Faits
stringlengths
572
181k
10
float64
0
1
11
float64
0
1
13
float64
0
1
14
float64
0
1
2
float64
0
1
3
float64
0
1
5
float64
0
1
6
float64
0
1
8
float64
0
1
p1-1
float64
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1959, 1952 et 1964 et résident à Diyarbakır. M. Karakoç était ouvrier dans le secteur de l’équipement de l’armée et représentant du syndicat Türk Har-İş. M. Alpaslan était un dirigeant syndical du DISK-Genel-İş à Diyarbakır. Quant à M. Akyol, celui-ci était représentant d’un journal, Medya Güneşi. Le 27 mai 1993, les requérants et vingt et une autres personnes, toutes représentantes de divers syndicats, d’associations et de journaux, firent une déclaration de presse critiquant la politique menée par les autorités turques dans la région du sud-est de la Turquie et protestant « contre les exécutions extrajudiciaires ». MM. Karakoç et Alpaslan signèrent la déclaration en question en qualité de dirigeants des syndicats DISK-Genel-İş et Türk Har-İş. M. Akyol la signa en sa qualité de représentant du journal Medya Güneşi. La déclaration de presse est libellée comme suit : « En Turquie et dans notre pays, l’Etat continue à apposer son sceau au déroulement des événements, par des massacres et des exécutions extrajudiciaires. Cette situation, en particulier dans notre pays, n’a rien perdu de sa vigueur pendant la période du gouvernement de coalition du DYP-SHP, cela malgré les appels lancés par le peuple kurde et par l’ensemble des structures patriotiques à un cessez-le-feu et à la paix. La mentalité du massacre s’est identifiée avec le gouvernement de coalition. Or, le fait que les affrontements, l’incendie et l’évacuation des villages ont tendance à s’intensifier ces derniers jours démontre l’intention du Gouvernement. Les forces de l’ordre, avant comme après l’affrontement armé qui a débuté à Bingöl, cherchaient une occasion pour mettre à nouveau à l’ordre du jour la mentalité du massacre. Tous les efforts allaient en ce sens. Il faut être conscient du fait que la mentalité du massacre et de telles approches ne sont pas pour l’intérêt des peuples. Les exécutions judiciaires ou extrajudiciaires, les massacres isolés ou collectifs sont devenus une fatalité pour les peuples kurde et turc. Il ne se passe pas un seul jour sans que des informations concernant un nouveau massacre ou une exécution extrajudiciaire en Turquie ou bien dans notre pays nous parviennent. L’Etat attribue des meurtres de contre-guérilla, des massacres et des exécutions extrajudiciaires au peuple kurde qui essaie de défendre sa langue, sa culture et ses valeurs. Les villages continuent d’être incendiés, les habitants sont contraints de partir ; ceux qui disent qu’ils sont « patriotes » deviennent la cible de la contre-guérilla ; ceux qui parlent des « droits de l’homme et de la démocratie » sont enlevés la nuit de leur domicile, ils disparaissent et sont assassinés ; les fonctionnaires qui parlent des droits syndicaux sont mutés ou assassinés. Les lieux de résidence sont encore criblés de balles, mitraillés. Hier, le cercueil de K.T., un patriote, a été remis à sa famille à qui l’on a dit qu’il s’est suicidé alors qu’il était placé en garde à vue dans les locaux de l’Etat. Il y a quelques jours, les policiers de la section de la lutte contre le terrorisme ont mené une opération aux domiciles de deux étudiants du nom de U.Y. et S.Y. qui luttaient pour une université libre et [ces derniers] ont été tués par des équipes de la section de la lutte contre le terrorisme. E.U., un autre étudiant, ayant été témoin de cet incident, est obligé de se dissimuler car sa vie est en danger. Les journalistes qui sont arrivés pour commenter cet incident n’ont pas pu rester dans le district. Ceux qui ont pu y rester ont fait l’objet de tentatives d’exécution. Le droit à la liberté de recevoir des informations de tous les journalistes, notamment des journalistes faisant partie de la presse socialiste et patriotique, a été restreint. Dorénavant, les exécutions et les massacres menacent les institutions démocratiques et les personnes qui mènent une lutte pour la démocratie. Ceux qui mènent une lutte pour la démocratie ressentent profondément les effets de ces exécutions. Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement de coalition est coupable d’avoir toléré cette politique. La presse bourgeoise est complice par sa façon d’exposer les massacres des forces de l’ordre et d’être, jusqu’à ce jour, au service de ces politiques. Nous condamnons les exécutions extrajudiciaires et les massacres menés par les forces de l’Etat, nous invitons les journalistes faisant partie de la presse bourgeoise, sensibles aux valeurs humaines et démocratiques, à utiliser leur plume d’une manière plus réaliste contre les exécutions extrajudiciaires, les massacres, les incendies et l’évacuation des villages. » Le 16 septembre 1993, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Diyarbakır (« la cour du sûreté de l’Etat ») demanda au juge assesseur la mise en détention provisoire des requérants. Le procureur leur reprochait d’avoir fait de la propagande séparatiste. Le même jour, le juge assesseur débouta le procureur de sa demande, estimant que les éléments constitutifs de l’infraction, au sens de l’article 8 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, n’étaient pas réunis. Le 17 septembre 1993, le procureur formula une opposition à la décision du 16 septembre 1993. Par une décision du 17 septembre 1993, la cour de sûreté de l’Etat, composée de son président, le juge O. Karadeniz, du juge Colonel T. Gözen et du juge C.S. Ural, infirma la décision du juge assesseur concernant la détention provisoire des requérants et ordonna leur mise en détention provisoire. Dans sa décision, elle considéra que : « (...) dans la déclaration de presse litigieuse, la réalité selon laquelle des gens vivant sur le même territoire et unis autour d’un destin commun, partageant les mêmes valeurs constituant « la nation turque » indivisible selon la Constitution, a été niée et l’existence d’un peuple kurde a été affirmée, en citant des propos tels que « la Turquie et notre pays », une partie du territoire de la République de Turquie a été présentée comme étant le territoire national d’un peuple dénommé kurde, il y a lieu d’accueillir l’opposition du procureur, étant donné l’existence d’indices sérieux (kuvvetli emareler) selon lesquels les requérants ont commis l’infraction prévue par l’article 8 § 1 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et l’état des preuves (...) ». Par un acte d’accusation déposé le 24 septembre 1993, le procureur intenta une action pénale contre les requérants et les autres signataires de la déclaration en question, sur la base de l’article 8 § 1 de la loi mentionnée. Il leur reprochait d’avoir fait de la propagande séparatiste. Lors de l’audience du 20 octobre 1993, les avocats des requérants récusèrent les juges O. Karadeniz et C.S. Ural qui siégeaient à la cour de sûreté de l’Etat. Ils alléguèrent que ceux-ci avaient participé à la décision concernant l’examen de leur détention provisoire et que, dans leur décision du 17 septembre 1993, ils avaient déjà exprimé leur opinion sur le bien-fondé de l’affaire. Par une décision du 10 novembre 1993, la demande de récusation des juges fut rejetée par la même juridiction, en application de l’article 26 de la loi n° 2845 instituant les cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles. A l’audience du 23 février 1994, la demande de mise en liberté des requérants fut rejetée par la même juridiction. Le 30 mars 1994, les requérants furent mis en liberté provisoire. Par un arrêt du 13 avril 1994, la cour de sûreté de l’Etat, composée de son président, le juge O. Karadeniz, du juge Commandant M. Yüce et du juge C.S. Ural, condamna chacun des requérants à une peine d’emprisonnement de vingt mois et à une amende de 208 333 000 livres turques (TRL). La cour releva que la déclaration incriminée qui suggérait l’idée selon laquelle le gouvernement de coalition était coupable de la politique consistant à procéder à des exécutions extrajudiciaires et des massacres et qui faisait référence à « un peuple distinct » et à « des peuples distincts » contenait une propagande séparatiste, laquelle était au détriment de l’unité de la nation turque et de l’intégrité territoriale de son Etat. Les passages pertinents de l’arrêt peuvent se traduire comme suit : « Il ressort de l’examen de la déclaration de presse que celle-ci commence en affirmant que « En Turquie et dans notre pays, l’Etat continue à apposer son sceau au déroulement des événements, par des massacres et des exécutions extrajudiciaires » et dans son contenu, il a été souligné que des forces étatiques perpétraient des massacres et exécutions extrajudiciaires avant et après l’affrontement et que le gouvernement de coalition est coupable de cette politique. Etant donné que la déclaration litigieuse contenait de la propagande séparatiste en affirmant l’existence d’un territoire et d’un peuple distinct tel qu’il ressort clairement d’un examen des propos employés dans celle-ci, il n’y a pas lieu de recourir à une expertise en vue d’établir si les éléments constitutifs d’infractions ont été réunis (...) » Le 17 mai 1994, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur mémoire introductif de cassation, ils soulevèrent entre autres le défaut d’impartialité du tribunal les ayant condamnés. Le 14 décembre 1994, la Cour de cassation confirma l’arrêt de première instance. Le 28 mai 1995, M. Karakoç fut incarcéré pour purger sa peine. Il resta détenu jusqu’au 30 octobre 1995. Le 3 juillet 1995, M. Karakoç fut licencié de son travail sans aucune indemnité de licenciement en raison de sa condamnation. Le 30 octobre 1995 entra en vigueur la loi n° 4126 du 27 octobre 1995, qui allégea notamment les peines d’emprisonnement mais aggrava les peines d’amende prévues par l’article 8 de la loi n° 3713. Dans une disposition provisoire relative à l’article 2, la loi n° 4126 prévoyait en outre la révision d’office des peines prononcées dans des décisions rendues en application de l’article 8 de la loi n° 3713. Par conséquent, la cour de sûreté de l’Etat, composée de son président, le juge O. Karadeniz, du juge Commandant Y. Türk et du juge E. Yandımata, réexamina au fond l’affaire des requérants. Dans son arrêt du 16 novembre 1995, elle condamna chaque requérant à une peine d’emprisonnement de dix mois et à une amende de 83 333 333 TRL assorties d’un sursis à l’exécution. Cet arrêt devint définitif le 29 avril 1997. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le droit pénal La loi n° 3713 du 12 avril 1991 relative à la lutte contre le terrorisme Avant l’entrée en vigueur de la loi n° 4126 du 27 octobre 1995, l’article 8 de la loi n° 3713 était libellé en ces termes : « [1] La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie et à l’unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d’emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. [2] Lorsque le délit de propagande visé au paragraphe ci-dessus est commis par la voie des périodiques visés à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois, ou des ventes moyennes du mois précédent du quotidien à plus fort tirage s’il s’agit d’imprimés n’ayant pas la qualité de périodique ou si le périodique vient d’être lancé [le passage en italique a été supprimé par un arrêt de la Cour constitutionnelle du 31 mars 1992, paru au Journal officiel du 27 janvier 1993, et a cessé de produire effet le 27 juillet 1993]. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. » Depuis l’amendement de la loi n° 4126, cet article se lit ainsi : « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat de la République de Turquie ou à l’unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d’un à trois ans d’emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amendes. Lorsque le délit de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie des périodiques cités à l’article 3 de la loi n° 5680 sur la presse, l’éditeur est également condamné à une amende égale à quatre-vingt-dix pour cent du montant des ventes moyennes du mois précédent si l’intervalle de parution du périodique est de moins d’un mois. Toutefois, l’amende ne peut être inférieure à cent millions de livres turques. Le rédacteur en chef dudit périodique est condamné à la moitié de l’amende infligée à l’éditeur ainsi qu’à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement. Lorsque le délit de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d’imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (...) » La loi n° 4126 du 27 octobre 1995 L’amendement ci-dessous a été apporté à la loi n° 3713 à la suite de l’adoption de la loi n° 4126 : « Dans le mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le tribunal ayant prononcé le jugement réexamine le dossier de la personne condamnée en vertu de l’article 8 de la loi n° 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et, conformément à la modification apportée (...) à l’article 8 de la loi n° 3713, reconsidère la durée de la peine infligée à cette personne et décide s’il y a lieu de la faire bénéficier des articles (...) et 6 de la loi n° 647 du 13 juillet 1965. » B. Le code de procédure pénale La partie pertinente de l’article 104 du code de procédure pénale, tel qu’il s’appliquait dans les affaires relevant des cours de sûreté de l’Etat, était libellé comme suit : « Lorsqu’il existe des indices sérieux (kuvvetli emarler) de croire qu’un individu a commis une infraction, il peut être placé en détention provisoire dans les conditions suivantes : s’il existe des faits susceptibles de croire qu’il peut prendre la fuite, s’il existe une raison précise de croire qu’il supprimera des preuves, influencera ses coaccusés ou les témoins de faire de fausses déclarations ou de ne pas témoigner, s’il s’agit d’une infraction portant atteinte à l’autorité de l’Etat ou du gouvernement, à la sûreté générale ou bien à la morale publique (...) » D’après l’article 26 de la loi n° 2845 instituant les cours de sûreté de l’Etat et portant réglementation de la procédure devant elles, la demande de récusation dirigée contre le président ou les membres d’une cour de sûreté de l’Etat sera examinée par la même juridiction. La décision prise à cet égard peut être l’objet d’un pourvoi en cassation.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Depuis la création de la République de Chypre, en 1960, jusqu’à sa révocation de la fonction publique, le requérant occupa le poste de directeur du département de développement coopératif de la fonction publique à Nicosie. Le 28 juillet 1982, la commission de la fonction publique engagea à son encontre une procédure disciplinaire et décida de le révoquer rétroactivement au motif que, le 8 avril 1981, le tribunal de district de Nicosie l’avait reconnu coupable de vol, d’abus de confiance et d’abus d’autorité. L’intéressé avait été condamné à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement. Le 16 octobre 1981, la Cour suprême avait rejeté le recours formé par le requérant contre le verdict de culpabilité et la peine prononcée. La commission de la fonction publique considérait que le requérant avait géré les fonds du département susmentionné comme s’il s’agissait de ses biens personnels et les avait utilisés à des fins autres que celles du service. Consécutivement à la mesure disciplinaire de révocation, le requérant fut également déchu de son droit de toucher une pension et d’autres prestations de retraite, conformément à l’article 79 § 7 de la loi no 33/67 sur la fonction publique, à compter de la date de sa condamnation par le tribunal de district. Le 8 octobre 1982, le requérant forma auprès de la Cour suprême un recours en annulation de la décision le révoquant de la fonction publique. Son principal argument était que cette décision constituait un abus de pouvoir en ce que la sanction en question, qui entraînait la perte des prestations de retraite, était exagérée par rapport à la gravité de l’infraction. Il affirmait par ailleurs que la déchéance de ses droits était contraire à l’article 12 § 2 de la Constitution, qui garantit le droit de ne pas être jugé ou sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Il alléguait que lui infliger le retrait de ses droits à pension et une peine de détention revenait à le punir deux fois pour les mêmes actes. Le 21 décembre 1982 (d’après le Gouvernement) ou le 5 janvier 1983 (d’après le requérant), le Gouvernement souleva des exceptions. Le 19 avril 1984 (selon le Gouvernement) ou le 15 septembre 1984 (selon le requérant), le requérant déposa ses observations, auxquelles le Gouvernement répondit à la date du 10 décembre 1984 (d’après le Gouvernement) ou du 19 décembre 1984 (selon le requérant). Depuis lors, l’examen de l’affaire a été ajourné à diverses reprises et n’a finalement été mené à bien que le 9 mars 1988. L’arrêt de la Cour suprême, qui rejetait la demande du requérant et confirmait la décision de la commission de la fonction publique, a été rendu le 12 juin 1991. La Cour suprême déclara qu’elle ne pouvait contrôler ni la sévérité de la sanction infligée par un organe à caractère disciplinaire – dès lors que celui-ci n’avait pas outrepassé les limites de sa marge d’appréciation –, ni la manière dont il avait apprécié les circonstances de la cause. Elle estima que le pouvoir discrétionnaire de la commission de la fonction publique portait uniquement sur la nature de la mesure, la perte des prestations liées à la retraite étant la suite logique de la sanction adoptée en l’occurrence. En ce qui concerne le droit de ne pas être puni deux fois pour le même acte, la Cour suprême jugea que « des poursuites pénales et une action disciplinaire peuvent être menées simultanément ou successivement à raison de la même conduite, étant entendu que ces deux procédures tendent à servir des objectifs séparés et distincts » et qu’« un seul et même acte peut constituer une infraction à la fois sur le plan pénal et sur le plan disciplinaire ; cela ne s’oppose en rien au déclenchement d’une procédure disciplinaire ou à une sanction pour une faute disciplinaire, similaire par nature à une infraction créée par le code pénal (...) ». Le 18 juillet 1991, le requérant saisit la Cour suprême en sa qualité de juridiction de recours. Son acte de recours comportait cinq moyens. Le cinquième contestait les précédentes conclusions de la juridiction suprême, qui avait jugé en première instance que le retrait des prestations de retraite n’était pas contraire à l’article 23 §§ 1 et 2 de la Constitution. L’audience fut reportée plusieurs fois. Elle fut fixée au 12 janvier 1996, mais comme le requérant avait désigné un nouvel avocat, quatre ajournements au total furent accordés entre le 12 janvier et le 18 novembre 1996, à la demande des conseils des deux parties. Le 18 novembre 1996, l’avocat du requérant informa la Cour suprême que des négociations étaient en cours en vue d’un accord sur les demandes de son client relatives aux prestations de retraite et invita la Cour à reporter l’examen de l’affaire en attendant l’issue de ces pourparlers. L’audience fut en conséquence fixée au 3 février 1997. Toutefois, le 6 décembre 1996, le requérant demanda l’autorisation de modifier ses moyens. La Cour suprême fit droit à sa demande le 17 janvier 1997 et impartit à l’intéressé un délai de dix jours pour déposer son acte de recours modifié. Entre le 3 février 1997 et le 14 septembre 1998, le requérant demanda et obtint six nouveaux reports en attendant l’issue des négociations précitées : le 9 mai 1997, le 6 octobre 1997, le 4 novembre 1997, le 9 janvier 1998, le 10 mars 1998 et le 30 avril 1998. Le 14 septembre 1998, dans sa déclaration liminaire, l’avocat du requérant signala qu’il traiterait uniquement les troisième et quatrième moyens du recours, qui englobaient également le cinquième. Dans les points en question, le requérant contestait les conclusions selon lesquelles sa révocation et la déchéance consécutive de ses droits à pension n’étaient pas disproportionnées par rapport à la gravité de l’infraction, et selon lesquelles, en imposant ces sanctions, la commission de la fonction publique avait agi légalement, dans les limites de son pouvoir discrétionnaire. Il admit le retrait des autres moyens. Par la suite, l’avocat déclara qu’il ne soulevait « aucune autre question sur ce point (la déchéance des droits à pension) comme droit distinct et autonome, parce qu’il s’agit d’un problème très vaste (...) ». Toutefois, il ressort des plaidoiries que l’avocat du requérant a indiqué expressément qu’il traiterait les troisième et quatrième moyens, lesquels incluaient le cinquième point. Celui-ci était ainsi libellé : « La conclusion de la juridiction de première instance selon laquelle il n’était pas contraire à l’article 23 §§ 1 et 2 de la Constitution de retirer au requérant le bénéfice des prestations liées à la retraite est entachée d’erreur ». L’affaire fut mise en délibéré. Dans l’intervalle, l’un des membres de la formation collégiale chargée d’examiner l’affaire fut nommé ministre de la Défense et la Cour suprême décida de rouvrir la procédure. Le 8 mars 1999, l’audience fut reportée au 31 mars 1999 en raison de la modification de la composition du collège, puis au 29 avril 1999 parce que l’un des juges se trouvait en congé de maladie. Le 21 avril 1999, l’avocat du requérant demanda un nouvel ajournement au motif qu’il n’était pas disponible. L’audience fut fixée au 14 mai 1999 puis fut encore reportée au 17 juin 1999, en raison de l’absence de l’un des membres du collège, puis à nouveau au 9 juillet 1999 à la demande du requérant. Le recours fut donc examiné pour la seconde fois le 9 juillet 1999 ; un arrêt de rejet fut rendu le 20 juillet 1999. D’après le Gouvernement, la Cour suprême invita l’avocat du requérant à confirmer sa position, dont il avait été pris acte au cours de la première audience, selon laquelle l’ensemble des moyens du recours avaient été retirés à l’exception du troisième et du quatrième, ce que fit l’avocat. Il fut également répété qu’aucune question relative à la constitutionnalité des dispositions de la loi sur la fonction publique concernant la perte des prestations liées à la retraite n’était soulevée, et que ce point n’était évoqué que pour étayer le principal grief du requérant selon lequel, bien que la commission de la fonction publique eût considéré un certain nombre de facteurs atténuants, l’imposition à son encontre de la sanction disciplinaire la plus lourde que constitue la révocation était une violation flagrante du principe de proportionnalité ainsi qu’un acte outrepassant les limites du pouvoir discrétionnaire de ladite commission. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A l’époque considérée, l’article 79 de la loi no 33/67 sur la fonction publique était ainsi libellé : « 1. En vertu de la présente loi, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent être imposées (...) : l’admonestation ; le blâme ; la mutation d’office ; la privation d’une augmentation de salaire annuelle ; la suspension des augmentations de salaire annuelles ; une sanction pécuniaire dont le montant ne peut excéder l’équivalent de trois mois de salaire ; la régression dans le barème des salaires ; la rétrogradation ; la mise à la retraite d’office ; la révocation. (...) La révocation entraîne la perte de l’ensemble des prestations liées à la retraite. » La version modifiée de l’article 79 § 7 de la loi actuellement en vigueur à Chypre est ainsi libellée : « La révocation entraîne la perte de l’ensemble des prestations liées à la retraite. Néanmoins, une pension est versée, le cas échéant, à l’épouse ou aux enfants à charge d’un fonctionnaire ayant été révoqué, comme s’il était décédé à la date de cette mesure ; le montant de la pension est fixé d’après ses années effectives de service. » En vertu des dispositions de la loi sur la fonction publique, les tâches et responsabilités attachées aux postes de la fonction publique sont exposées dans les « descriptions d’emploi » pertinentes, approuvées en conseil des ministres. D’après le descriptif du poste de directeur du département de développement coopératif qu’occupait le requérant, les tâches et responsabilités étaient les suivantes : « Diriger le département de développement coopératif et assumer la responsabilité de la promotion, du développement et du bon fonctionnement du mouvement coopératif sur l’île. Exercer les attributions et les tâches prévues par les lois et les règlements pertinents. Conseiller le ministre des Finances en matière de coopération. Représenter le département de coopération au sein de différents comités et organes. Accomplir toute autre tâche pouvant lui être assignée. » Le droit à pension d’un fonctionnaire est régi par le chapitre 311 de la loi sur les pensions de la République. L’article 6 de cette loi, qui était en vigueur lors de la révocation du requérant, disposait qu’une pension, prime ou autre indemnité n’était accordée que lors de la retraite de la fonction publique dans l’un des cas spécifiquement énumérés. L’article 6 f) évoquait « le cas de la cessation de fonctions dans l’intérêt général prévu par la présente loi », c’est-à-dire l’article 7 de la loi, qui était ainsi libellé : « Lorsque le conseil des ministres met un terme aux fonctions d’un agent au motif que, considérant la situation de la fonction publique, l’utilité de l’agent en question pour la fonction publique et toute autre circonstance, cette révocation est souhaitable dans l’intérêt général, et qu’une pension, prime ou indemnité ne peuvent par ailleurs être accordées à l’intéressé en vertu des dispositions de la présente loi, le conseil des ministres peut s’il le juge approprié lui allouer une pension, prime ou indemnité qu’il estime juste et adéquate, dont le montant ne doit toutefois pas excéder celui que le fonctionnaire en question aurait pu toucher s’il avait pris sa retraite de la fonction publique dans les conditions prévues à l’alinéa e) de l’article 6 de la présente loi. » L’article 166 § 1 de la Constitution dispose : « Seront inscrits au débit du Fonds consolidé, outre toute allocation, rétribution et autres sommes versées en vertu des dispositions de la présente Constitution ou de la loi : a) toutes pensions et gratifications qui sont à la charge de la République (...) »
0
0
0
0
0
0
0
0
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le premier requérant, ressortissant suédois né en 1923, est domicilié à Malmö (Suède). Le deuxième requérant, également ressortissant suédois, né en 1970 est aussi domicilié à Malmö. En 1969, le premier requérant et son épouse construisirent une maison et un garage sis à Bucarest. A la suite de l'immigration vers la Suède du premier requérant, le conseil municipal de Bucarest nationalisa, en vertu de la décision du 15 septembre 1987, sans indemnités, la propriété du premier requérant (la moitié de la maison et du garage). En 1989, après le départ en Suède de l'épouse du premier requérant, Victoria Surpaceanu, le conseil municipal de Bucarest, en vertu de la décision du 25 juillet 1989, confisqua l'autre moitié de la maison et du garage, accordant des indemnités d'un montant de 38.663 lei roumains. Ni les motifs ni la base légale de cette privation de propriété ne furent notifiés au premier requérant et à son épouse. A. L'action en revendication de propriété Le 12 juin 1992, le premier requérant et son épouse saisirent le tribunal de première instance du sixième arrondissement de Bucarest d'une action visant à faire constater la nullité des décisions administratives des 15 septembre 1987 et 25 juillet 1989, prises en raison de leur émigration en Suède. 14. Par jugement du 12 janvier 1993, le tribunal fit droit à leur demande. Le tribunal constata d'abord que les dispositions du décret n° 223/1974 étaient contraires à l'article 17 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, à laquelle la Roumanie était partie, à la Constitution de 1965 en vigueur à l'époque, ainsi qu'à l'article 481 du Code civil, selon lequel toute privation de propriété doit poursuivre un but d'utilité publique et s'accompagner d'une juste indemnisation. Le tribunal constata dès lors la nullité des décisions de confiscation. Le conseil municipal de la ville de Bucarest interjeta appel contre ce jugement, en faisant valoir que les tribunaux n'étaient pas compétents pour examiner la constitutionnalité d'une loi, que les traités internationaux n'avaient pas valeur de loi et que le décret n° 223/1974 avait un caractère de loi spéciale par rapport aux dispositions générales du Code civil. L'appel fut rejeté par un arrêt du 23 novembre 1993 du tribunal départemental de Bucarest, qui releva qu'il était du ressort des instances judiciaires d'appliquer la loi, en se prononçant, le cas échéant, sur la constitutionnalité d'une loi. Il jugea ensuite que le décret n° 223/1974 était contraire à la Constitution de 1965, à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et au Code civil et confirma la nullité des décisions de confiscation de la maison des requérants. En l'absence de recours, le jugement devint définitif et irrévocable, ne pouvant plus être attaqué par la voie du recours ordinaire. Par procès-verbal du 6 février 1994 le maire du Bucarest ordonna la restitution de la maison et du garage et annula les décisions de confiscation de 1987 et 1989. Le 22 février 1994, la femme du premier requérant restitua le montant reçu de l'État en vertu de la décision de confiscation du 1989. Le 23 février 1994, les requérants prirent possession de la maison ainsi qu'il ressort du procès-verbal dressé à cette date. A partir de ce jour, ils commencèrent à acquitter les taxes foncières afférentes à la maison et ils les ont versées jusqu'à maintenant. Dans son discours tenu en juillet 1994 dans la ville de Satu-Mare, le Président de la Roumanie demanda à l'administration de ne pas exécuter les décisions de justice dans lesquelles les tribunaux avaient conclu à la nullité des confiscations des biens immobiliers sous le régime communiste. A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma devant la Cour suprême de justice un recours en annulation du jugement du 12 janvier 1993, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de la confiscation ordonnée en application du décret n° 223/1974. Le procureur général soutint que les requérants avaient été indemnisés pour la confiscation de l'immeuble. Il soutint aussi qu'ils auraient dû contester les décisions de confiscation par la voie du contentieux administratif. L'audience devant la Cour suprême de justice fut fixée au 26 janvier 1996. La Cour suprême de justice, à l'issue des débats, mit l'affaire en délibéré au 9 février 1999, enjoignant aux requérants de déposer avant cette date leurs conclusions écrites. Dans leur mémoire, le premier requérant et sa femme demandèrent le rejet du recours en annulation. Ils faisaient valoir, d'une part, que le décret n° 223/1974 était contraire à la Constitution de 1965. D'autre part, les requérants soutenaient que la Cour suprême de justice avait changé plusieurs fois la jurisprudence en ce qui concernait la confiscation des immeubles et que cette incohérence avait porté atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques. Quant à l'octroi des indemnisations, les requérants rappelèrent que le premier requérant n'avait jamais été indemnisé et que son épouse avait restitué le montant de l'indemnité. Enfin, les requérants se prévalaient de l'article 21 de la Constitution roumaine de 1991, garantissant le libre accès à la justice sans aucune limite. Par arrêt du 9 février 1996, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation, cassa le jugement du 12 janvier 1993 et rejeta l'action en revendication. Elle constata d'abord que l'État était devenu propriétaire de la maison par l'effet de deux décisions de confiscation. La Cour releva qu'à la suite de l'abrogation de la loi n° 1/1967 sur le contentieux administratif, les intéressés ne disposait plus du cadre légal pour contester en justice ces décisions de confiscation, et jugea que, dès lors, les instances judiciaires inférieures avaient outrepassé leurs compétences judiciaires en examinant leur demande. La Cour indiqua enfin que les intéressés avaient la possibilité d'obtenir réparation pour la confiscation en application de la loi n° 112/1995. La Cour suprême de justice conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l'État s'était approprié abusivement. B. Développements postérieurs à l'arrêt de la Cour suprême de justice Le 4 mars 1996, les requérants déposèrent une demande de restitution auprès de la commission administrative pour l'application de la loi n° 112/1995 (ci-après « la commission administrative ») du sixième arrondissement de Bucarest. Ils firent valoir qu'ils avaient été dépossédés de leur bien en 1987 et 1989, en vertu du décret de confiscation n° 223/1974, que le tribunal de première instance de Bucarest, dans son jugement définitif du 12 janvier 1993, avait jugé cette privation de propriété illégale et qu'ils étaient dès lors en droit de se voir réintégrer dans leur droit de propriété sur l'ensemble de la maison. La commission ne répondit pas à cette demande des requérants. 26. Le 24 mars 1997, le mandataire des requérants forma auprès de la mairie de Bucarest une demande en restitution des clefs de l'immeuble, au motif que la personne qui l'avait habité en tant que locataire, jusqu'au 27 février 1997, l'avait quitté. Le 24 mars 1997, la mairie fit droit à la demande du mandataire et ne restitua que les clefs de l'immeuble. Le 23 avril 2001, les requérants, en vertu de l'article 21 de la loi n° 10/2001 notifièrent à la mairie de Bucarest leur demande de se voir restituer la maison et le garage, objets de la présente requête. Le 23 novembre 2001 les requérants informèrent la Cour que, à la suite à ladite notification, la mairie de Bucarest leur avait restitué la maison et le garage par décision administrative du 24 mars 2001. Ils demandèrent aussi à la Cour de tenir compte dans son arrêt de la contre-valeur du défaut de jouissance de la maison. II. LE DROIT ET PRATIQUES INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l'arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], n° 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-44). Les dispositions pertinentes du décret n° 223/1974 de nationalisation des certains immeubles se lisent ainsi : Article I « Dans la République Socialiste de Roumanie, les immeubles, constructions et terrains ne peuvent être détenus en propriété que par les personnes physiques qui ont leur domicile dans le pays. » Article II « Ceux qui ont fait des demandes de départ du pays définitivement à l'étranger, doivent aliéner leurs immeubles, jusqu'à la date du départ. L'aliénation doive être faite en faveur de l'État (...). Les immeubles appartenant aux personnes qui ont quitté frauduleusement le pays, ou aux personnes qui ne sont pas rentrées dans les délais légaux, deviennent propriété de l'État roumain sans aucun dédommagement. (...) »
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante, ressortissante roumaine née en 1919, est domiciliée à Bucarest. En 1953, le père de la requérante devint le propriétaire d'un bien immobilier sis à Bucarest et composé d'un bâtiment avec trois appartements et d'un terrain de 395 m2. En 1950, l'Etat prit possession dudit bien en vertu du décret de nationalisation n° 92/1950. A une date non précisée, la société d'Etat S.C.A.V.L. conclut avec la requérante un contrat de bail pour l'appartement n° 3 de l'immeuble. En 1974, en application de la loi n° 4/1973, l'Etat vendit à la requérante l'appartement qu'elle occupait en tant que locataire. A. La première action en revendication Le 24 septembre 1993, la requérante assigna devant le tribunal de première instance du 4ème arrondissement de Bucarest la mairie de la ville de Bucarest et la société S.C.A.V.L., afin de se voir reconnaître, en tant qu'unique héritière, le droit de propriété sur l'immeuble qui avait appartenu à son père et dont elle avait hérité. Par jugement du 23 décembre 1993, le tribunal fit droit à sa demande. Il constata tout d'abord que le père de la requérante était fonctionnaire à la date de la nationalisation et qu'à ce titre, les dispositions du décret n° 92/1950 ne lui étaient pas applicables. Il jugea dès lors que c'était par erreur que l'immeuble du père du requérant avait été nationalisé en application dudit décret et ordonna aux défenderesses de restituer à la requérante l'immeuble litigieux. En l'absence de recours, ce jugement devint définitif et irrévocable, ne pouvant plus être attaqué par les voies de recours ordinaires. Le 8 mars 1994, le maire de Bucarest ordonna la restitution effective de l'immeuble de la requérante. A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma devant la Cour suprême de justice un recours en annulation contre le jugement du 23 décembre 1993. Il faisait valoir que les premiers juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l'application du décret n° 92/1950. Par arrêt du 22 mars 1995, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation, cassa le jugement du 23 décembre 1993 et, sur le fond, rejeta l'action en revendication de la requérante. Elle jugea que l'application du décret n° 92/1950 ne pouvait pas être contrôlée par les juridictions et que, dès lors, les premiers juges avaient empiété sur les attributions du pouvoir législatif en constatant que la requérante était le véritable propriétaire du bien litigieux. La Cour souligna enfin que, de toute manière, de nouvelles lois allaient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l'Etat s'était appropriés abusivement. A une date non précisée, le maire de la ville de Bucarest ordonna la radiation du registre foncier de la mention du droit de propriété de la requérante sur les appartements nos 1 et 2 de l'immeuble qu'elle avait revendiqué. Les 9 septembre 1996 et 13 janvier 1997, en vertu de la loi n° 112/1995, la mairie de Bucarest et la société S.C.A.V.L. vendirent les appartements nos 1 et 2 dudit immeuble aux tiers qui les occupaient en tant que locataires. B. La deuxième action en revendication A une date non précisée, la requérante introduisit devant le tribunal départemental de Bucarest une nouvelle action en revendication de l'immeuble dont elle avait hérité à l'encontre du Conseil général de Bucarest. Par jugement du 17 septembre 1998, le tribunal fit droit à sa demande et, constatant qu'elle était propriétaire légitime de l'immeuble litigieux, ordonna qu'il lui soit restitué. A une date non précisée, ce jugement devint définitif et fut revêtu de formule exécutoire. Le 10 novembre 1998, le maire de la ville de Bucarest ordonna la restitution de l'immeuble à la requérante. Les autorités compétentes refusèrent d'exécuter cette décision, ainsi que le jugement du 17 septembre 1998, au motif que deux des appartements de l'immeuble en litige avaient été vendus aux locataires. En raison de la précarité de sa situation financière, la requérante n'entama pas d'autres procédures à l'encontre des nouveaux propriétaires de l'immeuble. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes de la loi n° 4 du 28 mars 1973, sur la vente aux particuliers des logements du fond locatif de l'Etat, sont ainsi libellés : Article 42 « Après avoir assuré le nécessaire en logements destinés à être loués [à des particuliers], l'Etat peut vendre les autres logements dont il dispose, et, en priorité, (...) les maisons avec un seul appartement ou un nombre réduit d'appartements, construites avec des matériaux de construction de qualité inférieure ou avec des matériaux qualitativement supérieurs, mais avec un degré avancé d'usure (...) Les logements seront vendus aux personnes qui les occupent en tant que locataires. » Article 43 « La vente des logements du fond locatif d'Etat sera échelonnée. Le Conseil des Ministres approuve chaque année la liste des logements mis en vente, sur proposition des conseils populaires départementaux et de la ville de Bucarest. (...) Les listes avec les prix établis par chaque logement seront affichées au siège des conseils populaires, sur les lieux d'emplacement des bâtiments mis en vente et dans d'autres endroits où elles peuvent être consultées par les citoyens. » Les autres dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l'arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], n° 28342/95, CEDH 1999-VII, pp. 250-256, §§ 31-44).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est née en 1935 et réside à Bellegarde (Ain). Courant novembre 1997, la requérante se présenta à l’hôpital Sud-Léman de Saint Julien en Genevois pour faire soigner une plaie au crâne dont elle déclara ignorer l’origine. Le 21 novembre 1997, elle fut transférée de cet hôpital au centre psychothérapique de l’Ain, Sainte-Madeleine de Bourg-en-Bresse, où elle fut placée sous hospitalisation à la demande d’un tiers, deux certificats médicaux constatant un « état délirant persécutoire ». Le 22 novembre 1997, un médecin psychiatre établit un autre certificat aux termes duquel il concluait à la justification de l’internement. La requérante déclare n’avoir reçu d’information, ni sur les raisons d’une telle détention, ni sur le traitement entrepris. Elle insiste sur le fait qu’elle ne pouvait pas avoir de contact avec l’extérieur. Début décembre 1997, la requérante put sortir de l’isolement. Le 3 décembre 1997, elle écrivit au procureur de la République du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse pour se plaindre des conditions de son internement et pour demander sa sortie judiciaire. Ce courrier parvint à son destinataire le 8 décembre 1997. Le 9 décembre 1997, le procureur de la République demanda au directeur de l’établissement psychiatrique de lui communiquer un certificat médical détaillé, ce qui fut fait le 26 décembre 1997. Le procureur accusa réception de ce document le 2 janvier 1998. Le même jour, il saisit le président du tribunal de grande instance d’une demande de sortie immédiate. Le 14 janvier 1998, la requérante fut autorisée à sortir, à titre d’essai. Le 3 février 1998, le greffier du tribunal demanda au centre psychothérapique de l’Ain le bulletin de situation administrative de la requérante. Ce bulletin, envoyé au greffe le 10 février 1998, mentionnait le fait que la requérante était en sortie à l’essai du 14 janvier 1998 au 26 février 1998. Le 12 février 1998, le président du tribunal la convoqua à l’audience du 25 février 1998, à l’issue de laquelle il désigna un expert qui était chargé d’examiner la requérante. Cette dernière informa le centre psychothérapique qu’elle se ferait désormais suivre exclusivement par son médecin traitant. Le médecin du centre la convoqua pour le 26 février 1998, date à laquelle il mit fin à la mesure d’hospitalisation de la requérante à la demande d’un tiers. Le 5 mars 1998, le centre psychothérapique informa le tribunal du fait que la requérante se trouvait depuis le 26 février 1998 en sortie définitive. Par courrier du 19 mars 1998, le président du tribunal déchargea l’expert psychiatre de sa mission. Le dossier fut classé le 20 mars 1998. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Code de la santé publique Article L. 333 : « Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut être hospitalisée sans son consentement à la demande d’un tiers que si : 1o Ses troubles rendent impossible son consentement ; 2o Son état impose des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier. La demande d’admission est présentée soit par un membre de la famille du malade, soit par une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de celui-ci, à l’exclusion des personnels soignants dès lors qu’ils exercent dans l’établissement d’accueil. Cette demande doit être manuscrite et signée par la personne qui la formule. Si cette dernière ne sait pas écrire, la demande est reçue par le maire, le commissaire de police ou le directeur de l’établissement qui en donne acte. Elle comporte les nom, prénoms, profession, âge et domicile tant de la personne qui demande l’hospitalisation que de celle dont l’hospitalisation est demandée et l’indication de la nature des relations qui existent entre elles ainsi que, s’il y a lieu, de leur degré de parenté. La demande d’admission est accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours et circonstanciés, attestant que les conditions prévues par les deuxième et troisième alinéas sont remplies. (...) » Article L. 351 : « Toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit, public ou privé, qui accueille des malades soignés pour troubles mentaux, son tuteur si elle est mineure, son tuteur ou curateur si, majeure, elle a été mise sous tutelle ou curatelle, son conjoint, son concubin, tout parent ou toute personne susceptible d’agir dans l’intérêt du malade et éventuellement le curateur à la personne peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir par simple requête devant le président du tribunal de grande instance du lieu de la situation de l’établissement qui, statuant en la forme des référés après débat contradictoire et après les vérifications nécessaires, ordonne, s’il y a lieu, la sortie immédiate. Toute personne qui a demandé l’hospitalisation ou le procureur de la République, d’office, peut se pourvoir aux mêmes fins. Le président du tribunal de grande instance peut également se saisir d’office, à tout moment, pour ordonner qu’il soit mis fin à l’hospitalisation sans consentement. A cette fin, toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu’elle estimerait utiles sur la situation d’un malade hospitalisé. »
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant, professeur d'économie, est né en 1938 et résidait, lors de l'introduction de la requête, à Paris. Le 25 décembre 1992, le requérant fut arrêté en possession de nombreux enregistrements audiovisuels concernant un entretien qu'il avait eu avec le chef du PKK, Abdullah Öcalan. Par un acte d'accusation déposé le 14 janvier 1993, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul, se fondant sur un entretien organisé à l'étranger avec le chef du PKK, intenta une action pénale contre le requérant pour apologie d'une organisation terroriste. Par un arrêt du 26 avril 1993, la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul acquitta le requérant au motif que les cassettes et les photographies mises en cause n'avaient pas été portées à la connaissance du public. En avril 1993, le requérant publia le reportage fait avec le chef du PKK dans un livre intitulé « Entretien dans le jardin kurde ». Le livre incriminé se présente sous forme de questions et de réponses, sachant que les questions sont posées par le requérant. Certains passages se lisent ainsi : Pages 188-189 : Question : « Alors je vais dire ceci : vous contestez « le programme d'autonomie culturelle pour les Kurdes », qui était à l'ordre du jour, non seulement pour des raisons pratique et politique, mais également d'un point de vue philosophique. (...) » Réponse : « Même si l'indépendance de l'Etat était accordée, cela est loin de constituer notre but. J'ajoute ceci : nous n'avons pas de soucis tel que [donnez] « un Etat aux Kurdes, [ainsi qu'] une autonomie culturelle et administrative ». Question : « Je comprends cela Président. Mais voici ce que je dis : vous dites que « l'immeuble s'est affaissé à la base », j'en déduis que si vous pensez ainsi c'est parce que vous contester l'autonomie culturelle non seulement du point de vue pratique et politique mais également du point de vue philosophique. Parce que si [la question] est résolue à la base, il n'est pas possible, avec l'autonomie, de réparer une partie pour parvenir à une solution. Moi, je dis : est-ce que cela est juste ? » Réponse : « Maintenant, ne faisons pas une évaluation d'un seul point de vue, j'attire votre attention, nous discutons la question de sauver en entier l'être humain, en entier la société. L'aspect étatique culturel n'est pas tellement important pour moi. Je ne suis pas trop séduit par cela. Nous n'avons pas de pensée telle que « Ah, il faut que j'aie un Etat ». Cette idée est forte chez les Turcs. Les Turcs disent « Ah, notre Etat, notre mère patrie, notre père patrie » et sont en contemplation. (...) » Page 205 : Question : « Je partage l'opinion selon laquelle « Il ne faut pas considérer la RT [République de Turquie] comme l'Etat turc ». Réponse : « Il faut se méfier de ceux qui font du nationalisme turc ! Recherchez les origines de ceux-là, vous verrez qu'ils ne sont pas d'origine turque. A ce sujet, je peux vous citer des centaines de preuves. Recherchez les origines de ceux qui disent le plus qu'ils sont des « nationalistes turcs », vous verrez qu'ils sont d'une autre nationalité. Le plus grand idéologue du nationalisme turc s'appelle Ziya Gökalp, [c'est] un Kurde Zaza. Mustafa Kemal Paşa est de Thessalonique, il y a toujours eu des allégations selon lesquelles il serait un converti. İsmet Paşa est un métis kurde. A peu près tous sont métissés. Actuellement, une grande partie de ceux qui constituent le fondement du nationalisme turc sont des convertis provenant des Balkans. Provenant des renégats du Caucase. (...) » Question : « [Le parti] progressiste et unioniste est un mouvement de jeunes turcs, deux de ses fondateurs sont kurdes, l'un est circasien, et l'autre est arabe ? je crois. » Page 209-210 : Question : « Je vais faire un aparté concernant l'attitude de l'Etat : nous avons rencontré des difficultés pour l'ouverture des cours de « l'Université libre ». Craignant qu' « İsmail Beşikçi allait venir, [qu']il allait faire la propagande du nationalisme kurde ou bien [qu']il allait faire un discours amical à l'égard du PKK », nous n'avons pas pu obtenir de locaux. En fait, nous n'avions pas une telle intention. (...) Alors que l'on rencontrait des difficultés à nous donner les « salles des fêtes » municipales du SHP, l'Etat a donné à Abdullal Baştürk [la salle du] Centre culturel d'Atatürk. (...) Dans tous les domaines, l'Etat adopte une [politique discriminatoire]. En donnant les salles des cours de sûreté de l'Etat à ceux qui ne se présentaient pas en ennemi du PKK, et en donnant les salles du Centre culturel d'Atatürk à ceux qui ne manquaient pas une occasion pour se présenter en ennemi [du PKK] (...) » Page 212 : Réponse : « Pour un mouvement révolutionnaire créé avec tant de travail, dire « qu'il vienne vivre dans l'unité et la totalité [du territoire] national de Turquie », est-ce une proposition qui peut s'accorder avec le révolutionnarisme ? Je regarde avec suspicion de telles approches. Je ne dis pas absolument « qu'ils sont des agents de telle ou telle autre sorte » mais je dis qu'il faut s'y attarder attentivement. A ce sujet, je mets en garde certains révolutionnaires : cernez avec justesse ce que vous faites. Si vous êtes contre l'Etat, si vous voulez répondre à l'Etat par la révolution, alors vous devez revoir vos appréciations concernant le PKK. Dans le cas contraire, qu'il s'agisse de nous ou pas, il n'est pas exclu d'interpréter cela avec suspicion. » Page 322 : Question : « La richesse de notre Etat est constituée par les travailleurs turcs et kurdes en Allemagne ainsi que le tourisme. S'il leur arrive quelque chose, tous les robinets financiers de l'Etat seront assiégés, mis sens dessus dessous. » Page 364 : Question : « Si l'on regarde du côté du Roman et de l'art, on constate que le système soviétique s'est éteint dans les années 1950 ou 1960. Si nous regardons l'art, mettons de côté le fait que l'art kurde ne se soit pas développé, nous constatons que l'art turc a cessé de se développer. Ici, je voudrais encore ajouter que je partage une autre de vos constatations. Je trouve très sain le fait que vous preniez en main les programmes des « droits de l'homme ». Ils n'ont pas seulement voulu stoppé les révolutionnaires se trouvant dans les prisons de Turquie, par la mentalité du bâton et de la carotte, et en disant aux télévisions et autres débris qu'il s'agissait des « droits de l'homme », sur le fond, ce programme a été utilisé pour détruire le système soviétique. Le programme des « droits de l'homme » a été découvert comme une arme idéologique contre les Soviétiques par le département des affaires étrangères américain. Je partage votre constatation et en même temps je la généralise. » Page 416 : « Le quatrième point, c'est le livre lui-même. Ici le président Apo [Öcalan] est sur le point d'ouvrir de nouvelles orientations et de nouveaux canaux. C'est faire confiance au labeur créateur de la masse et de l'artiste. Pour cette raison, ce livre apparaît aussi bien comme un entretien qu'un appel. » Par un acte d'accusation déposé le 15 juillet 1993, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara intenta une action pénale contre le requérant, en application de l'article 8 § 1 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, pour avoir fait de la propagande séparatiste. Dans son mémoire en défense, dont la date n'est pas précisée, présenté devant la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara, le requérant souleva, en substance, un grief lié à la violation de l'article 10 de la Convention. Il y mentionna, entre autres, les arguments suivants qui, de manière indirecte et sommaire, faisaient référence à l'article 10 de la Convention : « Cependant, je ne vois pas Öcalan comme un nationaliste kurde. Mon approche peut être erronée ; cependant, telle est mon approche. C'est mon avis. » (p. 11) « Parce que ce que je dis là, peut ne pas être juste ; [mais] moi, je crois que mes dires le sont. Ces dires-là sont mes opinions. Ils sont sans arme. Cependant, j'admets qu'ils sont plus forts que les armes. Que mon opinion soit punie, ce n'est pas mon problème. » (p. 14) « Voilà, ça c'est une approche scientifique. » (p. 17) « Ce que j'ai fait, je crois l'avoir fait au nom de l'intelligentsia. C'est [le devoir] d'un intellectuel. » (p. 19) « La population de notre pays devait le savoir. (...) Mais notre population avait le droit de le savoir et personne ne pouvait leur répondre. (...) Je n'ai fait que transmettre de la connaissance. A aucun moment, je n'ai fait de la propagande. » (p. 22) Par un arrêt du 2 août 1994, en application de l'article 8 § 1 de la loi no 3713, la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara condamna le requérant par contumace à une peine d'emprisonnement de deux ans et à une amende de 250 000 000 livres turques (TRL). En application de l'article 36 § 1 du code pénal, elle ordonna également la confiscation de l'ouvrage incriminé. Elle délivra un mandat d'arrêt à l'encontre du requérant. Sans se référer à des passages précis du reportage incriminé, la cour considéra que, pris dans son ensemble, le requérant faisait de la propagande séparatiste par voie de publication. Elle constata notamment que l'Etat de la République de Turquie y était divisé en deux parties, à savoir la Turquie et le Kurdistan. Par ailleurs, le livre incriminé faisait état de la lutte menée pour l'indépendance d'une nation kurde et de la propagande pour la fondation d'un Etat kurde dans la partie du territoire de la Turquie nommée Kurdistan. Par un arrêt du 25 janvier 1995, la Cour de cassation confirma l'arrêt de première instance. Le 15 mai 1995, le requérant fut informé de l'arrêt de la Cour de cassation. Le 30 octobre 1995 entra en vigueur la loi no 4126 du 27 octobre 1995, qui allégea notamment les peines d'emprisonnement mais aggrava les peines d'amende prévues par l'article 8 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Dans une disposition provisoire relative à l'article 2, la loi no 4126 prévoyait en outre la révision d'office des peines prononcées dans des décisions rendues en application de l'article 8 de la loi no 3713. Par conséquent, la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara réexamina d'office au fond l'affaire du requérant. Dans son arrêt du 17 novembre 1995, elle le condamna à une peine d'emprisonnement d'une année et à une amende de 100 000 000 TRL. Le 18 décembre 1995, le requérant forma un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara. Le 3 octobre 1996, la Cour de cassation confirma l'arrêt de première instance. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme L'article 8 § 1 disposait : « La propagande écrite ou orale, les réunions, les assemblées et les manifestations visant à porter atteinte à l'unité indivisible de l'Etat de la République de Turquie, de son territoire et de sa nation sont prohibées quelles que soient la méthode ou l'intention et les idées qui les ont motivées. Quiconque poursuit une telle activité sera condamné à une peine de deux à cinq ans d'emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques (...) » L'article 8 § 1, tel que modifié par la loi no 4126 du 27 octobre 1995, dispose : « La propagande écrite et orale, les réunions, les assemblées et les manifestations visant à porter atteinte à l'unité indivisible de l'Etat de la République de Turquie par son territoire et sa nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité sera condamné à une peine de un à trois ans de prison et à une amende de cent à trois cent millions de livres turques. (...) » Le code pénal L'article 36 § 1 est ainsi libellé : « En cas de condamnation, le tribunal saisit et confisque l'objet ayant servi à commettre ou à préparer le crime ou le délit (...) » La Constitution Les dispositions pertinentes se lisent ainsi : Article 3 « L'Etat de la République turque est une unité indivisible par son territoire et sa nation (...) » Article 4 « La disposition de l'article 1 de la Constitution établissant la forme de l'Etat comme République, les dispositions de l'article 2 sur les caractéristiques de la République et les dispositions de l'article 3 ne peuvent pas être modifiées et leur amendement ne peut être proposé. » Article 14 « Aucun des droits et libertés mentionnés dans la Constitution ne peut être exercé dans le but de porter atteinte à l'intégrité indivisible de l'Etat avec son territoire et sa nation, de mettre en péril l'existence de l'Etat turc et de la République, de supprimer les droits et libertés fondamentaux, de confier la direction de l'Etat à un seul individu ou à un groupe ou d'assurer l'hégémonie d'une classe sociale sur d'autres classes sociales, ou d'établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou la secte religieuse, ou d'instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions. La loi fixe les sanctions applicables à ceux qui enfreignent ces interdictions ou qui encouragent ou incitent autrui à les enfreindre. Aucune disposition de la Constitution ne peut être interprétée comme conférant le droit de se livrer à une activité visant à supprimer les droits et libertés mentionnés dans la Constitution. »
