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gouvernement, tant nous eussions été dans des vérités supérieures à |
toute société et à nous-mêmes. |
Vous ferez ce livre, je le répète. Vous le ferez autrement; je regrette |
seulement de ne vous pas apporter la part d'inspiration qui nous fût |
venue en commun. |
Adieu, mon ami; je n'ai pas le temps de vous en dire davantage |
aujourd'hui. Je vis dans le mouvement du théâtre en ce moment-ci. Il me |
tarde de retourner à mon silence de Nohant. J'y serai dans peu de jours; |
c'est là que vous pourrez toujours m'écrire. Ne me laissez pas ignorer |
ce que vous devenez. |
A vous. |
G. SAND. |
CCCLXXXII |
AU MÊME |
Nohant, 27 novembre 1854. |
Mon ami, |
Vous êtes bon; oui, _bon!_ ce qui est être grand plus que ceux qui ne |
sont que grands. Je vous ai presque grondé, et vous me répondez, avec la |
douceur d'un enfant, que j'ai eu raison. Il n'y a qu'une seule chose, |
qu'un seul point, où je puisse avoir la raison _absolue_ pour moi. C'est |
quand je m'afflige et me désole de ne pas vous voir. Je ne vous écris |
pas aujourd'hui: mon Maurice vient d'être non dangereusement, mais assez |
cruellement malade. Il va bien; mais, moi, je suis lasse, lasse, et je |
me trouve dans un arriéré de travail effrayant. |
Où que vous soyez, écrivez-moi quelquefois. À présent que vous êtes un |
peu plus à vous-même qu'en prison, causons de loin; mais, au moins, |
causons de temps en temps. |
Où que vous soyez, après avoir repris à la vie physique, dont vous devez |
avoir besoin sans vous en rendre compte, lisez et écrivez. Vous avez de |
bonnes choses à nous dire, même en dehors de ce vain monde des faits. |
Votre âme a monté plus haut que les nôtres, et ces _romans_ que vous |
avez faits, entre ciel et terre dans les rêveries de la prison, vous |
nous les devez. |
Adieu, pour cette nuit de fatigue. Je suis à vous de coeur et d'esprit. |
G. SAND. |
30 _novembre_. Emile, occupé pour Maurice d'une copie assez longue, ne |
m'a remis que ce soir la lettre que j'attendais pour vous envoyer la |
mienne. Je me vois donc quelques instants de calme pour vous redire que |
je pense à vous souvent; oui, bien souvent! Dans toutes les émotions, |
chagrin ou contentement, réflexion ou lecture, chaque fois que mon âme |
travaille, languit ou s'élève, je me compose un ciel, c'est-à-dire, |
selon Jean Reynaud, une terre, un monde, où j'espère aller, et tout de |
suite j'y appelle ceux de ce monde-ci que je veux et compte y retrouver. |
Et puis, dans les épreuves véritables, je pense aussi aux devoirs de |
cette vie où nous sommes, et votre patience, votre vertu (pardonnez-moi |
un mot vieilli, mais toujours bon), se présentent devant moi pour me |
donner de la volonté. Vous avez été bien malheureux, mon ami, et, |
pourtant, il me semble qu'au fond du coeur vous êtes le plus heureux des |
hommes, parce que vous avez la conscience la plus pure et l'équilibre le |
plus divin. Vous avez la certitude d'une récompense là-haut, tandis que, |
nous autres, nous n'avons que l'espoir d'un dédommagement. |
Je vous demande pardon pour la lettre prolixe d'Émile. Il est prolixe, |
c'est sa nature, en écrivant. Il ne vous entretient que de nos malades, |
comme si c'était bien intéressant. Il ne se dit pas assez que vous |
recevez trop de lettres et que vous y répondez trop fidèlement.--La |
seule chose bonne de sa lettre, c'est la _conversion_ qu'il vous doit, |
et dont il n'est pas encore bien rempli; car il ne me l'a fait savoir |
qu'en me permettant de lire l'aveu qu'il en fait. Nous avions des |
_querelles_ sur ce sujet, et il en avait surtout avec Maurice, qui |
brûlait d'aller là-bas, et qui y aurait été, sans la crainte de mon |
désespoir _en dedans_. Je ne l'aurais pourtant pas empêché de suivre son |
idée, qui était à la fois _artistique_ et patriotique. Mais j'aurais |
bien souffert!--Voilà que je fais comme Émile, et que je vous entretiens |
de _nous_. Rien de tout cela ne vaut la peine d'être dit. |
Quand c'est à vous que je parle, je voudrais n'avoir à vous entretenir |
que de choses divines. J'en ai pourtant l'esprit tout plein, et je veux, |
un jour ou l'autre, faire un livre là-dessus que je vous dédierai. Je |
travaille comme un nègre pour de l'argent; il en faut pour les autres. |
Mais ce devoir-là est bien lourd! Quand donc, mon Dieu, aurai-je un an à |
moi, pour faire un livre qui ne me rapportera rien? |
Encore adieu. Maurice, bien portant, vous embrasse, et vous déclare |
qu'il n'a pas eu la gale, mais tout bonnement une _urticaire_. |
CCCLXXXIII |
A M. CHARLES JACQUE, A BARBIZON. |