tant, tant, que la vie d'un amateur peut bien n'y pas |
suffire. Mais, quand on n'est qu'_artiste_, c'est-à-dire voulant vivre |
de sa propre vie, après s'être un peu imprégné des choses extérieures, |
on ne trouve pas son compte dans cette ville du passé, où tout est mort; |
même ce que l'on suppose encore vivant. |
C'est curieux, c'est beau, c'est intéressant, c'est étonnant; mais c'est |
trop mort, et il faudrait savoir sur le bout des doigts, non seulement |
ce fameux livre de _Rome au siècle d'Auguste_, mais encore l'histoire de |
Rome à toutes les époques de son existence; il faudrait vivre là-dedans, |
l'esprit tendu, la mémoire mirobolante et l'imagination éteinte. |
Il fut un temps, _sous l'Empire_, où l'on s'asseyait _sur le tronçon |
d'une colonne_, pour méditer sur les ruines de Palmyre; c'était la |
mode, tout le monde méditait. On a tant médité, que c'est devenu fort |
_embêtant_ et que l'on aime mieux vivre. Or, quand on a passé plusieurs |
journées à regarder des urnes, des tombeaux, des cryptes, des |
_colombarium_, on voudrait bien sortir un peu de là et voir la nature. |
Mais, à Rome, la nature se traduit en torrents de pluie jusqu'à ce que, |
tout d'un coup, viennent la chaleur écrasante et le mauvais air. La |
ville est immonde de laideur et de saleté! c'est la Châtre centuplée en |