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est un ancien homme d'affaires letton, né en 1959 et domicilié à Riga (Lettonie). Condamné à une peine d'emprisonnement, il se trouve sous surveillance à l'hôpital « Linezers », à Riga. A. La détention provisoire du requérant et l'instruction de son affaire L'ouverture de poursuites pénales contre le requérant et sa mise en détention provisoire Par une décision du 31 mai 1995, le procureur en chef du Département d'instruction des affaires d'importance majeure du Parquet général (Ģenerālprokuratūra) ouvrit une enquête préliminaire concernant les activités du requérant en tant que président du conseil de surveillance de la société anonyme « Banka Baltija », la plus grande banque lettonne dont la faillite avait entraîné de graves conséquences pour l'économie nationale et la ruine de centaines de milliers de personnes. Le procureur constata notamment que le requérant avait autorisé la cession de 80 millions de lats [environ 139 millions d'euros], soit plus de la moitié du portefeuille de crédit de sa banque, à une banque russe située à Moscou qui, en contrepartie, s'était engagée à effectuer un paiement en obligations du Gouvernement russe. Or, d'après le procureur, la valeur réelle de ces obligations, exigibles uniquement à partir de l'année 2008, ne représentait que 29 pour cent de leur valeur nominale. Le procureur en conclut que le requérant avait intentionnellement agi de cette façon afin d'exclure toute possibilité, pour les créanciers et pour l'Etat letton, de récupérer les sommes cédées. Aux termes de la décision du procureur, les activités du requérant pouvaient être constitutives du délit de sabotage (kaitniecība), puni par l'article 64 de l'ancien code pénal en vigueur à l'époque des faits et passible de douze ans d'emprisonnement. Le 1er juin 1995, un procureur du Parquet général chargé de l'enquête déclara le requérant suspect (aizdomās turētais) du chef de sabotage et l'interrogea, en tant que tel, en présence d'un avocat de son choix. Du 16 juin au 14 juillet 1995, le parquet ne procéda à aucun autre interrogatoire, le requérant étant hospitalisé en raison d'une crise cardiaque. Par une décision du 28 juin 1995, le procureur en chef du Département d'instruction des affaires d'importance majeure mit le requérant en examen du chef de sabotage. En plus des accusations contenues dans la décision du 31 mai 1995, le procureur fit valoir qu'en tant que président du conseil de surveillance de sa banque, le requérant avait réalisé des démarches frauduleuses afin de donner une image de croissance et de stabilité à la banque, et d'inciter le plus grand nombre de personnes physiques et morales à y déposer leurs fonds. Par la suite, selon le procureur, le requérant avait frauduleusement obtenu, auprès du gouvernement letton et de la Banque de Lettonie, une garantie desdits dépôts. En outre, il avait mis sous hypothèque tous les biens de sa banque. Le procureur en conclut que le requérant avait « tout fait pour empêcher ses deux cent mille dépositaires de se voir rembourser leurs 160 millions de lats [environ 227 millions d'euros] », ainsi que pour transmettre à une puissance étrangère des droits de créance de portée stratégique. Le requérant fut aussitôt informé de sa mise en examen. Postérieurement, son chef d'inculpation fut complété par quatre autres chefs de délit relevant du droit bancaire et économique, ainsi que du chef de détention illégale d'armes. Plus tard, deux autres personnes, M. T. Freimanis, président de la banque litigieuse, et M. A. Līdums, son administrateur, firent l'objet d'une inculpation dans le cadre de la même affaire pénale. Ils devinrent donc coaccusés du requérant. Par une ordonnance prise le 28 juin 1995 à la demande du procureur, le juge du tribunal de première instance de l'arrondissement du Centre de la ville de Riga ordonna la mise en détention provisoire du requérant. Toutefois, en raison de son hospitalisation, celui-ci ne fut effectivement incarcéré qu'à partir du 14 juillet 1995. La prolongation de la détention provisoire du requérant au stade de l'investigation de l'affaire par le parquet La détention provisoire du requérant, initialement ordonnée pour une période de deux mois, fut successivement prolongée jusqu'au 28 novembre 1996, par des ordonnances du juge du tribunal de l'arrondissement du Centre rendues les 28 août, 28 octobre, 21 décembre 1995, 15 février, 22 avril, 25 juin, 26 août et 22 octobre 1996. Toutes ces ordonnances étaient motivées par la crainte qu'une fois libéré, le requérant ne puisse faire obstruction à l'instruction de l'affaire. Contre les ordonnances du 28 août 1995 et du 22 avril 1996, le requérant forma des recours en opposition devant le même tribunal, qui les rejeta par des ordonnances contradictoires du 11 septembre 1995 et du 28 mai 1996 respectivement. Quant à l'opposition introduite contre l'ordonnance du 28 octobre 1995, le juge de première instance refusa d'y donner suite. Entre le 1er juin 1995 et le 13 septembre 1996, le requérant fut interrogé à quinze reprises par le procureur. Parallèlement, les deux coaccusés du requérant, ainsi que plusieurs témoins, furent également interrogés. Du 23 septembre au 28 octobre 1996, le requérant fut hospitalisé ; après quoi il retourna en prison. Le 30 octobre 1996, le procureur en chef du Département d'instruction des affaires d'importance majeure du Parquet général présenta l'acte final d'accusation contre le requérant. Cet acte lui fut transmis par la suite. Par une décision du 19 novembre 1996, le requérant fut mis en demeure de conclure la lecture de cet acte. Le même jour, le parquet transmit au requérant les 69 volumes d'au moins 250 pages chacun, constituant le dossier. Le 29 avril 1997, le requérant et un de ses avocats achevèrent la lecture des pièces du dossier. Entre-temps, le 9 décembre 1996, en raison de l'aggravation de l'angine de poitrine dont il souffrait, ainsi que d'un dysfonctionnement rénal, le requérant fut hospitalisé sous surveillance jusqu'au 9 mars 1997. La prolongation de la détention provisoire du requérant au stade judiciaire de la procédure a) Le renvoi de l'affaire devant la juridiction de jugement Par une décision du 12 juin 1997, le procureur chargé de l'affaire renvoya le dossier devant la cour régionale de Riga pour jugement. Par la suite, le requérant demanda à la cour régionale de Riga d'ordonner sa mise en liberté, et de lui appliquer une autre mesure préventive. Par une ordonnance définitive du 30 juin 1997, la cour régionale, siégeant en session préparatoire (rīcības sēde), rejeta la demande pour les motifs suivants : « (...) Quant à la mesure préventive appliquée au prévenu Lavents, et compte tenu du fait qu'il est accusé de délits graves, il y a lieu de maintenir la détention comme mesure préventive. [Son] état de santé ne peut pas servir de fondement à la modification de la mesure préventive (...) » Le 13 octobre 1997, la cour régionale de Riga débuta l'examen au fond de l'affaire. b) Le confinement à domicile du requérant et les déclarations des membres du Gouvernement Le 14 octobre 1997, la cour régionale tint une audience sur le fond de l'affaire. Au cours de cette audience, le requérant fut victime d'une grave crise cardiaque ; il fut immédiatement hospitalisé. Par une ordonnance prise le même jour, la cour régionale de Riga remplaça la détention du requérant en prison (apcietinājums) par son confinement à domicile (mājas arests). En exécution de l'ordonnance, il lui fut strictement interdit de quitter son appartement et d'entrer en contact avec ses coaccusés. L'appartement du requérant, spécialement réaménagé afin d'assurer sa sécurité personnelle, fut constamment surveillé par des agents de police, qui suivaient tous ses déplacements dans cet appartement. Le confinement à domicile du requérant se prolongea jusqu'au 25 septembre 1998. Le 15 octobre 1997, « Diena », le plus grand journal quotidien letton à l'époque, publia une information concernant un communiqué officiel conjoint du Premier ministre et du ministre de la Justice, dans lequel ces derniers exprimaient leur désaccord avec l'ordonnance précitée du 14 octobre. Le texte intégral du communiqué, reproduit le 16 octobre 1997 par le journal officiel letton, « Latvijas Vēstnesis », était rédigé comme suit : « La modification de la mesure préventive appliquée à l'ex-président du conseil de surveillance de la « Banka Baltija », Aleksandrs Lavents, est inacceptable pour la société lettonne. Suite à cette affaire et à des affaires similaires, nous estimons nécessaire de soumettre une proposition de révision des principes de responsabilité des juges, prévus par les lois sur le pouvoir judiciaire et sur la responsabilité disciplinaire des juges. » Le 16 octobre 1997, les juges de la cour régionale de Riga confirmèrent la mesure préventive appliquée au requérant, et se désistèrent de l'examen de l'affaire, au motif que la pression « de la part du Gouvernement et de la société » ne leur permettait pas de poursuivre objectivement l'instruction du dossier. L'affaire fut alors assignée à une autre formation de la même juridiction. Le 22 octobre 1997, un juge de la cour régionale de Riga, se fondant sur l'article 176 du code de procédure pénale (Latvijas Kriminālprocesa kodekss, ci-après le « KPK ») ordonna la saisie et le dépouillement de la correspondance du requérant, y compris celle maintenue avec ses avocats. Ces derniers déposèrent un recours au greffe de la cour régionale de Riga. Par lettre du 27 octobre 1997, le juge ayant rendu l'ordonnance entreprise retourna le mémoire aux avocats, tout en leur expliquant que celle-ci n'était pas susceptible de recours. Il ressort des pièces du dossier qu'à ce jour, cette mesure n'a pas encore été levée. c) Le renvoi du requérant en prison L'examen de l'affaire par la cour régionale de Riga fut repris le 14 septembre 1998. Par une ordonnance du 25 septembre 1998, la cour, statuant d'office et sans entendre les parties sur le sujet, modifia la mesure préventive appliquée au requérant et ordonna sa réincarcération en des termes suivants : « (...) [V]u la gravité de l'accusation retenue contre M. Lavents (...), vu le fait que la mesure préventive appliquée à [son] encontre a été une fois modifiée en une mesure n'impliquant pas un confinement, vu l'état de [sa] santé, la cour n'a pas de raisons de croire que l'état de santé de M. Lavents (...) est tellement grave qu'il empêcherait [sa] détention. Depuis le 14 septembre jusqu'aujourd'hui, [l'accusé] a participé à l'audience ; [il] n'[a] soumis à la cour aucune pièce attestant que [sa] santé ne [lui] permettrait pas de participer à l'examen de l'affaire. En outre, la cour estime que la mesure préventive appliquée à [l'accusé] doit être changée en une détention en prison, afin de garantir [sa] sécurité, et afin que [sa] vie et [sa] santé ne soit pas mise en danger (...) » A la fin de l'audience, le requérant fut transféré à la prison centrale de Riga. Les 15 décembre 1998, 3 septembre et 27 octobre 1999, 24 février, 1er mars, 30 mars, 11 avril et 15 juin 2000, le requérant forma des demandes d'élargissement devant la cour régionale de Riga, qui furent toutes rejetées par des ordonnances contradictoires ; prises toutes le jour même où la demande de libération avait été formulée. La dernière ordonnance, datant du 15 juin 2000 et dont le contenu était pratiquement identique à celui de toutes les décisions précédentes, se fondait sur les motifs suivants : « (...) En ce qui concerne la question de modification de la mesure préventive appliquée [à l'accusé], à savoir la détention, la cour estime qu'il n'y a pas de raisons pour la modifier, et ce, compte tenu de la gravité de l'accusation, de la personnalité [de l'accusé] ; quant à [son] état de santé, aucun document soumis à la cour ne permet de conclure qu'en raison de [son] état de santé, [l'accusé] ne pourrait pas rester en détention et participer à l'audience (...) » Après l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions du KPK, le 1er avril 1999, prévoyant la possibilité pour les prévenus d'interjeter appel contre les ordonnances de détention provisoire au stade judiciaire de la procédure, à condition que l'examen de l'affaire eût été ajourné pour une période dépassant un mois, le requérant forma un recours contre l'ordonnance du 27 octobre 1999. Par une décision du 27 novembre 1999, le Sénat de la Cour suprême le rejeta, en se déclarant incompétent pour l'examiner. Du 20 avril au 7 juin 2000, le requérant fut transféré à un hôpital situé hors de l'enceinte de la prison. Le 5 septembre 2000, après avoir subi une nouvelle crise d'angine de poitrine, le requérant fut transporté d'urgence à l'hôpital de la prison centrale de Riga. Vu l'impossibilité de lui assurer un traitement médical adéquat en prison, le requérant fut transféré, le 25 septembre 2000, à l'hôpital no 1 de la ville de Riga, où il fut placé dans une chambre surveillée. Les 25 octobre et 20 novembre 2000, le requérant fut transféré à un autre hôpital. d) Les restrictions imposées au requérant pendant son hospitalisation Durant la période où le requérant a été placé dans des établissements médicaux situés hors de la prison, il n'a pas pu quitter l'enceinte de hôpital, et il lui était formellement interdit de communiquer avec ses coaccusés. En revanche, il pouvait librement rencontrer les membres de sa famille. Pendant son hospitalisation en prison, les visites de toute personne autre que le personnel soignant devaient être expressément autorisées par le juge. Les avocats du requérant obtinrent une telle autorisation, mais non sa famille. De même, selon le requérant, toute correspondance lui était interdite, et sa chambre était constamment surveillée par deux agents de police armés qui étaient également présents lors de ses entretiens avec ses avocats. B. Les faits relatifs aux demandes en récusation des juges de la cour régionale de Riga Les premières demandes en récusation du juge et des juges assesseurs Les 25 janvier et 18 juin 1999, le requérant introduisit deux demandes en récusation, respectivement contre la présidente du collège de la cour régionale de Riga chargé de l'affaire, Mme I. Šteinerte, et contre le collège entier composé de la présidente et des juges assesseurs, au motif que les graves violations du code de procédure pénale témoignaient du manque d'impartialité du tribunal. Les deux demandes furent rejetées. Les 1er et 3 septembre 1999, le requérant voulut contester la conclusion contenue dans un rapport médical établi par un expert à la demande de la cour, selon laquelle le requérant ne faisait que simuler une maladie du cœur. De même, il demanda à la cour régionale de Riga d'examiner un autre rapport déjà joint au dossier le 14 octobre 1997. Mme Šteinerte l'informa qu'un tel rapport n'avait jamais été produit, et refusa d'examiner l'exemplaire qu'il lui présentait, au motif qu'il ne s'agissait que d'une photocopie et non de l'original. Toutefois, le 14 octobre 1999, les avocats du requérant découvrirent l'existence du texte du rapport parmi les pièces du dossier. Par conséquent, le 27 octobre 1999, le requérant introduisit une nouvelle demande en récusation contre Mme Šteinerte, en faisant valoir que le fait, pour un juge, de dissimuler une pièce importante à décharge témoignait clairement de son manque d'impartialité. Une ordonnance fut rendue le même jour donnant suite à la demande de l'un des deux assesseurs, Mme Z.L., qui s'était exprimée en faveur du désistement de Mme Šteinerte, ce qui équivalait à l'acceptation de la demande en récusation (paragraphe 49 ci-après). Toutefois, par une ordonnance définitive du 14 décembre 1999, le Sénat de la Cour suprême, statuant sur opposition des procureurs dans l'affaire, annula l'ordonnance du 27 octobre pour des vices de forme, et renvoya la question de la récusation de Mme Šteinerte devant la cour régionale de Riga, en précisant toutefois que cette question devait être tranchée « par une autre formation de la même juridiction ». Le Sénat ne retint pas l'argument de la défense selon lequel la décision de désistement était définitive et n'était susceptible d'aucun recours ni opposition. Les déclarations du juge à la presse Les 4 et 5 novembre 1999, « Lauku avīze » et « Respublika », deux quotidiens lettons, publièrent les déclarations de Mme Šteinerte, qui, répondant aux questions d'un journaliste sur l'état de l'affaire, déclara notamment : « (...) La défense a encore le droit d'introduire la demande en récusation contre le juge. Pour moi, c'est déjà la cinquième demande en récusation. Je m'y suis déjà habituée. Les avocats de Lavents ont profité de toute occasion pour me récuser. Et je ne comprends pas pourquoi (...) Il est impossible de prolonger infiniment l'examen de l'affaire. Mais il est possible de l'ajourner s'il y a des raisons objectives pour cela. La législation du travail nous garantit le droit au congé annuel et au congé pour maladie. Si les avocats de Lavents et de [son coaccusé] manifestaient vraiment de l'intérêt pour l'accélération de l'examen de l'affaire, celle-ci pourrait être terminée dans le délai de six ou sept mois. Ce serait possible s'ils ne voulaient pas se débarrasser de moi. Pourquoi ? Parce qu'il est impossible de m'acheter ou de me faire peur. D'ailleurs, s'ils étaient des gens vraiment intelligents, ils pourraient débattre les preuves qui se trouvent dans le dossier. Pendant le débat contradictoire, ils pourraient exprimer leurs objections et démontrer les erreurs du Parquet général. S'ils étaient en désaccord avec le jugement, ils pourraient former un recours devant une juridiction supérieure. Mais la défense a décidé de se débarrasser de moi par tout moyen, et les demandes en récusation s'enchaînent les unes après les autres (...) (...) Ils [la défense] considèrent que les accusés ne sont pas coupables, que l'accusation est fausse. Je ne puis pas encore dire aujourd'hui si le jugement portera condamnation ou acquittement partiel (...) » Le 7 décembre 1999, le journal letton « Kommersant Baltic » publia une nouvelle déclaration de Mme Šteinerte, où elle s'exprima ainsi : « (...) Franchement, je ne comprends pas la défense et les accusés. Ils ne se reconnaissent pas coupables, voyez-vous ? Par exemple, Lavents va jusqu'à nier l'épisode de l'accusation concernant la détention d'armes. Alors, prouvez votre innocence, et c'est tout ! Mais eux, il me semble, ils pensent que je veux simplement mettre Lavents et [son coaccusé] Freimanis en prison. Je n'ai pas besoin de cela (...) » Les demandes en récusation consécutives aux déclarations du juge chargé de l'affaire Le 24 février 2000, la demande en récusation renvoyée par le Sénat de la Cour suprême fut réexaminée par la cour régionale de Riga, siégeant dans la même composition et présidée par Mme Šteinerte. Cette demande en récusation fut rejetée au motif qu'aucun indice plausible ne témoignait de la partialité du juge. De plus, Mme Z.L., l'assesseur ayant précédemment été favorable au désistement de Mme Šteinerte, apposa en bas de l'ordonnance ses explications justifiant le changement de son opinion par la découverte, parmi les pièces du dossier, du rapport médical litigieux qu'elle croyait perdu ou volé. Le même jour, la défense introduisit une demande en récusation contre la formation entière de la cour. Par une ordonnance du 1er mars 2000, la cour régionale de Riga, siégeant dans la même composition qu'auparavant et présidée par Mme Šteinerte, rejeta la demande au motif que, n'ayant pas lu les journaux ayant publié ses déclarations, et n'étant pas en mesure de vérifier si ces journaux avaient correctement et complètement retranscrit le contenu desdites déclarations, elle ne pouvait, de ce seul fait, se voir imputer une quelconque partialité dans l'affaire. La demande en récusation contre l'un des assesseurs En août 2000, le requérant reçut une lettre d'un hôpital de Riga attestant que depuis le mois de juin 2000, Mme Z.L. y était traitée en raison de son état cyclothymique, provoqué par un traumatisme crânien. Lors de sa dernière parole clôturant les débats dans l'affaire, le 4 septembre 2000, le requérant demanda à la cour régionale de Riga de rouvrir l'instruction judiciaire de l'affaire, afin de pouvoir récuser Mme Z.L. Par une ordonnance prise le même jour, la cour régionale de Riga rejeta cette demande. Contre ladite ordonnance, le requérant forma un pourvoi en cassation devant le Sénat de la Cour suprême, en le déposant au greffe de la cour régionale de Riga. Par une lettre reçue le 14 septembre 2000, Mme Šteinerte refusa de transmettre le pourvoi au Sénat, au motif que l'ordonnance en litige n'était pas susceptible de recours. Le requérant tenta alors d'attaquer cette lettre de rejet par voie de recours devant le Sénat. Par courrier du 19 septembre 2000, Mme Šteinerte refusa également de transmettre ce recours au destinataire. C. Faits postérieurs à la recevabilité de la requête Par lettre du 14 juin 2001, le médecin chargé du traitement du requérant informa le chef de la prison centrale de Riga que la nature de ses maladies exigeait un « traitement continu dans des conditions identiques à celles dont il dispos[ait] à présent ». De même, il soutint qu'une pression avait été exercée à son encontre afin de le contraindre à émettre un avis favorable au retour du requérant en prison. Le 4 juillet 2001, une commission d'experts convoquée par le ministère des Affaires sociales (Labklājības ministrija) dressa un avis selon lequel, vu son état de santé, le requérant risquait d'être atteint d'un nouvel infarctus, probablement mortel. Par conséquent, la commission estima qu'il devait être soigné dans un établissement médical équipé selon les normes pertinentes établies par la réglementation en vigueur. Or, selon l'attestation délivrée par le médecin du requérant, l'infirmerie de la prison, dépourvue d'équipement cardiologique spécial et donc inadaptée à une thérapie intensive, ne correspondait pas à ces normes. Lors d'une audience, le 2 août 2001, le requérant eut une grave crise cardiaque. Mme Šteinerte ordonna alors son hospitalisation, soulignant expressément que le requérant devait être transporté à la prison centrale et non à « Linezers » où il se trouvait jusqu'alors. Toutefois, vu son état critique, le Régiment de garde (Sardzes pulks) de la police et le service médical d'urgence décidèrent de désobéir et de le transférer à « Linezers », où il fut immédiatement placé à la division de thérapie intensive. Le 8 août 2001, Mme Šteinerte déclara à la presse qu'elle avait engagé des consultations avec l'administration pénitentiaire en vue d'obtenir le transfert du requérant à un établissement médical où « il pourrait recevoir un traitement plus efficace qu'à « Linezers » », et qu'elle envisageait également la possibilité de tenir des audiences à l'hôpital. A la même date, le directeur de l'hôpital et le médecin traitant du requérant organisèrent une conférence de presse, lors de laquelle ils dénoncèrent une pression constante de la part de Mme Šteinerte et des autorités nationales. Selon eux, les déclarations du parquet les accusant de retarder la procédure pénale contre le requérant étaient sans fondement, puisque, en tant que médecins, ils devaient respecter les règles de déontologie médicale et faire de leur mieux pour le bien-être du patient. Or, le transfert du requérant à l'infirmerie de la prison mettrait ses jours en danger. Après la conférence de presse susmentionnée, le requérant n'a pas été transféré à un autre établissement médical. Le 25 septembre 2001, Mme Šteinerte annonça la clôture définitive de l'audience. Le même jour, la cour régionale de Riga se retira pour délibérer. Par un jugement dont la lecture publique dura du 19 décembre au 28 décembre 2001, le requérant fut reconnu coupable des chefs de délits incriminés, et condamné à neuf ans d'emprisonnement ferme. Ses coaccusés furent, eux aussi, condamnés à des peines de prison. A une date non spécifiée, le requérant interjeta appel devant la Chambre des Affares pénales de la Cour suprême, qui ne l'a pas encore examiné. Il ressort des pièces du dossier que le requérant continue à être détenu sous surveillance à l'hôpital « Linezers ». II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les mesures préventives La détention provisoire dans le système général des mesures préventives Aux termes de l'article 68 du KPK, une mesure préventive peut être appliquée lorsqu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que l'accusé cherchera à se soustraire à l'investigation ou qu'il mettra des obstacles à la détermination de la vérité dans l'affaire. Il existe huit types de mesures préventives : un engagement de ne pas changer de résidence, une garantie personnelle, un cautionnement, un contrôle policier, un confinement à domicile, une détention en prison, ainsi que deux mesures spécifiques applicables respectivement aux mineurs et aux membres des forces armées. Conformément à l'article 72 du KPK, l'application et le choix d'une mesure préventive doivent s'opérer en fonction des critères suivants : la gravité de l'infraction imputée ; la personnalité de l'accusé ; la probabilité, pour ce dernier, de vouloir se soustraire à l'instruction et de mettre des obstacles à la détermination de la vérité dans l'affaire ; son occupation, âge, statut familial, état de santé, ainsi que d'autres critères pertinents. Toute mesure préventive doit être appliquée par une ordonnance dûment motivée. Selon l'article 75-2 du KPK, « [l]e confinement à domicile [mājas arests] signifie que la liberté de déplacement de la personne est restreinte d'une manière forcée ; celle-ci doit rester en permanence dans sa maison ou dans son appartement ; il lui est interdit d'entrer en contact avec les personnes mentionnées dans la décision, que ce soit par voie de moyens de communication, de correspondance ou d'intermédiaire d'un tiers. » En outre, « [l]a maison ou l'appartement de la personne détenue peut être placée sous surveillance, et la police peut être chargée de surveiller son comportement. » Formellement, la détention en prison (apcietinājums) et celle à domicile constituent deux mesures distinctes. Toutefois, elles sont soumises aux mêmes conditions procédurales et aux mêmes délais. Aux termes de l'article 76, une détention, quel que soit son type, ne peut être appliquée que par le juge et qu'à l'égard d'une personne accusée d'une infraction passible d'emprisonnement. L'ordonnance portant détention doit être prise au bout d'un examen contradictoire des pièces justificatives présentées par le parquet ou la police, la présence de l'intéressé étant en principe obligatoire. Conformément à l'article 52 §§ 4 et 5 du nouveau code pénal letton (Krimināllikums), la détention provisoire s'impute sur la durée de la peine d'emprisonnement. Les délais de détention provisoire et les voies de recours contre cette mesure Les principes régissant les délais de détention provisoire et le système de recours sont fondamentalement différents selon qu'il s'agisse du stade d'investigation préliminaire (pirmstiesas izmeklēšana) ou du stade contradictoire de la procédure (iztiesāšana). a) L'investigation préliminaire Au stade de l'investigation préliminaire (comprenant l'enquête et l'instruction), le délai initial d'une détention provisoire ne peut excéder deux mois (article 77 du KPK). Toutefois, lorsqu'il est impossible de terminer l'instruction préliminaire et de déférer l'affaire devant le tribunal dans ce délai, et « qu'il n'y a pas de raisons pour modifier la mesure préventive », le procureur peut demander au juge de prolonger la détention. Dans cette hypothèse, l'audition de l'accusé et de son avocat a lieu « si nécessaire ». Le détenu peut attaquer une ordonnance prolongeant sa détention, par voie de recours devant une juridiction supérieure, qui doit examiner ce recours dans un délai de sept jours suivant sa réception. Après avoir entendu « l'auteur du recours » et le procureur, le tribunal supérieur tranche la question par voie d'une ordonnance définitive (article 222-1 du KPK). A ce stade de la procédure, la durée totale de la détention provisoire ne peut en aucun cas excéder un an et six mois ; si, après l'écoulement de ce délai, l'affaire n'est pas encore transmise à la juridiction de jugement, le détenu doit être impérativement remis en liberté. Lorsqu'il est possible de terminer l'instruction avant l'expiration du délai maximum susmentionné, le parquet doit, au moins un mois avant la date de son expiration, transmettre les pièces du dossier à l'accusé et à son avocat pour qu'ils en prennent connaissance. Cependant, le temps pendant lequel ces personnes lisent le dossier, « n'est pas pris en compte pour le calcul de la durée maximale de la détention » (article 77, al. 6). En pratique, le parquet et les tribunaux interprètent cette disposition comme autorisant le maintien de l'accusé en détention pendant toute cette période. b) Le stade contradictoire Après avoir rédigé l'acte final d'accusation, le parquet transmet le dossier à la juridiction compétente de jugement (articles 209 à 211 du KPK). Dans un délai de quatorze jours suivant sa réception, cette juridiction doit, sans prendre position sur la culpabilité, décider si le dossier est suffisant pour traduire l'accusé devant le tribunal, ou si l'affaire doit être renvoyée au parquet ou classée. En général, l'ordonnance décidant qu'il y a lieu de traduire l'accusé devant le tribunal (lēmums par apsūdzētā nodošanu tiesai) est prise par un juge unique (articles 223 et 226), qui doit également se prononcer sur le maintien, la modification ou l'annulation de la mesure préventive appliquée jusqu'alors. Lorsque le juge estime que la mesure préventive a été choisie correctement, il la confirme par une décision définitive. En revanche, s'il a des doutes sur la légalité ou le bien-fondé de cette mesure, il convoque une audience préparatoire (rīcības sēde) du tribunal pour trancher cette question. L'ordonnance de la session préparatoire est susceptible de recours devant une juridiction supérieure. En principe, une fois le maintien de l'accusé en détention ordonné, cette décision reste en vigueur pour toute la durée de la procédure en première instance. A la différence de l'investigation préliminaire, la durée de la détention provisoire n'est pas limitée. En pratique, bien qu'aucune voie de recours contre la détention ne soit expressément prévue à ce stade par les textes législatifs, les juges examinent toutes les demandes d'élargissement présentées par les détenus. La réponse revêt souvent la forme d'un simple courrier, qui n'est pas susceptible de recours ; toutefois, dans les affaires plus compliquées, le tribunal se prononce par voie d'une ordonnance. Une loi portant modification des articles 237, 248 et 465 du KPK, entrée en vigueur le 1er avril 1999, a introduit un droit de recours contre les ordonnances relatives aux mesures préventives au stade judiciaire de la procédure, mais cette loi ne concerne que la période après le début de l'examen de l'affaire par le tribunal. L'exercice de ce droit est subordonné à la condition que l'examen de l'affaire par le tribunal soit ajourné pour une durée minimale d'un mois. Le recours peut être introduit dans un délai de sept jours à compter de la notification de l'ordonnance respective, le tribunal étant obligé de l'examiner dans les sept jours suivant sa réception. Le troisième alinéa in fine de l'article 226 précise enfin que l'accusé peut réitérer sa demande de libération à l'audience sur le fond de l'affaire. B. Les dispositions relatives aux garanties d'indépendance et d'impartialité des juges Les principes généraux Les principes généraux de l'indépendance du pouvoir judiciaire sont établis par la Constitution (Satversme) de la République de Lettonie. En vertu de son article 83, les juges sont indépendants et ne sont soumis qu'à la loi. Conformément à l'article 84 (tel que modifié par la loi du 4 décembre 1997), tous les juges sont nommés par le Parlement ; ils sont inamovibles. Avant d'atteindre l'âge de la retraite, un juge ne peut être démis de ses fonctions contre sa volonté que par le Parlement et dans les cas prévus par la loi, notamment sur la base d'une décision du Collège disciplinaire judiciaire ou d'une condamnation pénale. Quant aux juges assesseurs (tiesas piesēdētāji), ils sont élus par le conseil municipal respectif pour une durée de cinq ans (article 64 §§ 1 et 2 de la loi sur le pouvoir judiciaire (Likums « Par tiesu varu ») du 15 décembre 1992). L'article 11 de la loi sur le pouvoir judiciaire oblige toute personne et tout organisme, public ou privé, à respecter l'indépendance et l'immunité des juges. De même, il interdit toute ingérence, quel qu'en soit le prétexte, dans l'examen des affaires par les tribunaux, et toute pression sur un juge (ou sur un juge assesseur, toutes les dispositions relatives aux juges étant également applicables aux juges assesseurs). En particulier, nul ne peut contraindre un juge à s'expliquer sur le résultat d'une affaire qu'il a tranchée, ou à révéler les opinions exprimées au cours d'un délibéré. L'article 13 de la même loi énumère les garanties d'immunité des juges, notamment en matière pénale. L'ancien code pénal letton (Latvijas Kriminālkodekss), en vigueur jusqu'au 31 mars 1999, et le nouveau code pénal (Krimināllikums) sanctionnent pénalement les atteintes à l'indépendance du pouvoir judiciaire. Aux termes des deux textes, sont punissables l'ingérence dans l'examen d'une affaire ou la pression sur un juge et atteinte à l'honneur et à la réputation d'un juge. En outre, l'ancien code pénal érigeait en une infraction distincte des menaces proférées à l'égard d'un membre d'un tribunal. Tous ces délits sont passibles d'une amende ou d'un emprisonnement pour une durée allant jusqu'à cinq ans (l'ancien code) ou trois ans (le nouveau code). La récusation des membres d'un tribunal et les pouvoirs du procureur Le principe général d'incompatibilité des membres d'un tribunal est consacré par l'article 22 du KPK, aux termes duquel un juge ne peut pas participer à l'examen d'un dossier et doit être récusé, s'il a un intérêt personnel, direct ou indirect, dans l'issue de l'affaire. De même, conformément à l'article 27, un juge ne peut pas participer à l'examen d'une affaire lorsque l'on peut raisonnablement douter de son impartialité. Toutefois, le deuxième alinéa de cet article précise que les décisions prises par le juge en matière de mesures préventives ne sont pas, à elles seules, de nature à justifier une récusation. Toute demande en récusation doit être présentée avant le début de l'instruction judiciaire. Une demande ultérieure ne peut être accueillie qu'en cas d'une découverte tardive, par l'intéressé, du motif d'incompatibilité (article 29). Lorsque la récusation porte sur l'un des membres de la formation, elle est décidée par une ordonnance prise au nom du tribunal par les deux membres restants, sans participation du récusé. Le désaccord entre les membres restants porte l'acceptation du désistement. Lorsque tout le collège est récusé, l'ordonnance est arrêtée par tout le collège (article 30 du KPK). Toutes ces ordonnances sont rédigées et prononcées immédiatement (article 30). En cas du désistement d'un juge, il doit être remplacé par un autre juge, et la phase contradictoire de la procédure doit impérativement recommencer à nouveau. L'article 28 du KPK dispose : « Un juge ne peut pas participer à l'examen d'une affaire, quelle que soit l'instance judiciaire respective, lorsqu'un jugement ou une ordonnance pris avec sa participation à une instance quelconque du procès, ont été annulés. » L'article 41 du KPK énumère les pouvoirs du procureur dans une procédure pénale. Son troisième alinéa se lit ainsi : « Le procureur déclenche les poursuites pénales ; prend la décision d'engager la responsabilité pénale de la personne ; l'informe de son inculpation ; interroge l'accusé, prend lui-même des mesures d'instruction ou charge la police de le faire ; rédige l'acte final d'accusation et défère l'affaire devant le tribunal ; suspend ou classe l'instruction du dossier ; exerce la fonction d'accusation publique devant les juridictions de première instance et d'appel ; formule des oppositions contre les décisions illégales ou mal fondées des juges ou des tribunaux ; participe à l'examen des affaires devant la cour de cassation ; rouvre l'instruction d'un dossier [classé] suite à la découverte de faits nouveaux, ainsi qu'exerce les autres pouvoirs qui lui sont conférés par le présent code. » C. Les visites familiales et la saisie et le dépouillement de la correspondance Les visites familiales A l'époque des faits relatés par le requérant, le seul texte régissant les conditions de la détention provisoire, était l'arrêté no 113 du ministre de l'Intérieur du 30 avril 1994 relatif aux modalités de détention des personnes suspectes, placées en détention provisoire ou condamnées dans les prisons d'investigation relevant du ministère de l'Intérieur (Pavēle « Par aizdomās turēto, apcietināto un notiesāto personu uzturēšanās kārtību Iekšlietu ministrijas izmeklēšanas cietumos »). L'article 32 de cet arrêté disposait : « Les personnes placées en détention provisoire peuvent obtenir une autorisation de bénéficier des visites de courte durée des membres de leurs familles ou d'autres personnes, mais uniquement avec le consentement écrit de l'autorité chargée de l'examen du dossier ; [ce consentement] doit obligatoirement être confirmé par le cachet de l'établissement dans lequel se trouve le détenu, [et il ne sera accordé que] lorsque la personne n'aura pas commis des infractions graves au régime [de la détention]. De telles visites ne sont pas autorisées plus fréquemment qu'une fois par mois, et pour une durée ne dépassant pas une heure. De telles autorisations doivent faire l'objet d'un accord de l'administration de la prison d'investigation. L'autorisation écrite doit indiquer qui dispose du droit de recevoir la visite et quelle personne a le droit de visiter. La rencontre avec le détenu n'est pas permise à plus de deux personnes à la fois. L'autorisation délivrée par l'autorité d'instruction ou par le tribunal n'est valable que pour une seule visite. Par un arrêté no 63 du 9 mai 2001, le ministre de la Justice approuva un nouveau règlement provisoire sur les conditions de détention provisoire, dont l'article 25 maintint ces limitations. Par un arrêt du 19 décembre 2001, la Cour constitutionnelle (Satversmes tiesa), saisie par deux particuliers au sujet de certaines dispositions de l'arrêté no 63 précité, déclara que la Constitution lettonne devait être interprétée comme interdisant toute ingérence dans les droits subjectifs d'une personne autrement que selon la Constitution, une loi ou un règlement adopté par le conseil des ministres. Toute limitation des droits des particuliers, y compris des détenus, ayant pour seule base un arrêté ministériel, devait donc être reconnue inconstitutionnelle. La saisie et le dépouillement de la correspondance d'un accusé La saisie et le dépouillement de la correspondance postale ou télégraphique d'un accusé (aresta uzlikšana pasta un telegrāfa korespondencei un tās izņemšana) est régie par l'article 176 du KPK. Selon la disposition précitée, cette mesure ne peut être ordonnée que par un juge ou par un tribunal lorsqu'il s'agit de délits ou de crimes graves. Après la réception d'une copie de l'ordonnance portant saisie et dépouillement, le procureur l'envoie au bureau de poste, auquel il communique également les horaires selon lesquels il viendra retirer la correspondance saisie. Au bureau de poste, le procureur dépouille la correspondance de l'accusé, saisissant et emportant les pièces qu'il estime pertinentes dans l'affaire. La levée de la mesure en question peut être ordonnée par le procureur, qui en informe aussitôt les responsables du bureau de poste. Aucune disposition du KPK ne prévoit expressément un droit de recours contre la saisie et le dépouillement de la correspondance. D. Autres dispositions Le délit de sabotage L'article 64 de l'ancien code de pénal, le délit de sabotage (kaitniecība) était défini comme « une action ou une omission ayant pour but la destruction du système monétaire (...) ou des autres branches de l'économie nationale, ainsi que la réalisation des actes contraires au fonctionnement des organismes publics ou privés, dans l'objectif final d'affaiblir la République de Lettonie, lorsque cette infraction est commise par l'intermédiaire d'entreprises (...) ou par des actes allant à l'encontre de leur fonctionnement normal ». Passible de douze ans d'emprisonnement, le sabotage était qualifié de « délit grave » (smags noziegums) par le deuxième alinéa de l'article 7-1 de l'ancien code pénal. Le recours contre les ordonnances en général Aux termes du premier alinéa de l'article 465 du KPK, « Une ordonnance du tribunal ou du juge, qui n'a pas encore entrée en vigueur et contre laquelle la loi prévoit la possibilité de recours, peut faire l'objet d'une opposition [blakus protests] de la part du procureur (...), et ce, dans un délai de dix jours et devant la juridiction supérieure, dont la décision est définitive. »
0
0
0
0
0
0
1
1
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Citoyenne turque, née en 1973, la requérante était étudiante à l’époque des faits. Elle est actuellement détenue à la maison d’arrêt de Bayrampaşa. A. L’arrestation et la garde à vue de la requérante Le 21 mars 1995, la requérante fut arrêtée en possession de faux papiers d’identité lors d’une opération dirigée contre le PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) par la police de la direction de la sûreté d’Istanbul, section de la lutte contre le terrorisme (ci-après « la direction de la sûreté »). Elle fut placée en garde à vue dans les locaux de cette direction. Il lui était reproché d’être membre de l’organisation illégale en question. Sur demande de la direction de la sûreté, formulée par lettre du 23 mars 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (ci-après « la cour de sûreté de l’Etat ») ordonna la prolongation de la garde à vue de la requérante jusqu’au 3 avril 1995. Le procès-verbal de déposition du 29 mars 1995 dressé par les policiers de la direction de la sûreté fit état de prétendues activités de la requérante au sein du PKK. Celle-ci signa cette déposition. La requérante ne fut assistée d’aucun avocat lors de sa garde à vue. La requérante affirme avoir subi aux mains des policiers plusieurs formes de sévices, tant physiques que psychiques, lors de sa garde à vue. Elle aurait été maintes fois battue à coups de poings et de pieds, menacée de mort et de viol, et insultée ; on lui aurait infligé la « pendaison palestinienne » (suspension par les bras) ainsi que des électrochocs au moyens d’électrodes fixées aux seins, aux pieds et au buste. Le 3 avril 1995, à la demande de la direction de la sûreté, la requérante, ainsi qu’au moins cinq autres détenus, fut examinée par un médecin légiste, membre de l’institut de médecine légale d’Istanbul. Dans son rapport assez bref daté du même jour, le médecin indiqua que « suite à l’examen de Meryeme Algür, aucune trace de lésion traumatique n’était décelée sur son corps ». Le même jour, la requérante fut examinée par le médecin de la maison d’arrêt. Le rapport de cet examen fit état de douleurs aux bras, aux jambes et au cou, d’un tremblement général et de deux égratignures de 1 x 1 cm sur les seins. Le médecin indiqua qu’un rapport définitif pourrait être établi suite à l’examen de la requérante par un médecin légiste. Il ressort du dossier que cet examen n’eut pas lieu. Selon le procès-verbal de confrontation du 3 avril 1995, la requérante fut identifiée par H.A., un autre accusé, en tant que personne menant des activités au sein du PKK. Toujours le même jour, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat entendit la requérante. Devant lui, celle-ci rétracta partiellement sa déposition du 29 mars 1995. Elle affirma avoir connu l’organisation par le biais de certains proches et avoir fourni un document concernant son passé à un responsable de l’organisation. Elle déclara avoir acheté des vêtements pour des personnes détenues à la maison d’arrêt du chef d’appartenance au PKK. Elle nia toutefois avoir participé aux activités de cette organisation. Par la suite, elle fut traduite devant le juge près la cour de sûreté de l’Etat qui ordonna sa mise en détention provisoire. Devant le juge, elle réitéra sa déposition faite devant le procureur, et indiqua en outre avoir été obligée de signer sa déposition recueillie par la police. B. La plainte de la requérante pour mauvais traitements Le 25 mai 1995, la requérante déposa une plainte devant le parquet d’Istanbul contre les responsables de sa garde à vue, alléguant que, durant cette période, ceux-ci lui avaient infligé des mauvais traitements. Elle soutint également qu’en dépit du fait que le médecin de la maison d’arrêt avait ordonné son transfert à l’Institut médico-légal, un tel examen n’avait pas eu lieu. A sa plainte, elle joignit le rapport médical établi par le médecin de la maison d’arrêt. Le 21 septembre 1995, le procureur de la République rendit une décision de non-lieu quant à la plainte de la requérante, estimant qu’il n’existait pas de charges suffisantes contre les policiers responsables de la garde à vue en question. Le 13 octobre 1995, la requérante attaqua cette ordonnance de non-lieu devant le président de la cour d’assises de Beyoğlu (Istanbul). Elle souleva à nouveau l’absence de transfert à l’institut médico-légal. Le 22 novembre 1995, le président de la cour d’assises de Beyoğlu rejeta l’opposition de la requérante. C. L’action pénale diligentée à l’encontre de la requérante Par un acte d’accusation présenté le 12 avril 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat intenta une action pénale contre la requérante sur la base de l’article 168 du code pénal réprimant l’appartenance à une organisation illégale. Dans la procédure devant la cour de sûreté de l’Etat, la requérante réitéra ses déclarations faites devant le procureur de la République (paragraphe 18 ci-dessus). Elle soutint également avoir signé ses dépositions sous la torture et contesta le procès-verbal de confrontation du 3 avril 1995 (paragraphe 17 ci-dessus). Le 15 octobre 1996, la cour de sûreté de l’Etat, composée de deux civils et d’un juge militaire ayant le grade de colonel, condamna la requérante à quinze ans d’emprisonnement en vertu de l’article 168 du code pénal. Dans ses attendus, la cour de sûreté de l’Etat considéra que l’accusée était passée aux aveux concernant ses activités au sein du PKK alors qu’elle se trouvait aux mains de la police, et qu’elle les avait partiellement réitérés devant le procureur de la République et le juge assesseur. La cour conclut que l’examen de l’ensemble du dossier, et notamment des déclarations des autres coaccusés, ainsi que le fait que la requérante avait été arrêtée en possession de faux papiers d’identité lui avait permis d’acquérir la conviction que l’accusée était coupable du chef d’appartenance au PKK. La partie concernant les attendus de l’arrêt du 15 octobre 1996 consacrée à l’évaluation des preuves recueillies lors de la procédure peut se traduire comme suit : « Dans sa déposition recueillie à la direction de la sûreté, Meryeme Algür a admis les chefs d’accusation qui lui étaient reprochés et fourni des renseignements détaillés au sujet de ses activités. L’accusée est également passée aux aveux qui peuvent être interprétés dans le même sens [de ces déclarations] aux différents stades de la procédure. Il ressort du procès-verbal de la confrontation que H.A. a identifié Meryeme Algür en tant que personne menant des activités au sein du PKK. Le maire du quartier de (...), M.K.Ç. a donné des informations concernant la fausse carte d’identité de l’accusée. Par ailleurs, les accusés V.K, S.A., O.I., Y.I. et M.D.B. ont déclaré que l’accusée travaillait dans le comité des femmes de l’organisation en question. Les déclarations de l’accusée recueillies à la direction de la sûreté et celles faites devant le procureur ainsi que celles établies par le juge d’instruction par notre cour ont été confirmées par la façon dont l’accusée a été arrêtée et par les déclarations de M.K.Ç., V.K, S.A., O.I., Y.I., M.D.B. En ce qui concerne le chef d’accusation selon lequel l’accusée a participé à des confrontations armées dans la zone rurale, aucune preuve à charge, à part des déclarations recueillies par la direction de la sûreté, n’a pu être obtenue. En revanche, les chefs d’accusation selon lesquels l’accusée a suivi une formation militaire et politique, a donné des rapports à l’organisation sur son passé, a acheté des vêtements pour les membres de l’organisation, a mené des activités au sein de l’organisation sous le pseudonyme de Pelda-Şevin ont été prouvés par les déclarations de l’accusée aux différents stades de la procédure et par celles des coaccusés V.K, S.A., O.I., Y.I., M.D.B. ainsi que par l’ensemble du dossier. Cela étant, il convient de condamner l’accusée du chef d’appartenance au PKK en vertu de l’article 168 § 2 du code pénal (...). ». Le 16 juin 1997, la Cour de cassation confirma l’arrêt du 15 octobre 1996. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La poursuite des actes de mauvais traitements Le code pénal réprime le fait pour un agent public de soumettre quelqu’un à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Conformément aux articles 151 et 153 du code de procédure pénale, il est possible, pour différentes infractions, de porter plainte auprès du procureur de la République. Le procureur et la police sont tenus d’instruire les plaintes dont ils sont saisis, le premier décidant s’il y a lieu d’engager des poursuites, conformément à l’article 148 du code en question. Un plaignant peut également faire appel de la décision du procureur de ne pas engager de poursuites devant le président de la cour d’assises. Le rejet de l’appel par le président de la cour d’assises clôture la procédure. B. Le code pénal L’article 168 se lit ainsi : « Quiconque, en vue de commettre les infractions énoncées aux articles 125 (...), constitue une bande ou organisation armée ou prend la direction et le commandement ou acquiert une responsabilité particulière dans une telle bande ou organisation, sera condamné à une peine minimum de quinze ans d’emprisonnement. Les divers membres de la bande ou de l’organisation seront condamnés à une peine de cinq à quinze ans d’emprisonnement. » L’article 125 dispose : « Sera passible de la peine capitale quiconque commettra un acte tendant à soumettre une partie ou la totalité du territoire de l’Etat à la domination d’un Etat étranger, à amoindrir l’indépendance de l’Etat ou à soustraire à son administration une partie du territoire sous son contrôle. » C. La législation en vigueur concernant les cours de sûreté de l’Etat lors de la procédure pénale engagée contre le requérant Le droit interne relatif aux règles concernant la composition et le fonctionnement des cours de sûreté de l’Etat applicable à l’époque pertinente est exposé dans l’arrêt Incal c. Turquie du 9 juin 1998 (Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, pp. 1557-1562, §§ 26-33).
0
0
0
0
0
1
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside dans l'Essex. A. Le système de télévision en circuit fermé et la séquence en cause En février 1994, le conseil municipal de Brentwood (« le conseil ») approuva des lignes directrices sur l'utilisation et la gestion d'un système de télévision en circuit fermé (« TVCF »). Il était prévu que les enregistrements vidéo réalisés par la TVCF seraient initialement conservés pendant quatre-vingt-dix jours, cette durée devant être reconsidérée de temps à autre et ramenée au minimum, et que les cassettes seraient effacées à l'issue de la période de stockage. La disposition intitulée « respect de la vie privée des propriétés avoisinantes » indiquait que le système de TVCF devait comporter un moyen adéquat d'éviter toute intrusion injustifiée dans les zones entourant celles placées sous surveillance. Dans l'hypothèse où il apparaîtrait qu'il y a eu violation de la vie privée d'autrui, le conseil devrait prendre des mesures en vue du « filtrage électronique (numérique) ou physique ». En avril 1994, le conseil installa à Brentwood un système de surveillance par TVCF, qui fut pleinement opérationnel en juillet 1994. L'agent de surveillance du conseil était directement relié à la police par des moyens audio et visuels, de sorte que s'il se déroulait un incident justifiant à ses yeux l'intervention de la police, les images saisies pouvaient être transmises à celle-ci. En août 1995, le requérant souffrait de dépression en raison de problèmes personnels et familiaux. Le 20 août, à 23 h 30, il descendit la rue principale, seul et à pied, en direction d'un carrefour important situé au cœur de Brentwood, avec un couteau de cuisine à la main ; il tenta de se suicider en se tranchant les veines des poignets. Il s'immobilisa au carrefour et se pencha sur une rambarde, son couteau à la main, face aux voitures qui circulaient. Il ignorait que ses gestes étaient alors filmés par une caméra de TVCF, placée sur l'îlot séparateur, devant le carrefour. La séquence ainsi filmée et par la suite divulguée ne montrait pas l'intéressé en train de s'ouvrir les veines ; l'attention de l'opérateur de TVCF fut simplement éveillée par la présence au carrefour d'un individu muni d'un couteau. Avertie par l'opérateur, la police se rendit sur place. Les policiers saisirent le couteau, administrèrent les premiers soins au requérant et l'emmenèrent au poste. L'intéressé fut placé en garde à vue en application de la loi de 1983 sur la santé mentale. Selon le registre des gardes à vue, il présentait à son arrivée des blessures aux poignets qu'il s'était lui-même infligées, et il fut examiné et soigné par un médecin, après quoi il fut libéré sans qu'aucune charge fût retenue contre lui et ramené à son domicile par des policiers. B. La divulgation et la publication de la séquence Le 14 septembre 1995, le groupe de travail du conseil sur la TVCF décida d'autoriser la diffusion de bulletins réguliers sur ce dispositif. Par ailleurs, le conseil convint de coopérer avec des tiers en vue de l'élaboration d'émissions à caractère factuel sur son système de TVCF. Le premier bulletin du conseil (CCTV News), paru le 9 octobre 1995, comportait deux photographies tirées de la séquence montrant le requérant ; elles accompagnaient un article intitulé « Risque évité – Le partenariat entre la TVCF et la police désamorce une situation potentiellement dangereuse » (« Defused – The partnership between TVCF and the police prevents a potentially dangerous situation »). Le visage du requérant n'était pas particulièrement masqué. L'article signalait qu'un individu avait été repéré un couteau à la main, qu'il était manifestement dans la détresse mais ne cherchait pas les ennuis, que la police avait été avertie et l'avait désarmé et emmené au poste, où il avait été interrogé et soigné. Le nom d'un employé du conseil était indiqué, pour le cas où des lecteurs souhaiteraient une copie des images. Le 12 octobre 1995, le journal Brentwood Weekly News publia en première page une photographie de l'incident ayant impliqué le requérant pour illustrer un article sur l'utilisation et les avantages du système de TVCF. Le visage de l'intéressé n'était pas particulièrement masqué. Le 13 octobre, un article intitulé « Chopé » (« Gotcha ») parut dans le Yellow Advertiser, journal local tiré à quelque 24 000 exemplaires. Cet article était illustré par une photographie du requérant extraite de la séquence en question. Il indiquait que ce dernier avait été appréhendé en possession d'un couteau, qu'une situation potentiellement dangereuse avait été désamorcée grâce au système de TVCF, et que l'intéressé avait été libéré sans être inquiété. Dès lors, la chaîne Anglia Television souhaita obtenir la séquence de l'incident, que le conseil lui fournit. Le 17 octobre, des extraits de la vidéo furent diffusés dans la nouvelle émission de la chaîne consacrée au système de TVCF, émission locale regardée par environ 350 000 personnes. Le visage du requérant avait été caché à la demande verbale du conseil. Cependant, ce masquage fut par la suite jugé insuffisant par la Commission de la télévision indépendante (Independent Television Commission – voir ci-dessous), car en raison du caractère particulier de sa coiffure et de sa moustache, l'intéressé pouvait facilement être identifié par quiconque le connaissait. Le 18 octobre, le président du conseil informa la commission des services techniques de la municipalité qu'une coopération avait été instaurée et allait continuer en vue de l'élaboration de documentaires factuels sur le système de TVCF. Il fit allusion au document sur la TVCF diffusé la veille par Anglia Television. A la fin du mois d'octobre ou en novembre 1995, le requérant apprit qu'il avait été filmé par une caméra de TVCF et qu'une séquence avait été diffusée, une personne de son voisinage ayant dit à sa compagne qu'elle l'avait vu à la télévision. Il n'engagea aucune action à ce moment-là, car il était toujours gravement dépressif. Le 16 février 1996, un second article intitulé « Victoire des yeux du ciel » (« Eyes in the sky triumph ») parut dans le Yellow Advertiser ; soulignant les bienfaits de la TVCF dans la lutte contre la délinquance, il était illustré par la photographie utilisée précédemment par le même journal. Il apparaît qu'un certain nombre de personnes reconnurent alors le requérant. Dans une lettre du 25 avril 1996, le Yellow Advertiser estimait que l'intéressé n'était pas identifiable. La Commission des plaintes relatives à la presse (Press Complaints Commission) ne trancha pas la question de savoir si l'image permettait de reconnaître le requérant (voir ci-dessous). A la même époque, ou à peu près, le conseil accepta de fournir des séquences de TVCF – où apparaissait notamment le requérant – aux producteurs de « Crime Beat », émission diffusée sur la chaîne nationale BBC et regardée par 9,2 millions de téléspectateurs en moyenne. Le conseil imposa oralement un certain nombre de conditions aux producteurs : entre autres, nul ne devait être identifiable dans les séquences et tous les visages devaient être masqués. Par ailleurs, la BBC devait consulter la police pour s'assurer que celle-ci n'avait « aucune objection à la diffusion des enregistrements, eu égard aux questions pendantes devant les tribunaux ». Entre le 9 et le 11 mars 1996 ou aux alentours de ces dates, des amis du requérant lui dirent qu'ils l'avaient vu, le 9 mars, dans les bandes-annonces d'un épisode de « Crime Beat » devant être diffusé peu après. Le 11 mars, l'intéressé se plaignit de l'émission programmée auprès du conseil, qui découvrit ainsi son identité. Le conseil prit contact avec les producteurs, lesquels confirmèrent que l'image du requérant avait été masquée. Le soir même, la séquence filmée par la caméra de TVCF fut diffusée dans « Crime Beat ». L'image de l'intéressé était voilée dans l'émission elle-même, mais la Commission des principes en matière de radiodiffusion (Broadcasting Standards Commission – voir ci-dessous) jugea par la suite ce masquage insuffisant. De nombreux amis et membres de la famille du requérant ayant vu l'émission le reconnurent. En réponse à la demande de l'intéressé, qui souhaitait une copie du contrat d'autorisation de diffusion passé entre le conseil et les producteurs de « Crime Beat », le conseil fournit par une lettre du 21 février 1997 un contrat non signé et non daté ne semblant pas concerner le requérant mais exigeant le masquage de tous les visages apparaissant dans toute copie de la vidéo en question. Par une lettre du 31 octobre 1997, le conseil confirma qu'il ne parvenait pas à mettre la main sur un exemplaire signé du contrat conclu avec les producteurs ; il envoya toutefois un projet d'accord qui portait la signature de ces derniers et concernait la séquence où l'on voyait l'intéressé mais qui ne formulait aucune prescription quant au masquage. Par la suite, le requérant fit un certain nombre d'apparitions dans les médias pour dénoncer la publication de la séquence et des photographies. Le 28 mars 1996, il intervint dans une émission diffusée par une station de radio nationale (BBC Radio 4). Le 31 mars 1996, il s'entretint avec un journaliste, lequel publia un article dans un journal national ; son nom apparut alors pour la première fois dans les médias. D'autres articles de presse reproduisirent des photographies de l'intéressé ou le citèrent. On le vit également sur des chaînes de télévision nationales : le 13 avril 1996 sur Channel 4, dans l'émission « Right to Reply » ; le 25 juillet 1996 sur Channel 5, dans « Espresso » ; le 5 août 1997 sur BBC 1, dans « You Decide ». Par ailleurs, une photographie de lui fut publiée dans le Yellow Advertiser du 25 octobre 1996. C. La Commission des principes en matière de radiodiffusion (Broadcasting Standards Commission – BSC) Le 25 avril 1996, le requérant porta plainte auprès de la BSC au sujet notamment de l'émission « Crime Beat » ; il invoquait une atteinte illégitime à sa vie privée et affirmait avoir subi un traitement injuste et inéquitable. Le 13 juin 1997, la BSC accueillit ses deux griefs. La BSC releva que la chaîne BBC avait reconnu avoir eu l'intention de masquer l'image de l'intéressé mais avoir omis de le faire dans la bande-annonce. Par ailleurs, elle estima que le masquage dans le corps de l'émission elle-même était insuffisant puisque le requérant avait été reconnu par des téléspectateurs n'ayant pas vu la bande-annonce. Elle admit que la BBC n'avait pas souhaité que l'intéressé fût identifiable. Elle considéra néanmoins que l'omission en question avait eu pour effet de divulguer aux membres de la famille, aux amis et aux voisins du requérant un épisode que celui-ci ne souhaitait pas révéler, et que les conséquences avaient été pénibles pour lui et s'analysaient en une atteinte injustifiée à sa vie privée. La BSC ajouta que le fait que l'intéressé eût par la suite décidé de s'exprimer publiquement sur cet incident ne remettait pas en cause le constat d'une atteinte. La BBC reçut l'ordre de diffuser un résumé de la décision de la BSC dans l'émission « Crime Beat » du 12 juin 1997 ; de plus, un résumé de cette décision fut publié dans le journal The Daily Telegraph du même jour. D. La Commission de la télévision indépendante (Independent Television Commission – ITC) Le 1er mai 1996, le requérant saisit l'ITC d'une plainte relative à la diffusion de certaines images par la chaîne Anglia Television. Cette dernière avait déjà présenté des excuses à l'intéressé et admis qu'elle avait porté atteinte aux exigences concernant le respect de la vie privée énoncées à l'article 2 §§ 2 et 5 du code de l'ITC (dispositions sur la couverture par les médias de faits survenus en public et de scènes de souffrance et de détresse). L'ITC fit observer qu'un homme muni d'un couteau pouvait être supposé nourrir l'intention de commettre un acte délictueux. Elle estima que l'identité du requérant n'avait pas été cachée de façon satisfaisante et qu'il était aisément identifiable par ceux qui le connaissaient. Elle conclut qu'il y avait eu manquement à l'article 2 §§ 2 et 5 du code. La décision de l'ITC fut publiée dans son rapport de juin 1996 sur les plaintes relatives à des émissions et sur ses interventions (Programme Complaints and Interventions Report). La chaîne Anglia Television ayant reconnu les faits et présenté ses excuses, l'ITC en resta là. E. La Commission des plaintes relatives à la presse (Press Complaints Commission – PCC) Le 17 mai 1996, le requérant porta plainte auprès de la PCC au sujet des articles parus dans le Yellow Advertiser. La PCC rejeta cette plainte sans tenir d'audience ; sa décision fut communiquée à l'intéressé dans une lettre du 2 août 1996. La PCC estimait que, indépendamment de la question de savoir si le requérant était identifiable à partir des photographies, les faits en cause s'étaient déroulés dans la rue principale d'une ville, donc dans un lieu public où il pouvait être vu de tous. Selon elle, la juxtaposition des photographies et des articles de presse n'impliquait pas que l'intéressé se fût livré à une infraction ; de plus, il avait bien été précisé que ce dernier avait été remis en liberté sans être inquiété, le second article ayant par ailleurs indiqué qu'il était malade à l'époque des faits. F. La procédure de contrôle juridictionnel Le 23 mai 1996, le requérant sollicita auprès de la High Court l'autorisation de demander un contrôle juridictionnel de la communication par le conseil des images saisies par la TVCF, au motif notamment que cette divulgation n'avait pas de base légale. Le 26 juin 1996, un juge unique de la High Court rejeta sa demande. Le 18 octobre 1996, la High Court accorda l'autorisation à la suite d'une nouvelle requête et permit également à l'intéressé d'ajouter un grief selon lequel la divulgation, à supposer qu'elle fût légale, était irrationnelle. Par un arrêt du 25 novembre 1997, la High Court rejeta la demande de contrôle juridictionnel. Elle estima que l'article 163 de la loi de 1994 sur la justice pénale et l'ordre public (« la loi de 1994 ») avait pour objet d'habiliter une autorité locale à fournir des dispositifs de TVCF pour favoriser la prévention de la délinquance ou le bien-être des victimes d'infractions : « En publiant des informations sur le recours fructueux à la TVCF, le conseil transmettait des informations sur l'efficacité de ce système, renforçant ainsi l'effet dissuasif de son utilisation. Au sujet de la communication aux médias de séquences filmées par la TVCF, aux fins de montrer l'efficacité du système, on peut dire à juste titre (...) qu'elle était inhérente à l'exercice de la fonction du conseil en vertu de l'article 163 [de la loi de 1994] et qu'elle a facilité cet exercice, ayant accru ou tendu à accroître l'effet préventif du dispositif fourni par [le conseil] aux fins de la prévention de la délinquance. » La High Court conclut que le conseil était habilité à distribuer aux médias les séquences filmées par la TVCF, en application de l'article 111 de la loi de 1972 sur les collectivités locales, et ce dans l'exercice de ses fonctions visées à l'article 163 de la loi de 1994. S'agissant du « caractère rationnel » de la décision du conseil de divulguer le document, le requérant allégua que cet organe avait agi de manière irrationnelle en divulguant la séquence dans le but de prévenir la délinquance alors que lui-même n'était en fait impliqué dans aucune activité délictueuse. Il fit valoir qu'en négligeant de consulter la police pour savoir si une infraction lui avait été imputée et d'imposer des restrictions suffisantes à la divulgation de son identité, le conseil avait favorisé une intrusion injustifiée dans sa vie privée qui était contraire à l'esprit voire à la lettre des lignes directrices adoptées par le conseil. Le juge de la High Court considéra cet argument d'un œil favorable sans toutefois l'estimer correct en droit. Il ajouta : « J'éprouve une certaine compassion envers le demandeur, qui a subi une intrusion dans sa vie privée, comme le relèvent les constats respectifs de la Commission de la télévision indépendante et de la Commission des principes en matière de radiodiffusion. Toutefois, si je pense avoir raison d'affirmer que le conseil a bien le pouvoir de distribuer les séquences enregistrées par son dispositif de TVCF, cela n'exclut pas qu'il puisse parfois y avoir des intrusions non souhaitables dans la vie privée. A moins et jusqu'à ce que le droit anglais reconnaisse un droit général à la vie privée (et certains éléments donnent à penser que tel pourrait bientôt être le cas, grâce à l'incorporation dans notre droit de la Convention européenne des Droits de l'Homme), il faut s'appuyer sur les orientations utiles que contiennent entre autres les codes de déontologie pour essayer d'éviter pareilles intrusions indésirables dans la vie privée d'un individu. Il apparaît que la présence de caméras de TVCF dans des lieux publics joue un rôle important, non seulement dans la prévention de la criminalité, mais aussi dans la chasse aux délinquants. En l'espèce, la séquence filmée montrait un homme marchant dans la rue principale et tenant dans sa main un grand couteau. On n'y voyait pas cet homme tentant de se suicider. Il s'agissait de toute évidence d'une situation potentiellement dangereuse, dont l'agent de surveillance du conseil a très judicieusement averti la police, de sorte que l'homme fut arrêté. (...) Le conseil n'a pas été déraisonnable en concluant que la séquence était utile parce qu'elle montrait comment un danger potentiel peut être évité. (...) Dans ces conditions, il me semble que l'on ne saurait qualifier d'irrationnelle ou de déraisonnable la décision du conseil de distribuer la séquence aux médias, dès lors que le film ne montrait pas une tentative de suicide et que le conseil ignorait alors l'identité du demandeur. Le conseil n'avait donc aucune raison de consulter la police pour savoir si une infraction avait été commise. Il n'a pas vendu les extraits de la séquence filmée par la TVCF à des fins lucratives et, surtout, il a imposé aux chaînes de télévision le masquage des visages. Il est vrai que cette exigence a été exprimée oralement et non par écrit, mais je ne suis pas convaincu que les choses se seraient passées différemment si elle avait été consignée par écrit. En fait, ce sont les chaînes de télévision qui sont fautives. Anglia Television n'a pas caché convenablement l'identité du demandeur. La BBC a quant à elle totalement négligé de la dissimuler dans les bandes-annonces. Averti de cette négligence par le demandeur deux jours avant la diffusion de l'émission, le conseil, qui découvrit ainsi l'identité de l'intéressé, prit immédiatement contact avec la BBC et reçut l'assurance que l'image de l'homme avait été voilée dans l'émission. En fait – mais le conseil l'ignorait –, cette opération n'avait pas été effectuée correctement. Je suis sûr que l'on peut tirer des enseignements de ce malheureux incident, et il se pourrait qu'avec du recul le conseil souhaite étudier la possibilité de renforcer ses lignes directrices afin d'éviter pareils épisodes à l'avenir. Toutefois, je suis tout aussi certain qu'au vu des circonstances que j'ai décrites on ne peut affirmer que le conseil a agi de manière irrationnelle, c'est-à-dire en défiant la logique ou en se comportant comme aucune autorité locale raisonnable et avisée ne l'aurait fait. » Une demande formée auprès de la High Court pour obtenir l'autorisation de saisir la Cour d'appel fut rejetée. La demande d'autorisation ultérieurement adressée à un juge unique de la Cour d'appel fut repoussée le 21 janvier 1998 pour les motifs suivants : « (...) le juge [de la High Court] avait manifestement raison d'interpréter comme il l'a fait les dispositions légales pertinentes, et le conseil n'a ni outrepassé ses pouvoirs légaux ni agi de manière irrationnelle en mettant à la disposition des médias le film et les photographies. Le préjudice incriminé découle de l'omission des médias de voiler suffisamment l'image du demandeur lorsqu'ils ont porté le film et les photographies à l'attention du public. Cet élément est et a été au cœur de la plainte contre les médias concernés, mais il ne suffit pas à étayer une demande en vue d'obtenir une déclaration défavorable au conseil municipal de Brentwood. » Le 19 février 1998, à la suite d'une audience devant la Cour d'appel plénière, le requérant fut débouté de sa demande d'autorisation de former un recours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les compétences pertinentes du conseil La loi de 1994 sur la justice pénale et l'ordre public (« la loi de 1994 ») est entrée en vigueur le 3 février 1995. En ses passages pertinents, l'article 163 de cette loi dispose : « 1. Sous réserve de toute compétence qu'elle peut paraître exercer à des fins visées par tout autre texte, une autorité locale peut prendre, parmi les mesures suivantes, celles dont elle considère, dans le cadre de son secteur, qu'elles favoriseront la prévention de la délinquance ou le bien-être des victimes de la délinquance : a) fournir un dispositif permettant d'enregistrer des images visuelles de faits qui se déroulent dans toute zone relevant de son secteur ; b) fournir dans les limites de son secteur un système de télécommunications qui peut, selon la deuxième partie de la loi de 1984 sur les télécommunications, fonctionner sans autorisation ; c) se charger de la fourniture de tout autre type de système de télécommunications dans les limites de son secteur, ou entre une zone relevant de son secteur et tout bâtiment occupé par une autorité publique. Tout pouvoir de fournir ou de se charger de la fourniture d'un dispositif est assorti du pouvoir d'entretenir ou de faire fonctionner ou, le cas échéant, de pourvoir à l'entretien ou au fonctionnement de ce dispositif. » L'article 111 § 1 de la loi de 1972 sur les collectivités locales dispose en ses passages pertinents : « Sans préjudice de toute compétence qu'elle est susceptible d'exercer hors du cadre du présent article mais sous réserve des dispositions de la présente loi et de tout autre texte adopté avant ou après la présente loi, une autorité locale a la faculté de prendre toute mesure (...) qui vise à faciliter ou qui est propice ou inhérente à l'exercice de l'une quelconque de ses fonctions. » Les recommandations générales de la police de l'Essex en date de juin 1995 portent sur le rôle de la police dans l'installation et le fonctionnement des systèmes de TVCF relevant de son domaine de compétence. L'article relatif à la divulgation aux médias de séquences vidéo souligne qu'il convient de veiller à ne compromettre aucune procédure judiciaire en cours ou à venir, que des contrats d'autorisation de diffusion évoquant toutes les conditions appropriées de diffusion doivent être établis et qu'il faut toujours s'assurer que les victimes ou autres parties innocentes figurant sur les images avaient connaissance de l'utilisation potentielle des séquences et, si possible, que le consentement de ces personnes doit être obtenu. Autant que faire se peut, l'identité des victimes, des policiers et des suspects doit être cachée (dans les cas où l'identification risque de nuire à une procédure pénale). Dans le prolongement du programme national de lutte contre la délinquance (annoncé en juillet 1998), un financement public des systèmes de TVCF a été instauré en mars 1999 : 153 millions de livres sterling (GBP) ont ainsi été mis à disposition pour une période de trois ans, dont une somme de plus de 40 millions de GBP qui a déjà été allouée à plus de deux cents systèmes de TVCF. L'une des conditions attachées à ce financement veut que le dispositif en question soit régi par un code de déontologie adapté permettant d'assurer qu'il fonctionne de façon équitable et dans le respect dû à la vie privée des individus. Durant la première année d'existence du système de TVCF à Brentwood, la délinquance baissa de 34 %. B. Le contrôle juridictionnel Si une autorité publique a outrepassé ses pouvoirs, agi de manière irrationnelle ou pris une décision en violation des règles de l'équité procédurale, la personne lésée peut contester la validité de la décision litigieuse par le biais d'une demande de contrôle juridictionnel. Si une décision est disproportionnée à l'objectif visé au point d'être irrationnelle, le tribunal l'annule. Les juridictions anglaises ne reconnaissent pas la proportionnalité comme une rubrique distincte du contrôle juridictionnel. Toutefois, dans l'affaire R. (Alconbury Developments Ltd) v. Secretary of State for the Environment, Transport & the Regions (Weekly Law Reports 2001, vol. 2, p. 1389), Lord Slynn, de la Chambre des lords, a affirmé à titre d'obiter dictum : « J'estime que, même sans référence à la loi de 1998 sur les droits de l'homme, il est temps de reconnaître que ce principe [de proportionnalité] fait partie du droit administratif anglais, non seulement lorsque des juges examinent des actes communautaires, mais aussi quand ils se penchent sur des actes régis par le droit interne. » C. Les recours de droit privé Le recours pour manquement au devoir de discrétion est subordonné à trois éléments essentiels : l'information elle-même doit avoir « la nécessaire qualité de confidence », elle « doit avoir été communiquée dans des circonstances appelant un devoir de discrétion », et il doit y avoir eu une « utilisation non autorisée de cette information au détriment de la partie qui l'a transmise » (Coco v. A.N. Clark Engineers Ltd, Reports of Patent Cases, 1969, pp. 41, 47). Un exposé plus complet de ce motif d'action ainsi que des précisions sur la jurisprudence nationale plus récente figurent dans l'affaire Le comte et la comtesse Spencer c. Royaume-Uni (nos 28851/95 et 28852/95, décision de la Commission du 16 janvier 1998, Décisions et rapports (DR) 92-B, p. 56). Lorsqu'un fonctionnaire abuse de sa position en prenant un acte administratif avec malveillance ou en sachant qu'il n'a pas le pouvoir de le prendre, et cause un préjudice prévisible, la personne lésée peut obtenir des dommages-intérêts pour abus d'autorité dans le cadre d'une fonction publique. Le recours pour diffamation est bien établi en droit anglais. Tout individu a droit à son honneur et à l'estime d'autrui, et peut exiger la protection de sa réputation contre toute offense par des déclarations diffamatoires le concernant et adressées à un ou des tiers sans justification légale ni excuse. Les éléments essentiels de la déclaration calomnieuse sont les suivants : le défendeur a rendu publics des propos inexacts au sujet du demandeur, ces propos ont été publiés avec malveillance, et un préjudice particulier est directement et naturellement résulté de leur publication (Kaye v. Robertson, Fleet Street Reports 1991, p. 62). Le délit civil de nuisance consiste en une ingérence injustifiée dans l'utilisation ou la jouissance d'un terrain (voir, par exemple, Thomas v. National Union of Mineworkers, Law Reports : Chancery Division, 1986, p. 20). Il y a intrusion sur le fonds d'autrui (trespass) lorsqu'une personne pénètre sur un terrain dont une autre a la possession. Les juridictions nationales ont dégagé la notion de harcèlement à l'origine d'un préjudice personnel (voir, par exemple, Burnett v. George, Family Law Reports 1992, vol. 1, p. 525, et Khorasandjin v. Bush, All England Law Reports 1993, vol. 3, p. 669). En fonction des circonstances dans lesquelles un film a été enregistré ou publié, l'enregistrement ou la publication non autorisés d'images peuvent être empêchés (ou, à défaut, des dommages-intérêts peuvent être obtenus) sur le fondement du droit d'auteur, de l'inexécution d'un contrat ou de l'incitation à l'inexécution d'un contrat. D. La protection légale de la vie privée La législation offre une certaine protection par le biais de la loi de 1997 sur la protection contre le harcèlement (Protection from Harassment Act 1997). La surveillance est encadrée légalement par la loi de 1985 sur l'interception des communications (Interception of Communications Act 1985), la loi de 1994 sur les services de renseignement (Intelligence Services Act 1994) et la loi de 1997 sur la police (Police Act 1997). L'objet de la loi de 2000 portant réglementation des pouvoirs d'enquête (Regulation of Investigatory Powers Act 2000) est de veiller à ce que les pouvoirs d'enquête pertinents des autorités soient exercés de manière compatible avec les droits de l'homme. De nombreux usagers de la TVCF doivent se conformer aux dispositions de la loi de 1998 sur la protection des données (Data Protection Act 1998). Des dispositions légales spécifiques protègent la vie privée dans certains autres contextes ; elles prévoient par exemple l'anonymat des victimes de viol (loi de 1976 portant amendement à la loi sur les infractions sexuelles – Sexual Offences (Amendment) Act 1976) ou l'interdiction de publier les noms ou photographies d'enfants concernés par des procédures judiciaires (loi de 1933 sur les enfants et les adolescents – Children and Young Persons Act 1933). La loi de 1998 sur les droits de l'homme (Human Rights Act 1998), qui est entrée en vigueur en octobre 2000, exige que dans la mesure du possible les lois adoptées par le Parlement et les actes administratifs soient interprétés et appliqués de façon compatible avec la Convention européenne des Droits de l'Homme ; par ailleurs, elle indique qu'une autorité publique est dans l'illégalité lorsqu'elle agit de manière incompatible avec un droit consacré par la Convention. Dans l'affaire Douglas v. Hello! Ltd (Weekly Law Reports 2001, vol. 1, p. 992), le Lord Justice Sedley déclara qu'il était prêt à constater qu'il y avait désormais un droit limité au respect de la vie privée en droit interne anglais, tandis que d'autres membres de la Cour d'appel (le Lord Justice Brooke et le Lord Justice Keene) estimaient qu'il n'était pas nécessaire de statuer sur ce point. E. Les commissions des médias La Commission des principes en matière de radiodiffusion (Broadcasting Standards Commission – BSC) a été instituée par l'article 106 de la loi de 1996 sur la radiodiffusion (Broadcasting Act 1996) et a commencé à fonctionner en avril 1997. Le rôle de la BSC est de rédiger et de publier un code donnant des orientations sur les principes à observer et les pratiques à suivre pour éviter, dans le cadre d'une émission, tout traitement injuste ou inéquitable ainsi que toute atteinte illégitime à la vie privée (article 107 de la loi de 1996). A cet égard, le paragraphe 16 du code souligne que, lorsqu'ils utilisent des enregistrements réalisés par des caméras de TVCF, les organes de radiodiffusion doivent veiller à ce que les individus identifiables soient traités de manière équitable ; de plus, « toute exception à l'exigence du consentement individuel doit être justifiée par un intérêt public prépondérant ». Par ailleurs, la BSC examine et statue sur les plaintes concernant tout traitement injuste ou inéquitable ainsi que toute atteinte illégitime à la vie privée subis dans le cadre d'une émission (articles 110 et 111 de la loi de 1996). La BSC peut notamment ordonner à un organe de radiodiffusion de publier une décision rendue par elle ou un résumé de celle-ci (article 119) ; en revanche, elle ne peut enjoindre à un tel organe de s'abstenir de diffuser une émission. La Commission de la télévision indépendante (Independent Television Commission – ITC) est un organe public institué par la loi de 1990 sur la radiodiffusion pour autoriser et réglementer la télévision financée par la publicité (à l'exclusion des services télévisuels fournis notamment par la BBC). Cette loi impose à l'ITC la rédaction et la mise en application d'un code de principes et de pratiques en matière de programmation, code qui couvre les questions de vie privée. L'ITC statue sur les plaintes présentées sous l'angle du code. Si l'existence d'une atteinte se confirme, l'ITC peut infliger une sanction obligeant par exemple le contrevenant à faire des excuses sur le petit écran ou à payer une amende ; elle peut également révoquer une autorisation. La Commission des plaintes relatives à la presse (Press Complaints Commission – PCC) est un organe non régi par des textes législatifs mais créé par la presse écrite aux fins de son autorégulation. La PCC possède un code de déontologie facultatif qui comporte des dispositions sur la vie privée. Si elle constate une infraction à ce code commise par un journal, celui-ci doit publier la décision rendue par elle. Cette commission n'a pas le pouvoir légal d'empêcher la publication d'un document, de faire exécuter ses décisions ou d'ouvrir une voie de recours judiciaire à un plaignant.
0
0
1
0
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Rome. Il est propriétaire de deux appartements à Rome, qui avaient été respectivement loués par son représentant légal, A.C.F., à D.F. et A.T. 1) Procédure contre D.F. Par un acte signifié le 3 octobre 1985, le requérant informa le locataire de son intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail, le pria de libérer les lieux et assigna l'intéressé à comparaître devant le juge d'instance de Rome. Par une ordonnance du 4 décembre 1985, qui devint exécutoire le même jour, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 avril 1988. Le 13 février 1990, le requérant signifia au locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 7 avril 1990, il lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 11 mai 1990 par voie d'huissier de justice. Entre le 11 mai 1990 et le 14 février 2000, l'huissier de justice procéda à quarante-neuf tentatives d'expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, le requérant n'ayant pas pu bénéficier de l'assistance de la force publique. Le 21 janvier 2000, le requérant récupéra son appartement avec l'assistance de la police. 2) Procédure contre A.T. Par un acte signifié le 1er avril 1987, le requérant informa le locataire de son intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail, le pria de libérer les lieux et assigna l'intéressé à comparaître devant le juge d'instance de Rome. Par une ordonnance du 7 octobre 1987, qui devint exécutoire le même jour, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1988. Le 13 février 1990, le requérant signifia au locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 7 avril 1990, il lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 11 mai 1990 par voie d'huissier de justice. Entre le 11 mai 1990 et le 15 décembre 1999, l'huissier de justice procéda à quarante-quatre tentatives d'expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, le requérant n'ayant pas pu bénéficier de l'assistance de la force publique. Le 25 janvier 2000, le requérant récupéra son appartement avec l'assistance de la police. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. A. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. B. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant, né en 1955, résidait à Vienne. Depuis 1989, il vivait avec M. W., avec qui il entretenait une relation homosexuelle, dans un appartement de Vienne dont M. W. était locataire depuis un an. Le requérant et M. W. partageaient les dépenses liées à l'appartement. En 1991, M. W. apprit qu'il avait contracté le virus VIH. Il continua à vivre avec le requérant. En 1993, lorsque M. W. développa la maladie du sida, le requérant prit soin de lui. En 1994, M. W. décéda ; il avait désigné le requérant comme son héritier. En 1995, le propriétaire de l'appartement intenta une action contre le requérant pour mettre fin au bail. Le 6 janvier 1996, le tribunal de district (Bezirksgericht) de Favoriten rejeta la demande, jugeant que l'article 14 § 3 de la loi sur les loyers (Mietrechtsgesetz), en vertu duquel les membres de la famille d'un défunt avaient droit à la transmission d'un bail, s'appliquait également à une relation homosexuelle. Le 30 avril 1996, le tribunal régional civil de Vienne (Landesgericht für Zivilrechtssachen) rejeta l'appel formé par le propriétaire. Il estimait que l'article 14 § 3 de la loi sur les loyers avait pour objet de protéger les personnes qui avaient vécu longtemps ensemble sans être mariées afin qu'elles ne se retrouvent pas soudainement sans logement, et que cette disposition s'appliquait aussi bien aux homosexuels qu'aux personnes de sexe opposé. Le 5 décembre 1996, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof) accueillit le pourvoi intenté par le propriétaire, annula la décision de la juridiction de rang inférieur et mit fin au bail. Elle estima qu'il fallait interpréter la notion de « compagnon de vie » (Lebensgefährte) figurant à l'article 14 § 3 de la loi sur les loyers de la même manière que lors de l'adoption de la loi et qu'en 1974 le législateur n'entendait pas inclure les couples homosexuels. Le 26 septembre 2000, le requérant décéda. Le 11 novembre 2001, l'avocat du requérant informa la Cour que son client était décédé et que la mère de celui-ci avait renoncé à la succession. Il demanda à la Cour de ne pas rayer la requête du rôle tant que le notaire chargé de la succession n'aurait pas identifié d'autres héritiers. Le 10 avril 2002, l'avocat du requérant informa la Cour que le notaire avait lancé des recherches afin de découvrir d'éventuels héritiers jusque-là inconnus qui pourraient vouloir succéder au requérant. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'article 14 de la loi sur les loyers (Mietrechtsgesetz) dispose : « Droit au bail en cas de décès Le décès du propriétaire ou d'un locataire ne met pas fin au bail. Lors du décès du locataire principal d'un appartement, les personnes désignées à l'alinéa 3 comme ayant droit à la transmission du bail demeurent dans les lieux – à l'exclusion des autres personnes ayant des droits dans la succession dudit locataire – à moins qu'elles n'aient informé le propriétaire, dans un délai de quatorze jours à compter du décès du locataire principal, qu'elles ne voulaient pas reprendre le bail. Lorsque le bail leur est transféré, les nouveaux locataires sont responsables du versement du loyer et tenus d'accomplir toutes les obligations contractées lorsque le locataire principal décédé occupait l'appartement. Si plusieurs personnes ont droit à la transmission du bail, celui-ci continue à leur profit et elles deviennent conjointement et solidairement responsables. Les personnes auxquelles le bail peut être transféré aux fins de l'alinéa 2 sont les suivantes : le conjoint, le compagnon de vie, les descendants et ascendants directs (y compris les enfants adoptés) et les frères et sœurs de l'ancien locataire, à la condition que ces personnes aient un besoin urgent de se loger et aient déjà vécu dans les lieux avec le locataire en tant que membres du même foyer. Aux fins de la présente disposition, le « compagnon de vie » désigne une personne qui a vécu dans l'appartement avec l'ancien locataire jusqu'au décès de celui-ci pendant trois ans au moins, en partageant les dépenses du foyer comme cela se fait dans le cadre du mariage ; le compagnon de vie est réputé avoir vécu dans l'appartement pendant trois ans s'il a emménagé avec l'ancien locataire dès le début du bail. »
0
0
0
1
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1951 et réside à Bingöl. Le 15 octobre 1993, l'intéressé et, deux jours plus tard, sa femme, Mme N.F., furent placés en garde à vue à Bingöl, au motif qu'ils étaient soupçonnés d'aide et d'assistance au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), une organisation terroriste illégale. Mme F. fut maintenue en garde à vue durant quatre jours, pendant lesquels on l'aurait laissée les yeux bandés. Les policiers l'auraient frappée avec des matraques, insultée et menacée de viol. Le 20 octobre 1993, après sa garde à vue, Mme F. fut examinée par un médecin, qui indiqua qu'elle ne présentait sur le corps aucune trace de mauvais traitements. Le même jour, elle fut emmenée chez un gynécologue pour un autre examen. La police demanda au médecin de préciser dans son rapport si l'intéressée avait eu des rapports sexuels avec pénétration vaginale ou anale durant sa garde à vue. Malgré le refus de Mme F., les policiers la contraignirent à subir un examen gynécologique. Ils restèrent sur place pendant qu'elle était examinée derrière un rideau. Le médecin rapporta qu'elle n'avait pas eu de rapports sexuels les jours précédant l'examen. Le même jour, Mme F. fut conduite au parquet de Bingöl, où elle se plaignit de son examen gynécologique forcé. Le procureur ne consigna pas sa plainte et ordonna sa libération. Le 28 octobre 1993, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır inculpa le requérant et son épouse d'aide et d'assistance à des membres du PKK. Le 23 mars 1994, la cour de sûreté de l'Etat de Diyarbakır relaxa les intéressés, faute de preuves. Le 9 février 1995, le requérant et sa femme se plaignirent au procureur de Bingöl des mauvais traitements subis au cours de leur garde à vue et du fait que Mme F. avait dû se soumettre à un examen gynécologique contre son gré. Les policiers réfutèrent les allégations dans leurs dépositions devant le procureur de Bingöl. Ils déclarèrent que l'examen gynécologique avait été nécessaire pour déterminer si Mme F. avait fait l'objet de violences sexuelles durant sa garde à vue. Ils soutinrent en outre que l'examen avait été pratiqué avec le consentement de l'intéressée. Le 5 octobre 1995, le procureur de Bingöl décida de ne pas poursuivre les policiers, faute de preuves. Le requérant et sa femme interjetèrent appel. Le 29 novembre 1995, la cour d'assises de Muş infirma la décision du procureur au motif que les pièces du dossier d'enquête n'avaient pas fait l'objet d'un examen suffisant. Le 19 décembre 1995, le procureur de Bingöl inculpa trois policiers, notamment pour avoir porté atteinte à la vie privée de Mme F. en la forçant à se soumettre à un examen gynécologique. Le 16 mai 1996, la cour d'assises de Bingöl acquitta les policiers au motif que les plaignants n'avaient pas fourni de preuves convaincantes et suffisantes à l'appui de leurs allégations. Elle déclara que les policiers n'avaient nullement eu l'intention de soumettre l'épouse du requérant à un traitement dégradant et humiliant en lui faisant subir un examen gynécologique, mais avaient tenté de se protéger contre une éventuelle accusation de viol. Le requérant et sa femme formèrent un recours. Le 7 mai 1997, la Cour de cassation confirma l'arrêt de la cour d'assises de Bingöl. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit à l'intégrité physique est protégé par la Constitution. L'article 17 § 2 est ainsi libellé : « Toute atteinte à l'intégrité physique est interdite, sauf en cas de nécessité médicale et dans les circonstances prévues par la loi ; les êtres humains ne peuvent être soumis à des expériences scientifiques ou médicales. » L'article 66 du code de procédure pénale, qui prévoit une exception à cette disposition, énonce : « (...) Au cours de l'instruction préliminaire, des examens médicaux peuvent être effectués à la demande du procureur. » L'article 1 du règlement du 13 août 1999, qui porte modification de l'article 8 du règlement du 1er octobre 1998 sur l'arrestation, la garde à vue et l'interrogatoire de suspects, dispose que les personnes en état d'arrestation sont soumises à une fouille à corps avant d'être placées en garde à vue. Les fouilles corporelles sur les personnes de sexe féminin doivent être pratiquées par une femme policier ou une autre femme chargée de ces investigations. D'après la circulaire no 2000/93, qui a été émise par le ministère de la Justice le 20 septembre 2000 et a abrogé les circulaires nos 6058, 6065, 6068, 6070 et 6090, le personnel médical doit respecter les droits et libertés fondamentaux de l'homme ainsi que les règles relatives à la protection de la vie privée lorsqu'il procède à des examens et contrôles médicaux. Le médecin doit voir le patient en personne et l'ausculter, et ne pas s'appuyer sur les déclarations de tiers dans son rapport. Les examens médicaux doivent être effectués dans des conditions appropriées, hors de l'écoute et de la vue des membres des forces de l'ordre. Les personnes tenues de se soumettre à un examen médical doivent être auscultées dans des locaux où seul le personnel médical est admis et se déshabiller pour se préparer à l'examen après avoir reçu les informations nécessaires.
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1951 et réside à Salerne. La mère de la requérante était propriétaire d'un appartement à Salerne, qu'elle avait loué à M. G.M. Par un acte signifié le 20 janvier 1984, la requérante communiqua au locataire l'avis de congé et l'assigna à comparaître devant le juge d'instance de Salerne. Par une ordonnance provisoire du 28 mars 1984, ce dernier confirma le congé du bail, décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1985 et se dessaisit en faveur du tribunal civil de Salerne pour l'examen de l'affaire sur le fond. Par un acte de citation notifié le 10 mai 1984, la mère de la requérante assigna le locataire devant le tribunal de Salerne. Le locataire étant entre-temps décédé, elle notifia l'acte de citation aux héritiers de celui-ci, qui occupaient également l'appartement. Le 15 juin 1987, suite au décès de sa mère, la requérante se constitua dans la procédure. Le 8 mars 1990, la requérante signifia aux héritiers du locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 23 mars 1990, elle leur signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 24 avril 1990 par voie d'huissier de justice. Le 24 avril 1990, l'huissier de justice procéda à une tentative d'expulsion, qui se solda par un échec, les lois sur l'échelonnement de l'exécution des décisions d'expulsion ne permettant pas à la requérante de bénéficier du concours de la force publique. La requérante décida de suspendre l'exécution. Par un jugement du 23 mars 1993, déposé au greffe le 30 novembre 1993, le tribunal de Salerne établit que l'échéance du bail devait être fixée au 31 août 1987. Il décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 juin 1993. Le 29 décembre 1993, la requérante signifia aux occupants de l'appartement le jugement du tribunal de Naples. Le 16 octobre 1996, elle leur signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 13 novembre 1996 par voie d'huissier de justice. Le jour venu, l'huissier de justice se heurta à un autre échec, faute d'assistance de la force publique. Les héritiers du locataire, grâce à la loi no 431/98, ont obtenu une suspension de l'ordonnance d'expulsion jusqu'au 30 novembre 2000. Le 6 février 2001, la requérante leur signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 26 février 2001 par voie d'huissier de justice. Le jour venu, l'huissier de justice procéda à une tentative d'expulsion, qui se solda par un échec et fut reportée au 23 avril 2001. Le 15 juillet 2002, la requérante informa la Cour qu'elle avait récupéré son appartement en date du 30 août 2001. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est un ressortissant néerlandais né en 1951 et domicilié à Oegstgeest. Avocat (advocaat en procureur), il n'est pas représenté devant la Cour. Le 26 novembre 1992, l'inspecteur de la sécurité sociale (sociaal rechercheur) M. W. recueillit et enregistra une déposition d'un certain M. B., originaire du Surinam, qui était soupçonné d'avoir perçu des allocations sociales auxquelles il n'avait pas droit et de s'être rendu coupable à cet égard de l'infraction de faux. Lors de sa déposition, M. B. se trouvait seul avec M. W. ; il n'était assisté ni d'un avocat ni d'un interprète. Par la suite, M. B. fut poursuivi pour fraude à la sécurité sociale. Par ailleurs, les autorités en charge de la sécurité sociale engagèrent contre lui au civil une action en répétition de l'indu. Le requérant agit en qualité de conseil de M. B. dans chacune des deux procédures. Dans le cadre de celle devant les juridictions civiles, il déclara notamment : « La déposition enregistrée par écrit par M. W. ne peut avoir été obtenue que par l'exercice de pressions inacceptables destinées à provoquer la formulation de déclarations auto-incriminantes dont M. B. ne pouvait mesurer la portée, compte tenu de l'absence d'un interprète. » Ce passage figure dans des notes de plaidoirie soumises au tribunal d'arrondissement (arrondissementsrechtbank) de La Haye lors d'une audience tenue le 27 juin 1994. M. W. fut avisé de cette déclaration en mai 1995. Il adressa alors au doyen de l'ordre régional des avocats une plainte disciplinaire, au sens de l'article 46 c) de la loi sur les avocats (Advocatenwet), dirigée contre le requérant. Il soutenait que, par ses insinuations infondées, ce dernier avait porté atteinte à son honneur professionnel et à sa bonne réputation. Il lui reprochait d'avoir dépassé les limites de la décence et de l'avoir accusé indirectement de s'être rendu coupable de parjure en établissant la déposition en cause. Après un échange de lettres, le doyen transmit la plainte de M. W. au conseil de discipline (Raad van Discipline) de La Haye. Dans sa décision du 1er juillet 1996, rendue à l'issue d'une procédure contradictoire, le conseil de discipline rejeta comme dépourvue de fondement la plainte selon laquelle le requérant avait en termes voilés accusé M. W. de parjure. Il considéra par contre qu'en soutenant que M. W. avait exercé des pressions inacceptables sur M. B. le requérant avait formulé une assertion qui ne trouvait aucun appui dans les faits. Il conclut que le requérant avait ainsi transgressé les limites de l'acceptable et agi en contradiction avec les règles qu'est censé observer tout avocat qui se respecte (« (...) de grenzen van het toelaatbare overschreden en heeft hij in strijd gehandeld met hetgeen een behoorlijk advocaat betaamt »). Notant la nature et la faible gravité du comportement reproché au requérant en l'espèce, il jugea suffisant de déclarer la plainte de M. W. partiellement fondée, sans infliger de sanction au requérant. Le requérant forma un recours devant la cour de discipline (Hof van Discipline). Il y soutenait que, nonobstant une demande à cet effet, M. B. n'avait pas bénéficié de l'assistance d'un avocat avant de signer le texte de sa déposition, qu'aucun interprète n'était présent lors de l'audition de l'intéressé, que celui-ci était un toxicomane et qu'il lui avait dit avoir subi des pressions. Il invoquait également une déposition que le juge d'instruction (rechter-commissaris) avait obtenue de M. B. le 5 décembre 1994 et dans laquelle figuraient les passages suivants : « En réponse à la question de savoir pourquoi j'ai affirmé à la police que je vivais avec mon ex-épouse pendant la période en question (...), je déclare que j'ai subi des pressions pendant mon interrogatoire. Ces pressions ont consisté en des coups de pied portés contre la table et en ma direction. J'ai également été agressé verbalement. Lorsque j'ai été invité à signer une déclaration j'ai demandé à voir le chef, mais on m'a répondu qu'il était déjà rentré chez lui. J'ai alors demandé un avocat, car je souhaitais qu'un interprète vienne me lire ma déclaration. Les policiers m'ont répondu qu'il n'était pas possible de faire venir un avocat. En désespoir de cause, j'ai donc signé la déclaration. » Le requérant plaida que dans le cadre de la défense de son client il devait avoir la liberté de conclure comme il l'avait fait, et que les aveux passés par son client ne pouvaient être résultés que de pressions inacceptables exercées sur l'intéressé par l'inspecteur. C'était alors au tribunal auquel les conclusions avaient été présentées de décider s'il était ou non établi que des pressions inacceptables avaient été exercées. Par contre, il n'appartenait pas à une juridiction disciplinaire de dire qu'une déclaration en défense faite lors d'un procès était inacceptable au motif qu'elle n'avait pas été suffisamment vérifiée. Dans sa décision du 26 mai 1997, rendue à l'issue d'une procédure contradictoire, la cour de discipline rejeta le recours du requérant et confirma dans son intégralité la décision du 1er juillet 1996. Elle releva que pour ce qui était de la procédure engagée au civil contre M. B., l'allégation en cause avait été formulée dans les observations développées par le requérant tant en première instance qu'en appel devant le tribunal d'arrondissement de La Haye (dans le cadre de cette dernière instance, les observations avaient été présentées au cours d'une audience qui s'était tenue le 27 juin 1994). La cour de discipline jugea qu'il n'était pas établi qu'à l'époque pertinente le requérant eût effectivement été informé par M. B. que ce dernier estimait que des pressions inacceptables avaient été exercées sur lui lorsque M. W. avait pris sa déposition. Elle ajouta par ailleurs que l'affirmation du requérant n'avait pas du tout été étayée à l'époque pertinente. La cour de discipline souscrivit à l'avis du conseil de discipline selon lequel un avocat n'avait pas le droit d'exprimer des reproches tels que ceux qui étaient en cause en l'espèce sans aucun soutien factuel, ce qui impliquait qu'avant de proférer de telles allégations un avocat devait solliciter de son client des informations concernant les éléments constitutifs des pressions inacceptables alléguées. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L'article 46 de la loi sur les avocats est ainsi libellé : « Les avocats sont soumis à la justice disciplinaire pour toutes actions ou omissions contraires à la diligence dont ils doivent faire preuve en leur qualité d'avocat à l'égard de ceux dont ils assument ou doivent assumer les intérêts, pour tous manquements aux prescriptions de l'ordre néerlandais des avocats, et pour toutes actions ou omissions qui ne siéent pas à un avocat qui se respecte. Cette justice disciplinaire est exercée en première instance par les conseils de discipline et en appel et dernier ressort par la cour de discipline. » Toute plainte dirigée contre un avocat doit être soumise au doyen de l'ordre régional des avocats (article 46 c) § 1), qui doit l'instruire (article 46 c) § 2). Le doyen peut transmettre la plainte au conseil de surveillance (Raad van Toezicht) pour suite à donner (article 46 c) § 3). En cas d'impossibilité d'aboutir à un règlement amiable, la question est portée devant le conseil de discipline par le doyen de l'ordre régional des avocats (ou le cas échéant par le conseil de surveillance), soit à la demande du plaignant, soit d'office (article 46 c) § 3 et article 46 d)). Les sanctions que peuvent prononcer les conseils de discipline et les cours de discipline vont de la simple admonition à la radiation de l'ordre, en passant par la réprimande et la suspension pour une période n'excédant pas un an (article 48). Des indications sur la nature des « actions ou omissions qui ne siéent pas à un avocat qui se respecte » figurent dans le code de déontologie des avocats (Gedragsregels voor advocaten), dont la version la plus récente date de 1992. L'article 1 en est ainsi libellé : « Chaque avocat doit se comporter de manière à ne pas nuire à la confiance du public dans la profession ou dans la manière dont lui-même exerce la profession. »
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Krone Verlag GmbH & Co. KG est une société à responsabilité limitée ayant son siège à Vienne. Elle est propriétaire du quotidien Neue Kronenzeitung, édité par Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag GmbH & Co. KG (« l'éditeur »). Les 9 et 11 décembre 1994, le Neue Kronenzeitung fit paraître dans son édition de Salzbourg une publicité pour des abonnements au journal, dans laquelle ses tarifs d'abonnement mensuel étaient comparés à ceux d'un autre journal régional, le Salzburger Nachrichten. Selon la publicité, le Neue Kronenzeitung était « le meilleur » journal local. Le 13 décembre 1994, s'appuyant sur les articles 1 et 2 de la loi sur la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb), le Salzburger Nachrichten demanda au tribunal régional (Landesgericht) de Salzbourg de prononcer en référé une ordonnance (einstweilige Verfügung) interdisant à la société requérante et à l'éditeur de faire paraître l'annonce publicitaire en question. Le 29 décembre 1994, le tribunal régional de Salzbourg prononça une ordonnance de référé contre la société requérante et l'éditeur pour préserver le statu quo durant la procédure. Sur appel de la société requérante et de l'éditeur, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de Linz cassa la décision du tribunal régional. La juridiction d'appel déclara notamment que les deux journaux étaient en concurrence sur le même marché et pour le même lectorat. Le 23 mai 1995, la Cour suprême (Oberster Gerichtshof), saisie par le Salzburger Nachrichten, prononça une ordonnance de référé. Elle jugea la publicité trompeuse. Elle estima que le Salzburger Nachrichten était un « journal de qualité », contrairement au Neue Kronenzeitung, différence que les lecteurs ne connaissaient pas forcément. En outre, dans les circonstances particulières de l'affaire, qualifier le Neue Kronenzeitung de « meilleur » journal local revenait à dénigrer le Salzburger Nachrichten. Dans la procédure principale qui s'ensuivit, le tribunal régional de Salzbourg, premièrement, interdit à la société requérante et à l'éditeur de faire paraître cette annonce publicitaire dès lors qu'elle ne fournissait pas en même temps des informations de nature à éviter tout jugement de valeur généralement péjoratif ou tout autre risque de tromper les lecteurs. Deuxièmement, il leur interdit de qualifier de « cher » le prix de vente du Salzburger Nachrichten. Troisièmement, il les invita à s'abstenir de comparer les prix de vente des deux journaux s'ils n'indiquaient pas également les différences dans leurs styles respectifs, en particulier quant à la façon de rendre compte des sujets dans les domaines de la politique intérieure et étrangère, de l'économie, de la culture, de la science, de la santé, de l'environnement et du droit, et s'ils ne définissaient pas en outre le Neue Kronenzeitung comme un média de communication axé sur le divertissement et le Salzburger Nachrichten comme un journal privilégiant l'information. Enfin, il leur ordonna de publier la décision. Le 21 mars 1997, la cour d'appel de Linz, accueillant en partie un appel de la société requérante et de l'éditeur, limita le troisième volet de l'injonction à l'interdiction pour les appelants de comparer les prix de vente des deux journaux sans faire état des différences dans leur manière de rendre compte des sujets dans les domaines de la politique intérieure et étrangère, de l'économie, de la culture, de la science, de la santé, de l'environnement et du droit. Elle confirma la décision de la juridiction inférieure quant aux autres volets de l'injonction. La cour d'appel estima qu'il était notoire que les deux journaux étaient en concurrence sur le même marché. Quant aux différences de qualité entre les journaux et l'argument selon lequel les lecteurs n'étaient pas au fait de ces différences, la cour d'appel de Linz renvoya à la décision rendue par la Cour suprême le 23 mai 1995. Le 28 avril 1997, invoquant l'article 10 de la Convention, la société requérante et l'éditeur formèrent un pourvoi en cassation contre cette décision. Le 13 mai 1997, la Cour suprême déclara le pourvoi irrecevable. La décision fut signifiée aux parties le 16 juin 1997. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes de la loi sur la concurrence déloyale sont ainsi libellées : Article 1 « Quiconque accomplit en affaires, à des fins de concurrence, des actes contraires aux bonnes pratiques est passible d'une action en cessation et en dommages-intérêts. » Article 2 « Quiconque formule en affaires, à des fins de concurrence, des déclarations pouvant être trompeuses au sujet de conditions commerciales, en particulier sur la qualité, l'origine, la méthode de production ou le calcul des prix à l'unité de biens ou services ou de l'ensemble du stock, ou les listes de prix, au sujet des modalités et des sources d'approvisionnement, de l'obtention de récompenses, de l'occasion ou du but de la vente, ou de la quantité du stock est passible d'une action en cessation et, s'il sait ou aurait dû savoir que ces déclarations pouvaient être trompeuses, d'une action en dommages-intérêts. Toutefois, la publicité comparative de prix est autorisée, si elle ne contrevient pas au présent article ou à l'article 1. »
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1946 et réside à Rome. Elle est propriétaire d'un appartement à Rome, qu'elle avait loué à R.G. Par une lettre recommandée du 22 mai 1987, la requérante informa la locataire de son intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail, soit le 31 décembre 1987, et la pria de libérer les lieux avant cette date. L'intéressée refusa de libérer les lieux. Par un acte signifié le 31 juillet 1987, la requérante réitéra l'avis de congé et assigna l'intéressée à comparaître devant le juge d'instance de Rome. Par une ordonnance du 27 janvier 1988, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 novembre 1988. Cette décision devint exécutoire le 27 janvier 1988. Le 3 décembre 1988, la requérante signifia à la locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 19 décembre 1988, elle lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 10 février 1989 par voie d'huissier de justice. Entre le 10 février 1989 et le 14 octobre 1999, l'huissier de justice procéda à soixante tentatives d'expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, la requérante n'ayant pas pu bénéficier de l'assistance de la force publique. Le 25 juillet 2000, la requérante récupéra son appartement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. A. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. B. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
Le requérant est né en 1939 et réside à Aix-en-Provence. Le requérant contracta mariage le 29 septembre 1972 avec B.T. Le couple adopta quatre enfants. Le 9 novembre 1990, B.T. introduisit une requête en séparation de corps devant le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence. Le 22 octobre 1990, le juge aux affaires familiales fit convoquer les parties le 12 février 1991 pour la tentative de conciliation. A leur demande, celle-ci fut renvoyée au 19 mars 1991. Le 19 mars 1991, les époux comparurent devant le juge aux affaires familiales. Par ordonnance du même jour, le magistrat constata l'échec de la tentative de conciliation et autorisa les époux à résider séparément. Il confia l'autorité parentale conjointement au père et à la mère, fixa la résidence habituelle des enfants chez la mère, accorda au père un droit de visite et d'hébergement et fixa sa part contributive à l'entretien et à l'éducation des enfants. Le 7 juin 1991, B.T. assigna le requérant devant le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence pour voir prononcer la séparation de corps. Par conclusions incidentes du 17 octobre 1991 déposées devant le juge de la mise en état du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence, le requérant dénonça le départ de son épouse avec les enfants pour la région d'Angers et sollicita, notamment, l'attribution du domicile conjugal situé à Aix-en-Provence et le transfert de la résidence habituelle des enfants à son profit. Acquiesçant à la demande concernant la jouissance du domicile conjugal, B.T. s'opposa aux autres prétentions du requérant et sollicita reconventionnellement une augmentation du montant de la pension alimentaire et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants. Le 24 octobre 1991, B.T. déposa ses conclusions d'incident. Les débats se tinrent à l'audience du 6 décembre 1991 puis l'affaire fut mise en délibéré. Par ordonnance du 20 décembre 1991, le juge de la mise en état donna acte à B.T. de son accord pour l'attribution à son mari du domicile conjugal, rejeta la demande de transfert de la résidence habituelle des enfants, augmenta les montants de la pension alimentaire et de la contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants et modifia le droit de visite du requérant. Le 17 janvier 1992, le juge de la mise en état délivra une injonction de conclure au requérant. Le 16 avril 1992, le requérant communiqua des pièces à B.T. Le 11 juin 1992, un nouvel avocat se constitua dans l'intérêt de B.T. Le 12 juin 1992, une injonction itérative de conclure fut délivrée au requérant. Les 2 et 15 octobre 1992, les parties se communiquèrent des pièces. Les 4 et 7 janvier 1993, le requérant communiqua des pièces à B.T. Le 8 janvier 1993, le requérant forma une demande reconventionnelle en divorce. Par conclusions des 13 et 20 janvier 1993, il saisit le juge de la mise en état aux fins de se voir attribuer la résidence des enfants. Le 10 septembre 1993, une injonction de conclure fut délivrée à B.T., qui déposa ses conclusions en réponse le 8 octobre 1993. Le 4 octobre 1993, un nouvel avocat se constitua dans l'intérêt de B.T. Les parties se communiquèrent des pièces les 7 octobre, 8 octobre et 3 novembre 1993. Une audience de mise en état se tint le 5 novembre 1993. Le 17 janvier 1994, une sommation de communiquer fut adressée au requérant. Les parties se communiquèrent des pièces les 25, 26, 27, 28 janvier, et les 1er et 23 février 1994. B.T. déposa des conclusions additionnelles le 4 février 1994, auxquelles le requérant répondit le 9 février suivant. L'ordonnance de clôture fut rendue le 25 février 1994 et les débats en chambre du conseil se tinrent le 16 mars 1994. La date du délibéré fut fixée au 12 mai 1994, puis prorogée au 14 septembre, puis au 21 septembre 1994. Par jugement du 21 septembre 1994, le tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence prononça le divorce aux torts partagés, dit que l'autorité parentale serait exercée en commun par les deux parents et que la résidence habituelle des enfants serait fixée chez la mère. Il fixa le droit de visite et d'hébergement du père, sa contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants et une prestation compensatoire à verser à B.T. Le 10 novembre 1994, le requérant interjeta appel de ce jugement devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence. L'avocat de B.T. se constitua le 9 janvier 1995. Le requérant déposa ses conclusions le 9 mars 1995. Le 2 mai 1995, une sommation de communiquer fut adressée au requérant. Le 22 mai 1995, le conseiller de la mise en état prit, à l'égard du requérant, une ordonnance d'injonction de communiquer. Les 25 juillet et 4 septembre 1995, le requérant communiqua des pièces à la partie adverse. Le 7 novembre 1996 une sommation de communiquer fut adressée au requérant. Les 15 novembre, 26 novembre et 3 décembre 1996, les parties se communiquèrent des pièces. Le 18 novembre 1996, B.T. déposa des conclusions. Le 17 décembre 1996, l'ordonnance de clôture fut reportée à la demande du requérant. Les 24 et 31 décembre 1996, le requérant déposa des conclusions et communiqua des pièces. Les débats se tinrent le 16 janvier 1997. Le prononcé de l'arrêt fut fixé au 27 février 1997 puis prorogé au 27 mars 1997. Par arrêt du 27 mars 1997, la cour d'appel d'Aix-en-Provence confirma le jugement déféré en toutes ses dispositions. Le 9 juillet 1997, le requérant se pourvut en cassation. Le dossier arriva à la Cour de cassation le 12 septembre 1997. Le 31 octobre 1997, le requérant produisit un mémoire ampliatif. Un mémoire en défense fut déposé par la partie adverse le 15 décembre 1997. Le 1er juillet 1998, le conseiller rapporteur fut désigné. Il déposa son rapport le 1er septembre 1998. L'avocat général fut désigné le 16 octobre 1998. L'audience eut lieu le 13 janvier 1999. Par arrêt du 11 février 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1932 et réside à Tel Aviv, Israël. En 1938, les parents de la requérante achetèrent un bien immobilier sis à Bucarest. Ce bien est composé de cinq appartements et du terrain afférent de 497 m². En 1950, l'Etat prit possession du bien en invoquant le décret de nationalisation no 92/1950. A. La première action en revendication En 1994, en tant qu'héritière, la requérante revendiqua par une action civile introduite devant le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest le bien susmentionné. Devant le tribunal elle fit valoir que ses parents avaient été propriétaires dudit bien immobilier et que l'Etat se l'était approprié abusivement, en se prévalant du décret de nationalisation no 92/50. Or, au moment de la nationalisation, son père était médecin et sa mère était femme au foyer. Pour cette raison, en application de l'article II dudit décret, l'immeuble était exclu de la nationalisation. Par jugement du 5 mai 1994, le tribunal fit droit à la demande de la requérante. Il jugea que c'était en violation de l'article II dudit décret que le bien avait été nationalisé et que la requérante en était la propriétaire légitime. Le tribunal ordonna dès lors à la mairie de Bucarest de lui restituer le bien. Le 28 juillet 1994, l'appel interjeté par la mairie de Bucarest fut rejeté comme mal fondé par le tribunal départemental de Bucarest. En l'absence de recours, le jugement devint définitif et irrévocable. Par décision administrative du 14 décembre 1994, la mairie de Bucarest ordonna la restitution du bien et, le 28 février 1995, l'entreprise R., gérante des logements d'Etat, s'exécuta. B. Le recours en annulation A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma devant la Cour suprême de justice un recours en annulation contre le jugement définitif du 5 mai 1994, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l'application du décret no 92/1950. Par arrêt du 11 juin 1996, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation, cassa le jugement définitif et, sur le fond, rejeta l'action en revendication de la requérante. Elle constata que l'Etat s'était approprié le bien en question, en vertu du décret de nationalisation no 92/1950, et jugea que l'application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les tribunaux. Par conséquent, le tribunal de première instance de Bucarest n'avait pu rendre son jugement constatant que la requérante était la véritable propriétaire du bien qu'en empiétant sur les attributions du pouvoir législatif. La Cour suprême de justice conclut que, de toutes manières, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l'Etat s'était approprié abusivement. C. La vente des appartements nos 3 et 5 D'après la requérante, l'appartement situé au 1er étage de l'immeuble (l'appartement no 3) a été vendu par l'Etat roumain, le 17 octobre 1996, aux époux M. Le 6 janvier 1997, l'appartement situé au deuxième étage (l'appartement no 5) a été vendu à S.G. D. La deuxième action en revendication Le 19 mars 1997, la requérante forma une nouvelle action en revendication du bien. Devant le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest, elle fit valoir que le décret de nationalisation avait été abusivement appliqué, car ses parents étaient exceptés de l'application dudit décret. Par jugement du 3 avril 1997, le tribunal, constatant que la nationalisation avait été illégale, fit droit à la demande de la requérante et ordonna à la mairie de Bucarest de lui restituer le bien litigieux. Il ressort des éléments du dossier qu'à une date non précisée ce jugement devint définitif et irrévocable. Par décision administrative du 7 juin 1999, le maire de Bucarest ordonna la restitution du bien, exception faite des appartements vendus aux époux M. et à S.G. Le 16 novembre 1999, la décision administrative fut exécutée. E. Le litige locatif concernant l'appartement no 1 Il ressort des éléments du dossier que les locataires de l'appartement no 1 (C.M. et C.D.A.) formèrent, en 1997, à l'encontre de G.A. (locataire d'une chambre dudit appartement), une demande d'expulsion. Par décision du 28 novembre 1997, devenue définitive, la cour d'appel de Bucarest ordonna l'expulsion de G.A. En 2001, la requérante forma à l'encontre de C.M. et C.D.A. une action en expulsion. Dans la même action, elle forma à leur encontre une demande en dommages-intérêts, ayant comme objet les loyers non encaissés. Les locataires formèrent une demande reconventionnelle, afin d'obliger la requérante à respecter leurs droits locatifs et à conclure un bail avec eux. Le 3 décembre 2001, le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest rejeta l'action de la requérante, rejeta partiellement l'action reconventionnelle et ordonna à la requérante de conclure un bail avec les locataires C.M et C.D.A. Le requérante forma un appel contre ce jugement. Par décision du 14 juin 2002, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l'appel comme mal fondé. Ainsi, la requérante a dû conclure un bail avec les locataires de l'appartement no 1, C.M. et C.D.A. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l'arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
Le requérant est né en 1954 et réside à Grenoble. A. Procédure antérieure Le 9 mai 1993, le requérant avait déjà saisi la Commission d’une requête (no 22136/93) relative, entre autres, à la durée de la procédure consécutive à son placement sous tutelle. La requête avait été déclarée irrecevable dans son ensemble le 16 octobre 1996. La Commission releva qu’une durée d’un an et plus de quatre mois était raisonnable, compte tenu des circonstances de l’espèce et notamment du fait que l’instance avait été portée devant deux degrés de juridictions. B. La procédure litigieuse Par courrier du 15 avril 1993, le directeur du centre hospitalier spécialisé d’Erstein informa le juge des tutelles du tribunal de grande instance de Strasbourg de la nécessité de prendre une mesure de protection à l’égard du requérant. Le 27 avril 1993, le juge des tutelles ordonna l’ouverture d’office d’une procédure de tutelle à l’égard du requérant, et donna commission rogatoire au juge des tutelles d’Erstein aux fins de procéder à l’audition du requérant. Par ordonnance du 12 mai 1993, le requérant fut placé sous sauvegarde de justice pour la durée de l’instance et l’union départementale des associations familiales du Bas-Rhin (UDAF) fut nommée pour gérer ses biens. Par requête du 8 juin 1993, le requérant contesta cette ordonnance. Par jugement du 17 août 1993, le tribunal de grande instance de Strasbourg déclara cette requête irrecevable. Un certificat médical établi le 26 octobre 1993 faisait ressortir que le requérant n’avait plus besoin de mesure de protection. Compte tenu des avis divergents des médecins psychiatres, le juge des tutelles ordonna une expertise psychiatrique du requérant et commit un expert psychiatre par ordonnance du 7 janvier 1994. L’expert déposa son rapport le 7 mars 1994. En conclusion de ce rapport, l’expert soulignait que le requérant avait besoin d’être représenté d’une manière continue dans les actes de la vie civile. A l’audience du 26 mai 1994, le requérant demanda le renvoi de l’affaire en faisant valoir qu’il avait déposé la veille une demande d’aide juridictionnelle et qu’il souhaitait être représenté. Le juge refusa le renvoi, au motif que le requérant connaissait depuis longtemps la date de l’audience et qu’il y avait urgence. Par jugement du même jour, l’ouverture de la tutelle fut prononcée à l’égard du requérant et l’UDAF fut nommée en qualité de tuteur d’Etat. Le 11 juin 1994, le requérant interjeta appel de ce jugement, en sollicitant l’aide juridictionnelle, devant le tribunal de grande instance de Strasbourg. L’audience fut fixée au 9 septembre 1994. Le requérant faisait notamment valoir que la procédure de tutelle serait caduque, compte tenu du dépassement du délai légal ; il contestait par ailleurs le refus du premier juge de renvoyer l’affaire. Par jugement du 21 octobre 1994, le tribunal de grande instance de Strasbourg confirma la première décision, en retenant notamment que : « (...) c’est (...) l’ouverture de la procédure de tutelle qui doit être décidée par le juge des tutelles dans l’année de sa saisine d’office ; qu’en l’espèce (...) le juge des tutelles, sans enquête préliminaire, a de suite ordonné le 27.04.1993 l’ouverture d’une procédure de tutelle en se saisissant d’office ; que le requérant confond décision d’ouverture de la tutelle et décision de prononcé de celle-ci (...) ». Le tribunal approuva par ailleurs le juge d’avoir refusé le renvoi de l’affaire, en relevant que devant le tribunal le requérant avait renoncé de luimême au renvoi de l’affaire dans l’attente de la décision du bureau d’aide judiciaire, en affirmant être tout à fait apte à s’occuper de lui-même et que dès lors il ne justifiait d’aucun préjudice. Le 19 décembre 1994, le requérant sollicita le bénéfice de l’aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en cassation. Le 18 mai 1995, le bureau d’aide juridictionnelle rendit une décision d’admission totale au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Le 21 août 1995, le requérant déposa son pourvoi en cassation, complété par un mémoire ampliatif le 22 janvier 1996. Le conseiller rapporteur fut désigné le 1er octobre 1997. Il déposa son rapport le 9 octobre 1997. L’affaire fut confiée à l’avocat général le 24 octobre 1997. L’audience se tint le 23 juin 1998. Par arrêt du 6 octobre 1998, la première chambre civile de la Cour de cassation cassa et annula dans toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Strasbourg. Elle releva ce qui suit : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors qu’il résulte de l’article 1252 du nouveau code de procédure civile qu’en cas de saisine d’office du juge, les actes de procédure sont non avenus si la décision relative à l’ouverture de la tutelle n’intervient pas dans l’année, le tribunal a violé ce texte. Et attendu qu’en application de l’article 627 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile, la Cour est en mesure, en cassant sans renvoi, de mettre fin au litige par application de la règle de droit appropriée ; » En conséquence, elle cassa et annula le jugement rendu le 21 octobre 1994, dit n’y avoir lieu à renvoi, et constata l’extinction de l’instance et le dessaisissement de la juridiction. Parallèlement au recours en cassation, le requérant avait par ailleurs demandé au greffe du tribunal d’instance, par lettre du 11 septembre 1995, la mainlevée de la mesure de tutelle, en joignant un certificat médical attestant que cette mesure n’était plus nécessaire. Le 29 février 1996, le juge des tutelles de Strasbourg avait donc prononcé la mainlevée de la tutelle, après avoir entendu le requérant le 7 novembre 1995 et au vu d’un rapport d’expertise du 12 décembre 1995.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est né en 1936 et réside à Savigny en Revermont. Le neveu du requérant fut hospitalisé au centre hospitalier spécialisé (« CHS ») de Perray-Vaucluse. Sans donner d'explication au requérant, le CHS lui refusa à plusieurs reprises l'autorisation de rendre visite à son neveu. En conséquence, le 3 juillet 1995, le requérant adressa une demande préalable d'indemnisation au CHS, aux fins d'obtenir réparation du préjudice qu'il estimait subir à raison de ces refus, selon lui illégaux. N'ayant obtenu aucune réponse du CHS, le requérant, le 28 février 1996, saisit le tribunal administratif de Versailles de sa demande. Ledit tribunal y fit droit par un jugement du 12 mars 1998 et condamna le CHS à verser une indemnité de 50 000 francs au requérant. Il obtint paiement de cette somme en décembre 1998. Le CHS avait entre-temps – le 27 mai 1998 – interjeté appel du jugement du 12 mars 1998 devant la cour administrative d'appel de Paris laquelle confirma ledit jugement par un arrêt du 16 octobre 2002.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1941 et réside à Arad. A une date non précisée, les grands-parents de la requérante achetèrent une maison sise à Arad. En 1952, l'État prit possession de la maison des grands-parents de la requérante en invoquant le décret de nationalisation no 92/1950 et divisa l'immeuble en trois appartements. En 1964, l'État leur restitua l'appartement no 1. A. L'action en revendication de propriété En 1993, en tant qu'héritière de ses grands-parents, la requérante revendiqua par le biais d'une action civile introduite devant le tribunal de première instance d'Arad le bien susmentionné. L'intéressée faisait valoir qu'en vertu du décret no 92/1950, les biens des retraités ne pouvaient pas être nationalisés et que ses grands-parents étaient retraités au moment de la nationalisation. Par un jugement du 21 mars 1994, le tribunal de première instance releva que c'était par erreur que l'immeuble des grands-parents de la requérante avait été nationalisé en application du décret no 92/1950, car ils faisaient partie d'une catégorie de personnes que ce décret excluait de la nationalisation. Il jugea que la requérante était la propriétaire légitime des appartements nos 2 et 3 et ordonna l'inscription de son droit de propriété sur le livre foncier. En l'absence de recours, ce jugement devint définitif et irrévocable, ne pouvant plus être attaqué par les voies de recours ordinaires. Le 13 juin 1994, le droit de propriété de la requérante sur les appartements nos 2 et 3 fut inscrit sur le registre foncier. Le 16 août 1994, la société R., administrant les immeubles de l'État, restitua à la requérante les deux appartements. Le 12 avril 1995, la requérante vendit à son fils et à sa belle-fille l'appartement no 3. Le même jour, ils inscrivirent sur le registre foncier leur droit de propriété sur l'appartement en cause. A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma un recours en annulation devant la Cour suprême de justice, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l'application du décret no 92/1950. Par un arrêt du 10 janvier 1997, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation, cassa le jugement du 21 mars 1994 et, sur le fond, rejeta l'action en revendication de la requérante. Elle constata que l'Etat s'était approprié le bien en question en vertu du décret de nationalisation no 92/1950 et jugea que l'application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les juridictions. Par conséquent, elle jugea que le tribunal de première instance de Arad n'avait pu rendre son jugement constatant que la requérante était la véritable propriétaire du bien qu'en empiétant sur les attributions du pouvoir législatif. A la suite de l'arrêt de la Cour suprême de Justice, l'État n'a pas demandé l'inscription de son droit de propriété sur le registre foncier. Selon les informations dont dispose la Cour, l'État n'a pas repris la possession des appartements nos 2 et 3, qui sont restés respectivement en possession de la requérante, de son fils et de sa belle-fille. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Décret-loi no 115 du 27 avril 1938, dont les dispositions pertinentes étaient ainsi libellées à la date des faits : Article 17 « Les droits réels sur les immeubles peuvent être acquis si entre vendeurs et acheteurs il y a accord en ce sens et si ladite constitution ou transmission du droit est inscrite sur le livre foncier. » Article 34 « La rectification d'un livre foncier peut être demandée par toute personne intéressée : 1. si l'inscription ou l'acte juridique en vertu duquel l'inscription a été faite n'étaient pas valables (...) 3. (...) si les effets de l'acte juridique en vertu duquel l'inscription a été faite ont cessé (...) » Article 36 « L'action en rectification, sous réserve de la prescription de l'action au fond, est imprescriptible à l'encontre de celui qui a obtenu la propriété (...) » Article 37 « Quand l'action en rectification demandée sur la base de l'article 34 § 1 est introduite à l'encontre d'un tiers de bonne foi, elle peut être introduite dans un délai de trois ans à partir de l'enregistrement de la demande d'inscription dont la rectification est demandée. » Les autres dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l'arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1926 et réside à Rome. Sa femme et lui, étaient propriétaires d'un appartement à Rome, qu'ils avaient loué à F.C.C. Par un acte signifié le 14 février 1990, les propriétaires informèrent la locataire de leur intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail, soit le 31 décembre 1991, et assignèrent l'intéressée à comparaître devant le juge d'instance de Rome. Par une ordonnance du 8 juin 1990, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 juin 1992. Cette décision devint exécutoire le 8 juin 1990. Les 8 octobre 1992 et 2 juillet 1993, les propriétaires signifièrent à la locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 22 septembre 1993, ils lui signifièrent l'avis que l'expulsion serait exécutée le 30 septembre 1993 par voie d'huissier de justice. Entre le 30 septembre 1993 et le 13 juillet 1999, l'huissier de justice procéda à onze tentatives d'expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, les propriétaires n'ayant pas pu bénéficier de l'assistance de la force publique. En 1999, la femme du requérant décéda et celui-ci hérita de sa quote-part de l'appartement. Le 13 avril 2000, le requérant récupéra l'appartement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. A. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. B. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1965 et réside à Viareggio. Il est propriétaire d'une maison à Viareggio, séparée en deux blocs, qu'il avait loué respectivement à A.T. et M.S. Par un acte signifié le 12 mai 1990, le requérant donna congé à M.S. et assigna l'intéressé à comparaître devant le juge d'instance de Viareggio. Par une ordonnance du 17 mai 1990, qui devint exécutoire le 1er septembre 1990, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 1er juillet 1993. Le 16 avril 1994, le requérant fit une déclaration solennelle qu'il avait un besoin urgent de récupérer l'appartement pour en faire son habitation propre. Le 26 avril 1994, le requérant signifia au locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 25 mai 1994, il lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 14 juin 1994 par voie d'huissier de justice. Entre le 14 juin 1994 et le 30 avril 1998, l'huissier de justice procéda à dix-sept tentatives d'expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, le requérant n'ayant pu obtenir le concours de la force publique dans l'exécution de l'expulsion. Le 18 mai 1998, le requérant récupéra son appartement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. A. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. B. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1945 et réside à San Miniato (Pise). Par une lettre recommandée du 20 juillet 1989, le requérant informa le locataire de son intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail, soit le 30 janvier 1990, et le pria de libérer les lieux avant cette date. L'intéressé se refusa à libérer les lieux à la date prévue. Par un acte signifié au locataire à une date non précisée, le requérant réitéra l'avis de congé et assigna l'intéressé à comparaître devant le juge d'instance de Pise. Par une ordonnance du 17 avril 1991, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 30 septembre 1991. Cette décision devint exécutoire le même jour. Le 25 novembre 1992, le requérant signifia au locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 5 février 1993, il lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 17 février 1993, par voie d'huissier de justice. Entre le 17 février 1993 et le 19 novembre 2002, l'huissier de justice procéda à huit tentatives d'expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, l'échelonnement de l'exécution des décisions d'expulsion ne permettant pas au requérant de bénéficier du concours de la force publique. Selon les dernières informations fournies par le requérant le 21 juillet 2003, la prochaine tentative d'expulsion est fixée pour le 15 octobre 2003. Le requérant n'a donc pas encore récupéré son appartement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. A. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. B. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1955 et réside à Bucciano (Bénévent). Elle est propriétaire d'un appartement à Naples, que son père avait loué à P.F. Par un acte signifié le 4 juillet 1989, le père de la requérante informa le locataire de son intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail et assigna l'intéressé à comparaître devant le juge d'instance de Naples. Par une ordonnance du 23 mai 1991, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1992. Cette décision devint exécutoire le 13 décembre 1993. Entre temps, à une date non précisée, le père de la requérante décéda. Le 28 décembre 1993, la requérante signifia au locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 31 janvier 1994, elle lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 11 février 1994, par voie d'huissier de justice. Le 30 mai 1994, la requérante fit une déclaration solennelle qu'elle avait un besoin urgent de récupérer l'appartement pour en faire l'habitation de ses enfants. Entre le 11 février 1994 et le 21 juin 2000, l'huissier de justice procéda à vingt et une tentatives d'expulsion, qui se soldèrent toutes par un échec, car la requérante n'a jamais pu bénéficier du concours de la force publique pour exécuter la procédure d'expulsion. Le 26 juillet 2000, la requérante récupéra son appartement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Depuis 1947, la législation en matière de baux d'habitation a été marquée par différentes interventions des pouvoirs publics, portant sur le contrôle des loyers au moyen du blocage de ceux-ci, mitigé par les augmentations légales décrétées de temps à autre par le gouvernement, ainsi que sur la prorogation légale de tous les baux en cours et, enfin, sur la suspension ou l'échelonnement de l'exécution forcée des expulsions. En ce qui concerne la prorogation des baux, la suspension de l'exécution forcée et l'échelonnement des expulsions, le droit interne pertinent est présenté dans l'arrêt rendu par la Cour dans l'affaire Immobiliaire Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V. En dernier lieu, un décret-loi no 147 du 24 juin 2003, converti en loi no 200/03, suspendit dans certains cas l'exécution forcée des ordonnances d'expulsion jusqu'au 30 juin 2004. A. Le système de contrôle des loyers En matière de contrôle des loyers, l'évolution de la législation italienne peut se résumer comme suit. La première mesure pertinente fut la loi no 392 du 27 juillet 1978, qui mit en place un système de « loyers équitables » (equo canone) reposant sur un certain nombre de critères tels que la superficie et les frais de construction de l'appartement. Une deuxième mesure fut adoptée par les autorités italiennes en août 1992, aux fins d'une libéralisation progressive du marché de la location. Entra alors en vigueur une législation qui atténuait les restrictions frappant le montant des loyers (patti in deroga), en vertu de laquelle les propriétaires et les locataires pouvaient en principe s'écarter du loyer fixé par la loi en convenant d'un montant différent. Enfin, la loi no 431 du 9 décembre 1998 a réformé le régime des locations et libéralisé les loyers. B. Obligations du locataire en cas de restitution tardive Le locataire est soumis à l'obligation générale d'indemniser le propriétaire de tout dommage causé par la restitution tardive du logement. A cet égard, l'article 1591 du code civil italien dispose : « Le locataire qui n'a pas quitté les lieux est tenu de verser au propriétaire le montant convenu jusqu'à la date de son départ, ainsi que de l'indemniser de tout préjudice éventuel ». Toutefois, la loi no 61 de 1989 a entre autres plafonné l'indemnisation que pouvait réclamer le propriétaire à une somme égale au loyer versé par le locataire au moment de l'expiration du bail, indexée sur la hausse du coût de la vie (article 24 de la loi no 392 du 27 juillet 1978) et majorée de 20 %, pour toute la période pendant laquelle le propriétaire n'avait pu jouir de son appartement. L'arrêt no 482 rendu en 2000 par la Cour constitutionnelle portait sur la question de savoir si un tel plafonnement était conforme à la Constitution. La juridiction constitutionnelle répondit par l'affirmative s'agissant des périodes pendant lesquelles la suspension des expulsions avait été prescrite par la loi, et expliqua que cette limitation visait à réguler les locations alors que la législation d'exception était en vigueur et que la pénurie de logements exigeait la suspension des mesures d'exécution forcée. Si les expulsions avaient été suspendues en vertu de la loi, la législation avait par avance déterminé le montant de l'indemnisation due par le locataire, ces deux mesures étant provisoires et exceptionnelles. Du reste, le propriétaire y trouvait une compensation dans le fait qu'il était dispensé de démontrer l'existence d'un préjudice. La Cour constitutionnelle déclara inconstitutionnel le plafonnement de l'indemnisation pouvant être sollicitée par le propriétaire dans le cas où il s'était trouvé dans l'incapacité de reprendre possession de l'appartement en raison du comportement du locataire et non de l'intervention du législateur. En conséquence, la juridiction constitutionnelle a ainsi permis au propriétaire d'engager une procédure civile pour obtenir pleine réparation des préjudices causés par le locataire.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante est une ressortissante roumaine, née en 1939 et résidant à Bucarest. A. La première action en revendication immobilière Le 8 juillet 1992, la requérante saisit, en tant qu’héritière, le tribunal de première instance du deuxième arrondissement de la ville de Bucarest d’une action en revendication d’un immeuble ayant appartenu à I.V. L’intéressée faisait valoir qu’en vertu du décret no 92/1950, les biens des salariés ne pouvaient être nationalisés et que I.V., dont elle avait hérité, était enseignant au moment de la nationalisation de sa maison. Par un jugement du 15 janvier 1993, le tribunal de première instance releva que l’immeuble en litige avait été nationalisé par erreur en vertu du décret no 92/1950, car I.V. faisait partie d’une catégorie de personnes que ce décret excluait de la nationalisation. Le tribunal constata ensuite que la possession exercée par l’Etat était fondée sur la violence et, par conséquent, jugea que l’Etat ne pouvait pas se prévaloir d’un titre de propriété fondé sur l’usucapion. Les juges décidèrent également que l’Etat n’aurait pas pu non plus s’approprier l’immeuble en application des décrets nos 218/1960 et 712/1966, car ces textes étaient contraires aux Constitutions de 1952 et 1965 respectivement. Le tribunal ordonna à l’entreprise d’Etat I., gérante de logements d’Etat, de restituer l’immeuble à la requérante. L’entreprise d’Etat I. interjeta appel. Le 12 novembre 1993, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’appel. En l’absence de recours, le jugement du 15 janvier 1993 devint définitif, ne pouvant plus être attaquée par les voies de recours ordinaires. Le 15 février 1994, le maire de la ville de Bucarest ordonna la restitution de l’immeuble et, le 15 mars 1994, l’entreprise I. s’exécuta. Le 21 mars 1994, la requérante fit inscrire son droit de propriété sur le registre foncier. 15. A une date non précisée, le procureur général forma devant la Cour suprême de Justice un recours en annulation contre le jugement du 15 janvier 1993, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application du décret no 92/1950. Par un arrêt du 28 avril 1995, la Cour suprême annula le jugement du 15 janvier 1993 et rejeta l’action de la requérante. Elle souligna que la loi était un moyen d’acquisition de la propriété, constata que l’Etat s’était approprié l’immeuble en question le jour même de l’entrée en vigueur du décret de nationalisation no 92/1950 et rappela que l’application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les instances judiciaires. Par conséquent, la Cour suprême estima que le tribunal de première instance de Bucarest n’avait pu rendre son jugement constatant que la requérante était le véritable propriétaire de l’immeuble qu’en modifiant le décret susmentionné et, dès lors, en outrepassant ses attributions et en empiétant sur celles du pouvoir législatif. La Cour suprême conclut en soulignant le fait que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était appropriés abusivement. Les 27 septembre et 29 octobre 1996, l’Etat vendit les appartements no 2 et 3 de l’immeuble aux locataires y habitant. B. La deuxième action en revendication immobilière En 1997, la requérante introduisit une nouvelle action en revendication de l’immeuble devant le tribunal de première instance du deuxième arrondissement de Bucarest à l’encontre du Conseil Général de la ville de Bucarest. Par jugement du 12 septembre 1997, le tribunal accueillit sa demande et constata le droit de propriété de la requérante sur l’ensemble de l’immeuble litigieux. Ce jugement devint définitif à la suite de l’annulation de l’appel formé par la partie défenderesse. A la suite du jugement du 12 septembre 1997, la requérante a pu réintégrer son immeuble, sauf la partie qui en avait été vendue en 1996 (cf. supra, § 17). C. L’action en revendication de l’appartement no 2 de l’immeuble En 1999, la requérante introduisit une action en revendication de l’appartement no 2 de son immeuble à l’encontre de l’ancienne locataire, devenue en 1996 propriétaire dudit appartement. Par jugement du 17 septembre 1999, le tribunal fit droit à sa demande. Sur appel de la défenderesse, la cour d’appel de Bucarest annula, par une décision du 30 mars 2000, le jugement du tribunal de première instance et, sur le fond, rejeta l’action de la requérante. La requérante fit recours contre cette décision. Selon les informations dont dispose la Cour, le jugement du recours est encore pendant devant la Cour suprême de Justice. La requérante indique être actuellement dans l’attente d’un arrêt de la Cour suprême de Justice, à l’issue duquel elle décidera la démarche à suivre pour l’appartement no 3 de son immeuble. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
La requérante est née en 1950 et réside à Athènes. Le 4 février 1977, le père de la requérante décéda. Le 18 avril 1988, un des frères de la requérante saisit le tribunal de première instance de Kavala d’une demande de partage forcé de l’héritage (αναγκαστική διανομή κληρονομιάς) de leur père. Le 7 avril 1989, par une décision avant dire droit, le tribunal ordonna aux intéressés de justifier la valeur des biens de l’héritage. L’audience fut par la suite ajournée, à la demande des parties, à plusieurs reprises. Le 20 mars 1992, un expert fut désigné. Les 18 novembre 1998, 11 mars et 17 mai 1999, la requérante se plaignit auprès des services administratifs du retard mis par l’expert à déposer son rapport. Elle fut informée que le déroulement de l’expertise ne relevait pas de la compétence de l’administration et que l’expert désigné agissait non pas en tant que fonctionnaire mais en tant que particulier. L’expert déposa son rapport le 23 novembre 1999. Une nouvelle audience fut fixée au 2 mars 2001 et ajournée par la suite, à la demande des parties, au 5 octobre 2001. Le tribunal rendit sa décision en 2002 (décision no 58/2002). Le 1er juillet 2002, le frère de la requérante interjeta appel de cette décision. L’affaire est actuellement pendante devant la cour d’appel de Thrace.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Rakovski, dans la région de Plovdiv. (...) B. La détention provisoire du requérant L'intéressé fut arrêté le 22 août 1997. Le lendemain, il fut conduit auprès d'un assistant du magistrat instructeur, qui l'inculpa et décida de le mettre en détention provisoire. L'ordonnance de placement en détention –prise au motif que le requérant était inculpé d'une infraction majeure – indiquait que l'intéressé risquait de prendre la fuite ou de commettre des infractions, mais ne donnait pas d'explications. Cet acte fut autorisé par avance ou approuvé le jour même par un procureur. Le 25 août 1997, le requérant chargea un avocat de le représenter. Le premier recours contre la détention Le 3 septembre 1997, l'avocat du requérant prépara un recours auprès du tribunal de district de Plovdiv pour se plaindre de la mise en détention provisoire de son client. Le recours fut déposé par l'intermédiaire du parquet de district, comme le voulait l'article 152a § 2 du code de procédure pénale. Les parties ne sont pas d'accord sur la date à laquelle le recours fut effectivement présenté au parquet de district. L'intéressé affirme que l'acte de recours a été remis le 3 septembre 1997 au procureur de permanence, lequel, suivant la pratique habituelle, l'aurait transmis au personnel administratif sans l'enregistrer lui-même. Selon le Gouvernement, la date à laquelle l'acte de recours a été enregistré, à savoir le 8 septembre 1997, doit être considérée comme la date à laquelle il a été présenté, puisqu'il n'y a pas de preuve qu'il ait été déposé plus tôt. Le 15 septembre 1997, ayant constaté que son acte de recours contre la détention de son client n'était pas parvenu au tribunal de district, l'avocat du requérant en fournit une autre copie directement à la juridiction en question. Le 16 septembre 1997, le parquet de district transmit au tribunal de district l'acte de recours de l'intéressé contre sa détention. A la même date, un juge de ce tribunal fixa une audience au 19 septembre. L'avocat du requérant fut convoqué par téléphone le même jour. Le tribunal de district tint une audience le 19 septembre 1997, en présence de l'intéressé, de son avocat et d'un procureur. Le procureur déclara que le recours devait être rejeté pour des motifs de forme, dès lors qu'il avait été présenté après l'expiration du délai de sept jours prévu par l'article 152a § 1 du code de procédure pénale. L'avocat du requérant expliqua qu'il s'était vu refuser l'accès au dossier, ce qui l'avait empêché de préparer le recours dans le délai imparti. Par une décision du 19 septembre 1997, le tribunal de district rejeta le recours. Relevant que celui-ci était daté du 3 septembre 1997 alors que l'ordonnance de mise en détention avait été prise et notifiée au requérant le 23 août, et observant que l'intéressé avait mandaté un avocat pour le représenter à la date du 25 août, le tribunal conclut que le recours avait été formé après l'échéance du délai applicable de sept jours et était irrecevable. Le tribunal estima par ailleurs qu'il n'y avait pas eu de « changement quant aux circonstances » au sens de l'article 152a § 4 du code de procédure pénale (paragraphe 40 ci-dessous). Le deuxième recours contre la détention Entre le 2 et le 11 février 1998, à une date non précisée, l'avocat du requérant déposa par l'intermédiaire du parquet de district un deuxième recours contre la mise en détention provisoire de son client. Il relevait notamment que l'intéressé avait reconnu le vol, qu'il avait guidé la police jusqu'aux objets dérobés et s'était montré coopératif. De plus, il n'y avait selon lui pas de risque que l'inculpé prît la fuite, puisqu'il avait une épouse et un enfant en bas âge, ni de danger qu'il commît d'autres infractions, puisqu'il n'avait fait l'objet d'aucune condamnation antérieure et avait regretté ses actes. L'avocat ajoutait que les faits pertinents avaient déjà été établis et que le requérant n'était pas responsable des difficultés rencontrées par le ministère public pour déterminer la valeur exacte des bijoux, de sorte que le maintien en détention n'était nullement justifié. L'avocat, qui avait été désigné par l'intéressé en octobre 1997 pour remplacer son précédent défenseur, omit d'indiquer ses coordonnées postales et téléphoniques sur les documents du recours. Les parties n'ont pas précisé si ces informations figuraient sur d'autres pièces du dossier. Le 11 février 1998, le recours fut transmis au tribunal de district. Par une décision prise le vendredi 13 février 1998, le tribunal fixa une audience au lundi 16 février 1998, à 9 heures, et cita à comparaître le requérant en personne ainsi que le procureur. L'intéressé fut convoqué par le biais des autorités pénitentiaires. Le 16 février 1998, le tribunal de district entendit le requérant et le procureur. L'avocat de l'intéressé n'était pas présent. Le requérant déclara qu'il avait reconnu l'infraction, qu'il avait un enfant âgé de sept mois et souhaitait préserver sa famille. Il expliqua qu'au moment du vol il souffrait d'une dépression due à des problèmes financiers. Le tribunal de district refusa de le remettre en liberté, observant que les accusations portées contre lui avaient trait à une infraction majeure intentionnelle qui était passible d'une peine allant de trois à quinze ans d'emprisonnement et que l'article 152 § 1 du code de procédure pénale exigeait que les personnes inculpées de pareilles infractions fussent placées en détention provisoire. De plus, l'instruction était toujours en cours et il y avait donc un risque que l'intéressé prît la fuite ou tentât d'induire la justice en erreur. Le fait que celui-ci eût fait des aveux complets n'avait aucune incidence sur la question de savoir s'il devait être placé en détention provisoire. Le tribunal ajouta que l'argument du requérant relatif à sa famille ne pouvait servir de fondement à sa remise en liberté et que l'intéressé aurait dû penser à ses proches avant de perpétrer l'infraction en question. Le troisième recours contre la détention, puis la remise en liberté du requérant Le 1er avril 1998, l'intéressé déposa par l'intermédiaire du parquet de district un troisième recours contre son placement en détention provisoire. Le 8 avril 1998, le parquet transmit le recours au tribunal de district. Cette juridiction examina le recours le 13 avril 1998, en présence du requérant et de son avocat. Le procureur estima que l'intéressé devait être libéré. Observant que le requérant disposait d'une adresse permanente, qu'il n'avait pas fait obstacle à l'instruction et n'avait pas d'antécédents judiciaires, le tribunal de district décida de le libérer sous caution. Ladite juridiction déclara par ailleurs que selon le magistrat instructeur, la détention provisoire du requérant « avait produit ses effets ». En outre, il n'y avait pas de danger que celui-ci induisît la justice en erreur, puisque l'instruction était achevée, ni de risque qu'il prît la fuite compte tenu de sa situation familiale. Le requérant versa une caution et fut remis en liberté un jour non précisé d'avril 1998. (...) II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Arrestation et détention provisoire A l'époque des faits et jusqu'à la réforme du 1er janvier 2000, une personne arrêtée était conduite devant un magistrat instructeur qui déterminait s'il y avait lieu de la placer en détention provisoire. La décision du magistrat était soumise à l'approbation d'un procureur. Le rôle des magistrats instructeurs et des procureurs en droit bulgare est résumé aux paragraphes 25 à 29 de l'arrêt Nikolova c. Bulgarie ([GC], no 31195/96, CEDH 1999-II). Les bases légales de la détention provisoire sont exposées aux paragraphes 1 et 2 de l'article 152 du code de procédure pénale, lesquels, tels que libellés à l'époque pertinente, disposaient: « 1. La détention provisoire est ordonnée [pour les personnes accusées] d'une infraction majeure intentionnelle. Dans les cas relevant du paragraphe 1, il est possible de se passer de [détention provisoire] s'il n'y a pas de risque que la personne accusée prenne la fuite, entrave l'instruction ou commette d'autres infractions. » Aux termes de l'article 93 § 7 du code pénal, une infraction « majeure » est une infraction passible de plus de cinq ans d'emprisonnement. La pratique de la Cour suprême à l'époque pertinente (qui n'a plus cours en raison des amendements entrés en vigueur le 1er janvier 2000) consistait à interpréter l'article 152 § 1 du code de procédure pénale comme exigeant le placement en détention provisoire d'une personne inculpée d'une infraction majeure intentionnelle. Selon l'article 152 § 2, il n'était possible de déroger à cette règle que lorsqu'il était absolument certain que tout risque de fuite ou de récidive était objectivement exclu, comme lorsque le prévenu était gravement malade, âgé, ou déjà détenu pour d'autres motifs, par exemple pour purger une peine (décision no 1 du 4 mai 1992, affaire no 1/92, IIe Chambre, Bulletin 1992/93, p. 172 ; décision no 4 du 21 février 1995, affaire no 76/95, IIe Chambre ; décision no 78 du 6 novembre 1995, affaire no 768/95, IIe Chambre ; décision no 24, affaire no 268/95, Ire Chambre, Bulletin 1995, p. 149). B. Les recours contre la détention provisoire L'article 152a du code de procédure pénale, dans sa version en vigueur à l'époque pertinente, disposait : « 1. La personne détenue doit avoir la possibilité immédiate de saisir la juridiction compétente [Un amendement entré en vigueur le 24 octobre 1997 a remplacé les termes « un juge de la juridiction compétente » par les mots « la juridiction de première instance compétente »] d'un recours contre son [placement en détention provisoire], et ce dans le délai de sept jours après [l'adoption de l'ordonnance de mise en détention]. Le juge convoque les parties et statue lors d'une audience publique dans le délai de trois jours suivant la réception de l'acte de recours par la juridiction. Le recours doit être formé auprès de l'autorité ayant ordonné la mise en détention. Le jour de son dépôt, l'acte de recours est transmis à la juridiction accompagné de l'[ordonnance de mise en détention] et de toutes les pièces du dossier. La juridiction rend une décision non susceptible d'appel. Soit elle annule l'ordonnance de mise en détention et impose une autre mesure de contrôle [concernant la personne accusée], soit elle rejette le recours. Dans l'hypothèse d'un changement de circonstances, la personne détenue peut saisir la juridiction d'un nouveau recours contre l'[ordonnance de mise en détention]. » Selon la pratique suivie à l'époque par la Cour suprême, lorsqu'ils étaient saisis d'un recours contre une détention provisoire, les tribunaux n'avaient pas la faculté de rechercher s'il existait des éléments suffisants à l'appui des accusations portées contre le détenu. Ils devaient uniquement examiner la légalité de l'ordonnance de mise en détention (décision no 24 du 23 mai 1995, affaire no 268/95, Ire Chambre, Bulletin 1995, p. 149).
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1953 et réside à Bucarest. En 1931, les grands-parents du requérant achetèrent un terrain sis à Bucarest, sur lequel ils édifièrent une maison. En 1950, l’Etat prit possession du bien, en invoquant le décret de nationalisation no 92/1950. A. La première action en revendication En 1994, en qualité d’héritier, le requérant revendiqua, par une action civile introduite devant le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest, le bien immobilier susmentionné. Il faisait valoir qu’en vertu du décret no 92/1950, les biens des salariés ne pouvaient être nationalisés et que ses grands-parents étaient salariés au moment de la nationalisation de leur bien. Par jugement du 9 novembre 1994, le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest releva que c’était par erreur que le bien des grands-parents du requérant avait été nationalisé en application du décret no 92/1950, car ils faisaient partie d’une catégorie de personnes que ce décret excluait de la nationalisation. Le tribunal ordonna dès lors aux autorités administratives, à savoir la mairie de Bucarest, de le restituer au requérant. L’appel de la mairie de Bucarest fut rejeté le 26 janvier 1995 par le tribunal départemental de Bucarest. Le tribunal releva que l’action introduite par le requérant était une action en revendication, fondée sur l’article 480 du Code civil, lequel protégeait le droit de propriété et jugea que les tribunaux n’auraient pu refuser de se prononcer sur un tel litige sans commettre un déni de justice au sens de l’article 3 du Code civil roumain. En l’absence de recours, le jugement devint définitif et irrévocable. Le 22 mars 1995, le maire de la ville de Bucarest ordonna la restitution du bien au requérant. Le 19 juin 1995, le requérant vendit deux des trois appartements de l’immeuble : l’un à sa mère, Mme G., (l’appartement no 3 situé au deuxième étage), et l’autre à R.I. et R.E. (l’appartement no 2 situé au premier étage). Par une clause stipulée dans les deux contrats de vente, le requérant reste propriétaire du sous sol, du rez-de-chaussée de l’immeuble et du terrain afférent. Selon les informations fournies par le Gouvernement, les acheteurs des appartements nos 2 et 3 de l’immeuble ont inscrit, le jour même, leur droit de propriété. B. Le recours en annulation formé par le procureur général A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma un recours en annulation contre le jugement du 9 novembre 1994, devant la Cour suprême de justice, au motif que les tribunaux avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application du décret no 92/1950. Par arrêt du 15 décembre 1995, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation, cassa le jugement et, sur le fond, rejeta l’action en revendication du requérant. Elle constata que l’Etat s’était approprié le bien en question en vertu du décret de nationalisation no 92/1950 et jugea que l’application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les juridictions. Par conséquent, le tribunal de première instance de Bucarest n’avait pu rendre son jugement constatant que le requérant était le véritable propriétaire du bien qu’en empiétant sur les attributions du pouvoir législatif. La Cour suprême de justice conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était approprié abusivement. Il ressort des informations fournies par le requérant que le 3 novembre 1996, la mairie de Bucarest ordonna l’annulation de la décision administrative du 22 mars 1995 concernant la restitution du bien. C. La demande en restitution formée en vertu de la loi no 112/95 A une date non précisée, le requérant déposa une demande de restitution auprès de la commission administrative pour l’application de la loi no 112/1995 (ci-après « la commission administrative ») de Bucarest. Il fit valoir que ses grands-parents avaient été dépossédés de leur bien en 1950, en violation du décret de nationalisation no 92/1950, que le tribunal de première instance de Bucarest, dans son jugement définitif du 9 novembre 1994, avait jugé cette privation de propriété illégale et qu’il était dès lors en droit de se voir réintégrer dans son droit de propriété sur l’ensemble de l’immeuble. 22. Par une décision du 19 janvier 1998, la commission administrative décida la restitution en nature de l’appartement no 1 (qu’il habitait en tant que locataire dépuis 1990) et accorda au requérant un dédommagement pour les appartements nos 2 et 3. Le 5 mars 1998, le requérant forma une contestation contre cette décision. Devant le tribunal de première instance de Bucarest, il critiqua le refus de la commission administrative de lui restituer l’ensemble de l’immeuble et l’absence de motivation de ce refus. Par jugement du 26 septembre 2000, le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest fit droit à la contestation du requérant, annula la décision administrative du 19 janvier 1998 et ordonna à la commission de rendre une autre décision sur la restitution en nature de l’immeuble en entier, au motif qu’il constituait une seule unité locative. La mairie de Bucarest interjeta appel contre ce jugement. Par décision du 26 mars 2001, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’appel de la mairie pour défaut de qualité à agir. Le tribunal retint que la mairie n’avait pas la capacité pour former appel contre une décision rendue dans un litige entre le requérant et le Conseil général municipal de Bucarest « CGMB ». Le recours de la mairie contre cette décision fut rejeté par arrêt du 3 décembre 2001 de la cour d’appel de Bucarest, pour le même motif. Le jugement du 26 septembre 2000 devint ainsi définitif. Par décision administrative du 9 octobre 2000, la mairie de Bucarest décida de modifier la décision antérieure, et de ne restituer en nature au requérant que l’appartement no 1 de l’immeuble et lui allouer un dédommagement d’un montant de 208.838.677 lei pour les appartements nos 2 et 3. D. Les actions en annulation des contrats de vente faites par l’Etat en faveur des locataires des appartements nos 2 et 3 de l’immeuble Le 2 septembre 2002, à la suite de la demande du requérant en vue de l’exécution du jugement définitif du 26 septembre 2000, la mairie de Bucarest informa le requérant de ce que l’exécution de ce jugement était impossible, car en vertu de la loi no 112/95, l’Etat avait vendu les appartements nos 2 et 3 aux locataires de l’Etat, par contrats de vente des 20 janvier 1997 et 10 janvier 1997. Par la même lettre, la mairie informa le requérant de ce qu’il était déjà propriétaire de l’appartement no 1 et du terrain afférent, en vertu de la décision du 9 octobre 2000 de la commission administrative. Selon les informations fournies par le requérant, il a formé deux actions en annulation des contrats de vente conclus entre l’Etat et les locataires des appartements nos 2 et 3, qui sont pendantes. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE La requérante était une ressortissante roumaine, née en 1900 et décédée en 1996. A l’époque des faits, elle résidait à Bucarest. A. La première action en revendication de propriété En 1994, la requérante saisit le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest d’une action en revendication immobilière. Elle faisait valoir qu’en 1942, elle avait acheté un immeuble sis à Bucarest, composé d’une maison comportant deux appartements et du terrain y afférent, que l’Etat s’était approprié abusivement en 1950, invoquant les dispositions du décret no 92/1950. Or, au moment de la nationalisation, elle était femme au foyer, et, en application de l’article II dudit décret, ses biens étaient exclus de la nationalisation. 13. Par jugement du 23 juin 1994, le tribunal releva que c’était par erreur que l’immeuble de la requérante avait été nationalisé, car elle faisait partie d’une catégorie de personnes que le décret no 92/1950 excluait des actions de nationalisation. Le tribunal constata ensuite que la possession exercée par l’Etat était fondée sur la violence et, par conséquent, jugea que l’Etat ne pouvait pas se prévaloir d’un titre de propriété fondé sur l’usucapion. Les juges décidèrent également que l’Etat n’aurait pas pu non plus s’approprier l’immeuble en application des décrets nos 218/1960 et 712/1966, car ces textes étaient contraires respectivement aux Constitutions de 1952 et 1965. Le tribunal ordonna dès lors aux autorités administratives, à savoir le conseil municipal de la ville de Bucarest et l’entreprise d’Etat C., gérant de logements d’Etat, de restituer à la requérante son immeuble. Le conseil municipal de la ville de Bucarest interjeta appel. Le 13 novembre 1994, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’appel. En l’absence de recours, le jugement du 23 juin 1994 devint définitif, ne pouvant plus être attaqué par les voies de recours ordinaires. A une date non précisée, le procureur général forma devant la Cour suprême de Justice un recours en annulation contre ledit jugement, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application du décret no 92/1950. Par arrêt du 14 décembre 1995, la Cour suprême de Justice annula le jugement du 23 juin 1994 et rejeta l’action de la requérante. Elle souligna que la loi était un moyen d’acquisition de la propriété, constata que l’Etat s’était approprié l’immeuble en question le jour même de l’entrée en vigueur du décret de nationalisation no 92/1950 et rappela que l’application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les instances judiciaires. Par conséquent, la Cour suprême estima que le tribunal de première instance de Bucarest n’avait pu rendre son jugement constatant que la requérante était la véritable propriétaire de la maison qu’en modifiant le décret susmentionné et, dès lors, en outrepassant ses attributions et en empiétant sur celles du pouvoir législatif. La Cour suprême conclut en soulignant que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était appropriés abusivement. Après l’arrêt de la Cour suprême, la requérante continua d’occuper en tant que locataire l’appartement no 2, situé à l’étage de l’immeuble litigieux. Le 3 novembre 1996, l’Etat conclut avec M. Teodor Ardelean, en vertu de la loi no 112/1995, un contrat de vente de l’appartement no 1 de l’immeuble, situé au rez-de-chaussée, appartement que l’acquéreur occupait déjà depuis plusieurs années en tant que locataire. B. L’action en restitution de propriété fondée sur la loi no 112/1995 Le 9 mai 1996, la requérante déposa auprès de la commission administrative pour l’application de la loi no 112/1995 (ci-après « la commission administrative ») une demande de restitution en nature de la partie de son immeuble qu’elle occupait en tant que locataire. Elle demanda également l’octroi d’un dédommagement pour le reste de son immeuble. Par une décision du 23 juin 1997, la commission administrative fit droit à sa demande. Elle lui restitua l’appartement no 2, situé à l’étage, que la requérante occupait en tant que locataire, et lui accorda un dédommagement pour le reste de l’immeuble, à savoir l’appartement no 1, situé au rezdechaussée. Eu égard à l’article 12 de la loi no 112/1995 plafonnant les dédommagements, et compte tenu du plafond en vigueur en novembre 1997, la Commission administrative octroya à la requérante la somme de 49 722,315 lei. A une date non précisée, la requérante contesta cette décision devant le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de Bucarest, demandant la restitution intégrale de son immeuble, et, de façon subsidiaire, contestant le montant du dédommagement. Par jugement avant-dire-droit du 3 mars 1999, cette procédure fut suspendue compte tenu de ce que la requérante avait entre temps introduit une action en revendication de l’appartement no 1 de son immeuble, fondée sur les dispositions du droit commun. Il ne résulte pas des informations dont dispose la Cour si cette procédure a été reprise, ni si la requérante a encaissé les dédommagements qui lui avaient été octroyés par décision de la commission administrative. C. L’action en revendication de l’appartement no 1 Le 16 février 1999, Mme Maria Cristina Chiriacescu introduisit devant le tribunal de première instance du cinquième arrondissement de la ville de Bucarest, en tant qu’héritière de la requérante, une action en revendication de l’appartement no 1 de son immeuble (situé au rez-de-chaussée), à l’encontre du Conseil général de la ville de Bucarest et des anciens locataires dudit appartement, M. et Mme Ardelean. Par jugement du 11 février 2000, le tribunal départemental de Bucarest, auquel l’affaire fut renvoyée par le tribunal de première instance, rejeta sa demande. Il jugea que la nationalisation de l’immeuble litigieux avait été conforme aux exigences du décret de nationalisation no 92/1950 et que, dès lors, la loi applicable au litige était la loi no 112/1995. Or, en vertu de cette loi, il était loisible à l’intéressée de se voir octroyer un dédommagement pour l’appartement qu’elle revendiquait, et non pas d’en obtenir la restitution en nature. Ce jugement fut confirmé en appel, le 21 septembre 2000, par la cour d’appel de Bucarest, qui estima, en outre, que les anciens locataires de l’appartement revendiqué, M. et Mme Ardelean, avaient été de bonne foi lorsqu’ils l’avaient acheté et, en recours, par un arrêt définitif de la Cour suprême de Justice du 3 juillet 2002. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
La requérante est née en 1935 et réside à Chateauneuf (Vendée). A. Les procédures administratives consécutives aux internements de la requérante La requérante fit l'objet de quatre procédures d'internement successives. Elle fut internée pour la première fois le 2 mai 1966, dans le cadre d'un placement volontaire au centre hospitalier spécialisé de Maison Blanche. Le 11 novembre 1974, elle fut amenée par la police au centre prophylactique d'orientation et d'accueil (CPOA) du centre hospitalier spécialisé de Sainte-Anne, où un médecin décida son transfert au centre hospitalier spécialisé (CHS) de Ville d'Evrard où elle fut admise en placement volontaire jusqu'au 8 janvier 1975. Le 12 novembre 1979, la requérante fut admise en hospitalisation libre au CHS de Ville d'Evrard. A l'issue de son hospitalisation, le 24 décembre 1979, elle fut admise en post-cure dans une maison de repos où elle séjourna plusieurs mois. Le 22 février 1985, le commissaire de police de Saint-Ouen ordonna le transfert de la requérante au CPOA de Sainte-Anne. Celle-ci fut ensuite à nouveau hospitalisée au CHS de Ville d'Evrard du 22 février au 19 avril 1985. A la suite de ces internements, la requérante présenta de nombreux recours devant les juridictions administratives. Première procédure S'agissant de son deuxième internement, la requérante déposa le 17 mars 1989 un recours tendant à l'annulation de la mesure de transfert d'office par la police au CHS de Sainte-Anne. Par jugement du 4 juillet 1990, le tribunal administratif de Paris estima que l'urgence justifiant la mesure était établie par certificat médical et rejeta la requête. La requérante déposa le 29 octobre 1990 un recours contre cette décision devant le Conseil d'Etat. Le 18 décembre 1990, le Groupe information asiles (GIA) fit une demande d'intervention. Il produisit des observations les 4 et 9 avril 1991. Le 4 mai 1991, la requérante produisit des pièces nouvelles. Le 15 mai 1991, l'aide juridictionnelle fut refusée à la requérante. Celle-ci produisit de nouvelles pièces les 12 septembre 1991 et 14 mai 1993. Par arrêt du 31 juillet 1996 notifié le 25 septembre 1997, le Conseil d'Etat annula ledit jugement en ce qu'il avait omis de statuer sur une partie de la demande de la requérante et rejeta la demande au fond. Deuxième procédure S'agissant de son premier internement au CHS de Maison Blanche, la requérante saisit le tribunal administratif de Paris le 16 mars 1988, d'une demande visant à voir annuler la décision d'admission en placement volontaire prise par le directeur du CHS de Ville d'Evrard le 2 mai 1966. Par jugement du 4 juillet 1990, le tribunal fit droit à ses conclusions et annula la décision comme étant illégale. Le 12 décembre 1990, le CHS fit appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris. Le 19 décembre 1990, le président de la cour administrative d'appel de Paris rendit une ordonnance transférant la requête au Conseil d'Etat. Les 18 avril, 4 mai et 13 juin 1991 ainsi que les 18 février 1992 et 19 mars 1993, la requérante produisit de nouvelles pièces. Par arrêt du 31 juillet 1996, notifié le 25 septembre 1997, le Conseil d'Etat joignit la requête à la première procédure pour statuer par une seule décision. Il rejeta la demande du CHS. Troisième procédure S'agissant de son troisième internement, la requérante demanda le 8 novembre 1990 au tribunal administratif de Paris l'annulation de la décision d'admission au CHS du 12 novembre 1979. Elle produisit des mémoires les 9 octobre 1992, 24 mai 1993 et 3 février 1994. Le 7 juillet 1995, le tribunal administratif de Paris rendit un jugement joignant ce recours à deux autres requêtes déposées ultérieurement (voir cinquième procédure ci-dessous). Il annula cette décision comme étant dépourvue de base légale et alloua à la requérante 2 000 francs français (FRF) au titre des frais pour ses trois recours. Quatrième procédure S'agissant de son dernier internement, la requérante présenta un recours le 27 octobre 1988 devant le tribunal administratif tendant à obtenir l'annulation du titre exécutoire émis son encontre, en vue du recouvrement des frais d'hospitalisation mis à sa charge. Par jugement du 4 juillet 1990, le tribunal rejeta sa demande. Entre-temps, le 16 février 1989, la requérante avait déposé une nouvelle demande devant le tribunal administratif de Paris. Par ordonnance du 1er mars 1991, le président de section constata que cette nouvelle demande était la même que celle ayant fait l'objet du jugement du 4 juillet 1990, qu'elle était donc sans objet et qu'il n'y avait lieu à y statuer. Le 6 novembre 1990, la requérante fit appel contre le jugement du 4 juillet 1990. Le 29 janvier 1991, l'aide juridictionnelle lui fut refusée. Une nouvelle demande d'aide juridictionnelle fut rejetée le 22 avril 1992. Le 30 avril 1992, l'affaire fut rayée du rôle. Le 4 septembre 1992, la requérante déposa de nouvelles pièces. Le 22 septembre 1992, l'affaire fut à nouveau rayée du rôle. Le 14 octobre 1992, l'avocat de la requérante produisit son mémoire, le représentant du défendeur déposa le sien le 17 novembre 1992. La cour administrative d'appel de Paris rendit le 11 mai 1993 un arrêt rejetant la demande de la requérante. Cinquième procédure Le 8 novembre 1990, la requérante déposa devant le tribunal administratif une demande d'annulation, d'une part, de la décision du commissaire de police en date du 22 février 1985 ordonnant son placement, d'autre part, de la décision du directeur du CHS de Ville d'Evrard l'admettant ce même jour dans son établissement. Elle déposa des pièces les 12 mars 1991, 19 octobre 1992 et 24 mai 1993. Le 7 juillet 1995, le tribunal administratif de Paris rendit un jugement joignant ces deux recours à celui déposé le 8 novembre 1990 (voir troisième procédure ci-dessus). Il annula ces deux décisions comme étant dépourvues de base légale et alloua à la requérante 2 000 FRF au titre des frais pour les trois recours. B. La procédure judiciaire en responsabilité civile Après avoir été licenciée de son travail pour inaptitude définitive au mois de septembre 1987, la requérante présenta cinq recours indemnitaires devant le tribunal de grande instance de Bobigny. Considérant avoir fait l'objet d'internements illégaux et abusifs, de soins inapropriés et néfastes et de pression morale de la part de son employeur, la requérante assigna par actes des 6, 7, 9 et 23 juin et 18 juillet 1989, en responsabilité et dommages et intérêts, devant le tribunal de grande instance de Bobigny, les directeurs des CHS de Ville d'Evrard et de Maison Blanche, la maison de repos, treize médecins dont le médecin du travail, une assistante sociale, son ancien employeur et l'agent judiciaire du Trésor. Les personnes ou établissements intimés déposèrent leurs conclusions entre le 20 juillet 1989 et le 8 juin 1990. La requérante déposa des conclusions le 24 mars 1990. Faute pour la requérante d'avoir conclu à nouveau après le dernier dépôt de conclusions des défendeurs, et après qu'une injonction de conclure lui ait été délivrée, l'affaire fut rayée du rôle le 15 novembre 1990. Après réinscription, l'affaire fut de nouveau rayée le 3 octobre 1991. Elle fut réinscrite au rôle après l'intervention du nouveau conseil de la requérante au titre de l'aide juridictionnelle. Le 16 novembre 1991, les cinq procédures furent jointes. La requérante déposa ses conclusions les 13 décembre 1991 et 17 janvier 1992. Le groupe information asile (GIA) déposa des conclusions en intervention volontaire le 24 mars suivant. Les défendeurs demandèrent, entre le 25 mars 1992 et le 21 avril 1992, des délais pour conclure. L'agent judiciaire du Trésor déposa ses conclusions les 23 avril et 20 mai 1992. Le 29 avril 1992, la requérante assigna un nouveau médecin. Ce dernier et la requérante furent convoqués le 21 mai 1992. Des ordonnances de jonction et de clôture furent rendues le 4 juin 1992. Par jugement du 9 juillet 1992, le tribunal se déclara incompétent pour connaître des demandes formées contre les établissements et médecins du service public à raison des traitements et soins administrés en dehors des périodes de placement et hospitalisation dans les centres hospitaliers spécialisés, et considéra qu'il n'était pas valablement saisi à l'encontre de cinq médecins et de la maison de repos. Le 16 septembre 1992, le conseil de l'un des défendeurs demanda un report d'audience. Deux autres défendeurs déposèrent leurs conclusions respectivement les 20 octobre et 2 novembre 1992. Le 13 novembre 1992, la requérante assigna trois nouveaux médecins en intervention forcée. Une audience de mise en état eut lieu le 26 novembre 1992. Les 5 janvier, 2 février et 17 mars 1993, des défendeurs demandèrent un délai pour conclure. Le 13 janvier 1993, la requérante réassigna un médecin. Elle déposa ses conclusions le 20 janvier 1993. Les 18 mars et 29 avril 1993, la requérante et trois défendeurs furent convoqués en vue de la jonction de la procédure à la procédure principale. Le 13 mai 1993, une ordonnance joignit les procédures. Le 1er juin 1993, la requérante régularisa son assignation à l'égard d'une maison de repos. Entre le 18 et le 29 juin 1993, la requérante et des défendeurs déposèrent des conclusions. Le 30 juin 1993, le conseil d'un défendeur présenta une demande de délai. Le 29 juillet 1993, la requérante et la société d'aide à la santé mentale furent convoquées. Le 13 septembre 1993, le directeur du CHS de Maison Blanche assigna le département de Paris en garantie. Le même jour, il déposa ses conclusions. Le 22 septembre 1993, il demanda le renvoi de l'audience. Le 23 septembre 1993, une ordonnance de jonction de procédure fut rendue concernant la société d'aide à la santé mentale. Des conclusions furent déposées par des défendeurs les 28 septembre et 23 novembre 1993. Le 29 novembre 1993, les parties furent convoquées à l'audience de mise en état du 20 janvier 1994. Le 28 décembre 1993, le département de Paris constitua avocat et sollicita un report d'audience. Il déposa des conclusions les 23 mars, 25 mai et 26 octobre 1994. D'autres défendeurs déposèrent des conclusions les 11 août et 24 octobre 1994. L'ordonnance de clôture fut rendue le 27 octobre 1994. L'audience eut lieu le 24 novembre 1994. Le 26 janvier 1995, le tribunal rendit son jugement au fond. Il estima que l'action était prescrite à l'encontre de l'Etat, du département et de la ville de Paris pour les hospitalisations de 1966, 1974, 1979 et 1985. Pour ce qui est de l'action dirigée contre les médecins, le tribunal ne releva aucune faute et rejeta les demandes. Il les rejeta également concernant l'employeur, le médecin du travail et l'assistante sociale. Le GIA fit appel de ce jugement le 10 mai 1995. Les défendeurs constituèrent avoué entre le 26 mai et le 29 juin 1995. L'affaire fut rayée le 5 janvier 1996, faute pour le GIA d'avoir conclu dans les délais impartis. Le 7 mai 1996, la demande d'aide juridictionnelle présentée le 29 février précédent par la requérante fut rejetée car celle-ci n'avait pas fourni les pièces demandées. Le 4 juin 1996, la requérante obtint l'aide juridictionnelle totale pour faire appel du jugement de première instance devant la cour d'appel de Paris. Elle déposa des conclusions le 21 avril 1997. Le département de Paris déposa les siennes le 2 mai 1997. Le 4 décembre 1997, une injonction de conclure fut adressée au directeur du CHS de Ville d'Evrard. Le 21 janvier 1998, le conseil de l'agent judiciaire du Trésor somma la requérante de lui fournir les pièces produites à l'appui de son appel. Le conseil du CHS de Ville d'Evrard fit de même et déposa ses conclusions le 21 avril 1998. Le département de Paris déposa des conclusions signifiées le 2 mai 1997 et le CHS de Ville d'Evrard déposa les siennes qui furent signifiées le 21 avril 1998. Le 15 novembre 1999, la requérante fut informée de ce qu'un nouveau représentant avait été désigné au titre de l'assistance juridictionnelle. Par conclusions d'incident du 3 mai 2000, le CHS de Ville d'Evrard invoqua l'irrecevabilité de l'appel formé par le GIA et, par voie de conséquence, l'irrecevabilité de l'appel formé par la requérante. L'incident d'irrecevabilité fut plaidé à l'audience du 20 octobre 2000. Il semble ressortir des pièces du dossier qu'en novembre 2000, la cour d'appel de Paris déclara l'appel irrecevable.
0
0
1
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Résumé des événements Le 12 décembre 1995, le tribunal régional (oблacний суд) d’Ivano-Frankivsk reconnut le requérant coupable du meurtre de quatre personnes, le condamna à mort et ordonna la confiscation de ses biens. Le 22 février 1996, la Cour suprême (Верхoвний суд) confirma le jugement de la juridiction de première instance. Les autorités responsables des quartiers d’isolement à la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk (Адміністрація слідчого ізолятору Управління міністерства внутрішніх справ) transférèrent le requérant dans l’une des cellules réservées aux condamnés à mort. Le 11 mars 1997, le président de l’Ukraine décréta un moratoire sur les exécutions. Par une décision no 11pп/99 du 29 décembre 1999, la Cour constitutionnelle de l’Ukraine jugea contraires à la Constitution ukrainienne les dispositions du code pénal relatives à la peine capitale. Les condamnations à mort furent en conséquence commuées en peines de réclusion à perpétuité par la loi no 1483-III du 22 février 2000. Le 2 juin 2000, le tribunal régional d’Ivano-Frankivsk commua la peine de mort à laquelle le requérant avait été condamné en peine de réclusion à perpétuité. B. Les faits Les faits de la cause relatifs aux conditions de détention du requérant à la prison d’Ivano-Frankivsk et aux événements qui s’y sont déroulés pendant son incarcération sont controversés. La version des faits donnée par le requérant est exposée aux paragraphes 17 à 23 ci-dessous. Les faits tels que le Gouvernement les a décrits figurent aux paragraphes 24 à 30 ci-après. Le descriptif des pièces produites devant la Commission et la Cour se trouve aux paragraphes 31 à 58 ci-dessous. Compte tenu de la controverse entourant les conditions de détention du requérant et les événements qui se sont déroulés à la prison d’Ivano-Frankivsk, la Commission, appliquant l’ancien article 28 § 1 a) de la Convention, a mené sa propre enquête en vue d’établir les faits. Pour ce faire, elle a examiné un certain nombre de pièces produites par le requérant et par le Gouvernement à l’appui de leurs assertions respectives et a désigné trois délégués qu’elle a chargés de recueillir la déposition de témoins qui furent entendus à Kiev, dans les locaux du ministère de la Justice, les 23 et 26 novembre 1998, ainsi qu’à Ivano-Frankivsk, les 24 et 25 novembre 1998. L’appréciation des preuves à laquelle la Commission a procédé ainsi que ses constatations se trouvent résumées aux paragraphes 59 à 75 ci-dessous. Les faits tels qu’ils ont été exposés par le requérant Le 12 décembre 1995, le tribunal régional d’Ivano-Frankivsk reconnut le requérant coupable d’un quadruple meurtre, le condamna à mort et ordonna la confiscation de ses biens. A la suite de ce jugement de première instance, l’intéressé fut placé dans une cellule séparée. Il ne fut pas autorisé à écrire à sa famille ni à voir son avocat, qu’il demanda plusieurs fois à rencontrer. Le 22 février 1996, la Cour suprême confirma le jugement de la juridiction de premier degré. Le requérant fut transféré dans une cellule réservée aux condamnés à mort sur décision de l’administration des quartiers d’isolement du ministère de l’Intérieur. Le 30 mars 1996, son avocat demanda l’autorisation de lui rendre visite pour lui faire part de la décision que la Cour suprême avait rendue à son sujet. Le directeur de la prison la lui refusa. Les conditions d’internement des personnes condamnées à la peine capitale étaient régies par la loi de 1993 sur la détention provisoire (ci-après « la loi ») ainsi que par une instruction du 20 avril 1998 (ci-après « l’instruction ») dont les dispositions, gardées rigoureusement secrètes, interdisaient aux détenus de faire de l’exercice en plein air, de regarder la télévision, d’acheter des journaux et de recevoir des colis alimentaires de leurs proches. L’instruction en question avait en fait pour effet de priver le requérant des droits que reconnaissait la loi. Dans sa réponse à la plainte du père du requérant, qui dénonçait les conditions de détention de son fils, le sous-directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk se référa à l’instruction susmentionnée. En outre, selon les informations fournies par le sous-directeur de la prison au père du requérant, les dispositions de la loi n’étaient pas applicables à l’intéressé. Dans le cas contraire, il aurait été autorisé, en vertu des articles 9 § 1 et 13 de cette loi, à prendre quotidiennement de l’exercice en plein air, à recevoir des colis deux fois par mois et à regarder la télévision. Or cela lui a été strictement interdit entre 1995 et 1998. Il n’a en outre pas eu le droit d’envoyer et de recevoir du courrier jusqu’au mois de septembre 1997. Ce n’est qu’à ce moment-là que le sous-directeur de la prison informa verbalement la mère du requérant que son fils pouvait entretenir une correspondance. De surcroît, les autorités pénitentiaires refusèrent au père de l’intéressé l’autorisation de lui rendre visite le 29 mai et le 10 juin 1995 ainsi que le 31 juillet 1996, sans aucune explication. A partir du mois de juillet 1996, le droit de visite du père du requérant, qui pouvait auparavant rencontrer son fils jusqu’à deux heures tous les mois, fut réduit à une heure par trimestre. En ce qui concerne le droit, pour le requérant, de rencontrer un prêtre, son père et certains membres du clergé effectuèrent en vain de multiples démarches auprès des autorités pénitentiaires et de l’administration des quartiers d’isolement de la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk pour qu’il fût accordé. Le requérant soutient enfin qu’il a dénoncé à plusieurs reprises les conditions de sa détention et qu’il a demandé en vain aux autorités pénitentiaires l’autorisation de saisir la Commission européenne des Droits de l’Homme. Dans une lettre datée du 6 mars 1998 adressée à la Commission, le père du requérant indiqua qu’il avait vu son fils le 4 mars 1998 et que celui-ci l’avait informé qu’une commission du ministère de l’Intérieur avait procédé à une inspection à la mi-février 1998. Après le départ des inspecteurs, le requérant avait été transféré dans une cellule plus sommairement équipée et sale, dont la fenêtre était totalement occultée. Le seau destiné à les vidanger ayant été enlevé, il était impossible de nettoyer correctement les toilettes, ce qui occasionnait une odeur intolérable. En outre, le requérant n’avait reçu que 25 cl d’eau chaude pour le thé et du lait. Tous ses ustensiles de cuisine lui avaient été confisqués, ainsi que sa bible. Il lui avait été interdit de lire des périodiques et son bloc-notes lui avait été retiré, ainsi que son calendrier. Les faits tels qu’ils ont été exposés par le Gouvernement Le Gouvernement indique que le statut juridique des détenus condamnés à mort ainsi que les conditions de leur détention étaient fixés par la loi et par le code de procédure pénale. En application de l’article 8 de la loi, toute personne condamnée à la peine capitale devait être maintenue en détention à l’écart des autres prisonniers. La cellule dans laquelle le requérant avait été placé une fois sa condamnation devenue définitive était conforme aux règles fixées en matière d’équipement sanitaire et d’hygiène par l’article 11 de la loi : d’une superficie de 9 m2, elle était équipée d’une table, d’un lit, d’une radio, d’un chauffage, d’eau courante, de toilettes, et la qualité de l’éclairage, tant naturel qu’artificiel, y était satisfaisante. Le requérant recevait trois repas par jour et, outre divers articles d’usage quotidien, des vêtements et des chaussures d’une qualité standard avaient été mis à sa disposition. Une assistance médicale, des soins ainsi que des mesures prophylactiques et anti-épidémiques étaient organisés et mis en œuvre conformément à la législation sur la protection de la santé. En vertu de l’article 12 de la loi, les détenus condamnés à mort ne pouvaient en principe rencontrer les membres de leur famille ou d’autres personnes qu’une fois par mois, sur autorisation écrite du tribunal chargé de leur dossier. La durée des visites ne pouvait excéder deux heures. Les avocats et les conseillers juridiques des détenus pouvaient les rencontrer, après que la cour d’appel eut statué sur leur cas, moyennant l’autorisation du directeur de la direction centrale du ministère de l’Intérieur, du directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur ou de son adjoint responsable des quartiers d’isolement. L’article 12 de la loi ne limitait ni dans leur fréquence ni dans leur durée les entretiens des détenus avec leurs avocats respectifs. Le 13 décembre 1995, après le prononcé du jugement de première instance, les parents du requérant et son avocat furent autorisés à le rencontrer. Ses parents le virent le 15 décembre 1995, puis en janvier 1996 ; son avocat lui rendit visite le 21 décembre 1995 et le 7 janvier 1996. Entre le 22 février 1996 et le 29 décembre 1997, ses parents demandèrent à la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk l’autorisation de le rencontrer les 24 février, 4 mars, 5 avril, 4 mai, 2 juillet, 1er octobre, 18 novembre et 25 décembre 1996, ainsi que les 3 et 20 juin et le 19 septembre 1997. Ils furent autorisés à le voir le 24 février, le 5 mars, le 5 avril, le 4 mai, le 2 juillet, le 4 octobre et le 4 décembre 1996, ainsi que le 4 mars, le 4 juin, le 4 septembre et le 4 décembre 1997. L’avocat du requérant sollicita l’autorisation de s’entretenir avec son client le 25 avril, le 11 novembre, les 18 et 19 décembre 1996. Elle lui fut accordée pour une première visite le 7 mai 1996 et pour les suivantes aux dates qu’il avait demandées. Les condamnés à mort pouvaient envoyer autant de lettres qu’ils le voulaient. Sur les trente et une lettres que le requérant expédia entre 1995 et 1998, vingt-quatre concernaient son dossier pénal et sept furent adressées à sa famille. Le 17 septembre 1997, le requérant demanda pour la première fois à la direction régionale du ministère de l’Intérieur l’autorisation d’écrire à ses parents, ce qu’il fit les 19 et 26 novembre 1997, ainsi que le 31 décembre de la même année, puis les 5, 16, 20 et 30 janvier, 3 février, 11 mars, 6 avril, 15 mai, 17 juin, 6 juillet, 10 août, 15 septembre, 22 octobre, 13 novembre et 11 décembre 1998. Les lettres de ses parents lui furent remises les 18 et 29 septembre, 19 octobre, 20 novembre et 24 décembre 1997, les 16 et 26 janvier, 6, 10 et 23 février, 14 et 16 mars, 17 avril, 14 mai, 1er et 8 juin, 1er et 30 juillet, 20 août, 29 septembre, 10, 22 et 27 octobre, 4, 20, 26 et 30 novembre, et 4, 17 et 21 décembre 1998. Le Gouvernement soutient par ailleurs que le procureur général a mené une enquête approfondie sur les faits dénoncés par le requérant et ses parents dans leurs plaintes concernant les méthodes d’investigation illégales – à savoir des actes de torture, des traitements brutaux et inhumains – qui auraient été employées à l’encontre de l’intéressé. Les allégations en cause, non étayées, furent jugées infondées. En réalité, les plaintes du requérant, de ses parents, de son représentant et de son avocat furent enregistrées les 11 mars, 8 avril, 13, 14 et 29 mai, 24 juillet, 11 septembre et 25 octobre 1996, ainsi que les 5 et 17 mars, 19 mai et 25 juillet 1997. Elles reçurent une réponse les 20 et 23 mars, 23 et 24 avril, 23 mai, 27 juin, 1er août, 30 septembre et 14 novembre 1996, les 28 et 31 mars ainsi que le 20 mai 1997. En application de l’article 12 de la loi, l’échange de correspondance et la procédure auxquels avaient donné lieu les plaintes du requérant et de ses parents furent clos le 31 juillet 1997. C. Les pièces du dossier Par une lettre en date du 26 mai 1998, le directeur de la prison répondit à la plainte formulée par le père du requérant le 10 mai 1998 en l’informant que les condamnés à mort avaient le droit d’envoyer douze lettres par an. Il affirma en outre que l’intéressé avait été avisé de ses droits et de ses obligations. Par une lettre du 10 août 1998, le procureur régional d’Ivano-Frankivsk indiqua au père du requérant que les droits des personnes condamnées à mort en matière de visites et de correspondance étaient réglementés par l’instruction et non par la loi que ce monsieur avait mentionnée dans sa plainte. Le 4 septembre 1998, les parents du requérant écrivirent au procureur régional pour se plaindre notamment d’être restés trois mois sans voir leur fils, de n’avoir reçu aucune lettre de lui depuis le 5 juillet 1998, pour dénoncer les coups et les humiliations infligés au requérant et dont ils étaient au courant depuis le 2 septembre 1998, l’intervention du sous-directeur de la prison, M. Ivachko, pendant la visite qu’ils avaient rendue à leur fils le 2 septembre 1998 lorsque ce dernier avait parlé de ses conditions de détention, et l’interdiction qui lui avait été faite pendant dix-huit mois de rencontrer un aumônier, bien qu’il l’eût demandé à maintes reprises. Par une lettre du 10 septembre 1998, le procureur régional informa le père du requérant que le droit de l’intéressé aux visites et à la correspondance relevait de la législation nationale et que les actes de l’administration pénitentiaire s’inscrivaient dans le cadre de ces dispositions. Le 10 septembre 1998, le procureur régional adjoint d’Ivano-Frankivsk adressa au procureur général un rapport sur les conclusions de l’enquête qui avait été menée à la suite de la plainte du père du requérant dénonçant les agissements illégaux qu’aurait commis l’administration pénitentiaire relativement à la correspondance de son fils et à son droit aux visites. Ce rapport concluait que l’enquête n’avait décelé de la part de l’administration pénitentiaire aucune atteinte aux droits de l’intéressé. Le 11 septembre 1998, le père du requérant déposa une plainte auprès du directeur du département d’Etat de l’exécution des peines, M. Chtanko, qui lui répondit le 12 octobre 1998. Les faits dénoncés dans ce cas par le père du requérant étaient similaires à ceux dont il avait saisi le procureur régional le 4 septembre 1998. Selon M. Chtanko, l’intéressé avait été placé en cellule d’isolement pour avoir enfreint le règlement. Il ajouta que l’enquête diligentée n’avait pas permis d’établir que le requérant eût fait l’objet d’une quelconque contrainte physique ou que l’administration pénitentiaire l’eût humilié ou eût restreint ses droits, ce que l’intéressé avait lui-même reconnu. Son père fut aussi informé que les visites, notamment celles des prêtres, pouvaient être autorisées par la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk. Le 23 octobre 1998, les parents du requérant demandèrent au procureur régional, à la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk et au directeur de la prison de constituer une commission médicale composée de médecins indépendants en vue d’examiner l’état de santé de leur fils. Ils affirmèrent que les prisonniers étaient torturés et que cela avait conduit l’un d’entre eux à tenter de se suicider ou qu’on avait essayé de le tuer. Le 3 novembre 1998, le directeur de la prison informa les parents du requérant que leur demande avait été rejetée au motif qu’il n’existait aucun indice que la torture ou une autre forme de violence physique eût été employée contre l’intéressé dont l’état de santé était satisfaisant. Les 23 et 24 octobre 1998, les parents du requérant écrivirent à Mme Leni Fischer, alors présidente de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, pour se plaindre des tortures infligées à leur fils et à l’un de ses codétenus, M. Kouznetsov, qui auraient poussé ce dernier à tenter de se suicider. Ils alléguèrent que les deux prisonniers avaient été conduits à l’hôpital et que M. Kouznetsov était resté paralysé. Ils se plaignirent en outre qu’on les avait empêchés de voir leur fils. Par une lettre du 26 octobre 1998, les parents du requérant informèrent la Commission qu’« une tentative d’exécution illégale de deux prisonniers injustement condamnés, M. Kouznetsov et B. Poltoratski, a[vait] eu lieu dans la prison no BI 304/199 d’Ivano-Frankivsk, et [que] le Gouvernement a[vait] essayé d’étouffer cette affaire ». Selon un rapport médical manuscrit rédigé le 28 octobre 1998, et signé par le requérant, celui-ci ne présentait aucune trace de coups corporels et était dans un état de santé satisfaisant. Dans une déclaration manuscrite du 28 octobre 1998, le requérant indiqua que l’administration pénitentiaire le traitait correctement, qu’il n’avait pas subi de violences physiques, que toutes les mesures disciplinaires prises à son encontre étaient justifiées et que les allégations de ses parents n’étaient pas fondées. Le 29 octobre 1998, la direction régionale de l’exécution des peines du ministère de l’Intérieur établit un rapport en réponse à la plainte du père du requérant concernant les actes de torture allégués et à sa demande relative à la constitution d’une commission de médecins indépendants qui serait chargée d’examiner l’état de santé de son fils. Ce rapport indiquait que l’intéressé avait été examiné le 28 octobre 1998 par les médecins de la prison, qui n’avaient décelé chez lui aucune lésion physique, et qu’il avait déclaré ne pas avoir été torturé. Par une lettre du 30 octobre 1998, le sous-directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur informa la mère du requérant que sa plainte dénonçant les actes de torture qui auraient été infligés à son fils avait été examinée et jugée dénuée de tout fondement. L’examen médical du requérant n’ayant décelé aucune trace de torture, il n’y avait nulle raison de désigner une commission médicale pour enquêter sur les allégations. Par une lettre du 2 novembre 1998 adressée au procureur général, le procureur régional adjoint rendit compte des conclusions de l’enquête menée en rapport avec la plainte du père du requérant concernant les restrictions apportées à la correspondance et au droit de ce dernier aux visites, l’intervention des autorités pénitentiaires au cours de la visite que les parents avaient rendue à leur fils le 2 septembre 1998 et les tortures physiques qui auraient été infligées à celui-ci. S’agissant des mesures restrictives frappant la correspondance et le droit du requérant aux visites, la lettre du procureur régional adjoint indiquait que le père de l’intéressé s’était à tort fondé sur la loi dans la mesure où celle-ci ne s’appliquait pas à la catégorie de prisonniers dont son fils relevait, que l’intervention d’un membre de l’administration pénitentiaire était justifiée et que le requérant avait subi, le 25 septembre 1998, un examen médical approfondi qui n’avait révélé aucune lésion corporelle. La lettre en question précisait enfin que le requérant avait été placé en cellule d’isolement le 26 août 1998 pour avoir enfreint le règlement pénitentiaire en refusant de se laisser examiner par un surveillant au retour de sa promenade quotidienne à l’extérieur de sa cellule. Par une lettre du 20 novembre 1998, le procureur régional adjoint répondit à la plainte de la mère du requérant concernant les tortures physiques qui auraient été infligées à son fils et à sa demande de le voir examiner par un médecin. Il indiqua que l’examen médical subi par l’intéressé le 28 octobre 1998 avait démontré que les allégations en cause étaient infondées. Il ajouta que ce dernier avait confirmé les termes du rapport médical et l’avait signé. Par une lettre du 23 novembre 1998, le procureur régional informa le père du requérant qu’il avait été démontré que ses accusations concernant les actes illégaux qu’aurait commis l’administration pénitentiaire étaient infondées. Par une lettre du 30 novembre 1998, le sous-directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur informa le représentant du requérant, M. Voskoboïnikov, qu’il ne pouvait l’autoriser à rencontrer son client dans la mesure où ce dernier avait déjà reçu une visite de ses parents au cours du mois. Le 8 décembre 1998, le département d’Etat de l’exécution des peines adressa au père du requérant une lettre l’informant qu’une enquête approfondie avait conclu que sa plainte dénonçant une tentative d’exécution illégale de son fils était infondée et que l’état de santé de ce dernier était satisfaisant. Le 22 décembre 1998, le requérant demanda au directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur l’autorisation de rencontrer un prêtre, ce qui lui fut accordé. La visite de l’aumônier eut lieu le 26 décembre 1998. Par une lettre du 15 février 1999, le directeur de la prison indiqua au père du requérant que sa plainte du 22 janvier 1999 avait été examinée et que les condamnés à mort avaient droit à deux colis par an, mais à aucun colis alimentaire. Par une décision du 5 mars 1999, le doyen des procureurs rejeta la plainte pénale formée par les parents du requérant contre le procureur régional adjoint. Il refusa d’engager des poursuites pénales contre ce dernier en l’absence de preuve que celui-ci avait commis une infraction. Il déclara par ailleurs que les conditions de détention des personnes incarcérées dans le « couloir de la mort » n’étaient pas fixées par la loi mais par l’instruction dont les dispositions relevaient du secret d’Etat. Selon le registre de la prison, les parents du requérant sollicitèrent l’autorisation de rendre visite à leur fils le 19 septembre 1997, les 4 mars, 8 avril, 19 juin, 22 juillet, 2 novembre et 1er décembre 1998. Hormis celle du 19 juin 1998, leurs demandes furent acceptées les 7 octobre 1997, 4 mars, 22 avril, 20 août, 17 novembre et 11 décembre 1998. Les visites eurent lieu le 4 décembre 1997, les 4 mars, 12 juin, 2 septembre, 26 novembre 1998 et 4 janvier 1999. Le registre de la prison indique que le requérant adressa des lettres à ses parents les 17 septembre, 19 et 26 novembre et 31 décembre 1997, les 5, 16, 20 et 30 janvier, 3 février, 11 mars, 6 avril, 15 mai, 17 juin, 6 juillet, 10 août, 15 septembre, 22 octobre, 13 novembre et 11 décembre 1998. Il reçut des lettres de ses parents et d’autres personnes les 18 et 29 septembre, 19 octobre, 20 novembre, 24 décembre 1997, 16 et 26 janvier (deux lettres), les 6, 10, 17 et 23 février, 6, 14 et 16 mars, 6, 17, 20, 27 et 29 avril, 14 mai, 1er, 8 et 30 juin, 1er, 20 et 30 juillet, 20 août (deux lettres), 29 septembre, 10, 22 (deux lettres) et 27 octobre, 4, 13, 20, 26 et 30 novembre, 4, 17 et 21 décembre 1998. Dans une déclaration écrite non datée portant sa signature, le sous-directeur du quartier d’isolement, M. Y.M. Pavliouk, signala qu’entre le 11 septembre 1997 et le 18 décembre 1998, ni le requérant ni ses parents n’avaient demandé que l’intéressé fût autorisé à voir un aumônier et qu’aucun membre du clergé n’avait sollicité pareille rencontre. Le carnet de santé du requérant indique que celui-ci subit une radiographie et une analyse de sang le 23 avril 1998. Il fut examiné par un psychiatre de la prison les 25 septembre, 1er et 28 octobre, 9, 19 et 27 novembre, 3, 10, 17 et 24 décembre 1998. Le 2 mai 2000, le père du requérant, agissant en qualité de représentant légal de son fils, écrivit à M. Boïko, directeur du département régional de l’exécution des peines du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk, pour lui demander de l’autoriser à avoir avec l’intéressé un entretien confidentiel en vue de discuter de certains points relatifs à la requête dont il avait saisi la Cour européenne des Droits de l’Homme. Il réitéra sa demande le 15 mai 2000 et fut autorisé à rendre visite à son fils, dans les conditions habituelles, le 5 juin 2000. Le 16 mai 2000, le père du requérant se plaignit au ministre adjoint de l’Intérieur de l’absence de réponse à sa demande d’entretien confidentiel du 2 mai 2000. Par une lettre du 14 juillet 2000, M. V.A. Liovotchkine, sous-directeur du département d’Etat de l’exécution des peines, lui répondit que M. Boïko l’avait autorisé à rencontrer son fils le 5 juin 2000 et que la visite avait eu lieu le jour dit. Il ajouta que, en vertu de l’article 40 du code du travail rééducatif, un avocat pouvait être autorisé à s’entretenir confidentiellement avec son client sur présentation de sa licence professionnelle et de sa carte d’identité. D. Appréciation des preuves et constatations effectuées par la Commission Les faits de la cause étant controversés, la Commission a mené une enquête, avec l’assistance des parties, et a recueilli les dépositions orales des témoins suivants : le requérant, ses parents, M. Bronislav S. Stitchinski, ministre adjoint de la Justice, M. Drichtchenko, procureur général adjoint, M. Ivan V. Chtanko, ministre adjoint de l’Intérieur, M. Petro A. Yaremkiv, directeur de la prison d’Ivano-Frankivsk, M. Bogdan V. Katchour, médecin de la prison, M. Stanislav V. Prokhnitski, auxiliaire médical, M. Youri M. Pindous, assistant du directeur de la prison, qui était de service le 3 septembre 1998, M. Fedir O. Savtchouk, assistant du directeur de la prison, qui était présent dans la nuit du 2 au 3 septembre 1998, M. Igor P. Ivachko, sous-directeur de la prison, M. Yaroslav M. Pavliouk, sous-directeur du quartier d’isolement de la prison, M. Valentin M. Nabiouline, directeur du département de supervision des quartiers d’isolement et des établissements pénitentiaires auprès de la direction de l’exécution des peines, M. Olexand V. Kmyta, sous-directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk, et M. Anatoli O. Boïko, directeur du département régional de l’exécution des peines du ministère de l’Intérieur à Ivano-Frankivsk. Les constatations de la Commission peuvent se résumer comme suit. Les sévices que le requérant aurait subis de la part d’agents de l’administration pénitentiaire Le requérant a déclaré aux délégués qu’il avait été battu le 2 septembre 1998, après la visite que ses parents lui avaient rendue ce jour-là et au cours de laquelle il leur avait dit avoir été frappé et traité d’animal. Ses parents ont signalé aux délégués que, le 2 septembre 1998, leur fils leur avait dit qu’il avait reçu des coups et avait subi des humiliations. La Commission a cependant relevé que devant les délégués le requérant avait nié avoir été battu avant le 2 septembre 1998. En conséquence, elle a estimé non établi que le requérant avait été frappé avant le 2 septembre 1998. S’agissant des événements qui se sont produits le 2 septembre 1998, le requérant a affirmé aux délégués qu’après la visite de ses parents il avait été conduit à la « salle de cinéma » où l’attendaient quatre personnes armées de matraques, dont le sous-directeur du quartier d’isolement, M. Pavliouk, de service ce jour-là. Elles lui demandèrent par trois fois de tout leur dire, ce qu’il refusa, et le frappèrent aux jambes, aux hanches, au dos et à la poitrine. De retour dans sa cellule, il écrivit jusqu’au matin sur quatre pages qui furent insérées dans un dossier. Le requérant a en outre indiqué qu’il avait été battu les 10, 14 et 22 septembre 1998. Un jour, au cours d’une fouille de routine de sa cellule, on l’en fit sortir et on lui ordonna de se dévêtir pour qu’on pût examiner ses vêtements. Il se déshabilla entièrement et on le frappa. On lui ordonna de s’étendre par terre, le visage contre le sol et les mains derrière la tête. Devant les délégués, le requérant a mentionné le nom de K.Y. Hrevnin. La Commission a estimé que la déposition du requérant comportait un certain nombre de précisions et d’éléments qu’elle ne s’attendrait pas à trouver dans un récit forgé de toutes pièces. Elle a cependant relevé qu’il n’existait aucune trace d’un quelconque fait pouvant se rattacher aux mauvais traitements décrits par l’intéressé. Elle a reconnu que le requérant, comme il l’avait déclaré, pouvait avoir eu peur de se plaindre ou d’écrire à quiconque. Toutefois, la Commission a jugé difficile d’accepter cet argument, l’intéressé n’ayant pas craint, le 2 septembre 1998, de dire à ses parents qu’il avait été battu. En outre, le psychiatre de la prison qui l’avait examiné le 25 septembre 1998 n’a relevé aucun problème quant à son état de santé et n’a détecté aucune lésion corporelle. La Commission a noté que la déclaration médicale du 28 octobre 1998 signée par le requérant indiquait que l’intéressé ne portait aucune trace de coups et que son état de santé était satisfaisant. La Commission a en outre relevé que le requérant avait signé une attestation datée du 28 octobre 1998 dans laquelle il déclarait que l’administration pénitentiaire l’avait correctement traité, qu’il n’avait subi aucune violence physique, que toutes les mesures disciplinaires prises à son encontre étaient justifiées et que les plaintes de ses parents n’avaient aucun fondement. La Commission a tenu compte du fait que devant les délégués le requérant avait rétracté son attestation et elle a souligné que la pratique de l’administration pénitentiaire consistant à exiger des détenus qu’ils confirment par écrit avoir été correctement traités par ses agents était suspecte. Pour ce qui est des déclarations des parents de l’intéressé aux délégués selon lesquelles leur fils, après avoir été battu et torturé le 2 septembre 1998, aurait été transféré le 3 septembre 1998 à l’hôpital psycho-neurologique de Tchoukopovski, aux premières heures du matin, et placé en unité de soins intensifs où il aurait subi une transfusion, la Commission a observé que si le requérant a confirmé avoir été battu le 2 septembre 1998, après la visite de ses parents, il a cependant nié avoir été conduit à l’hôpital. Ses dires ont été corroborés par les déclarations du médecin de la prison, de l’auxiliaire médical, de l’assistant du directeur de la prison de service ce jour-là et du sous-directeur de la prison qui ont tous témoigné devant les délégués. Il n’existe en outre aucune trace écrite de l’admission de l’intéressé à l’hôpital à la date susmentionnée. La Commission a estimé que la déposition des parents du requérant sur ce point n’était ni convaincante ni fiable. La Commission a considéré qu’il n’existait aucune preuve médicale ni aucun élément tangible de nature à établir que le requérant eût subi des lésions à la suite de sévices que les autorités de la prison d’Ivano-Frankivsk lui auraient infligés. Elle a tenu compte du fait que ce dernier avait nié avoir été battu avant le 2 septembre 1998 et avoir par la suite été conduit à l’hôpital. Elle a aussi relevé que l’absence de recours à la force par les agents de la prison les 2, 10, 14 et 22 septembre 1998 a été confirmée par les déclarations orales que les témoins ont faites devant les délégués. La Commission a donc estimé qu’il était impossible d’établir, au-delà de tout doute raisonnable, la réalité des mauvais traitements que le requérant a dit avoir subis en prison. L’enquête menée en rapport avec les allégations du requérant et de ses parents Le 4 septembre 1998, les parents du requérant déposèrent une plainte auprès du procureur régional, alléguant notamment qu’ils avaient appris que leur fils avait été battu et humilié par des agents de l’administration pénitentiaire. Le 11 septembre 1998, ils formulèrent les mêmes accusations auprès du directeur du département d’Etat de l’exécution des peines. Le 12 octobre 1998, le père de l’intéressé fut informé que l’enquête n’avait pas permis d’établir que son fils eût été victime de violences physiques, ni qu’il eût subi des humiliations ou des atteintes à ses droits de la part de l’administration pénitentiaire. Le directeur du département d’Etat de l’exécution des peines indiqua en outre que le requérant avait lui-même confirmé par écrit les conclusions de l’enquête. Le 23 octobre 1998, les parents du requérant demandèrent au procureur régional, à la direction régionale du ministère de l’Intérieur et au directeur de la prison de mettre en place une commission médicale indépendante qui serait chargée d’examiner l’état de santé de leur fils. Ils alléguèrent que certains de ses codétenus avaient été torturés et que cela avait conduit l’un d’entre eux, M. Kouznetsov, à faire une tentative de suicide ou qu’on avait essayé de le tuer. Le 30 octobre 1998, le sous-directeur de la direction régionale du ministère de l’Intérieur indiqua à la mère du requérant qu’après analyse sa plainte concernant les tortures alléguées avait été jugée non fondée et qu’un examen médical pratiqué sur son fils n’avait révélé aucune trace d’actes de torture. Il n’y avait dès lors aucune raison de constituer une commission médicale en vue d’enquêter sur les faits dénoncés. Le 3 novembre 1998, le directeur de la prison informa les parents du requérant que leur plainte avait été rejetée au motif qu’aucune trace de torture ou de violence physique n’avait été décelée chez l’intéressé et que son état de santé était satisfaisant. Par une lettre du 20 novembre 1998 adressée aux parents du requérant, le procureur régional adjoint confirma que, le 28 octobre 1998, ce dernier avait fait l’objet d’un examen médical qui avait démontré que leurs allégations étaient sans fondement. En outre, le 2 novembre 1998, le procureur régional adjoint écrivit au procureur général pour lui communiquer les conclusions de l’enquête menée en rapport, notamment, avec les accusations d’actes de torture corporelle sur la personne du requérant. La lettre en question confirmait que, le 25 septembre 1998, l’intéressé avait subi un examen médical approfondi qui n’avait décelé aucun traumatisme physique. La Commission a relevé que le père du requérant avait reçu, le 8 décembre 1998, une lettre du département d’Etat de l’exécution des peines lui indiquant qu’une enquête approfondie avait démontré que sa plainte au sujet de la tentative d’exécution de son fils était infondée et que l’état de santé de ce dernier était satisfaisant. La décision de ne pas engager de poursuites en l’absence de preuve de la réalité d’une infraction que le doyen des procureurs a prise le 5 mars 1999, après la plainte formée par les parents du requérant à l’encontre du procureur régional, a mis fin aux investigations menées par les autorités internes. La Commission a noté que, en septembre 1998, à l’époque des faits dénoncés par les parents du requérant, aucun document retraçant le détail des enquêtes diligentées par les autorités internes sur ces accusations n’avait été rédigé. Aucune pièce établissant la réalité d’une enquête menée sur les allégations des parents du requérant par des autorités autres que celles qui furent directement impliquées dans les faits qu’ils avaient dénoncés n’a été produite devant la Commission. Par ailleurs, le rapport médical du 28 octobre 1998 avait été rédigé près de deux mois après les mauvais traitements allégués et, entre le 23 avril et le 25 septembre 1998, le requérant n’a été examiné ni par le médecin généraliste ni par le psychiatre de la prison. Les conditions de détention du requérant dans le « couloir de la mort » La Commission a constaté que les huit hommes, dont le requérant, détenus dans le « couloir de la mort » de la prison d’Ivano-Frankivsk étaient enfermés dans des cellules individuelles sans pouvoir communiquer avec les autres détenus. La cellule du requérant mesurait 2 mètres sur 5 mètres sur 3 mètres. Elle était équipée de toilettes non cloisonnées, d’un évier pourvu d’un robinet d’eau froide, de deux lits, d’une table et d’un petit banc fixés au sol, du chauffage central et d’une fenêtre munie de barreaux. Le requérant avait dans sa cellule quelques livres, des journaux, un jeu d’échecs, un stock de savon et de papier hygiénique, des fruits et d’autres aliments. Les délégués ont remarqué, pendant leur visite des 24 et 25 novembre 1998, que sa cellule était surchauffée, surtout en comparaison avec les autres parties de la prison. La lumière était allumée en permanence et la radio centrale était éteinte la nuit. Souvent surveillés par les gardiens qui les observaient à travers l’œilleton installé dans la porte de leur cellule, les détenus étaient privés de toute intimité. La cellule était fraîchement repeinte, ce qui laissait supposer que son état était moins bon avant la visite des délégués. La Commission a souscrit aux déclarations du requérant selon lesquelles, entre le 24 février et le 24 mars 1998, la cellule n’avait ni robinet d’eau ni évier mais seulement un petit tuyau fixé au mur près des toilettes qui ne pouvait être actionné qu’à partir du couloir, les murs étaient couverts d’excréments et le seau destiné à la vidange des toilettes avait été enlevé. La Commission a jugé convaincante la déposition du requérant que le Gouvernement n’a pas contestée. La Commission a aussi admis les allégations de l’intéressé selon lesquelles la fenêtre de sa cellule avait été occultée et les promenades quotidiennes à l’air libre lui avaient été interdites jusqu’à mai 1998. En ce qui concerne les visites, la Commission a constaté que toutes les demandes formées par les parents du requérant ont été acceptées, sauf celle du 19 juin 1998. Les parents avaient demandé à voir leur fils les 19 septembre 1997, 4 mars, 8 avril, 22 juillet, 2 novembre et 1er décembre 1998. Les autorisations leur ont été accordées les 7 octobre 1997, 4 mars, 22 avril, 20 août 1998, 17 novembre et 11 décembre 1998 pour des visites qui ont eu lieu les 4 décembre 1997, 4 mars, 12 juin, 2 septembre, 26 novembre 1998 et 4 janvier 1999. La Commission a relevé, d’une part, qu’un délai moyen de deux à trois mois s’était écoulé entre le moment où les parents avaient demandé à voir leur fils et la date qui leur avait été fixée pour ce faire et, d’autre part, que deux surveillants, présents à chaque visite, étaient habilités à interrompre leur conversation s’ils jugeaient que ce qu’ils disaient était « faux ». En ce qui concerne la correspondance du requérant, la Commission a noté que le 17 septembre 1997 l’intéressé avait demandé pour la première fois à la direction régionale du ministère de l’Intérieur la permission d’adresser des lettres à ses proches. Par la suite, il a écrit à ses parents les 19 et 26 novembre, et 31 décembre 1997, 5, 16, 20 et 30 janvier, 3 février, 11 mars, 6 avril, 15 mai, 17 juin, 6 juillet, 10 août, 15 septembre, 22 octobre, 13 novembre et 11 décembre 1998. Il a reçu des lettres de ses parents les 18 et 29 septembre, 19 octobre, 20 novembre et 24 décembre 1997, 16 et 26 janvier, 6, 10 et 23 février, 14 et 16 mars, 17 avril, 14 mai, 1er et 8 juin, 1er et 30 juillet, 20 août, 29 septembre, 10, 22 et 27 octobre, 4, 20, 26 et 30 novembre, et 4, 17 et 21 décembre 1998. La Commission n’a pu déterminer clairement si le requérant ou ses parents avaient ou non demandé qu’un prêtre rendît visite au détenu. Elle a cependant constaté que si le requérant avait pu rencontrer un aumônier le 26 décembre 1998, comme il l’avait demandé le 22 décembre 1998, rien n’avait été prévu pour que des aumôniers pussent rendre régulièrement visite aux détenus. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution ukrainienne En vertu des deuxième et troisième paragraphes de son article 8, la Constitution est une norme directement applicable. Les justiciables peuvent invoquer le texte même de la Constitution à l’appui d’un recours tendant à protéger les droits et libertés constitutionnels de l’individu et du citoyen. L’article 9 § 1 dispose que les traités internationaux en vigueur ratifiés par la Verkhovna Rada (le Parlement) de l’Ukraine sont parties intégrantes de l’ordre juridique ukrainien. L’article 15 § 3 interdit la censure. L’article 19 énonce que le système juridique ukrainien est fondé sur le principe selon lequel nul ne peut être contraint à faire ce que la loi ne prévoit pas. Les autorités de l’Etat et les collectivités locales autonomes ainsi que leurs agents sont tenus d’exercer leurs fonctions en se basant exclusivement sur ce principe, dans les limites de leurs pouvoirs, et en conformité avec les dispositions de la Constitution et de la législation ukrainiennes. L’article 22 de la Constitution, qui garantit les droits de l’homme et du citoyen, interdit que le niveau de protection de ceux-ci soit amoindri du fait de l’adoption de nouvelles lois ou de la modification des lois en vigueur. Selon les deuxième et quatrième paragraphes de l’article 29, nul ne peut être arrêté ou détenu autrement qu’en vertu d’une décision de justice motivée, dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle prescrit. Toute personne arrêtée ou détenue doit être informée sans délai des raisons de son arrestation ou de sa détention ainsi que de ses droits et doit se voir offrir, dès le début de sa détention, la possibilité de se défendre elle-même ou avec l’assistance d’un avocat. Les deuxième et quatrième paragraphes de l’article 55 reconnaissent à toute personne le droit de contester les décisions, les actions ou les omissions des autorités de l’Etat, des collectivités locales autonomes, des fonctionnaires de justice et des magistrats. Après épuisement des voies de recours internes, toute personne peut saisir, en vue de la sauvegarde de ses droits et libertés, les institutions judiciaires internationales pertinentes ou les autorités compétentes des organisations internationales auxquelles l’Ukraine est partie ou auxquelles elle participe. En vertu de l’article 59, toute personne a droit à une assistance juridique fournie gratuitement dans les cas prévus par la loi. Toute personne est libre du choix du défenseur de ses droits. En Ukraine, le barreau (адвокатура) assure la défense en matière pénale et assiste les justiciables devant les tribunaux ainsi que devant les autres autorités de l’Etat. L’article 63 § 3 de la Constitution énonce que les personnes condamnées jouissent de tous les droits de l’homme et du citoyen, sous la seule réserve des restrictions prévues par la loi ou imposées par une décision de justice. Selon l’article 64, les droits et les libertés de l’homme et du citoyen garantis par la Constitution ne peuvent faire l’objet d’autres restrictions que celles qui sont prévues par la Constitution. B. Les dispositions réglementaires régissant les conditions de détention dans les « couloirs de la mort » Les conditions de détention dans les « couloirs de la mort » des prisons ukrainiennes ont été successivement régies par l’instruction du 20 avril 1998 relative aux conditions de détention des personnes condamnées à la peine capitale (« l’instruction ») et par les dispositions provisoires du 25 juin 1999 relatives aux conditions de détention des condamnés à mort dans les quartiers d’isolement (« les dispositions provisoires »). L’instruction disposait que les personnes condamnées à mort devaient être isolées des autres prisonniers et détenues dans des cellules spécialement conçues dès lors que leur condamnation était devenue définitive. Sauf circonstances exceptionnelles, chaque cellule ne devait accueillir que deux prisonniers. Les prisonniers détenus en cellule individuelle devaient bénéficier d’un espace de vie d’au moins 4 m2 et les cellules doubles devaient offrir à chacun de leurs occupants un espace d’au moins 3 m2. Chaque prisonnier devait se voir attribuer un couchage individuel et une literie. Les détenus devaient porter les uniformes réservés à la catégorie des récidivistes particulièrement dangereux. L’instruction comportait également des dispositions relatives au statut des condamnés à mort et à leurs obligations qui déterminaient la fréquence des visites de leurs proches ainsi que le nombre de lettres qu’ils pouvaient envoyer et recevoir : ils avaient droit à une visite mensuelle et, s’ils ne pouvaient envoyer qu’une lettre par mois, aucune limite n’était imposée au courrier qu’ils pouvaient recevoir. Ils avaient aussi droit à deux petits colis par an et étaient autorisés à sortir à l’air libre une fois par jour, pendant une heure. A l’extérieur de leur cellule, ils étaient menottés. Ils n’avaient pas le droit de travailler. Les détenus étaient également autorisés à lire les livres, les magazines et les journaux qu’ils pouvaient emprunter à la bibliothèque de la prison ou acheter auprès du réseau de distribution de la prison. Ils avaient le droit de recevoir des sommes d’argent par mandat, de conserver des effets personnels et de la nourriture dans leur cellule, d’acheter, deux fois par mois et à concurrence du montant du salaire minimum garanti, des aliments et des articles de toilette au magasin de la prison ainsi que de jouer à des jeux de société. Ils pouvaient rencontrer leur avocat conformément aux dispositions de la législation nationale. Ils avaient accès aux soins médicaux selon les modalités prévues par la loi ukrainienne. Les détenus pouvaient adresser des plaintes aux autorités de l’Etat. Elles devaient être expédiées dans un délai de trois jours. Les plaintes destinées au procureur n’étaient pas soumises à la censure. Les dispositions provisoires ont étendu les droits des personnes condamnées à mort que reconnaissait l’instruction, en prévoyant en particulier que les détenus auraient droit quotidiennement à huit heures de sommeil nocturne, qu’ils pourraient recevoir six colis et trois petits paquets par an, qu’ils pourraient acheter, à concurrence de 70 % du salaire minimum garanti, de la nourriture et des articles de toilette au magasin de la prison, qu’ils pourraient prier, lire des livres religieux, rencontrer un aumônier et adresser des plaintes écrites aux autorités de l’Etat. Les dispositions susvisées les ont aussi autorisés à envoyer et à recevoir des lettres sans limitation et à voir leurs proches, en présence d’un agent de l’administration pénitentiaire, jusqu’à deux heures une fois par mois. Des rencontres des détenus avec un avocat chargé de leur fournir une assistance juridique étaient organisées selon les modalités prévues par la loi sur le travail rééducatif. C. La loi de 1993 sur la détention provisoire (« la loi ») Selon le code de procédure pénale, la détention provisoire est une mesure préventive applicable aux accusés, aux prévenus, aux personnes soupçonnées d’avoir commis un délit passible d’emprisonnement ou aux condamnés dont la peine n’a pas encore été exécutée. Selon l’article 8 § 4 de la loi, les personnes condamnées à mort en vertu d’une décision n’ayant pas encore acquis force de chose jugée devaient être détenues séparément de tous les autres prisonniers. L’article 9 § 1 de la loi dispose notamment que les détenus ont le droit : a) d’être défendus conformément aux règles du droit pénal, b) d’être informés du règlement pénitentiaire, c) de se promener une heure par jour, d) de recevoir deux fois par mois un colis d’un poids maximal de huit kilos et un nombre illimité de virements de fonds ou de sommes d’argent, par mandat postal ou par remise en mains propres, e) d’acheter de la nourriture et des articles de toilette, à concurrence d’un montant correspondant à un mois de salaire minimum garanti, payables par autorisation de prélèvement, ainsi qu’un nombre illimité d’articles de papeterie, de journaux et de livres dans les magasins des prisons, f) de porter leurs vêtements et leurs chaussures personnels et de conserver par-devers eux les documents et les notes relatifs à leur dossier pénal, g) d’utiliser les récepteurs de télévision donnés par leurs proches ou par d’autres personnes et les jeux de société, les journaux et les livres empruntés à la bibliothèque du lieu où ils étaient précédemment détenus ou achetés dans des magasins, h) de pratiquer, individuellement, les rites de leur religion, d’utiliser des livres religieux ou des objets de leur culte faits de matières semi-précieuses, à condition que cela ne porte pas atteinte aux règles en vigueur dans les lieux de détention provisoire ni aux droits des tiers, i) de dormir huit heures par nuit sans que l’on puisse leur demander, pendant cette période, de participer à des activités ou de faire quoi que ce soit d’autre, sauf en cas d’extrême urgence, et j) de formuler des plaintes et des demandes auprès des autorités et des agents de l’Etat ainsi que de leur écrire, selon la procédure prévue à l’article 13 de la loi. L’article 11 énonce que les conditions quotidiennes de détention doivent répondre aux règles sanitaires et aux normes d’hygiène. Chaque détenu doit disposer dans sa cellule d’un espace de vie d’au moins 2,5 m2 et doit recevoir des repas, un couchage individuel, des draps et des couvertures, d’autres ustensiles ainsi que des fournitures quotidiennes gratuitement, selon les modalités définies par le gouvernement. Il doit également lui être procuré des vêtements et des chaussures de qualité standard en cas de besoin. Selon l’article 12 § 1, les autorités administratives du lieu de détention peuvent permettre aux parents ou à d’autres personnes de rendre visite à un détenu, en principe une fois par mois, pour une durée d’une à deux heures, mais uniquement avec l’accord écrit d’un magistrat instructeur, d’un organe d’instruction ou de la juridiction en charge du dossier. Le quatrième paragraphe de l’article 12 donne la possibilité au détenu d’avoir seul à seul avec son avocat des entretiens d’une durée libre en nombre illimité, sous réserve que ce dernier soit muni d’une autorisation d’agir au nom de son client confirmée par écrit par la personne ou l’organe chargé du dossier. En vertu de l’article 13 § 1, le détenu peut entretenir une correspondance avec ses proches et d’autres personnes, entreprises, établissements et organisations moyennant l’accord écrit d’une autorité chargée de son dossier. Dès que sa peine devient exécutoire, la correspondance du condamné n’est plus soumise à aucune restriction. D. Le code du travail rééducatif (« le code ») Selon l’article 28 du code (sur les principales caractéristiques du régime carcéral des établissements pénitentiaires), le régime carcéral en vigueur dans les établissements pénitentiaires se caractérise par : l’isolement obligatoire et la surveillance constante des condamnés en vue de les empêcher de commettre de nouvelles infractions ou d’autres actes contraires à l’ordre public ; l’obligation, pour les détenus, de respecter strictement et continuellement les contraintes qui leur sont imposées ; les régimes de détention différenciés en fonction de la nature et de la gravité des infractions ainsi que de la personnalité et du comportement des condamnés. Ceux-ci doivent porter un uniforme, se soumettre à des fouilles qui sont effectuées par des personnes de même sexe que le détenu qui les subit. La correspondance des détenus est censurée, les colis et les paquets sont ouverts et examinés. Les établissements pénitentiaires de rééducation par le travail doivent être soumis à un emploi du temps rigoureux et à des règles strictes. Les condamnés détenus dans pareils établissements ne peuvent conserver par-devers eux ni argent ni objets de valeur, ni certains articles déterminés. L’argent et les objets de valeur découverts sont confisqués et en principe remis à l’Etat sur décision motivée du directeur de l’établissement agissant sous le contrôle du procureur. Le règlement intérieur des établissements pénitentiaires de rééducation par le travail doit comporter une liste précisant la nature, le nombre ou la quantité de chacun des objets que les condamnés peuvent détenir et décrivant la procédure de confiscation de ceux dont l’usage est interdit. Les dispositions du code permettent aux condamnés d’acheter des aliments et des articles de toilette en les payant par autorisation de prélèvement, de recevoir des visites, des colis, des paquets, des colis postaux et de l’argent par mandat postal, d’entretenir une correspondance et d’envoyer de l’argent à leurs proches par mandat postal. En vertu de l’article 37 § 1 du code (achat d’aliments et d’articles de toilette par les détenus), les prisonniers condamnés peuvent acheter de la nourriture et des produits d’hygiène corporelle en les payant par autorisation de prélèvement sur les sommes reçues par mandat postal. L’article 40 dispose notamment que les avocats peuvent rencontrer leurs clients sur présentation de leur licence professionnelle et de leur carte d’identité. La fréquence et la durée de leurs visites ne sont pas limitées et elles peuvent se tenir, à la demande des avocats, hors la présence d’un gardien. 100. Selon l’article 41 du code (réception de colis et de petits paquets par les personnes condamnées à la réclusion), les prisonniers détenus dans les colonies de travail (виправнo-тpудова колонія) sont autorisés à recevoir sept colis par an dans les colonies à régime ordinaire (колонія загального режиму), six colis par an dans les colonies à régime renforcé (колонія посиленого режиму) et cinq colis par an dans les colonies à régime renforcé spécial (колонія суворого режиму). Les condamnés détenus en colonie de travail rééducatif (колонія виховно-трудова) peuvent recevoir dix colis par an dans les colonies à régime ordinaire et neuf colis dans les colonies à régime renforcé. Les personnes condamnées purgeant leur peine en maison d’arrêt ne sont pas autorisées à recevoir des colis. Quel que soit le régime de détention dont ils relèvent, les condamnés sont autorisés à recevoir au plus deux petits paquets par an et à acheter autant de livres qu’ils le souhaitent auprès des réseaux de distribution pénitentiaires. Le nombre de colis et de paquets de toutes sortes que peuvent recevoir les condamnés détenus dans les camps de rééducation par le travail (виправнo-тpудова колонія-поселення) n’est pas limité. Une liste des produits alimentaires et d’hygiène corporelle pouvant être envoyés dans les colis et les petits paquets destinés aux détenus doit figurer dans le règlement intérieur des établissements de rééducation par le travail dont les dispositions doivent également prévoir les modalités de leur réception et de leur remise aux destinataires. 101. L’article 42 du code (réception et envoi de fonds par les détenus par mandat postal) permet aux condamnés de recevoir des sommes d’argent par mandat postal sans limitation de montant et de transférer des fonds à leurs proches ou, moyennant l’accord des autorités des établissements de rééducation par le travail, à d’autres personnes. Les sommes reçues par mandat postal sont virées sur le compte personnel de l’intéressé. 102. L’article 43 § 2 (correspondance des personnes condamnées à la réclusion) autorise les personnes détenues en prison à recevoir du courrier en quantité illimitée et à en envoyer à raison d’une lettre par mois pour les détenus soumis au régime ordinaire et d’une lettre tous les deux mois pour ceux relevant du régime renforcé. E. La loi sur le parquet 103. L’article 12 § 1 de la loi sur le parquet donne au procureur compétence pour traiter les requêtes relatives aux atteintes aux droits des citoyens et des personnes morales ainsi que les plaintes ayant le même objet, sous réserve que ces dernières ne relèvent pas de la compétence des tribunaux. Selon le quatrième paragraphe de l’article 12, la décision du procureur peut être attaquée devant le procureur chargé du contrôle et, dans certains cas, devant le tribunal. Le cinquième paragraphe de l’article 12 dispose que la décision du procureur chargé du contrôle est définitive. 104. Selon l’article 38, le procureur ou son adjoint peut demander aux juridictions de lui communiquer toute information dans les affaires ayant donné lieu à un jugement ou à une décision exécutoire. Le procureur peut exercer un recours contre un jugement ou tout autre type de décision s’il existe des motifs de réouverture de la procédure. 105. Selon l’article 44 § 1, le procureur est chargé de veiller au respect des règles de droit dans les centres de détention provisoire ainsi que dans les établissements de rééducation par le travail et les autres institutions destinées à l’exécution des peines ou des mesures de contraintes prononcées par les tribunaux. Il doit également s’assurer que les procédures et les règles applicables à la détention des prisonniers ainsi qu’aux mesures disciplinaires sont respectées. Il est compétent en matière de droits des détenus et doit contrôler, au regard du droit pénal et des normes applicables à l’exécution des peines, la manière dont les autorités exercent leurs fonctions. Il peut à tout moment se transporter dans les centres de détention provisoire, dans les établissements où les condamnés purgent leurs peines, dans les institutions de traitement obligatoire ou dans les maisons de redressement, en vue de procéder à des interrogatoires ou de consulter les documents ayant motivé la détention, l’arrestation, la condamnation ou l’obligation de traitement dont les personnes concernées font l’objet. Il a également le pouvoir de contrôler la légalité des arrêtés, des résolutions et des décisions pris par les autorités administratives desdits établissements, de mettre fin à leur application, de les attaquer ou de les annuler s’ils sont illégaux et de demander des explications aux responsables sur les infractions qui auraient été commises. III. DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE A. Résolution 1097 (1996) de l’Assemblée parlementaire relative à l’abolition de la peine de mort en Europe 106. Dans sa résolution, l’Assemblée déplore les exécutions qui auraient eu lieu peu auparavant en Lettonie, en Lituanie et en Ukraine. En particulier, elle condamne l’Ukraine pour avoir apparemment violé les engagements qu’elle avait pris d’introduire, lors de son adhésion au Conseil de l’Europe, un moratoire sur les peines capitales. Elle exhorte l’Ukraine à respecter ses engagements concernant l’introduction d’un moratoire sur les exécutions et l’abolition immédiate de la peine de mort, et l’avertit que de nouvelles violations de ses engagements, notamment l’exécution des condamnés à mort, auront des conséquences en vertu de la Directive no 508 (1995). B. Résolution no 1112 (1997) relative au respect de l’engagement souscrit par l’Ukraine lors de son adhésion au Conseil de l’Europe de mettre en place un moratoire sur les exécutions capitales 107. Dans cette résolution, l’Assemblée confirme qu’elle a reçu des informations officielles selon lesquelles, au cours du premier semestre 1996, quatre-vingt-neuf exécutions ont eu lieu en Ukraine, et déplore que les autorités ukrainiennes ne l’aient pas informée du nombre des exécutions pour le second semestre de l’année. L’Assemblée se déclare particulièrement choquée d’apprendre que des exécutions se sont déroulées en secret en Ukraine, sans qu’apparemment même les familles des prisonniers n’en aient été informées, et que les exécutés seraient enterrés dans des tombes anonymes. L’Assemblée condamne l’Ukraine pour avoir violé son engagement de mettre en place un moratoire sur les exécutions, déplore que celles-ci aient eu lieu et demande que l’Ukraine honore immédiatement ses engagements et renonce à procéder aux exécutions capitales qui restent en suspens. C. Résolution 1179 (1999) et Recommandation 1395 (1999) relatives au respect des obligations et engagements de l’Ukraine 108. Dans ces textes, l’Assemblée note que l’Ukraine a clairement manqué à ses engagements (deux cent douze personnes ont été exécutées entre le 9 novembre 1995 et le 11 mars 1997, selon les sources officielles). Dans le même temps, l’Assemblée relève que, depuis le 11 mars 1997, un moratoire de fait sur les exécutions a été instauré en Ukraine. L’Assemblée demande instamment que le moratoire soit reconfirmé de droit et que la Verkhovna Rada ratifie le Protocole no 6 à la Convention. L’Assemblée souligne l’importance du moratoire de fait sur les exécutions et déclare fermement qu’en cas de nouvelle exécution les pouvoirs de la délégation parlementaire ukrainienne seront annulés lors de la partie de session suivante de l’Assemblée, conformément à l’article 6 de son règlement. IV. RAPPORTS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT) 109. Des délégués du CPT ont effectué des visites dans des lieux de détention ukrainiens en 1998, 1999 et 2000. Les rapports auxquels ces différentes visites ont donné lieu ont été publiés le 9 octobre 2002, en même temps que les réponses que le gouvernement ukrainien leur a apportées. A. Le rapport de 1998 [Note du traducteur : la traduction française a été assurée par le greffe de la Cour] 110. La première visite périodique d’une délégation du Comité en Ukraine eut lieu du 8 au 24 février 1998. Au cours de cette visite, les délégués inspectèrent notamment la maison d’arrêt (SIZO – « établissement d’isolement pour les détenus dont l’affaire est en cours d’instruction ») no 313/203 de Kharkiv, où quinze détenus condamnés à mort étaient incarcérés au rez-de-chaussée du bâtiment 2, mais le rapport du CPT indiquait, dans une note de bas de page, que la délégation avait reçu l’assurance que l’Ukraine observait un moratoire de fait sur les exécutions depuis le 11 mars 1997. 111. Dans son rapport (§ 131), le CPT a fait d’emblée état de ses graves préoccupations au sujet des conditions dans lesquelles ces personnes étaient détenues et du régime qui leur était appliqué. Il est indiqué que les prisonniers condamnés à mort étaient généralement placés à deux dans des cellules mesurant de 6,5 à 7 m2. Les fenêtres ayant été occultées par des plaques métalliques, les cellules n’offraient aucun accès à la lumière naturelle, et l’éclairage artificiel allumé en permanence n’étant pas toujours d’une intensité suffisante, certaines d’entre elles étaient sombres. Pour les aérer, les détenus pouvaient actionner un cordon ouvrant un carreau. Malgré cela, il y faisait très humide et relativement froid (§ 132). Le rapport qualifie de rudimentaire l’équipement des cellules composé d’un lit en métal et/ou d’une plate-forme de couchage (comportant un matelas peu épais, des draps d’une propreté douteuse et une couverture manifestement insuffisante pour se protéger du froid), d’une tablette et de deux tabourets étroits. Les détenus pouvaient en principe écouter les programmes radiophoniques diffusés par un haut-parleur installé dans un mur de leur cellule, mais, selon les informations reçues par la délégation, la radio ne fonctionnait que de façon intermittente (ibidem). Chaque cellule comportait des toilettes non cloisonnées donnant sur l’espace de vie de sorte qu’un détenu était contraint de les utiliser sous les yeux de son codétenu. En matière d’hygiène personnelle, les condamnés à mort se trouvaient dans une situation tout aussi difficile que nombre des autres détenus : savon et pâte dentifrice étaient des produits rares (ibidem). Le rapport relève en outre que les personnes condamnées à mort n’avaient aucune activité hors cellule, pas même une heure d’exercice en plein air. Tout au plus pouvaient-elles quitter leur cellule une fois par semaine pour se rendre à la douche de leur quartier cellulaire et une heure par mois, pour ceux des détenus qui étaient autorisés à recevoir la visite de leur famille. Quant aux activités en cellule, elles consistaient à lire et, quand elle fonctionnait, à écouter la radio. En dehors des visites mensuelles que certains détenus recevaient, les contacts humains se limitaient essentiellement au passage occasionnel d’un prêtre orthodoxe et des membres du personnel de santé qui s’entretenaient avec les prisonniers à travers un guichet ménagé dans la porte de leur cellule (§ 133). 112. Le CPT résume ses constatations de la façon suivante (§ 134) : « En résumé, les prisonniers condamnés à mort étaient enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans des cellules n’offrant qu’un espace de vie très restreint, privées de luminosité naturelle et équipées d’un éclairage artificiel parfois très insuffisant, sans guère d’activités pour s’occuper et très peu de possibilités de contacts humains. La plupart d’entre eux étaient détenus dans ces conditions délétères depuis de très longues périodes (de dix mois à plus de deux ans). Pareille situation est peut-être parfaitement conforme aux dispositions légales régissant en Ukraine le traitement des condamnés à mort. Toutefois, cela ne change rien au fait que, de l’avis du CPT, elle s’analyse en un traitement inhumain et dégradant. » Le rapport indique en outre que la délégation a recueilli de nombreuses plaintes de détenus condamnés à mort sur le manque d’informations quant à leur situation juridique, notamment en ce qui concerne l’évolution de leur dossier, les suites données à leurs demandes de réexamen de leur affaire, l’examen de leurs plaintes, etc. (§ 138). 113. Dans sa réponse au rapport de 1998, le gouvernement ukrainien a indiqué qu’un certain nombre de mesures d’ordre organisationnel et pratique avaient été prises pour remédier aux problèmes identifiés par le CPT. Il s’agissait en particulier des dispositions provisoires qui avaient été prises pour garantir aux prisonniers condamnés à mort le droit à une visite mensuelle de leurs proches, le droit de s’entretenir avec un avocat pour obtenir une assistance juridique, le droit de rencontrer un prêtre et le droit de recevoir et d’envoyer du courrier sans limitation. De plus, le gouvernement ukrainien a déclaré que : i) 196 cours de maisons d’arrêt avaient fait l’objet de travaux de réfection ou d’équipement pour permettre aux détenus condamnés à la peine capitale de bénéficier d’une promenade quotidienne à l’air libre ; ii) les dispositifs occultants et les plaques métalliques avaient été enlevés des fenêtres des cellules afin d’améliorer l’accès à la lumière naturelle et l’aération ; iii) des extraits des dispositions provisoires avaient été affichés sur les murs de chaque cellule afin d’informer les détenus condamnés à mort de leurs droits et de leur statut juridique. B. Le rapport de 1999 114. Une délégation du CPT a effectué une visite en Ukraine du 15 au 23 juillet 1999. A cette occasion, la maison d’arrêt (SIZO) no 313/203 de Kharkiv, qui comptait à l’époque vingt-trois prisonniers condamnés à mort, fut à nouveau inspectée. Le rapport auquel cette visite a donné lieu a relevé que certains changements étaient intervenus depuis la première visite, notamment en ce qui concerne les cellules, mieux équipées et disposant de lumière naturelle, ainsi que sur le plan de l’exercice en plein air, dont les détenus bénéficiaient désormais une heure par jour bien que les aires de promenade réservées à cet effet ne fussent pas suffisamment spacieuses pour leur permettre un véritable exercice physique (§§ 34-35). Le rapport a en outre indiqué qu’un important progrès avait été réalisé en matière de droit des détenus aux visites des proches et à la correspondance (§ 36). Le CPT a cependant souligné que certains aspects du régime de détention demeuraient inacceptables, notamment le fait que les prisonniers continuaient de passer vingt-trois heures sur vingt-quatre en cellule et que les possibilités de contacts humains restaient encore très limitées (§ 37). C. Le rapport de 2000 [Note du traducteur : la traduction française a été assurée par le greffe de la Cour] 115. Lors d’une troisième visite en Ukraine, qui s’est déroulée du 10 au 21 septembre 2000, la délégation du CPT a inspecté, entre autres, la maison d’arrêt (SIZO) no 15 de Simferopol. Le CPT s’est réjoui de la décision des autorités ukrainiennes d’abolir la peine de mort et a constaté que la plupart des quelque cinq cents prisonniers condamnés à mort avaient vu leur peine commuée en réclusion à vie. 116. Nonobstant ces progrès heureux, le CPT a déclaré que le traitement réservé à cette catégorie de détenus était source d’importantes préoccupations (§ 67). Il a relevé que ceux-ci étaient soumis, en attendant la mise en service de deux unités de haute sécurité réservées aux condamnés à la réclusion à vie, à un régime cellulaire strict prévu par une instruction provisoire du mois de juillet 2000 (§ 68). Si l’espace de vie disponible dans les cellules était en général satisfaisant et si des travaux de réfection de celles-ci avaient été entrepris dans tous les établissements visités, il y avait cependant des déficiences majeures en ce qui concerne l’accès à la lumière naturelle, la qualité de l’éclairage artificiel et l’aération (§ 69). De surcroît, les prisonniers condamnés à la réclusion à vie, cloîtrés vingt-trois heures et demie sur vingt-quatre en cellule sans pouvoir pratiquer la moindre forme d’activité organisée, avaient droit, pour toute activité hors cellule, à une demi-heure seulement d’exercice en plein air qui se déroulait dans des conditions inacceptables. Les contacts humains étaient quasi inexistants : depuis l’entrée en vigueur de l’instruction de juillet 2000, les visites de proches étaient interdites et si les détenus pouvaient recevoir du courrier sans restrictions, l’envoi de correspondance était en revanche limité à une lettre tous les deux mois (§ 70). 117. Dans sa réponse au rapport du CPT, le gouvernement ukrainien a signalé, d’une part, que de nouvelles dispositions autorisaient les détenus condamnés à la réclusion à vie à prendre une heure d’exercice par jour et à rencontrer leurs proches deux fois par mois, pour une durée maximale de quatre heures et, d’autre part, que les dispositifs métalliques occultant les fenêtres avaient été enlevés dans toutes les cellules pour assurer un accès satisfaisant à la lumière du jour.
0
0
0
0
0
1
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1967 et réside à Larnod (France). Le 4 septembre 1993, le requérant épousa une ressortissante portugaise, S.C. Le couple eut un enfant, Julien, né en 1995. A. Les procédures devant les juridictions françaises Par un jugement du 19 février 1998, le tribunal de grande instance de Besançon prononça le divorce des époux aux torts de S.C. et fixa la résidence de l’enfant au domicile du requérant, accordant à la mère un simple droit de visite. Le 6 août 1996, le même tribunal avait déjà attribué la garde provisoire de Julien au requérant. Le 3 juin 1997, S.C. enleva Julien de la maison de sa grand-mère paternelle et partit avec lui au Portugal. Le requérant porta plainte contre S.C. pour soustraction d’enfant et violences volontaires. Par un jugement du tribunal de grande instance de Besançon du 12 juin 1998, S.C. fut jugée coupable et condamnée par défaut à un an d’emprisonnement. Un mandat d’arrêt fut décerné à son encontre. B. Les procédures devant les juridictions portugaises Demande de restitution d’enfant Invoquant la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et la Convention de coopération judiciaire entre la France et le Portugal relative à la protection des mineurs du 20 juillet 1983, le requérant saisit le 5 juin 1997 le ministère de la Justice français, l’autorité centrale française au sens de ces deux instruments, d’une requête sollicitant le retour de l’enfant. Le jour même, l’autorité centrale française demanda à l’autorité centrale portugaise, à savoir l’Institut de réinsertion sociale (ci-après « l’IRS », qui dépend du ministère de la Justice portugais), le retour de l’enfant en application des dispositions de la convention franco-portugaise. Le 18 juin 1997, l’IRS saisit le ministère public près le tribunal du ressort d’Oeiras indiqué par le requérant comme étant le lieu de résidence de S.C. Le 16 juillet 1997, le ministère public introduisit devant ce tribunal une demande de restitution judiciaire (entrega judicial) de l’enfant sur le fondement des articles 191 et suivants de la loi sur les mineurs (Organização Tutelar de Menores) et invoquant les dispositions de la convention de coopération franco-portugaise susmentionnée. Le 17 juillet 1997, le juge de la troisième chambre civile du tribunal d’Oeiras, à laquelle l’affaire fut assignée, cita la mère de l’enfant à comparaître afin qu’elle se prononce sur la demande du ministère public. Des lettres recommandées avec accusé de réception furent ainsi envoyées, les 17 et 22 juillet 1997, à l’adresse indiquée par le requérant. Elles furent cependant retournées au tribunal sans que les accusés de réception aient été signés ou réclamés. Le 27 août 1997, le juge, sur demande du ministère public, ordonna aux autorités de police d’enquêter sur le lieu de résidence de la mère de Julien. Les 10 septembre et 6 octobre 1997 respectivement, la police de sécurité publique et la garde nationale républicaine informèrent le tribunal que S.C. ne résidait pas à l’adresse indiquée. Le 23 septembre 1997, l’IRS sollicita du tribunal d’Oeiras des renseignements sur le déroulement de la procédure. Le juge répondit le 6 octobre 1997, indiquant que la mère de l’enfant n’avait pas encore pu être trouvée. Le 21 octobre 1997, le ministère public demanda au juge d’inviter le centre de sécurité sociale de la région de Lisbonne à fournir des renseignements sur l’adresse et le lieu de travail de S.C. Le 27 octobre 1997, le juge ordonna au greffe d’envoyer la lettre en cause, ce qui fut fait le 7 novembre 1997. Le 27 novembre 1997, le centre répondit que S.C. n’était pas inscrite sur ses registres. Le 5 décembre 1997, le juge invita l’IRS à se renseigner sur l’adresse actuelle de S.C. Des éléments ayant indiqué que celle-ci pourrait se trouver dans la région de Porto, le centre de sécurité sociale compétent fut contacté mais fit savoir par une lettre du 12 janvier 1998 que l’intéressée ne figurait pas sur ses registres. Le 10 mars 1998, la deuxième chambre civile adressa à la troisième chambre civile copie de la décision prise le jour même dans le cadre d’une procédure visant à réglementer les modalités de l’autorité parentale (paragraphe 47 ci-dessous). Le 26 mars 1998, le juge adressa copie de la décision au ministère public et souligna que l’adresse à laquelle S.C. avait été citée à comparaître dans le cadre de la procédure en cause était la même que celle indiquée à l’origine par le requérant. Le 27 mars 1998, le ministère public demanda au juge de se renseigner auprès de l’Electricité du Portugal et de Portugal Telecom. Les 13 et 20 mai 1998, ces sociétés répondirent qu’elles n’avaient enregistré aucun contrat au nom de S.C. Le 25 mai 1998, le juge insista pour envoyer la citation de S.C. à l’adresse en cause. La lettre recommandée expédiée à cette fin fut toutefois retournée à l’expéditeur. Le 2 juillet 1998, S.C. informa qu’elle avait introduit devant le tribunal d’Oeiras (première chambre civile) une demande de transfert de l’autorité parentale sur Julien. Le 6 juillet, le juge ordonna que S.C. fût citée à comparaître par huissier de justice. Celui-ci se déplaça à l’adresse en cause le 1er septembre 1998. Il y fut informé par une tante de S.C. que cette dernière ne résidait pas à l’adresse en question. La tante de S.C. affirma également ne pas connaître l’adresse de sa nièce. Le 2 septembre 1998, le juge demanda aux services d’identification civile du ministère de la Justice des renseignements sur l’adresse de S.C. Par une lettre du 2 septembre 1998, l’IRS indiqua au tribunal qu’il avait saisi la police judiciaire d’une demande visant à localiser S.C. Il précisa qu’il avait entre-temps appris par la police judiciaire que la mère de Julien avait engagé une procédure visant à obtenir l’autorité parentale sur l’enfant, et souligna qu’il était maintenant possible de trouver S.C. grâce à l’adresse indiquée par cette dernière lors de l’introduction de l’action en question. Par une ordonnance du 28 septembre 1998, le juge décida de demander de nouveau aux autorités de police des renseignements sur l’adresse actuelle de S.C. Il ordonna par ailleurs au greffe d’informer la première chambre civile de l’existence de la demande de restitution de l’enfant en vue de faire suspendre la procédure de transfert de l’autorité parentale pendante devant cette même chambre. Le 11 novembre 1998, le requérant, par l’intermédiaire de son représentant, versa au dossier une procuration ad litem et sollicita la communication des actes de la procédure. Il indiqua également avoir déposé une plainte pénale à l’encontre de S.C. Par une décision du 16 novembre 1998, le juge rejeta la demande du requérant, considérant que ce dernier n’était pas partie à la procédure. Le 27 novembre 1998, la police de sécurité publique indiqua que l’adresse en cause était celle des parents de S.C., lesquels déclarèrent ne pas connaître l’adresse actuelle de cette dernière. Le 11 décembre 1998, le juge décida de demander de nouveau des renseignements à l’Electricité du Portugal et à Portugal Telecom ainsi qu’aux centres de sécurité sociale de Lisbonne, Porto, Coimbra et Faro. Entre janvier et mars 1999, toutes ces organisations répondirent que S.C. ne figurait pas dans leurs registres. Le 18 mars 1999, le juge demanda de nouveau des renseignements aux services de police sur l’adresse actuelle de S.C. Le 9 avril 1999, la police de sécurité publique indiqua que l’adresse en cause n’était pas connue. Le 19 avril 1999, l’IRS transmit au tribunal copie d’un document de la police judiciaire selon lequel Julien pouvait se trouver dans un appartement récemment acheté par une sœur de S.C. et situé à Algueirão (commune de Sintra). Mis au courant par l’IRS, le requérant se rendit au Portugal où le 25 avril 1999 il aurait aperçu son fils, accompagné d’une tierce personne, dans l’appartement en cause. Il en informa le consulat général de France à Lisbonne, lequel demanda au ministère de la Justice portugais d’engager en urgence les démarches possibles auprès de la police judiciaire et du tribunal d’Oeiras afin d’assurer le retour de l’enfant. Le 26 avril 1999, l’IRS communiqua l’information au tribunal et demanda à ce dernier de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer la restitution de l’enfant. Le 27 avril 1999, le juge ordonna que Julien fût remis immédiatement à l’IRS et délivra un mandat d’amener à cette fin. Le 30 avril 1999, l’IRS informa le tribunal que la garde nationale républicaine s’était rendue la veille à l’adresse en cause. Toutefois, le mandat d’amener ne lui donnant pas le pouvoir de forcer l’entrée de l’appartement et la mère de Julien ayant refusé d’ouvrir la porte, la remise de l’enfant n’avait pu être effectuée. Par la suite, le juge demanda à la garde nationale républicaine pour quelles raisons le mandat d’amener n’avait pas pu être exécuté. Le 1er juin 1999, la garde indiqua que des agents s’étaient rendus à plusieurs reprises à l’adresse indiquée mais que personne n’avait répondu. Entre-temps, le 7 mai 1999, S.C. requit l’extinction de l’instance en vertu de l’article 20 de la convention de coopération franco-portugaise, au motif que Julien était maintenant intégré dans son nouveau milieu. Le 15 juin 1999, le juge rendit sa décision. Il précisa d’abord qu’il fallait considérer que S.C. était régulièrement citée à comparaître car elle était déjà intervenue dans la procédure. Il rejeta ensuite la demande d’extinction de l’instance formulée par S.C. et décida que Julien devait être immédiatement remis à l’IRS. Enfin, il souligna qu’en cas de non-respect de la décision, S.C. était passible de poursuites pour désobéissance (desobediência) au titre de l’article 191 § 4 de la loi sur les mineurs. Le 25 juin 1999, S.C. fit appel de ce jugement devant la cour d’appel (Tribunal da Relação) de Lisbonne. Le 29 juin 1999, le juge déclara l’appel recevable et ordonna sa transmission, sans effet suspensif, à la cour d’appel. Celle-ci, par un arrêt du 20 janvier 2000, rejeta le recours. Le 7 février 2000, S.C. se pourvut en cassation devant la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) mais, le 7 avril 2000, son pourvoi fut considéré sans effet (deserto), faute de présentation de mémoire. Le 29 mai 2000, le juge du tribunal d’Oeiras demanda à l’huissier de justice d’enjoindre à S.C. de remettre Julien à l’IRS sous peine de poursuites pour désobéissance. Le 9 juin 2000, l’huissier de justice déclara que personne ne semblait résider à l’adresse indiquée. Le 20 juin 2000, le juge demanda de nouveau des renseignements sur l’adresse actuelle de S.C. aux autorités de police. Le 14 décembre 2001, la police judiciaire trouva Julien et S.C. Le jour même, le juge ordonna le placement de Julien dans un foyer d’accueil, sous la surveillance de l’IRS. S.C. fut autorisée à rester avec Julien dans ledit foyer. Le directeur refusa par ailleurs de remettre Julien au requérant, sauf « décision de justice en sens contraire ». Le jour même, S.C. déposa une demande en référé devant le tribunal d’Oeiras dans le but d’empêcher la remise de Julien au requérant. Celui-ci allègue ne pas connaître la suite donnée à cette demande. Le 21 décembre 2001, Julien fut confié à S.C., conformément à la décision rendue le même jour par le tribunal aux affaires familiales de Cascais (paragraphe 50 ci-dessous). Le 19 décembre 2001, le ministère public demanda au juge la suspension du jugement du 15 juin 1999, alléguant que, compte tenu de l’écoulement du temps, Julien devait être examiné par des pédopsychiatres avant d’être remis au requérant. Par une décision du même jour, le juge rejeta la demande, considérant que la décision en cause était déjà passée en force de chose jugée. Le 21 décembre 2001, le ministère public saisit la cour d’appel de Lisbonne. Celle-ci, par un arrêt du 9 avril 2002, annula la décision attaquée. Elle considéra notamment que Julien semblait déjà intégré dans son nouveau milieu et que les examens en question étaient tout à fait pertinents. Le 11 juillet 2002, le juge du tribunal d’Oeiras demanda à l’Institut de médecine légale de Lisbonne de procéder auxdits examens. Le 4 décembre 2002, le requérant fut informé que Julien serait soumis à un examen médical le 14 février 2003. A ce jour, les résultats de ces examens n’ont pas été communiqués au requérant. La procédure demeure pendante. Demandes visant à réglementer les modalités de l’autorité parentale a) Devant le tribunal d’Oeiras En avril 1997, le ministère public introduisit devant le tribunal d’Oeiras une demande visant à réglementer les modalités de l’autorité parentale sur Julien. L’affaire fut assignée à la deuxième chambre civile de ce tribunal. Une citation à comparaître concernant S.C. fut envoyée à l’adresse indiquée par le requérant lors de l’introduction de la demande de restitution de l’enfant, pendante devant la troisième chambre civile du tribunal d’Oeiras. A une date non précisée, le ministère public demanda au juge de suspendre la procédure, étant donné que la demande de restitution n’avait pas encore fait l’objet d’une décision. Par une ordonnance du 10 mars 1998, le juge décida de suspendre la procédure. A la suite du jugement du tribunal d’Oeiras du 15 juin 1999, le juge, par une décision du 5 novembre 2001, prononça l’extinction de la procédure. b) Devant le tribunal aux affaires familiales de Cascais Le 21 décembre 2001, le ministère public introduisit devant le tribunal aux affaires familiales de Cascais une nouvelle demande de réglementation de l’autorité parentale sur Julien. Invoquant l’intégration de l’enfant dans son nouveau milieu il sollicita la modification du jugement du tribunal de Besançon du 19 février 1998. Il demanda par ailleurs au tribunal d’attribuer provisoirement la garde de l’enfant à S.C. Par une décision rendue le jour même, le juge confia provisoirement la garde de Julien à S.C. Le 15 mai 2002, eut lieu un entretien (conferência) entre les parents. A la suite de cet entretien, le juge décida que le requérant pouvait bénéficier d’un droit de visite. Le requérant put ainsi rencontrer Julien, au domicile de S.C., les 17, 18 et 19 mai 2002 pendant quelques heures. La procédure est toujours pendante. Contacts entre les autorités françaises et les autorités portugaises Tout au long des procédures susmentionnées, l’autorité centrale française demeura en contact avec l’IRS. L’ambassade de France ainsi que le consulat général de France, tous deux sis à Lisbonne, adressèrent à plusieurs reprises aux autorités portugaises des demandes de renseignements sur le déroulement de la procédure. Ainsi, le 28 mars 2000, l’ambassade de France sollicita l’intervention du ministère des Affaires étrangères portugais afin de « hâter la mise en œuvre de la décision du 15 juin 1999 du tribunal d’Oeiras demandant la remise immédiate par Mme [S.C.] de l’enfant Julien Maire à son père (...) dans le cadre de la Convention de coopération judiciaire entre le Portugal et la France (...). A ce stade, il convient (...) que les autorités de police soient formellement requises de rechercher activement l’enfant (...) dont la famille maternelle qui réside à Oeiras ne semble pas ignorer où il se trouve puisqu’il avait été localisé l’année dernière dans un appartement appartenant à sa tante à Algueirão ». Par une lettre du 11 juin 2001, le consul général informa ainsi le requérant : « (...) l’Ambassadeur s’est effectivement entretenu de votre cas avec le directeur de cabinet du ministre de la Justice [portugais] ainsi qu’avec le Procureur général de la République. Il ressort de ces entretiens les faits suivants : la reconnaissance par la justice portugaise de la décision de la justice française condamnant votre ancienne épouse, sur le plan pénal, s’avère complexe et pourrait ne pas aboutir. En revanche (...) la décision de la justice portugaise, en matière civile, que l’enfant devait vous être rendu, est définitive. Le procureur d’Oeiras a saisi l’IRS et la [police de] sécurité publique pour que des recherches soient entreprises. Ces recherches (...) n’ont jusqu’à présent rien donné, amenant les autorités portugaises à craindre que la mère et l’enfant aient quitté le Portugal. Il a cependant été indiqué à notre Ambassadeur que les investigations continueraient aussi longtemps qu’il n’y aurait pas de preuves de leur départ (...) » II. LE DROIT INTERNATIONAL ET INTERNE PERTINENT A. Le droit international Aux termes de l’article 11 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, qui a été ratifiée par la France le 7 août 1990 et par le Portugal le 21 septembre 1990, les Etats parties « prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger ». A cette fin, les Etats « favorisent la conclusion d’accords bilatéraux ou multilatéraux ou l’adhésion aux accords existants ». Les dispositions pertinentes de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, qui a été ratifiée par le Portugal le 29 septembre 1983 et par la France le 16 septembre 1982, sont ainsi libellées : Article 1 « La présente Convention a pour objet : a) d’assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant ; b) de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant. » Article 2 « Les Etats contractants prennent toutes mesures appropriées pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention. A cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d’urgence. » Article 3 « Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite : a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet Etat. » Article 6 « Chaque Etat contractant désigne une autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la Convention. (...) » Article 7 « Les Autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention. En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées : a) pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ; b) pour prévenir de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ; c) pour assurer la remise volontaire de l’enfant ou faciliter une solution amiable ; d) pour échanger, si cela s’avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l’enfant ; e) pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l’application de la Convention ; f) pour introduire ou favoriser l’ouverture d’une procédure judiciaire ou administrative, afin d’obtenir le retour de l’enfant et, le cas échéant, de permettre l’organisation ou l’exercice effectif du droit de visite ; g) pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l’obtention de l’assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d’un avocat ; h) pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l’enfant ; i) pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. » Article 11 « Les autorités judiciaires ou administratives de tout Etat contractant doivent procéder d’urgence en vue du retour de l’enfant. Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative saisie n’a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l’Autorité centrale de l’Etat requis, de sa propre initiative ou sur requête de l’Autorité centrale de l’Etat requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard (...) » Article 12 « Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement (...) et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat. L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. (...) » Article 13 « Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’Etat requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit : a) que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou b) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion. Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale. » Les dispositions pertinentes de la Convention de coopération judiciaire entre la France et le Portugal relative à la protection des mineurs, adoptée le 20 juillet 1983, sont les suivantes : Article 18 (droit d’action d’office) « 1. En cas de refus de remise volontaire, les autorités centrales doivent saisir, dans les meilleurs délais, par la voie du ministère public institué près les tribunaux, leurs autorités judiciaires compétentes, soit pour rendre exécutoires dans l’Etat requis les décisions exécutoires dans l’Etat requérant, soit pour faire statuer sur la demande de remise dont l’enfant fait l’objet. Les autorités judiciaires peuvent également être saisies directement par la partie intéressée. L’exécution des décisions est demandée au tribunal dans le ressort duquel se trouve ou est présumé se trouver le mineur. » Article 19 (procédure conservatoire de remise en état) « 1. Le juge de l’Etat où l’enfant a été déplacé ou retenu illicitement doit ordonner, à titre conservatoire, le retour immédiat de l’enfant, à moins que la personne qui a déplacé ou retenu l’enfant n’établisse : a) qu’une période de plus d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire de l’Etat où se trouve l’enfant ; ou b) qu’à l’époque de la violation invoquée la personne à qui la garde avait été confiée avant le déplacement n’exerçait pas effectivement ou de bonne foi le droit de garde sur l’enfant ; ou c) que la remise de l’enfant serait de nature à mettre gravement en cause sa santé ou sa sécurité en raison de la survenance d’un événement exceptionnel depuis l’attribution de la garde. Dans l’appréciation des circonstances visées ci-dessus, les autorités judiciaires de l’Etat requis tiennent compte directement du droit et des décisions judiciaires de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant. Elles prennent en considération les informations fournies par l’autorité centrale de l’Etat de la résidence habituelle de l’enfant sur la teneur des dispositions législatives concernant le droit de garde dans cet Etat, ainsi que celles concernant la situation sociale de l’enfant. Une décision sur le retour de l’enfant n’affecte pas le fond du droit de garde. (...) » Article 20 (modification du droit de garde) « Lorsque le juge de l’Etat où l’enfant a été déplacé ou retenu illicitement a admis l’une des exceptions visées en 1, b), ou 1, c), de l’article précédent, il peut statuer sur le fond du droit de garde à l’expiration de la période d’un an depuis le déplacement ou le non-retour de l’enfant et s’il est établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. » B. Le droit portugais L’article 191 de la loi sur les mineurs, adoptée par le décret-loi no 314/78 du 27 octobre 1978, contient notamment les dispositions suivantes : « 1. Si un mineur quitte la maison de ses parents ou celle où ces derniers l’ont placé, s’il en est retiré ou encore s’il se retrouve hors de la garde de la personne ou de l’établissement auxquels il a été légalement confié, la remise de ce mineur doit être demandée au tribunal dans le ressort duquel il se trouve. Si la procédure doit se poursuivre, le curateur et la personne ayant accueilli ou retenu le mineur doivent être cités à comparaître afin de déposer dans les cinq jours des conclusions en réponse. (...) Lorsqu’il n’y a pas de conclusions en réponse, ou si celles-ci sont manifestement mal fondées, le juge ordonne la remise de l’enfant et désigne le lieu où cette dernière doit s’effectuer ; le juge n’ordonne cette mesure que s’il l’estime nécessaire ; la personne concernée en reçoit notification pour qu’elle procède à la remise telle qu’elle a été ordonnée, sous peine de poursuites pour désobéissance. (...) » D’après l’article 348 du code pénal, la désobéissance est punie d’une peine d’emprisonnement jusqu’à un an ou d’une amende pouvant aller jusqu’à cent vingt jours-amendes.
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
Le requérant est né en 1926 et réside à Istanbul. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant publia deux articles intitulés « Le ciel noir sur la Turquie » et « Que ton oppression augmente » dans un livre paru le 2 février 1995, sous le nom de « La liberté d’expression et la Turquie ». Ces articles avaient déjà été publiés à l’étranger, après traduction vers une autre langue. Ce livre était un recueil d’articles de plusieurs écrivains qui critiquaient et commentaient la politique menée par les autorités turques sur « le problème kurde » depuis la fondation de la République. Dans la préface, vingt écrivains invitaient le gouvernement turc à apporter des modifications à la loi relative à la lutte contre le terrorisme, pour la sauvegarde de la liberté d’expression. Dans les articles suscités, le requérant exposa notamment : < traduction > a) « Le ciel noir sur la Turquie (...) Les dirigeants de la Turquie ont décidé d’assécher l’étang pour attraper le poisson et ont déclaré une guerre générale. On a rapidement vu et appris comment l’étang devait être asséché et le poisson pris. Le monde entier aussi l’a vu et l’a appris. Mais le peuple d’origine turque n’était pas vraiment au courant, parce qu’il était interdit aux journaux d’évoquer l’assèchement de l’étang, ou bien parce que notre presse non censurée, entièrement dévouée à la patrie et très nationaliste, ne donnait pas d’informations sur l’étang, pensant que le monde n’entendrait pas, ne saurait pas et ne verrait pas ce qui se passait. La méthode employée pour assécher l’étang était si cruelle qu’une fumée épaisse montait jusqu’au septième étage du ciel. Mais pour notre presse, amadouer le monde, amadouer notre peuple – ou en réalité croire qu’elle parvenait à amadouer – relevait du plus grand patriotisme, du plus grand nationalisme. Elle n’était pas consciente de son crime contre l’humanité. Les yeux injectés de sang, les bouches écumantes, elle s’écria d’une seule voix : « Nous ne céderons pas une seule pierre, pas une seule poignée de terre ». (...) « Eh ! cher camarade, grand patriote, personne ne veut un caillou ou une poignée de terre. Nos concitoyens kurdes veulent leur langue, leur culture que l’on est en train d’anéantir. Même s’ils ne voulaient pas cela, les dirigeants seraient obligés de le leur accorder du fait qu’ils sont des êtres humains. Mais pour obtenir leurs droits, nos camarades kurdes font à présent la guerre. (...) Pendant la guerre d’indépendance, nous avons combattu ensemble, coude à coude. Ensemble, nous avons fondé cet Etat. Peut-on couper la langue de son frère ! » (...) D’autres crient, plus faiblement mais ne voulant écouter personne : « Lorsqu’il y a des pillages, nous offrons aux Kurdes l’ensemble des droits de l’homme, comme si ces droits étaient les biens de leurs pères, pour qu’ils accèdent eux aussi à l’indépendance » (...). N’est-il pas écrit dans ces déclarations que tu as signées que chaque nation, chaque groupe ethnique a droit à l’autodétermination ? (...) On a commencé à assécher l’étang. Les maisons d’environ deux mille villages ont été incendiées. A l’intérieur des maisons, des personnes et de nombreux animaux ont péri. Cela, non seulement nos journaux très nationalistes, mais aussi l’ensemble de la presse mondiale l’ont écrit. Nos autruches ont encore la tête dans le sable. Le sang coule à flot dans le pays, alors comment nos glorieux médias pourraient-ils sortir la tête du sable ? (...) De toutes parts de l’Est de l’Anatolie, deux millions et demi de personnes ont dû partir pour d’autres régions de la Turquie. Ces deux millions et demi de personnes vivent dans la misère, la faim la plus cruelle, sans domicile, affamées, humiliées dans les bidonvilles des grandes métropoles ; elles succombent à des maladies une à une, deux par deux. Il est clair que cet hiver encore il y aura des décès en masse. Déjà, certaines zones de la Turquie connaissent des épidémies de choléra. (...) Même la Croix-Rouge n’aide pas ou ne peut pas aider ces personnes affamées. (...) Il est écrit, dit et connu que jusqu’à présent, plus de mille sept cents personnes ont été victimes d’exécutions extrajudiciaires. On dit qu’« une nation commet un génocide lorsqu’elle tue les centaines, voire les milliers de personnes qui forment l’élite d’une ethnie ». Désormais, il est écrit que la Turquie a également commis le crime de génocide. De plus, outre le débat sur les violations des droits de l’homme, on discute de l’établissement d’un tribunal des droits de l’homme qui jugerait les dirigeants de la Turquie. Ainsi que de la mise en place d’un embargo économique contre la Turquie... Choisis donc pour la Turquie l’une de ces beautés ! (...) Ils ont brûlé la quasi-totalité des forêts de l’Est de l’Anatolie sous prétexte que la guérilla s’y cachait. (...) Dernièrement, le préfet de Gaziantep s’est rendu dans les forêts de la sous-préfecture d’Islahiye, où onze guérilleros avaient été tués. Là-bas, il s’est adressé aux journaux en ces termes : « Que pouvons-nous y faire, si nous avons brûlé la forêt ? Nous avons incendié la forêt, certes, mais avec elle onze guérilleros ont brûlé ». Un grand commandant qui a remporté de grandes victoires et dont la tête est auréolée de couronnes d’or. Tu as brûlé des forêts, la nation t’en est reconnaissante. Avec les forêts qui brûlent et le génocide perpétré par le biais des exécutions extrajudiciaires, deux millions et demi de personnes contraintes de quitter leur village (...) ; avec les forêts c’est la Turquie toute entière qui brûle, et personne ne lève le petit doigt. (...) Les dirigeants du pays sont allés si loin que depuis la fondation de la Turquie, la liberté d’expression est devenue le plus grave des crimes, et à cause de cela des individus sont piétinés en prison, tués ou chassés (...). Face à des crimes si cruels, que l’on me dise si la liberté d’expression est elle aussi un crime. Aujourd’hui, plus de deux cents personnes sont condamnées et emprisonnées. Des centaines sont en instance de jugement. Parmi elles se trouvent des membres du corps universitaire, des journalistes, des dirigeants syndicaux. (...) Et que dire des conditions inhumaines qui règnent au sein des prisons. (...) L’être humain de l’après seconde guerre mondiale n’est pas celui d’avant. (...) Sinon, comment l’espèce humaine aurait-elle pu résister au Rwanda, en Somalie, en Bosnie-Herzégovine, en Anatolie de l’Est ? (...) Comme si le régime raciste et oppressif [de la Turquie] ne suffisait pas, trois coups d’Etat militaires ont eu lieu en soixante-dix ans. (...) Chacun de ces coups d’Etat a fait régresser, a détruit un peu plus les peuples de Turquie. (...) [Le coup d’Etat militaire] les a pulvérisés à la base. Il pulvérise encore et encore leur culture, leur humanité, leur langue. (...) Je le répète : le peuple kurde ne demande rien d’autre que les droits de l’homme. Comme le peuple turc, il veut pouvoir pratiquer sa langue, recouvrer son identité, faire évoluer sa culture. Vous me direz que ces droits n’ont pas été octroyés au peuple turc (...). Le régime oppressif a tout fait pour coloniser, humilier et affamer les Anatoliens. En soixante-dix ans, ce régime leur a fait subir toute sorte de [châtiments]. (...) Si l’on n’avait pas tenté d’interdire puis d’éradiquer les langues et les cultures autres que celles du peuple turc, l’Anatolie aurait grandement contribué à la culture mondiale. Nous ne serions pas une telle nation sur cette terre, un pays à moitié affamé, perdant sa force créatrice. (...) Cette guerre qui dure depuis dix ans a beaucoup coûté à la Turquie et lui coûtera encore. (...) Des centaines de livres seront écrits, des centaines de films seront tournés sur cette guerre. (...) L’humanité ne pardonne pas, même si elle fait semblant de le faire... En Allemagne, Hitler et ses partisans ont perpétré les crimes les plus graves de l’histoire. (...) Si Thomas Mann, Heinrich Mann, Stefan Zweig, Bertolt Brecht, Erich Maria Remarque, etc., n’avaient pas été là pour combattre Hitler, aujourd’hui les Allemands ne pourraient marcher la tête haute au sein de la communauté humaine. (...) Je le répète. Je le dirai mille fois encore. (...) La guerre turco-kurde n’a aucun sens. Elle n’a pas non plus de raison d’être. Il n’y a qu’un seul motif à cette guerre : le racisme, cancer de l’humanité. (...) C’est à cause de cette mentalité que la Turquie se trouve sur cette voie sans issue. Notre pays a du sang sur les mains. Face au monde, nous avons perdu notre dignité. (...) Nous n’avons pas de Thomas Mann pour combattre ce régime prétendument démocratique qui nous opprime, nous torture et nous humilie. Nous n’avons pas non plus de Freud, de Frank, de Dr Nissen, d’Einstein. (...) Chaque année depuis trois mille ans, et aujourd’hui encore, les Kurdes fêtent le Newroz ; lors du jugement dernier, croyez-vous que le monde pardonnera à ceux qui ont tué quatre-vingt personnes sans distinguer les enfants, les jeunes filles, les malades, les infirmes ou les vieux, et qu’il pardonnera au peuple du pays qui a permis cela ? Les générations futures de l’Anatolie pardonneront-elles notre barbarisme actuel ? (...) Après le déplacement de deux millions et demi de personnes, un embargo alimentaire a été imposé dans l’Est de l’Anatolie. Parce que les villageois auraient donné une partie de leurs vivres à la guérilla. Les semailles, les pistachiers, les arbres fruitiers avec les forêts, les animaux appartenant aux villageois qui refusent de devenir gardes de village mais qui acceptent de quitter leur village sont incendiés, tués. Pourquoi les villages sont-ils incendiés ? Pour que la guérilla ne puisse pas s’y réfugier ou s’y alimenter. D’après ce que l’on entend à Istanbul, la guérilla s’approvisionnerait auprès des « gardes de village », grands bienfaiteurs de l’Etat. Il y a quelques jours, les journaux ont rapporté que la guérilla s’était emparée de sept cents moutons appartenant aux gardes de village. Ceux-ci sont au nombre de cinquante mille dans l’Est de l’Anatolie. Toute cette région est asservie, soumise aux gardes de village, qui représentent l’Etat, qui représentent tout là-bas. Ils pendent et coupent, cassent et renversent, brûlent et tuent. Ils ne connaissent aucune règle humaine, aucune loi. (...) La population de l’Est de l’Anatolie que l’on a brûlée et détruite est passée de vingt-cinq mille à cinq mille personnes ; les militaires et les gardes de village ne laissent même pas entrer le Premier ministre de la République de Turquie dans les bourgs de la région. Vous me direz que comme il s’agit d’une femme, c’est à cause de leur machisme ; mais alors pourquoi refusent-ils de faire entrer les ministres hommes ? Qu’ils les laissent entrer ou pas, il est facile d’identifier le maître de l’Est de l’Anatolie. Actuellement, le maître de l’Anatolie, ce n’est ni les Kurdes ni la République de Turquie. Si l’ombre de la République de Turquie s’étendait à l’Est, y aurait-il eu ce massacre, ce pillage, cet incendie ? Une grande ville telle que Şırnak et les sous-préfectures de Cizre, Nusaybin et Lice auraient-elles été incendiées et transformées en enfer ? (...) Les muhtars des villages de la sous-préfecture d’Ovacık qui avaient déclaré « les soldats ont brûlé nos villages » ont été retrouvés morts quelques jours plus tard dans l’incendie des forêts proches de leurs villages. Quant au ministre Köylüoğlu, qui avait dit « les soldats brûlent les villages », il revint quelques jours plus tard en affirmant « les soldats ne peuvent pas incendier les villages ; c’est le PKK qui les brûle ». Et tout cela, bizarrement, est paru dans les « journaux libres de notre pays ». (...) Voyez cette sous-préfecture de Van où [les habitants] se sont un jour réveillés en constatant que le bourg était marqué de signes de croix de couleur rouge. Comment nos journaux peuvent-ils passer cela sous silence ? Les SS ont fait la même chose. Il ne reste plus non plus de bergers dans les montagnes. Les bergers adultes ont été tués. Alors, ceux qui restent dans les villages ont envoyé les enfants dans les montagnes, pensant qu’il ne leur arriverait rien ; quelques jours plus tard, ils ont ramassé là-haut les corps des petits enfants. (...) Un matin, un ami journaliste m’appela : (...) « Grand frère, dit-il, les policiers ont emmené tous ceux qui travaillaient au journal Özgür Gündem ». Je m’y rendis aussitôt et constata que la police avait encerclé les lieux. Je voulus entrer dans les locaux, mais la police m’en empêcha. Il n’y avait plus personne pour imprimer le journal. Un total de cent vingt personnes travaillant au journal avaient été appréhendées par nos policiers et mises au trou. Même le pauvre garçon qui était responsable de la cafétéria avait été arrêté. Si cela s’était passé en été, ils auraient probablement donné l’ordre d’emmener aussi toutes les mouches qui se trouvaient dans les locaux. (...) Face à la communauté humaine, ce régime qui déshonore et humilie tant la population de notre pays ; il n’y a personne qui puisse agir, aucun d’entre nous ne parvient à faire quoi que ce soit. (...) Celui qui tente de s’opposer à la guerre turco-kurde le paie cher. (...) Le coup d’Etat du 12 septembre [1980] n’a pas intimidé que les intellectuels. Non seulement des centaines de milliers de personnes ont été emprisonnées et torturées, mais le pays tout entier a été intimidé, a décliné et s’est éloigné de l’humanisme. (...) Le président du coup d’Etat militaire, le général Evren, a dit « qu’on les pende pour ne pas avoir à les nourrir en prison ». Juste ou pas, il a tout écrasé et s’est dressé au milieu de tous comme la statue d’un tyran, sans pitié, tel un vampire buveur de sang. A l’ombre des armes et des baïonnettes, il a élaboré une Constitution qui a été approuvée par quatre-vingt-dix pour cent de la nation. Voilà douze ans que la Turquie est régie par cette Constitution. (...) Les étrangers qui ont appris de ma bouche que la Turquie possédait une telle Constitution m’ont demandé si le pays était membre du Conseil de l’Europe. Franchement, ils ont ri de la réponse. (...) Quoi de plus naturel que je soutienne un camp (...) Depuis toujours, je suis aux côtés des peuples de Turquie. Depuis toujours, je suis avec ceux que l’on opprime, ceux dont on viole les droits, ceux que l’on exploite, ceux qui souffrent, ceux qui vivent dans l’indigence. Je ne suis pas issu d’une famille alévite. Dans notre histoire, ce sont les Alévites qui ont été le plus opprimés et humiliés. Je suis également du côté des Alévites. Je ne suis pas de la religion Yézidi. Au Moyen-Orient, les Yézidis ont subi cinquante-deux génocides ; à chaque fois, les survivants se sont réfugiés dans les montagnes de Sincar, puis, une fois qu’ils étaient plus nombreux, sont redescendus à Laliş Koyağına. Ces génocides ont été relatés dans une grande partie de mes livres. Je suis également du côté de la langue turque, je suis du côté de la langue que j’écris. Je me sens tenu de faire tout ce qui est en mon pouvoir ou qui ne l’est pas pour enrichir, embellir encore la langue turque. Je suis très en colère contre Kenan Pacha du fait qu’il a dissous l’Institut de langue turque. Bien sûr que je suis partial. Pour moi, le monde est un jardin culturel à mille fleurs. Au cours de l’histoire, toutes les cultures se sont nourries et greffées ; c’est ainsi que notre monde s’est enrichi et a embelli. Lorsqu’une culture disparaît, c’est une couleur, une lumière différente, une source différente qui disparaît de la surface de la terre. Je suis du côté de ma culture tout comme je suis du côté de chaque fleur de ce jardin culturel. L’Anatolie a toujours été une mosaïque de fleurs qui a empli le monde de belles fleurs de culture, de belles lumières. Je voudrais qu’il en soit encore ainsi aujourd’hui. (...) Si les habitants de ce pays doivent choisir de vivre humainement et opter pour le bonheur et la beauté, cela passera d’abord par l’universalité des droits de l’homme, puis par la liberté d’expression universelle, illimitée. Les habitants des pays qui s’opposent à cela entreront dans le vingt et unième siècle déshonorés et dans une situation telle qu’ils ne pourront regarder l’humanité en face. Il nous appartient de sauver l’honneur, le pain, la richesse de la culture de sa terre. Ou bien une véritable démocratie ou bien (...) rien ! » b) « Que ton oppression augmente Nous, les gens de la Turquie, nous n’oublions jamais que pour aboutir à une vraie démocratie, il faut adopter une voie pacifiste pour résoudre le problème kurde. La résolution du problème kurde par voie pacifiste fait naître d’innombrables possibilités pour notre pays. (...) Comme je l’ai toujours écrit et dit, le monde est un jardin culturel de mille fleurs. (...) Si une seule de ces mille fleurs se perd, l’humanité perd une de ses couleurs. (...) Cette guerre horrible ne doit pas durer. L’économie de la Turquie sombre. (...) La Turquie est en destruction. (...) Si cette guerre dure encore, il va nous arriver le pire des désastres. (...) Heureusement, les Kurdes et les Turcs se connaissent bien depuis des centenaires, ainsi malgré tous ses efforts l’Etat n’a pas réussi à mettre les deux peuples à couteaux tirés. La fraternité de ces deux peuples n’est pas une fraternité conçue par les dirigeants. (...) C’est la vraie fraternité de deux peuples. C’est cela qui a empêché la guerre civile en Turquie. (...) Les peuples de la Turquie ont soif de fraternité et de démocratie. Il n’est pas si difficile de gouverner la Turquie avec une vraie démocratie. » Le 2 février 1995, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Istanbul (« la cour de sûreté de l’Etat ») demanda qu’il soit statué sur la saisie de l’ouvrage suscité. Se basant sur les deux articles publiés par le requérant aux pages 51-64 et 65-78, il reprocha notamment que ces articles « incitaient le peuple à l’hostilité et à la haine fondée sur la distinction de race et d’origine », infraction prévue par l’article 312 § 2 du code pénal. Le 2 février 1995, le juge assesseur de la cour de sûreté de l’Etat rendit une ordonnance de référé sur la saisie du livre « La liberté d’expression et la Turquie ». Dans sa décision, le juge constata notamment que : < traduction > « (...) Suite à l’examen et l’appréciation du contenu de chaque article incriminé, il a été constaté que la demande de saisie est conforme à la loi, vu que l’infraction est commise par lesdits articles qui incitent expressément le peuple à l’hostilité et à la haine fondée sur la distinction de race et d’origine (...) » Le 8 février 1995, selon la procédure en la matière, le requérant et l’éditeur du livre firent opposition contre l’ordonnance du 2 février 1995 devant la cour de sûreté de l’Etat. Par décision du 10 février 1995, celle-ci rejeta cette opposition à l’unanimité. Suite à la publication des extraits de l’article « Que ton oppression augmente » dans le quotidien turc « Milliyet » le 10 janvier 1995, le procureur de la République intenta une action pénale contre le requérant sur la base des articles 8 § 1 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et 312 § 2 du code pénal. Par un jugement du 1er décembre 1995, la cour de sûreté de l’Etat acquitta le requérant des chefs d’accusations. La cour considéra que, dans ses grandes lignes, cet article était une forte critique de la politique socio-économique des dirigeants depuis la fondation de la république turque et que les éléments constitutifs de l’infraction ne se trouvaient pas établis. Par un acte d’accusation présenté le 21 décembre 1995, le procureur de la République intenta une autre action pénale contre le requérant et l’éditeur desdits articles sur la base des articles 312 § 2 du code pénal et 8 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme. Par un jugement du 7 mars 1996, la cour de sûreté de l’Etat déclara le requérant coupable d’une infraction au titre de l’article 312 du code pénal pour l’article intitulé « Le ciel noir sur la Turquie ». Elle le condamna à un an et huit mois d’emprisonnement et à une amende de 466 666 livres turques (TRL) avec sursis. Elle constata que, pris dans son ensemble, l’article suscité visait à attiser la haine et l’hostilité entre les citoyens d’origine turque et ceux d’origine kurde et à créer une discrimination basée sur l’appartenance à une race et à une région. Se référant à l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni du 7 décembre 1976, la cour nota en outre que « la liberté d’expression ne revêt pas un caractère absolu et que comme l’indique le paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention, cette liberté comporte des devoirs et des responsabilités ». Elle mit en exergue la personnalité et la notoriété du requérant. La cour cita entre autres : « (...) Le racisme est entré en Turquie en 1900, la personne qui a créé l’idéologie raciste est kurde, toutefois le racisme qu’elle a créé est un racisme turc. (...) L’administration raciste entamée dans les années 1900 a créé un des régimes les plus répressifs et horribles du monde. (...) Dans cette république raciste, de la fondation de la République jusqu’à 1946, en Turquie ne se trouvait aucun villageois qui ne soit battu par la police, les gendarmes (...) la pratique de la langue kurde a été interdite par la loi, les militaires ont semé un vent de mort sur les Kurdes (...) (...) Environ deux mille villages ont été brûlés avec leurs maisons, des personnes et des animaux ont aussi péri dans ces maisons (...) (...) Le peuple kurde ne demande que [le respect] des droits de l’Homme, il veut pratiquer sa langue comme le peuple turc, aboutir à son identité, faire évoluer sa culture, par ailleurs ces droits ne sont pas octroyés au peuple turc, plus tard on se serait heurté à des résistances du peuple turc (...) (...) La libération de ce monstre tyrannique qui, avec ses alliés occidentaux, exploite le peuple d’Anatolie, ne peut se faire qu’avec les dents et les ongles (...) (...) Il n’y a qu’un seul motif pour la guerre turco-kurde, il s’agit du racisme qui est le cancer de l’humanité (...) (...) Dans notre histoire, ceux qui sont les plus opprimés, humiliés sont les Alévites. (...) Nos frères kurdes sont maintenant en guerre pour récupérer leurs droits (...). » Par un arrêt du 18 octobre 1996, la Cour de cassation, par trois voix contre deux, confirma le jugement de première instance. Elle considéra que la cour de sûreté de l’Etat avait justifié sa décision par des motifs exempts d’insuffisance et d’erreur de droit. Dans leur opinion dissidente, le président et un membre de la Cour de cassation formulèrent notamment : « Yaşar Kemal est un écrivain célèbre dans le pays ainsi qu’à l’étranger et ses œuvres font état de confrontations et contradictions sociales et de leurs impacts sur la vie des hommes. Il expose, en particulier, les conséquences sur la vie humaine de la situation féodale de la région de Çukurova. Au vu de cette identité, il est impensable que [l’écrivain] puisse rester indifférent aux problèmes surgissant dans le pays. Il expose dans l’article incriminé, « Le ciel noir sur la Turquie », qu’en Turquie l’Etat poursuivait une politique raciste depuis les années 1900 ; jusqu’en 1946, il n’y avait pas eu un seul villageois qui n’avait pas été battu par les gendarmes et la police, que les hommes d’Anatolie en avaient beaucoup souffert et en avaient subi les conséquences. [L’écrivain] relève que les violations des droits de l’homme avaient atteint une proportion importante pendant la période du régime intermédiaire [du coup d’Etat] du 12 septembre [1980] lors de laquelle il était interdit de parler kurde et même l’Institut de langue turque avait été dissous. Il qualifie de guerre la lutte menée par les forces de l’ordre contre les actes des terroristes séparatistes, actifs depuis des années au sud-est du pays, et dénonce cette pratique en soulignant qu’elle s’accompagnait d’un certain nombre de problèmes tels que l’exode, la misère, la pauvreté, l’incendie des forêts et des maisons. Il relève le danger de séparatisme que pourrait provoquer la guerre et expose qu’une telle politique n’aurait que des effets néfastes pour le pays. Dans un pays démocratique, rien n’est plus naturel que l’approche des écrivains et des intellectuels qui réfléchissent sur les problèmes du pays, qui émettent des idées et les communiquent à travers leurs écrits et leurs discours. Les écrivains et les intellectuels, lorsqu’ils exposent leurs idées, ne sont pas dans l’obligation de penser, d’écrire ou de mener des réflexions conformes aux aspirations des régimes. Penser différemment est leur droit le plus élémentaire. De plus, ces idées peuvent ne pas être partagées par la majorité et l’unique conséquence en la matière doit être le rejet de ces pensées. Sans aucun doute, les libertés ne sont pas illimitées. Toutefois, l’ingérence dans ces libertés doit se faire conformément aux normes des démocraties modernes. En résumé, l’écrivain et l’intellectuel d’un pays peuvent exprimer toute sorte d’idées, en omettant de mettre en péril la sécurité publique et de faire l’apologie des actes prohibés par la loi. L’article 2 de notre Constitution dispose que notre République est un Etat de droit démocratique. En promettant à ses citoyens de mettre en œuvre les droits et libertés existants dans les pays de l’Ouest (...), la Turquie est partie contractante à plusieurs instruments internationaux et ces traités internationaux ont valeur de loi. En outre, le type de délit énoncé à l’article 312 § 2 du code pénal turc et invoqué à l’encontre de Yaşar Kemal n’est pas constitué par l’article incriminé. (...) Comme nous l’avons exposé ci-dessus, l’article incriminé ne fait aucune exhortation à l’hostilité entre les Kurdes et les Turcs. L’écrivain critique, blâme et condamne les régimes du passé et du futur. Sans faire de séparatisme, il fait valoir indirectement que la guerre au sud-est [selon sa qualification] engendrerait un danger de séparatisme et qu’il est contre le séparatisme. Sans aucun doute, pris dans son ensemble, l’article contient des passages qu’un grand nombre d’entre nous ne pourrait accueillir avec faveur et qui sont imprégnés de sentimentalité. En outre, on recèle une exagération dans certaines des approches de l’écrivain. » II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 312 du code pénal se lit ainsi : « Incitation non publique au crime Est passible de six mois à deux ans d’emprisonnement et d’une amende lourde de six mille à trente mille livres turques quiconque, expressément, loue ou fait l’apologie d’un acte qualifié de crime par la loi, ou incite la population à désobéir à la loi. Est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à trois ans ainsi que d’une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l’hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d’une portion pouvant aller d’un tiers à la moitié de la peine de base. Les peines qui s’attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l’article 311. » Les articles 28 de la Constitution et 86 du code de procédure pénale disposent que des publications peuvent être saisies sur décision du juge après ouverture d’une enquête ou de poursuites en raison des infractions définies par la loi ou sur ordre d’une autorité compétente expressément habilitée par la loi dans les cas où un retard serait préjudiciable à la protection de l’intégrité indivisible de l’Etat avec son territoire et sa nation, de la sécurité nationale, de l’ordre public et de la morale publique ou à la prévention des infractions.
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1947 et 1946 et résident à Livourne. Ils sont propriétaires d’un appartement à Livourne, qu’ils avaient loué à V.C. Par un acte signifié le 17 octobre 1986, les requérants donnèrent congé au locataire et assignèrent l’intéressé à comparaître devant le juge d’instance de Livourne. Par une ordonnance du 27 octobre 1986, qui devint exécutoire le 29 octobre 1986, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1987. Le 28 décembre 1987, les requérants signifièrent au locataire le commandement de libérer l’appartement. Le 19 janvier 1988, ils lui signifièrent l’avis que l’expulsion serait exécutée le 26 février 1988 par voie d’huissier de justice. Le 17 avril 1989, les requérants firent une déclaration solennelle qu’ils avaient un besoin urgent de récupérer l’appartement pour en faire leur propre lieu d’habitation. Entre le 26 février 1988 et le 26 juillet 1996, l’huissier de justice procéda à vingt-deux tentatives d’expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, les requérants n’ayant pas obtenu le concours de la force publique dans l’exécution de l’expulsion. Au début du mois de septembre 1996, le locataire libéra l’appartement. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est décrit dans l’arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1920 et 1919 et résident à Pomigliano D’Arco. Ils sont propriétaires d’un appartement à S. Giorgio a Cremano, qu’ils avaient loué à I.M. et G.S. Par un acte signifié le 16 juillet 1987, les requérants donnèrent congé aux locataires et assignèrent les intéressés à comparaître devant le juge d’instance de Barra. Par une ordonnance du 23 septembre 1987, qui devint exécutoire le même jour, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1989. Le 23 mai 1990, les requérants firent une déclaration solennelle qu’ils avaient un besoin urgent de récupérer l’appartement pour en faire leur habitation propre. Le 11 juin 1990, les requérants signifièrent aux locataires le commandement de libérer l’appartement. Le 26 juillet 1990, ils leur signifièrent l’avis que l’expulsion serait exécutée le 5 septembre 1990 par voie d’huissier de justice. Entre le 5 septembre 1990 et le 28 avril 1997, l’huissier de justice procéda à vingt et une tentatives d’expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, les requérants n’ayant pas obtenu le concours de la force publique dans l’exécution de l’expulsion. Au début du mois de novembre 1997, les locataires quittèrent les lieux. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est décrit dans l’arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La première requérante, María Iglesias Gil, est née en 1961 et réside à Vigo. Elle est la mère du second requérant, A.U.I., né en 1995. Le 8 septembre 1989, la requérante contracta mariage avec A.U.A. Le 3 juin 1994, le couple divorça. Le 7 décembre 1995 naquit A.U.I., le second requérant, fils de la requérante et d'A.U.A., et reconnu par ce dernier. Par une décision du 20 décembre 1996, le juge aux affaires familiales de Vigo accorda le droit de garde d'A.U.I. à la requérante avec un droit de visite en faveur du père. Le 1er février 1997, A.U.A., profitant d'une visite à son enfant, l'enleva et sortit du territoire espagnol avec lui. Après avoir transité par la France et la Belgique, A.U.A. s'envola vers les Etats-Unis avec l'enfant. A. Procédures devant les juridictions internes Plainte pénale déposée par la requérante pour soustraction illégale de son enfant La requérante déposa une plainte pénale avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction no 5 de Vigo pour soustraction d'enfant. Le 4 février 1997, le juge d'instruction rendit une ordonnance de recherche interne à l'encontre d'A.U.A. et de remise immédiate de l'enfant à sa mère. Par la suite, la requérante élargit sa plainte pénale à plusieurs membres de la famille d'A.U.A. qui, d'après elle, avaient collaboré à l'enlèvement de son enfant. Durant l'instruction de l'affaire, la requérante sollicita auprès du juge d'instruction no 5 de Vigo la mise sur écoute du téléphone portable d'A.U.A. ainsi que l'audition de plusieurs membres de la famille de ce dernier. Par une décision du 19 février 1997, le juge d'instruction rejeta ces demandes, la première au motif qu'il n'existait aucune preuve que le numéro de téléphone portable indiqué corresponde à celui d'A.U.A., et la seconde parce que la requérante n'avait pas indiqué précisément sur quelles questions ces personnes devraient déposer. La requérante sollicita également une perquisition au siège d'une société appartenant à A.U.A., qui était chargée de l'administration de ses biens en son absence, ainsi que l'examen du véhicule qu'il avait utilisé pour quitter l'Espagne. Ces demandes furent également rejetées par le juge d'instruction. La requérante pria le juge de délivrer un mandat de recherche et d'arrêt international à l'encontre d'A.U.A. Par une ordonnance du 29 mai 1997, le juge d'instruction la débouta pour les raisons suivantes : « (...) Quant au mandat de recherche et d'arrêt international, les délits de contrainte et d'extorsion n'ont pas été démontrés. Par ailleurs, l'éventuel (délit) de désobéissance est discutable eu égard au fait qu'il n'est pas prouvé que l'intéressé a été sommé d'exécuter le jugement du juge aux affaires familiales et averti qu'il risquait de commettre ce délit. En outre, ce délit (article 556 du code pénal) n'étant puni que d'une peine de prison de six mois à un an, il ne justifie pas un mandat de recherche et d'arrêt international, dans la mesure où l'éventuelle conduite de la personne dénoncée paraît plutôt relever de l'article 622 du code pénal qui définit ces faits comme une contravention. (...) D'autre part, il convient de rappeler que les actes de procédure demandés ne sont ni légaux ni utiles pour le but poursuivi, de sorte qu'ils doivent être refusés en application de l'article 311 du code de procédure pénale. » Examinant d'autres demandes d'actes d'instruction présentées par la requérante pour désobéissance au jugement du juge aux affaires familiales et inexécution de ce jugement, le juge d'instruction no 5 les rejeta par une décision du 5 juin 1997 pour les motifs suivants : « (...) Les actes d'instruction sont réalisés afin d'enquêter sur l'existence de délits. Ils prennent fin sur décision du juge, et non lorsque la partie le demande (article 785 du code de procédure pénale). D'après les actes réalisés jusqu'ici, il n'est pas prouvé qu'A.U.A. n'a pas rendu son fils à sa mère au terme de la période pendant laquelle il avait le droit de l'avoir avec lui. (...) Un avis de recherche interne a été délivré à l'encontre d'A.U.A. Dès qu'il sera localisé, la disposition finale 19 de la loi organique 1/1996 du 15 janvier 1996 sur la protection juridique des mineurs pourra être mise en œuvre. » En outre, dans une ordonnance du 25 mai 1998, le juge d'instruction examina la question de savoir si l'on pouvait poursuivre une personne partageant l'autorité parentale à l'égard d'un mineur pour soustraction d'enfant. A ce sujet, il déclara que, d'après la jurisprudence établie, cela n'était pas possible, de tels faits ne pouvant être poursuivis que du chef des délits de désobéissance ou d'extorsion. Par une autre ordonnance du 1er juillet 1998, le juge d'instruction réitéra sa position selon laquelle il n'était pas possible de délivrer un mandat de recherche et d'arrêt international pour le délit présumé de désobéissance, et ce pour les motifs suivants : « (...) S'agissant du mandat de recherche et d'arrêt international à l'encontre d'A.U.A., cette question a été résolue par l'Audiencia de Pontevedra dans sa décision du 23 septembre 1997. Or, depuis cette date, aucun élément nouveau n'est apparu permettant de modifier la qualification du délit. En effet, en aucun cas il ne peut être qualifié de « détention illégale », comme le souligne l'arrêt du 5 juillet 1993 concernant la soustraction de mineurs. Dans cet arrêt, il est précisé que « le fait que le père d'un mineur l'emmène avec lui dans l'unique but de l'avoir en sa compagnie ne saurait constituer un délit de soustraction de mineur » (...) Enfin, concernant le délit présumé de désobéissance, il n'est pas possible de délivrer un mandat de recherche et d'arrêt international dès lors que ce délit n'est pas inclus dans les traités d'extradition. Partant, Interpol n'y donnerait pas suite puisqu'il n'est pas conforme à la légalité. » L'appel de la requérante fut rejeté par une décision de l'Audiencia Provincial de Pontevedra du 17 novembre 1998. 2. Premier recours d'amparo de la requérante La requérante forma un recours d'amparo sur la base des articles 24 (droit à un procès équitable), 15 (droit à la vie et à l'intégrité physique et morale) et 17 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Constitution, ainsi que de la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant de 1989. Par une décision du 2 juin 1999, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours pour défaut manifeste de fondement, la haute juridiction estimant que la requérante se limitait à faire part de son désaccord avec des décisions motivées. Non-lieu provisoire du juge d'instruction no 5 Au terme de l'instruction, par une décision du 3 juillet 1998, le juge d'instruction no 5 de Vigo rendit un non-lieu provisoire quant à A.U.A., avec maintien de l'avis de recherche interne et de saisie de ses biens, ainsi qu'un non-lieu définitif pour les membres de la famille d'A.U.A. mis en cause par la requérante. Le juge fonda le non-lieu provisoire à l'égard d'A.U.A. sur le fait que, n'étant pas en Espagne, ce dernier n'avait pu être interrogé ni donc faire formellement l'objet d'une accusation pénale conformément à l'article 791-4 du code de procédure pénale. L'appel formé par la requérante fut rejeté par une décision de l'Audiencia Provincial de Pontevedra du 9 novembre 1998. Deuxième recours d'amparo de la requérante La requérante forma un recours d'amparo contre ces décisions devant le Tribunal constitutionnel en invoquant l'article 17 (droit à la liberté et à la sûreté) combiné avec les articles 18 (droit à la vie privée et à l'intimité familiale), 24 (droit à un procès équitable) et 39 (protection sociale, économique et juridique de la famille et des enfants) de la Constitution. Elle invoqua également les articles 5 et 8 de la Convention. Dans son recours, elle se plaignait notamment du refus systématique opposé par le juge d'instruction à sa demande de recherche internationale de son enfant, ce qui constituait à ses yeux une violation de l'obligation positive de protection de l'enfant et de sa famille. Elle alléguait également une violation de l'article 11 § 1 de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989 qui prévoit que les Etats prennent des mesures afin de lutter contre les déplacements et non-retours illicites d'enfants à l'étranger. Elle faisait valoir en outre que, par son opposition à tout acte d'investigation, le juge d'instruction avait violé directement son droit à la vie privée et familiale et celui de son enfant, ainsi que son droit à la protection judiciaire garanti par l'article 24 de la Constitution et l'article 6 de la Convention. Par une décision du 17 juin 1999, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours d'amparo pour défaut de fondement, au motif que la requérante se limitait à contester les décisions rendues par les juridictions pénales qui, de manière raisonnée et fondée, avaient décidé le non-lieu provisoire de la plainte pénale présentée par l'intéressée pour enlèvement de mineur ainsi que le maintien de certaines mesures préventives. Autres décisions d'ordre pénal En outre, dans le cadre d'un recours présenté par la requérante devant l'Audiencia Provincial de Pontevedra contre une décision du juge d'instruction no 5, ce dernier, dans un rapport qu'il soumit le 5 septembre 1997 à l'Audiencia Provincial, déclara ce qui suit : « (...) La procédure pénale a pour but la poursuite des délits et, le cas échéant, la punition des délinquants. Toutefois, le juge d'instruction ne peut en aucun cas se laisser manipuler par une femme animée par la jalousie ou la haine envers la famille de son ex-époux, et pratiquer une série d'actes de procédure inutiles pour l'objet du procès, et qui ne visent qu'à importuner des tiers étrangers au litige. En l'espèce, la seule chose prouvée jusqu'ici est qu'A.U.A. n'a pas rendu son fils A.U.I. à sa mère au terme de la période que le juge aux affaires familiales lui avait accordée. » Une demande en récusation dirigée contre le juge d'instruction no 5 fut rejetée par une décision du 20 novembre 1997. En outre, une requête en nullité de la procédure fut rejetée par une décision du 22 février 1999. Attribution de l'entière autorité parentale à la requérante Par un jugement du 12 février 1999, le juge aux affaires familiales de Vigo retira à A.U.A. l'autorité parentale et l'attribua dans son intégralité à la requérante. Le juge fonda sa décision sur les motifs suivants : « (...) après examen des éléments de preuve, il convient d'accueillir favorablement la demande de la requérante. En effet, (...) il ressort du dossier que le défendeur, après inexécution de façon continue du régime des visites (comme le montre la décision rendue par ce tribunal le 20 décembre 1996), n'a pas rendu l'enfant à sa mère au terme de la période fixée par la décision du 20 décembre 1996. En outre, depuis le 1er février 1997, le père et l'enfant se trouvent en un lieu inconnu, soustrayant ainsi l'enfant à la garde accordée à la requérante par décision judiciaire. Cette attitude ne peut qu'être qualifiée de très grave, puisqu'elle a entraîné la séparation brusque et cruelle de l'enfant d'avec l'environnement familial dans lequel il était élevé de manière heureuse, et l'a privé, et continue de le priver, de la protection et de l'amour de sa mère et ce (...) dans sa plus tendre enfance, avec le grave préjudice que cela entraîne (...) Ainsi [A.U.A.], en faisant passer ses intérêts propres avant ceux de son enfant, a agi de manière gravement préjudiciable à l'égard de ce dernier (...) » Rétablissement des contacts entre la requérante et son fils, récupération de l'enfant par la requérante et dépôt de nouvelles plaintes pénales D'après un rapport psychologique soumis par la requérante en avril 2000, A.U.A. eut un premier contact téléphonique avec elle dans lequel il posait plusieurs conditions pour la remise de l'enfant, la menaçait et lui faisait du chantage. Le 12 juin 2000, la requérante porta plainte pour menaces et contrainte contre A.U.A. Par une ordonnance du 30 septembre 2000, le juge d'instruction no 6 de Vigo rendit un non-lieu provisoire. Sur un appel de la requérante, l'Audiencia Provincial de Pontevedra annula la décision entreprise par une décision du 15 mai 2001. Le 18 avril 2000, la requérante revit pour la première fois son fils depuis son enlèvement en février 1997. Le 12 mai 2000, A.U.A. comparut volontairement devant le juge d'instruction qui, après l'avoir entendu, n'ordonna pas sa détention provisoire. Finalement, le 8 juin 2000, profitant du retour à Vigo d'A.U.A. et de son fils, la mère réussit avec l'aide de la police à reprendre son enfant. L'intéressée allègue que pendant un certain temps elle a dû vivre cachée avec son fils dans un centre d'accueil pour femmes en détresse. Le 14 juillet 2000, le juge aux affaires familiales reconnut à A.U.A. un droit de visite à l'égard de son fils. Ne pouvant exercer ce droit, A.U.A. déposa une plainte devant le juge d'instruction de Vigo à l'encontre de la requérante et de ses parents pour désobéissance grave à l'autorité. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS A. La Constitution Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent comme suit : Article 10 § 2 « Les dispositions relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que la Constitution reconnaît seront interprétées conformément à la Déclaration universelle des Droits de l'Homme et aux traités et accords internationaux portant sur les mêmes matières ratifiés par l'Espagne. » Article 18 « 1. Le droit à l'honneur, à l'intimité personnelle et familiale (...) est garanti à toute personne. (...) » Article 24 « 1. Toute personne a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et intérêts légitimes, sans jamais pouvoir être mise dans l'impossibilité de se défendre. (...) » Article 39 § 4 « Les enfants jouissent de la protection prévue par les accords internationaux qui protègent leurs droits. » Article 96 § 1 « Après leur publication officielle en Espagne, les traités internationaux valablement souscrits forment partie intégrante de l'ordre juridique interne. (...) » B. La Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989 Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l'enfant sont ainsi libellées : Article 11 « 1. Les Etats parties prennent des mesures pour lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d'enfants à l'étranger. A cette fin, les Etats parties favorisent la conclusion d'accords bilatéraux ou multilatéraux ou l'adhésion aux accords existants. » C. La Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants Les dispositions pertinentes de cette convention sont ainsi libellées : Article 1 « La présente Convention a pour objet : a) d'assurer le retour immédiat des enfants déplacés ou retenus illicitement dans tout Etat contractant ; b) de faire respecter effectivement dans les autres Etats contractants les droits de garde et de visite existant dans un Etat contractant. » Article 2 « Les Etats contractants prennent toutes mesures appropriées pour assurer, dans les limites de leur territoire, la réalisation des objectifs de la Convention. A cet effet, ils doivent recourir à leurs procédures d'urgence. » Article 3 « Le déplacement ou le non-retour d'un enfant est considéré comme illicite : a) lorsqu'il a lieu en violation d'un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l'Etat dans lequel l'enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l'eût été si de tels événements n'étaient survenus. Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d'une attribution de plein droit, d'une décision judiciaire ou administrative, ou d'un accord en vigueur selon le droit de cet Etat. » Article 6 « Chaque Etat contractant désigne une autorité centrale chargée de satisfaire aux obligations qui lui sont imposées par la Convention. (...) » Article 7 « Les autorités centrales doivent coopérer entre elles et promouvoir une collaboration entre les autorités compétentes dans leurs Etats respectifs, pour assurer le retour immédiat des enfants et réaliser les autres objectifs de la présente Convention. En particulier, soit directement, soit avec le concours de tout intermédiaire, elles doivent prendre toutes les mesures appropriées : a) pour localiser un enfant déplacé ou retenu illicitement ; b) pour prévenir de nouveaux dangers pour l'enfant ou des préjudices pour les parties concernées, en prenant ou faisant prendre des mesures provisoires ; c) pour assurer la remise volontaire de l'enfant ou faciliter une solution amiable ; d) pour échanger, si cela s'avère utile, des informations relatives à la situation sociale de l'enfant ; e) pour fournir des informations générales concernant le droit de leur Etat relatives à l'application de la Convention ; f) pour introduire ou favoriser l'ouverture d'une procédure judiciaire ou administrative, afin d'obtenir le retour de l'enfant et, le cas échéant, de permettre l'organisation ou l'exercice effectif du droit de visite ; g) pour accorder ou faciliter, le cas échéant, l'obtention de l'assistance judiciaire et juridique, y compris la participation d'un avocat ; h) pour assurer, sur le plan administratif, si nécessaire et opportun, le retour sans danger de l'enfant ; i) pour se tenir mutuellement informées sur le fonctionnement de la Convention et, autant que possible, lever les obstacles éventuellement rencontrés lors de son application. » Article 8 « La personne, l'institution ou l'organisme qui prétend qu'un enfant a été déplacé ou retenu en violation d'un droit de garde peut saisir soit l'autorité centrale de la résidence habituelle de l'enfant, soit celle de tout autre Etat contractant, pour que celles-ci prêtent leur assistance en vue d'assurer le retour de l'enfant. (...) » Article 11 « Les autorités judiciaires ou administratives de tout Etat contractant doivent procéder d'urgence en vue du retour de l'enfant. Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative saisie n'a pas statué dans un délai de six semaines à partir de sa saisine, le demandeur ou l'autorité centrale de l'Etat requis, de sa propre initiative ou sur requête de l'autorité centrale de l'Etat requérant, peut demander une déclaration sur les raisons de ce retard. (...) » Article 12 « Lorsqu'un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l'article 3 et qu'une période de moins d'un an s'est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l'introduction de la demande devant l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat contractant où se trouve l'enfant, l'autorité saisie ordonne son retour immédiat. L'autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l'expiration de la période d'un an prévue à l'alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l'enfant, à moins qu'il ne soit établi que l'enfant s'est intégré dans son nouveau milieu. Lorsque l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis a des raisons de croire que l'enfant a été emmené dans un autre Etat, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l'enfant. » Article 13 « Nonobstant les dispositions de l'article précédent, l'autorité judiciaire ou administrative de l'Etat requis n'est pas tenue d'ordonner le retour de l'enfant, lorsque la personne, l'institution ou l'organisme qui s'oppose à son retour établit : a) que la personne, l'institution ou l'organisme qui avait le soin de la personne de l'enfant n'exerçait pas effectivement le droit de garde à l'époque du déplacement ou du non-retour ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou b) qu'il existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. L'autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d'ordonner le retour de l'enfant si elle constate que celui-ci s'oppose à son retour et qu'il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion. Dans l'appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l'autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l'Etat de la résidence habituelle de l'enfant sur sa situation sociale. » D. La loi organique 1/1996, du 15 janvier 1996 sur la protection juridique des mineurs portant amendement du code civil et du code de procédure civile, publiée au Journal officiel le 17 janvier 1996 Les dispositions pertinentes de cette loi sont ainsi énoncées : Article 3 « Les mineurs jouissent des droits que leur reconnaissent la Constitution et les Traités internationaux ratifiés par l'Espagne, en particulier la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, et des autres droits garantis par la législation interne (...) La présente loi, ses dispositions d'application et autres dispositions légales relatives aux mineurs sont interprétées conformément aux Traités internationaux ratifiés par l'Espagne et, notamment, à la Convention relative aux droits de l'enfant du 20 novembre 1989. Les pouvoirs publics garantissent le respect des droits des mineurs et adaptent leurs actes à la présente loi et à la norme internationale citée. » En application de la disposition finale 13 de la loi précitée sur la protection juridique des mineurs, un deuxième paragraphe a été ajouté à l'article 216 du code civil dont la teneur est la suivante : Article 216 « Les fonctions de tutelle constituent un devoir ; elles s'exercent au bénéfice de la personne sous tutelle sous la sauvegarde de l'autorité judiciaire. Les mesures et dispositions prévues à l'article 158 du présent code peuvent être décidées également par le juge, d'office ou à la demande de toute personne intéressée, dans tous les cas de tutelle ou de garde, de fait ou de droit, s'agissant de mineurs (...) lorsque leur intérêt le demande. » Les dispositions de l'article 158 du code civil se lisent comme suit : Article 158 « Le juge prend d'office, ou à la demande de l'enfant ou de tout autre parent ou du ministère public, les mesures suivantes : (...) Les dispositions appropriées afin d'éviter aux enfants des perturbations préjudiciables en cas de changement du titulaire de la garde. En général, toute autre disposition qu'il considère comme opportune afin de le mettre à l'abri d'un danger ou de lui éviter un préjudice. Ces mesures peuvent être adoptées dans le cadre de toute procédure civile ou pénale (...) » E. Les dispositions du code civil régissant la représentation légale des enfants mineurs Ces dispositions se lisent comme suit : Article 154 « Les enfants non émancipés relèvent de l'autorité du père et de la mère. L'autorité parentale s'exerce toujours dans l'intérêt des enfants, conformément à leur personnalité. Elle comprend les droits et devoirs suivants : Veiller sur eux, les garder en leur compagnie, les alimenter, les éduquer et leur fournir une formation complète. Les représenter et administrer leurs biens. (...) Dans l'exercice de l'autorité parentale, les parents peuvent solliciter l'aide de l'autorité judiciaire. (...) » Article 162 « Les parents exerçant l'autorité parentale assurent la représentation légale de leurs enfants mineurs non émancipés. (...) » F. La pratique interne en matière pénale concernant la soustraction d'enfants mineurs par l'un des parents En général, les juridictions espagnoles ont refusé de qualifier la non-représentation d'enfant par une personne exerçant l'autorité parentale à l'égard du mineur de détention illégale ou de séquestration de personne, délit puni par les articles 163 à 165 du code pénal d'une peine d'emprisonnement de quatre à dix ans. D'après la jurisprudence, pareil acte n'est susceptible d'être poursuivi que du chef de désobéissance ou d'extorsion, puni par l'article 556 du code pénal d'une peine de prison de six mois à un an. La loi organique 9/2002 du 10 décembre 2002 a modifié les dispositions du code pénal et du code civil en matière de soustraction de mineurs. S'agissant du domaine pénal, l'exposé des motifs de la loi souligne qu'une réponse pénale claire, différente du délit générique de désobéissance, s'est révélée nécessaire lorsque l'auteur de la soustraction ou de la non-représentation du mineur est l'un des parents, et que la garde du mineur a été légalement accordée à l'autre parent ou à une autre personne ou institution dans l'intérêt de l'enfant. La loi introduit un nouvel article 225 bis au code pénal dont le libellé est le suivant : « 1. Le parent qui, sans aucune justification, soustrait son enfant mineur, sera puni d'une peine de prison de deux à quatre ans et déchu de l'autorité parentale pour une période de quatre à dix ans. Aux fins du présent article, sont considérés comme soustraction les actes suivants : i. le transfert d'un mineur de son lieu de résidence sans le consentement du parent avec lequel il vit habituellement ou des personnes ou institutions auxquelles est confiée la garde du mineur ; ii. la rétention d'un mineur en inexécution grave de l'obligation découlant d'une décision judiciaire ou administrative. Lorsque le mineur est conduit hors d'Espagne ou lorsqu'une condition est exigée pour sa restitution, est appliquée la peine indiquée à l'alinéa 1 dans la moitié supérieure de sa durée. (...) Les peines indiquées dans le présent article s'appliquent également aux ascendants du mineur et aux parents du parent jusqu'au deuxième degré de consanguinité ou d'affinité, ayant commis les agissements antérieurement décrits. »
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants Andrew George McGlinchey et Natalie Jane Best sont nés respectivement en 1985 et en 1990. Ils sont les enfants de Judith McGlinchey (née en 1968). La requérante Hilary Davenport, née en 1945, est la mère de Judith McGlinchey. Tous sont des ressortissants britanniques. Le 3 janvier 1999, Judith McGlinchey est décédée à l’hôpital de Pinderfields, à Wakefield, dans le West Yorkshire, alors qu’en sa qualité de détenue condamnée elle se trouvait sous la garde du ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni. Judith McGlinchey, qui consommait depuis longtemps de l’héroïne par la voie intraveineuse et était asthmatique, avait été admise à l’hôpital à six reprises au cours de l’année précédente. Avant son incarcération, elle aurait dit à sa mère, qui s’occupe à présent de ses enfants Andrew et Natalie, qu’elle désirait obtenir de l’aide pour se sevrer de la drogue. Elle expliqua à son solicitor qu’elle avait demandé pareille aide mais qu’il était impossible d’obtenir des rendez-vous dans des délais raisonnables. Après avoir été reconnue coupable de vol, Judith McGlinchey fut condamnée le 7 décembre 1998 à quatre mois d’emprisonnement par la Magistrates’ Court de Leeds, qui écarta l’autre solution qu’on lui avait suggérée, à savoir le prononcé d’une ordonnance de probation (probation order) assortie d’une condition de désintoxication. Elle fut détenue par la suite à la prison de New Hall, à Wakefield. Elle déclara à son solicitor qu’elle entendait saisir l’occasion de sa détention pour se libérer de sa dépendance à l’héroïne. Le 7 décembre 1998, lors du contrôle de santé effectué à son arrivée en prison, il fut relevé que Judith McGlinchey n’était pas particulièrement repliée sur elle-même, déprimée, ou anxieuse. Elle fut pesée à 50 kilos. Elle déclara souffrir d’une enflure à son bras gauche, de symptômes de sevrage et de graves crises d’asthme, liées notamment auxdits symptômes ; elle demeura au centre de santé en attendant d’être examinée par un médecin. Elle téléphona le soir à sa mère en se plaignant de l’infection à son bras et de son asthme. Au cours de la nuit, sa respiration étant sifflante on lui donna un inhalateur et du paracétamol. Le dossier médical de la requérante constitué en prison montre qu’elle se plaignit par la suite de symptômes de sevrage et qu’elle vomissait fréquemment. Ce dossier se compose de la fiche de suivi médical, des tableaux des prescriptions et des administrations, ainsi que des notes infirmières. La tension artérielle de l’intéressée, sa température et son pouls furent contrôlés chaque jour. Le 8 décembre 1998, Judith McGlinchey fut examinée par le Dr K., médecin en chef de la prison, qui lui prescrivit des antibiotiques pour son bras, des inhalateurs pour son asthme, ainsi que de la Lofexidine pour ses symptômes de sevrage. Il ressort des notes infirmières que l’intéressée jeta une tasse de thé à travers sa cellule, fut « enfermée pour formation » (locked in for education) et fit beaucoup de bruit et de difficultés cette nuit-là. A midi, sa dose de Lofexidine ne lui fut pas administrée. Pour les requérants, il s’agissait là d’une punition. Le Gouvernement explique pour sa part que c’est le médecin qui avait interdit l’administration du médicament en raison d’une chute de la tension artérielle de Judith McGlinchey. Les notes infirmières attestent qu’un médecin examina Judith McGlinchey ce matin-là, et la fiche des médicaments, signée par le Dr K., indique qu’en raison d’une tension artérielle de 80/60 la dose de Lofexidine devant être administrée à midi ne le fut pas. D’après le dossier médical, le 9 décembre 1998 la requérante fit encore des difficultés. On lui avait demandé de nettoyer sa cellule avant sa formation, c’est-à-dire de la mettre en ordre, conformément à la pratique courante. Elle refusa de se plier à cette injonction et fut enfermée pendant le temps réservé à la formation. Elle renvoya chaque repas. Le soir, elle fut pesée à 43 kilos. Elle vomit dans la soirée et se plaignit le lendemain matin d’avoir vomi au cours de la nuit. Le personnel infirmier l’encouragea à ingérer des liquides et lui administra deux doses d’un médicament anti-nauséeux léger à base de trisilicate de magnésium. Le 10 décembre 1998, elle fut examinée par le Dr K. Comme ce dernier le déclara au coroner le 4 janvier 1999, son état de santé, à en juger d’après sa température, son pouls et sa tension artérielle, demeurait satisfaisant. Elle ne semblait pas déshydratée – le médecin releva que sa langue était humide et propre – mais, comme elle se plaignait encore de vomissements, on lui fit une injection d’antiémétiques. Au cours de la nuit, elle se plaignit de diarrhée et de crampes à l’estomac auprès de l’infirmière de garde. Une dose de trisilicate de magnésium lui fut administrée pour ses nausées, mais sans grand effet d’après les notes. Le même jour, Judith McGlinchey avait appelé sa mère en pleurant : bien qu’elle eût reçu une injection, elle ne cessait de vomir, et elle ne recevait aucune autre aide médicale pour se sevrer. Elle déclara qu’elle était obligée de nettoyer ses propres vomissures et qu’elle pensait qu’elle allait mourir. D’après le Gouvernement, il y avait dans sa cellule un lavabo qu’elle aurait pu atteindre, et il revenait normalement au personnel infirmier de nettoyer les vomissures pouvant se trouver au sol ou ailleurs. Du personnel qui eut à s’occuper de Judith McGlinchey à l’époque il ne reste plus aujourd’hui en activité à la prison qu’une seule personne. Celle-ci, qui est la responsable des soins infirmiers, a informé le Gouvernement qu’un prisonnier n’aurait jamais été invité à nettoyer ses propres vomissures et elle ne se souvient pas que l’on ait demandé à Judith McGlinchey de le faire. Le 11 décembre 1998, Judith McGlinchey put boire sans vomir une tasse de thé et un verre de jus, mais vomit à nouveau dans l’après-midi et la soirée. A 6 h 10 du matin, elle fut trouvée fumant dans son lit ; quand on lui demanda ce qu’elle avait, elle répondit « rien ». Le jour suivant, on constata la présence d’opiacés dans ses urines. Au cours de la journée du 11 décembre 1998, elle fut examinée par le médecin. Elle reçut une autre injection destinée à atténuer ses symptômes. Le médecin qualifia son état général de stable. Dans sa déposition du 4 janvier 1999, il déclara qu’à la suite de l’injection l’intéressée avait pu ingérer des liquides dans la journée, mais qu’elle avait à nouveau vomi dans la soirée. D’après le Gouvernement, le médecin vérifia si elle présentait des signes de déshydratation mais n’en décela aucun. Cette affirmation se trouve corroborée par le témoignage livré au coroner par le Dr K. Le médecin indiqua dans la fiche de suivi médical que la langue de Mme McGlinchey était humide et propre. Or, selon le Dr K., une personne gravement déshydratée aurait été très faible, voire alitée, et elle aurait eu un pouls rapide et une tension basse ; un examen aurait révélé des yeux enfoncés, une langue sèche et craquelée, des lèvres tirées et une peau tirée et fine. Le 12 décembre 1998, l’intéressée continua à vomir et souffrit de diarrhée et de douleurs abdominales. On prit son poids, qui s’afficha à 40 kilos. Elle ne mangea rien. Les notes infirmières précisent qu’elle avait passé une meilleure nuit. Elles comportent la mention suivante : « Continue de vomir de temps à autre ? Doigts dans la gorge. » D’après la fiche de suivi médical, on l’avait vue mettre ses doigts dans sa gorge et vomir sur sa main. Le 13 décembre 1998, suivant les notes infirmières, elle ne se plaignit pas de vomissements et l’on n’en constata qu’à deux reprises au début de la nuit. Il est aussi mentionné qu’elle prit un dîner léger et dormit pendant de longs moments cette nuit-là. Rien n’est indiqué dans la fiche de suivi médical concernant cette journée. Le médecin précisa dans sa déposition du 4 janvier 1999 que les 12 et 13 décembre 1998 la température, le pouls et la tension artérielle de l’intéressée étaient restés dans des limites normales. Des doses orales d’antiémétiques (métoclopramide) à prendre après les injections lui furent prescrites ; on lui en administra à quatre reprises entre le 10 et le 12 décembre 1998. Dans sa déposition devant le coroner, la sœur N., responsable des soins infirmiers de la prison, expliqua que, l’intéressée ayant cessé de vomir, ces médicaments ne lui avaient pas été donnés le 13 décembre. Le 14 décembre 1998 à 8 h 30, toutefois, un incident se produisit, que la fiche de suivi médical décrit comme suit : « (...) je suis allé voir la détenue dans sa cellule ; en sortant de son lit, elle s’est effondrée sur moi en vomissant (marc de café). Je l’ai allongée sur le sol en position latérale de sécurité et j’ai appelé à l’aide. Apparemment en état de crise, la patiente ne réagissait pas. J’ai composé le 999 pour appeler une ambulance. La patiente a repris connaissance ; elle vomissait toujours. Deux infirmières l’ont aidée à rejoindre son lit. Oxygène in situ. Electrocardiogramme. Impossible d’obtenir le pouls ni la tension artérielle. Impossible d’effectuer une intraveineuse en raison des abcès sur ses bras et de la consommation antérieure de drogues. A la demande de Judith, un proche a été appelé à 9 h 15 ; il n’était pas là ; le fils devait transmettre le message dans la demi-heure. Transportée à l’hôpital en ambulance. Ambulance arrivée à 8 h 45 et partie à 8 h 53 pour l’hôpital général de Pinderfields, à Wakefield. » Une grande quantité de vomissure ressemblant à du marc de café (sang altéré dans l’estomac) fut trouvée dans le lit de Judith McGlinchey. D’après le dossier médical ouvert à l’hôpital de Pinderfields, l’intéressée fut admise dans celui-ci à 9 h 18. A peu près au même moment, la mère de Judith McGlinchey fut informée que cette dernière était à l’hôpital, qu’elle n’était pas bien mais que son état s’était stabilisé. Le dossier médical comporte les précisions suivantes : « (...) Mme McGlinchey était somnolente mais pouvait être déplacée et réagissait. L’infirmière a déclaré que la numération des globules blancs était élevée, que les reins et le foie ne fonctionnaient pas normalement (...) possible de diagnostiquer (...) la consommation de drogues. » La mère de Judith McGlinchey apprit par la suite du personnel infirmier qu’au moment de son entrée à l’hôpital Judith McGlinchey avait les cheveux couverts de vomi. Le 15 décembre 1998 à 8 heures du matin, la mention suivante fut inscrite dans le dossier médical de l’intéressée : « Transférée à l’unité 7 ; unité 7 contactée au milieu d’une crise ; son cœur s’est arrêté, mais on l’a réanimée (...) et on est en train de lui faire une transfusion sanguine et de lui dégager les voies respiratoires (...) » A 10 h 30 : « (...) demandé à l’unité 7 si ses proches ont été informés de l’aggravation de son état ; ils sont maintenant avec elle ; ils vont refaire un contrôle dans une demi-heure, et si aucune amélioration n’est constatée ils arrêteront le respirateur. » L’hôpital informa la famille de Judith McGlinchey que celle-ci se trouvait dans un état critique et avait pu subir des dommages cérébraux à la suite de son arrêt cardiaque. Son foie et ses reins fonctionnaient mal, et l’hôpital ne parvenait pas à stabiliser son état. Elle était en ventilation manuelle, car il n’y avait aucun lit disponible dans l’unité des soins intensifs. Les médecins décidèrent d’arrêter les soins pour voir si elle revenait à elle et était capable de respirer seule, et de la laisser si tel n’était pas le cas. Un prêtre catholique fut appelé. On conseilla à la famille de dire au revoir à Judith McGlinchey, ce qu’elle fit. L’état de l’intéressée s’améliora toutefois quelque peu et, à 19 h 15, elle fut transférée à la Bradford Royal Infirmary, où un lit était disponible dans l’unité des soins intensifs. Son état y demeura stable, mais on la maintint sous assistance respiratoire et on continua à lui administrer de fortes doses de calmants. Le 16 décembre 1998 à 6 h 45 du matin, Judith McGlinchey fut à nouveau examinée ; son état fut jugé stable mais critique. A 13 heures, le prognostic des médecins était très pessimiste. Le 18 décembre 1998 à 14 heures, son état s’était quelque peu amélioré. Elle était toujours sous respirateur, mais on ne lui administrait plus de calmants. Elle faisait par moments des mouvements convulsifs et semblait se réveiller doucement. La nuit du 23 décembre 1998, elle ouvrit les yeux et réagit à la lumière, bien que le scanner du cerveau ne révélât aucune activité. Le 27 décembre 1998, Judith McGlinchey fut transférée à l’hôpital général de Pinderfields, dans le service destiné aux personnes hautement dépendantes, puis de là à l’unité 7. Le 31 décembre, les médecins notèrent dans son dossier que, bien que ses yeux fussent ouverts, elle ne réagissait pas et restait dans un état critique. Le 2 janvier 1999, sa mère et ses enfants lui rendirent visite. Ses yeux étaient ouverts, mais son teint était jaune foncé et elle était secouée de mouvements convulsifs dus aux dégâts subis par son cerveau. Le 3 janvier 1999, l’hôpital recommanda à la famille de venir immédiatement. Le dossier médical de la prison indique que Judith McGlinchey décéda à 13 h 30. Le rapport dressé à la suite de l’autopsie effectuée le 4 janvier 1999 indique que Judith McGlinchey pesait 41 kilos. Il précise que si le sevrage de l’héroïne peut s’accompagner de vomissements, la cause de ceux observés chez l’intéressée ne fut jamais pleinement établie. Des crises de vomissements graves auraient pu provoquer une hémorragie digestive haute (« syndrome de Mallory-Weiss »), même si la déchirure se serait très probablement cicatrisée avant le moment où l’intéressée décéda. Ce phénomène constitue la cause la plus commune des hémorragies gastriques pouvant donner des vomissures ressemblant à du marc de café. Si Judith McGlinchey avait perdu une quantité importante de sang, devenant ainsi anémique, cela avait pu provoquer l’arrêt du cœur. Il avait pu en résulter une lésion cérébrale par hypoxie et une défaillance de plusieurs organes, ce qui ne pouvait avoir qu’une issue fatale. Dans une lettre du 18 janvier 1999, le coroner informa la famille qu’une enquête judiciaire aurait lieu devant un jury. Vinrent témoigner à l’audience, qui se tint le 6 décembre, le Dr K., médecin en chef de la prison, la sœur N., responsable des soins infirmiers de la prison, le médecin légiste auteur de l’autopsie, trois médecins des hôpitaux de Pinderfields et de Bradford qui s’étaient occupés de Judith McGlinchey et la mère de Judith McGlinchey. Celle-ci était par ailleurs représentée par un solicitor, qui interrogea les témoins en son nom. Ces auditions firent apparaître que les balances utilisées pour peser Judith McGlinchey en prison étaient inexactes et donnaient des résultats variant de l’une à l’autre, celles utilisées lors de l’incarcération de Judith McGlinchey affichant un écart de 2 à 3 livres par rapport à celles utilisées au centre de santé par la suite. Le Dr K. expliqua qu’à cause de cette différence il s’était davantage fié à ses impressions cliniques pour apprécier les effets possibles d’une éventuelle perte de poids chez Judith McGlinchey, ajoutant toutefois que, conscient du problème potentiel, il avait donné des ordres pour que le poids de l’intéressée fût surveillé. Il précisa que des antibiotiques avaient été prescrits à Judith McGlinchey pour l’infection de son bras, mais que pendant quelques jours on ne les lui avait pas administrés (sur les 20 doses qu’elle aurait dû recevoir en cinq jours, elle n’en avait reçu que 16). La responsable des soins infirmiers, la sœur N., ne fut pas en mesure d’expliquer cette anomalie, évoquant simplement la possibilité que l’infirmière eût oublié de signer la fiche des médicaments. La sœur N. et le Dr K. déclarèrent tous deux que Judith McGlinchey ne donnait pas cliniquement l’impression d’être très malade au cours de cette période. Ils expliquèrent qu’elle était debout, se déplaçait et parlait aux autres. Le Dr K. affirma que les symptômes s’étaient atténués et que, compte tenu de sa tension artérielle, de sa température, de son pouls et de son apparence générale, il ne craignait pas qu’elle fût gravement malade ni qu’il fût nécessaire de l’envoyer dans un hôpital extérieur. On apprit que le Dr K. ne travaillait pas à la prison les week-ends et en était donc absent les 12 et 13 décembre 1998, avant le collapsus de Judith McGlinchey. Un médecin à temps partiel se rendait à la prison les samedis matin ; en dehors de ces moments-là, la prison devait si nécessaire appeler un médecin suppléant. D’où l’absence de toute indication dans le dossier à la date du 13 décembre 1998. La sœur N. expliqua que la mention inscrite par le personnel infirmier le 8 décembre et selon laquelle Judith McGlinchey avait été « enfermée pour formation » renvoyait à la procédure de routine en vertu de laquelle les prisonniers ne participant pas à une séance de formation étaient enfermés dans leur cellule pendant son déroulement. Les trois médecins qui s’occupèrent de Judith McGlinchey à l’hôpital témoignèrent également sur l’état qui était le sien à son arrivée et sur sa détérioration subséquente. Ils ne furent pas en mesure de dire avec certitude ce qui avait provoqué le collapsus ou les saignements gastriques. Le Dr Tobin déclara que la patiente était déshydratée à son arrivée à l’hôpital mais qu’en raison de son état il n’avait pu placer un cathéter central qui aurait permis une analyse précise. En réponse à une question, il déclara que les signes de déshydratation pouvaient également avoir été le résultat de saignements récents mais non d’une crise unique de vomissement produisant une substance ressemblant à du marc de café. Dans le résumé des preuves qu’il établit à l’intention du jury, le coroner s’exprima comme suit : « (...) le premier jour, Judith fut admise au centre de santé (...) Le deuxième jour, c’est-à-dire le 8 décembre, elle fut examinée par le médecin [le Dr K.], qui rédigea une note. Elle demeura au centre de santé, mais son état se détériora au cours de la semaine. Vous avez entendu qu’elle consommait de l’héroïne et l’on savait que si elle devait se sevrer de cette drogue, elle manifesterait probablement des symptômes peu plaisants (...) tels des diarrhées et des vomissements, éventuellement des crampes d’estomac, des insomnies etc. De fait, les mots adressés par Judith à sa mère lorsqu’elle l’eut au téléphone pour la première fois dégageaient plutôt l’impression qu’elle savait que le sevrage serait peut-être difficile mais qu’elle était prête à le supporter. Les témoignages livrés ne laissent aucun doute sur le fait que Judith a beaucoup vomi au cours de cette semaine-là. Bien qu’on lui donnât parfois des antiémétiques, ceux-ci agissaient très brièvement, et l’on peut dire qu’à partir du milieu de la semaine elle a vomi chaque jour, à un moment ou à un autre. Il ressort également des témoignages qu’elle souffrait de diarrhée et que, d’une manière générale, elle ne se sentait pas bien. Son état nutritionnel n’était vraisemblablement pas satisfaisant. Bien que des boissons lui fussent administrées, il n’était pas possible de savoir quelle quantité de liquide elle ingurgitait. On ne pouvait pas savoir si elle buvait effectivement puis vomissait, ou si elle ne buvait pas du tout. Aucune mesure des volumes de liquides ne fut effectuée au cours de cette semaine, et les vomissements se firent plus intensifs ; à plusieurs reprises, le personnel du centre de santé fit état de vomissements importants. Les notes contiennent la mention « vomissements +++ », qui suggère des vomissements importants, et, si Judith fut examinée par les infirmières chaque jour et par le médecin à certaines occasions, le personnel médical de la prison de New Hall a toujours eu l’impression que Judith ne présentait pas de signes de déshydratation. En d’autres termes, Judith n’était pas atteinte de déplétion, et [le Dr K.] a exposé dans sa déposition comment il était parvenu à ses conclusions. Il a expliqué qu’il n’avait trouvé aucun véritable signe de déshydratation chez l’intéressée, ajoutant que, même avec le recul, il considérait qu’une hospitalisation ne s’imposait pas à l’époque. Près d’une semaine après son incarcération, Judith s’effondra un matin à son réveil (...) en présence des infirmières ; elle vomit en grande quantité une substance (...) ressemblant à du marc de café (...) Lors de l’exposé des preuves, (...) la question a été posée de savoir si Judith avait effectivement été victime d’un arrêt cardiaque à ce moment-là. En fait, tous les médecins qui l’examinèrent par la suite (...) ont déclaré que cela n’avait probablement pas été le cas, même si l’intéressée était certainement tombée en collapsus et avait pu perdre une quantité relativement importante de sang à cette occasion. Rien n’indiquait à ce moment précis qu’elle eût subi un arrêt cardiaque. Judith McGlinchey fut transportée en ambulance à l’hôpital de Pinderfields (...) où elle fut immédiatement placée sous la responsabilité du Dr Tobin (...) D’après le diagnostic posé par celui-ci, Judith souffrait peut-être du foie et le fait qu’elle eût vomi une substance ressemblant à du marc de café donnait à penser qu’elle était peut-être atteinte (...) d’une hémorragie digestive haute, d’une hémorragie de l’œsophage (...). Mme Naomi Carter, la pathologiste (...), a déclaré lors de son audition qu’elle avait trouvé dans l’estomac de Judith des résidus qui ressemblaient à du sang ou à du sang altéré (...) mais elle a pris grand soin de préciser qu’elle n’avait rien trouvé qui pût expliquer des saignements dans les organes internes de Judith (...) le saignement mis en évidence par la présence dans les vomissures d’une substance ressemblant à du marc de café pouvait avoir été engendré par le haut-le-cœur subi par Judith (...) celui-ci avait pu provoquer une petite déchirure soit dans son œsophage, à la jointure de l’estomac, soit dans la paroi de l’estomac lui-même (...) phénomène connu sous le nom de syndrome de Mallory-Weiss. Mme Carter a toutefois déclaré qu’elle n’avait rien constaté qui lui permît de conclure en ce sens, mais qu’une petite déchirure avait très bien pu se résorber dans l’intervalle de quelques jours au moins qui s’était écoulé avant qu’elle n’examine la dépouille de Judith. C’est la seule explication possible des traces de sang constatées (...) Ce saignement a son importance : à la suite de celui-ci (...) Judith a perdu un certain volume de sang ; du coup, son cœur a peut-être été obligé de battre plus fort ; elle était donc vraisemblablement en très mauvais état de santé au moment de son séjour à l’hôpital de Pinderfields. Le Dr Tobin a expliqué qu’il pensait que Judith McGlinchey était effectivement déshydratée. Il n’avait toutefois pu s’en assurer car il ne lui avait pas été possible de placer un cathéter central. S’il avait été en mesure de le faire, peut-être cela l’aurait-il aidé dans son diagnostic (...) Il est clair que d’après lui certains éléments donnaient à penser que Judith était déshydratée, même si le personnel médical de New Hall avait estimé jour après jour qu’elle ne l’était pas. Le 15 décembre au matin (...), Judith fut malheureusement victime d’un arrêt cardiaque, et l’on estima que cela avait dû entraîner un manque d’oxygène (...) Son cerveau aurait été privé d’oxygène, ce qui aurait entraîné une lésion cérébrale par hypoxie. (...) L’autopsie (...) a révélé la cause du décès. Le Dr Carter a été en mesure de confirmer qu’il s’agissait d’une lésion cérébrale par hypoxie (manque d’oxygène dans le cerveau) due à un arrêt cardiaque, que le Dr Carter a attribué à une hémorragie digestive haute, d’origine indéterminée (...) » Le coroner invita le jury à rendre un verdict de mort due à des causes naturelles ou un verdict ouvert. Le jury rendit à l’unanimité un verdict ouvert. Désireux de former des recours internes afin d’obtenir réparation, les trois requérants sollicitèrent et obtinrent l’aide judiciaire. Sous le couvert d’une lettre datée du 12 février 1999, leurs solicitors envoyèrent au Treasury Solicitor une mise en demeure (notice of issue) lui demandant de divulguer les dossiers médical et pénitentiaire concernant Judith McGlinchey aux fins d’une demande en réparation pour le décès de cette dernière. Dans un rapport du 13 septembre 2000, le médecin consulté par les requérants déclara notamment ce qui suit : « Selon moi, des vomissements répétés peuvent être associés à un sevrage de l’héroïne. Je ne me suis jamais occupé personnellement de patients en cure de désintoxication, mais je dois avouer que je serais très gêné d’avoir à traiter un patient vomissant de façon répétée sans pouvoir employer des liquides intraveineux, sans pouvoir administrer des antiémétiques par la voie intraveineuse, et sans pouvoir contrôler fréquemment la composition sanguine. (...) Judith accusait une sévère carence pondérale. Son mauvais état nutritionnel général était très sûrement ancien et probablement lié à sa consommation d’héroïne, mais des crises prolongées de vomissements, quelle que fût leur cause, étaient de nature à provoquer très rapidement un grave déséquilibre de sa composition sanguine. Indépendamment des perturbations électrolytiques et de la déshydratation, il était très probable qu’elle éprouve des difficultés à maintenir son taux de glycémie à un niveau normal, dans la mesure où elle n’avait pas de réserves d’hydrates de carbone susceptibles d’être utilisées par son corps lorsqu’elle n’était pas capable, en raison de ses vomissements répétés, d’absorber des nutriments adéquats de son système gastro-intestinal. Pareille situation peut faire naître un cercle vicieux. Un faible taux de glycémie peut lui-même entraîner des nausées et des vomissements. De nombreuses voies métaboliques peuvent s’en trouver déréglées. Le sujet peut devenir irritable. Le degré de conscience peut être gravement diminué, et le patient peut même tomber dans le coma. Il est parfois très difficile, même pour des cliniciens comme les anesthésistes, qui sont habitués à introduire des aiguilles, d’administrer des médicaments par la voie intraveineuse à des toxicomanes intraveineux. Un cathéter central est souvent nécessaire. Longs et comportant souvent plus d’une lumière, ces cathéters spéciaux sont introduits dans les gros vaisseaux proches du cœur. Je ne pense pas que le médecin pénitentiaire ordinaire ait le savoir-faire requis pour introduire un tel cathéter. Il est préférable que ces cathéters soient posés à l’hôpital par du personnel compétent. Une fois le cathéter introduit, sa position (...) doit être contrôlée par radio avant qu’on ne l’emploie pour administrer des médicaments et des liquides. L’entretien de ces cathéters demande des soins infirmiers qualifiés et aseptiques (...) J’aurais tendance à attribuer l’agitation et le manque apparent de coopération montrés par Judith après son admission (...) et avant son second collapsus à une irritation cérébrale. Une irritation cérébrale suit souvent une période d’hypoxie cérébrale. Or Judith a certainement été atteinte dans une certaine mesure de pareille hypoxie au moment de son collapsus [en prison], et cette hypoxie a dû se poursuivre jusqu’au moment où l’on tenta de la réanimer à Pinderfields (...) Le saignement survenu par la suite, après une période de vomissements répétés et violents, a certainement pu être provoqué par le syndrome de Mallory-Weiss, ainsi qu’il est suggéré (...) dans le rapport d’autopsie. Si Judith avait été admise plus tôt à l’hôpital, il aurait malgré tout pu s’avérer difficile d’enrayer ses vomissements et, compte tenu du délabrement de son état de santé général et de son état nutritionnel, si le saignement trouvait sa source dans un syndrome de Mallory-Weiss, il aurait de toute façon pu se produire, mais Judith n’aurait pas souffert d’une telle déshydratation et/ou de tels troubles biochimiques, et les conséquences de l’hémorragie auraient probablement été moins graves. Autrement, si les vomissements avaient pu être arrêtés plus tôt, la suite tragique des événements aurait éventuellement pu être évitée. » Dans son opinion du 30 octobre 2000, le conseil des requérants déclara qu’au vu dudit rapport médical il n’y avait pas assez de preuves pour établir le lien de causalité nécessaire entre le décès de Judith McGlinchey et la négligence supposée avoir caractérisé les soins lui ayant été dispensés pendant sa détention. Les requérants n’introduisirent donc pas d’action en négligence. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Toute personne qui subit un dommage physique ou psychiatrique par la faute d’autrui peut intenter une action en dommages-intérêts. L’aggravation d’un état existant est constitutive d’un tel dommage. Une faute provoquant un trouble ou blessant les sentiments sans causer de dommage ou d’aggravation sur les plans physique ou psychiatrique ne donne pas droit à des dommages-intérêts au plaignant. Toute action en réparation d’un dommage corporel pouvant être intentée par une personne de son vivant subsiste en faveur de sa succession et peut être menée après sa mort. Les réclamations faisant suite à la mort d’une personne provoquée par une faute de négligence sont intentées sur le fondement de la loi de 1976 sur les accidents mortels (Fatal Accidents Act 1976) ou sur celui de la loi de 1934 portant diverses dispositions de réforme du droit (Law Reform (Miscellaneous Provisions) Act 1934). La première loi permet aux personnes qui étaient à la charge du défunt de toucher une indemnité pour la perte de leur soutien. Elle est à visée compensatoire et, mis à part la somme forfaitaire de 7 500 livres sterling allouée en cas de mort du conjoint ou d’un enfant mineur de dix-huit ans, l’indemnité est fonction du soutien financier perdu. La seconde loi permet de toucher des dommages-intérêts pour le compte de la succession du défunt ; l’indemnité peut couvrir les droits d’action que possédait le défunt au moment de sa mort, ainsi que les frais d’enterrement.
0
0
1
0
0
1
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant, né en 1947, est un ancien procureur qui exerce actuellement le métier d’avocat. Il vit à Timişoara. A. La mise en détention du requérant et la procédure pénale diligentée à son encontre Dans la nuit du 20 au 21 avril 1994, le requérant eut une altercation avec D.N., lors de laquelle D.N. fut gravement blessé. Ainsi qu’il ressort d’un rapport d’expertise médicale effectuée après l’incident en cause, D.N. aurait souffert la nuit en question de plusieurs fractures qui nécessitèrent 250 jours de soins médicaux et qui, en l’absence d’un traitement médical adéquat, auraient pu mettre sa vie en danger. Par résolution du 7 juin 1994, le procureur D. du parquet près le tribunal départemental de Bihor décida l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre du requérant. Les 7, 14, 16, 23 et 30 juin et le 5 juillet 1994, la victime D.N. et vingt et un témoins furent entendus par le parquet au sujet de l’incident. Le 23 juin 1994, le requérant fut interrogé par le procureur D.F. au sujet de son altercation avec D.N. Durant cet interrogatoire, le requérant n’était pas assisté d’un avocat. Par ordonnance du 5 juillet 1994, le procureur D. déclencha l’action pénale à l’encontre du requérant et décida sa mise en détention provisoire. Il délivra à l’encontre du requérant un mandat de dépôt pour une durée de trente jours, à compter de la date à laquelle ce dernier serait appréhendé par la police. Invoquant l’article 148 lit. c), e) et h) du code de procédure pénale, le procureur faisait état dans son ordonnance de ce que le requérant était recherché par la police, à laquelle il se soustrayait, et que son maintien en liberté constituait un danger pour l’ordre public. Le 13 juillet 1994, sur réquisitoire du procureur D.F., le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal départemental de Bihor pour tentative d’homicide, infraction prohibée par l’article 174 § 2 du Code pénal. Le procureur faisait état dans son réquisitoire de ce qu’il avait ordonné l’arrestation du requérant au motif que celui-ci s’était soustrait aux poursuites pénales déclenchées à son encontre. Le procureur précisait que le requérant avait omis de se présenter lors de la reconstitution des faits de la nuit du 20 au 21 avril 1994, ainsi que devant le Parquet, qui l’avait convoqué pour qu’il fasse un complément de déclaration. Le 20 juillet 1994, le requérant fut arrêté et incarcéré à la prison d’Oradea. Sur la fiche médicale établie lors de son incarcération, le médecin releva que le requérant pesait 99 kilogrammes et qu’il souffrait d’ulcère duodénal, de lithiase biliaire et de psychopathie paranoïde. Le 21 juillet 1994, le requérant, assisté par un avocat de son choix, fut conduit, en application de l’article 152 du code de procédure pénale, devant le juge M.V., président de section auprès du tribunal départemental de Bihor, qui, en chambre du conseil, l’informa que le Parquet avait décidé son renvoi en jugement, en lui lisant mot à mot le réquisitoire du parquet. A cette occasion, interrogé sur une déclaration qu’il avait faite devant le parquet, le requérant se plaignit que le procureur ne lui avait pas permis de l’écrire luimême, au motif qu’il était tard et qu’il n’en avait pas le temps. Le requérant se plaignit aussi qu’il avait été «terrorisé» par le procureur, qui l’avait laissé attendre pendant deux jours dans le couloir du Parquet, en le menaçant de ne pas consigner sa déclaration et de l’arrêter. Il souligna enfin qu’il avait répondu aux convocations du Parquet et qu’il ne s’était pas soustrait aux poursuites pénales. Il ne ressort pas du compte-rendu d’audience que la question de la légalité de la détention du requérant ait été discutée ou que le magistrat M.V. l’ait examinée le 21 juillet 1994. Le requérant comparut pour la première fois le 5 septembre 1994 devant le tribunal départemental de Bihor, en formation de deux juges. En présence du procureur K.L., et de deux avocats de son choix, le requérant demanda que les faits qui lui étaient reprochés soient requalifiés en atteinte grave à l’intégrité physique et plaida la légitime défense. Il ne ressort pas du compte-rendu d’audience que la question de la légalité de la détention du requérant ait été discutée ou que la formation de jugement l’ait examinée le 5 septembre 1994. D’autres audiences se déroulèrent devant le tribunal départemental de Bihor les 3 et 17 octobre et le 14 novembre 1994, lors desquelles le tribunal, dans la même formation de jugement, et en présence du même procureur K.L., du requérant et de ses avocats, entendit une quinzaine de témoins. Il ne ressort pas des comptes-rendus d’audience des 3 et 17 octobre et 14 novembre 1994 que la question de la légalité de la détention du requérant ait été examinée. Le tribunal rendit son jugement le 28 novembre 1994. Il releva que l’instruction faite par le Parquet était incomplète et renvoya le dossier au Parquet départemental de Bihor pour un complément d’enquête. En outre, le tribunal décida de maintenir le requérant en détention provisoire, estimant qu’en raison de la gravité des faits, il y avait un risque qu’il commette d’autres crimes. Le 9 décembre 1994, le requérant fit appel de ce jugement. Il alléguait l’absence d’impartialité du procureur D., qui, depuis le début de l’enquête, l’aurait privé de ses droits fondamentaux de la défense et aurait violé la présomption d’innocence, en le traitant de « récidiviste », alors qu’il n’avait jamais été condamné auparavant. Le requérant exprimait en outre ses craintes que, s’il était maintenu en détention provisoire, il risquait de faire l’objet de nouveaux abus de la part du procureur D. et d’être soumis à des mauvais traitements de la part des détenus. Alléguant ensuite l’illégalité de sa détention, il demandait sa mise en liberté et l’examen urgent de son appel et, sur le fond, la requalification des faits reprochés en atteinte grave à l’intégrité physique et son acquittement. Le 16 février 1995, lors d’une audience publique devant la cour d’appel d’Oradea, à laquelle un avocat du requérant commis d’office était présent, le Parquet demanda l’ajournement de la procédure afin que la procédure de citation du requérant soit accomplie. Cette demande fut accueillie par la cour d’appel, qui fixa une prochaine audience au 6 avril 1995. Le 6 avril 1995, la cour d’appel d’Oradea souleva d’office et soumit à la discussion des parties la question de la légalité des actes de poursuites pénales à l’encontre du requérant, y compris du réquisitoire, eu égard au fait qu’il n’avait pas bénéficié durant son interrogatoire par le Parquet de l’assistance d’un avocat et qu’il n’avait pas pris connaissance du procèsverbal de fin d’instruction. Par un arrêt définitif rendu le même jour, la cour d’appel accueillit l’appel du requérant et cassa le jugement du 28 novembre 1994 dans sa partie concernant son maintien en détention provisoire pour les raisons suivantes : - la cour d’appel jugea illégale l’arrestation du requérant le 20 juillet 1994. Elle souligna à cet égard que le requérant ne s’était pas soustrait aux poursuites pénales, mais qu’il s’était présenté à toutes les convocations du Parquet, le procureur l’ayant laissé en réalité attendre en vain dans les couloirs. - la cour d’appel estima ensuite que la détention du requérant après le 19 août 1994 était illégale. Elle constata à cet égard qu’un mandat d’arrestation avait été délivré à l’encontre du requérant le 5 juillet 1994 pour un délai de 30 jours à compter de la date de son arrestation et qu’il avait été appréhendé le 20 juillet 1994. Dès lors, la cour releva que ledit délai était échu depuis le 19 août 1994 et que la mesure de maintien en détention provisoire du requérant n’avait pas été par la suite prolongée selon les voies légales. - la cour d’appel constata aussi que le droit du requérant d’être assisté par un avocat avait été méconnu par le procureur chargé de l’enquête et que le Parquet avait omis de dresser un procès-verbal de fin d’instruction, en violation de l’article 171 du Code de procédure pénale. Par conséquent, la cour d’appel ordonna la mise en liberté du requérant et annula tous les actes de procédure accomplis par le Parquet, y compris le réquisitoire, lui renvoyant le dossier aux fins de reprise de l’information. Le 7 avril 1995, le requérant fut remis en liberté. Le 18 avril 1995, il forma un recours contre la décision du 6 avril 1995 de la cour d’appel d’Oradea, en faisant valoir que la restitution du dossier au Parquet pour la reprise de l’information n’était pas nécessaire eu égard aux preuves existantes dans son dossier qui, selon lui, prouvaient son innocence. Il sollicita son acquittement. Le 26 novembre 1996, la Cour suprême de Justice le débouta de son recours, au motif que la décision de renvoi du dossier au Parquet pour la reprise de l’information, non susceptible de recours, était définitive. Les 25 et 27 février 1997, un procureur du Parquet militaire d’Oradea en charge de l’enquête entendit neuf témoins au sujet de l’incident de la nuit du 20 au 21 avril 1994. Le 11 mars 1997, le Parquet ordonna, aux fins d’enquête, l’internement du requérant à l’hôpital départemental d’Oradea, dans la section de psychiatrie, en vue d’une expertise médico-légale psychiatrique, pour élucider les causes de l’incident de la nuit du 20 au 21 avril 1994, pour lequel il avait été renvoyé en jugement. Le 24 mars 1997, le procureur en charge de l’enquête entendit le requérant et deux témoins. Le 1er avril 1997, le laboratoire médico-légal du département de Bihor rendit son rapport d’expertise, qui relevait que le requérant souffrait de troubles de la personnalité, mais conclut que ce dernier avait commis l’agression contre D.N. avec discernement. Les 1er et 3 avril 1997, le Parquet entendit trois témoins, procéda à la reconstitution des faits et à la confrontation de la victime et du requérant avec un témoin. Par réquisitoire du 16 avril 1997, le requérant fut renvoyé en jugement devant le tribunal de première instance de Beiuş pour atteinte grave à l’intégrité physique, infraction prohibée par l’article 182 § 1 du Code pénal. Le Parquet octroya au requérant le bénéfice de la circonstance atténuante prévue par l’article 73 b) du code pénal, à savoir la commission des faits sous l’emprise d’une émotion puissante que lui aurait provoquée la victime, en lançant une brique dans sa direction. Le 16 juin 1997, le requérant demanda au tribunal l’ajournement de l’examen de l’affaire. Du 1er juillet au 1er septembre 1997, le tribunal ne siégea pas en raison des vacances judiciaires. En 1997, à une date non précisée, le requérant demanda à la Cour suprême de Justice le renvoi de son dossier pour examen dans un autre département, afin d’assurer le bon déroulement du procès. Les 22 septembre et 17 novembre 1997, l’avocat du requérant demanda l’ajournement de la cause au motif qu’il avait demandé le renvoi de son dossier dans un autre département. Par décision du 12 décembre 1997, la Cour suprême de Justice fit droit à la demande du requérant et renvoya l’affaire au tribunal de première instance de Craiova. Le 9 janvier 1998, le requérant informa le tribunal de première instance de Beiuş que l’affaire avait été renvoyée à une autre juridiction et, le 19 janvier 1998, le tribunal se conforma à la décision de la Cour suprême, renvoyant l’affaire au tribunal de première instance de Craiova. Deux audiences furent fixées devant ce dernier tribunal les 11 et 25 mars 1998. Le requérant ne s’y étant pas présenté, le tribunal ordonna qu’il soit cité en vue d’une prochaine audience, le 22 avril 1998. Le 22 avril 1998, le requérant et son épouse furent entendus par le tribunal. Plusieurs audiences eurent lieu les 20 mai, 17 juin et 9 juillet 1998, lors desquelles le requérant fut absent. Le tribunal ordonna l’ajournement de l’affaire. Du 1er juillet au 1er septembre 1998, le tribunal ne siégea pas en raison des vacances judiciaires. Les 10 septembre et 8 octobre 1998, le tribunal procéda à l’audition de la victime et de trois témoins et ordonna l’examen médico-légal de la victime. Le requérant sollicita l’audition d’un témoin par le biais d’une commission rogatoire. Le 5 novembre 1998, le tribunal rejeta cette dernière demande du requérant et ordonna à la victime de se présenter devant l’institut médicolégal. Le 3 décembre 1998, le tribunal entendit quatre témoins. D’autres audiences eurent lieu les 10 et 24 février, et 17 mars 1999, auxquelles le requérant ne se présenta pas. Le tribunal ordonna l’ajournement de l’affaire. Le 21 avril 1999, le requérant demanda par écrit l’ajournement de la procédure au motif qu’il était hospitalisé. Le 5 mai 1999, le tribunal donna la parole au requérant sur le fond de l’affaire. Par jugement du 12 mai 1999, le tribunal condamna le requérant à une peine de 262 jours d’emprisonnement pour actes de violence graves, commis sous l’emprise de l’émotion, infraction punie par l’article 181 § 1 du Code pénal. Le 18 mai et 3 juin 1999, le requérant et la victime interjetèrent respectivement appel de ce jugement. Les 22 octobre et 5 novembre 1999, et les 10 janvier et 21 février 2000, le tribunal départemental de Dolj, juridiction compétente pour trancher les appels interjetés par les parties, ordonna, sur demande du requérant, l’ajournement de la procédure. Le 13 décembre 1999, le requérant demanda au tribunal d’administrer des preuves supplémentaires et le tribunal accueillit cette demande. Le 19 janvier 2000, le requérant récusa un juge faisant partie de la formation de jugement. Le 2 février 2000, le tribunal entendit un témoin et, le 6 mars 2000, il donna la parole au requérant pour soutenir son appel. Par une décision du 13 mars 2000, le tribunal départemental de Dolj confirma le jugement que le tribunal de première instance de Craiova avait rendu le 12 mai 1999 (paragraphe 55 ci-dessus). Le 16 mars 2000, le requérant forma un recours contre cette décision et, les 24 mai et 14 juin 2000, il demanda, devant la cour d’appel de Craiova, l’ajournement de la procédure. Le 28 juin 2000, le requérant fit connaître les motifs sur lesquels il entendait fonder son recours. Le 16 août 2000, la partie lésée demanda l’ajournement de la procédure. Lors de l’audience du 6 septembre 2000, le tribunal donna la parole au requérant pour soutenir son recours. Par arrêt du 13 septembre 2000, la cour d’appel de Craiova accueillit le recours formé par le requérant et cassa en totalité le jugement du tribunal de première instance de Craiova du 12 mai 1999, ainsi que la décision du tribunal départemental de Dolj du 13 mars 2000. La cour d’appel constata que, compte tenu du réquisitoire et des preuves existant dans le dossier, les juridictions inférieures avaient condamné le requérant sans établir de lien de causalité entre les actes de celui-ci à l’égard de la victime et les blessures de cette dernière. Elle renvoya dès lors l’affaire devant le tribunal de première instance de Craiova, pour un nouvel examen au fond. Le 18 octobre 2000, la cour d’appel transmit le dossier au tribunal de première instance de Craiova, devant lequel, le 2 novembre 2000, le requérant demanda l’ajournement de la procédure. Le 30 novembre 2000, le tribunal octroya au requérant un nouvel ajournement au motif qu’il n’était pas assisté par son avocat. Le 14 décembre 2001, le requérant récusa les juges de la formation de jugement et, les 1er et 22 février 2001, il demanda l’ajournement de la procédure ainsi que l’administration, par le tribunal, de nouvelles preuves. Les 15 mars, 5 avril et 26 avril 2001, le tribunal ajourna la procédure dans l’attente d’un nouveau rapport d’expertise médico-légale de l’état de santé de la victime et ordonna à cette dernière de se présenter à cette fin à l’institut médico-légal. Le 17 mai 2001, ni le requérant, ni la victime ne se présentèrent lors de l’audience devant le tribunal. Selon les informations dont dispose la Cour, l’affaire est toujours pendante devant le tribunal de première instance de Craiova. La Cour ne dispose d’aucune autre information quant aux éventuels actes de procédure accomplis après le 17 mai 2001. B. Les mauvais traitements que le requérant prétend avoir subis à la prison d’Oradea et à l’hôpital pénitentiaire de Jilava Les traitements incriminés a) thèse du requérant Le 27 décembre 1994, le requérant, qui faisait la grève de la faim, fut transféré par l’administration de la prison de la cellule qu’il avait partagée jusqu’alors avec un ressortissant turc, à la cellule no 39. Les gardiens essayèrent de nourrir le requérant de force, en présence du chef de cellule, mais le requérant refusa. Le requérant fut ensuite transféré par le gardien P.S. dans la cellule no 42, dont le chef était un multirécidiviste, connu en prison sous l’appellation de « Raj ». Le requérant aurait refusé d’entrer dans cette cellule, sachant que les gardiens l’utilisaient pour « éliminer les détenus incommodes », mais le gardien P.S. « aurait endormi sa vigilance », en lui disant qu’il allait être libéré après qu’il eut pris un bain, accompagné par le détenu « Raj ». Dans la nuit du 10 au 11 janvier 1995, «Raj » et un autre compagnon du requérant de la cellule no 42, connu sous le nom de « Sisi », mirent la radio au maximum et frappèrent le requérant sauvagement avec deux bâtons. Le gardien S.A., averti par les cris du requérant, refusa d’intervenir. Les détenus continuèrent à le frapper en criant qu’il fallait en finir avec lui. A la suite de nombreux coups reçus, le requérant, ensanglanté, tomba dans un état de demi-conscience. Un peu plus tard, il entendit entrer dans la cellule le commandant adjoint de la prison V.P., qui dit à « Sisi » et « Raj » de ne pas s’inquiéter, car, quoi qu’il arrive, ce serait de la faute du requérant. Il attacha ensuite le requérant sous le lit à l’aide de menottes. Le requérant y serait resté pendant près de 48 heures. A la suite de cet incident, le requérant aurait souffert de fractures de la pyramide nasale, d’une côte, du thorax, du sternum et de la colonne vertébrale. Il aurait également perdu un ongle d’un doigt de la main et celui d’un orteil. Le 12 janvier 1995, le requérant fut conduit à l’hôpital de neurologie et de psychiatrie d’Oradea, où il fut examiné par un neuropsychiatre, qui établit qu’il souffrait de schizophrénie paranoïde (paragraphe 102 ci-dessous). Selon le requérant, lors de cet examen psychiatrique, il était incapable de s’exprimer en raison des coups et des blessures qui lui avaient été infligés pendant la nuit du 10 au 11 janvier 1995. Le médecin aurait constaté ses blessures, mais n’en aurait pas fait état dans son certificat. Le 13 janvier 1995, le requérant fut conduit à l’hôpital départemental d’Oradea, où il fut examiné successivement dans les services des urgences, de chirurgie, de neurochirurgie, de radiologie et d’ORL. Il n’y fut pas hospitalisé. Les 20 et 23 janvier 1995, le requérant fut transporté à nouveau à l’hôpital départemental d’Oradea (section de neuropsychiatrie), mais ne put y être hospitalisé, car les gardiens de prison qui l’accompagnaient refusaient de se dessaisir de leurs armes. Le 24 janvier 1995, sur une proposition du médecin de la prison, le commandant de la prison d’Oradea ordonna le transfert du requérant à la section de neuropsychiatrie de l’hôpital pénitentiaire de Jilava, situé près de Bucarest, à plus de 500 km d’Oradea. Selon le requérant, le transfert aurait été ordonné pour que sa famille ne puisse pas voir ses multiples lésions à l’issue de l’agression qu’il avait subie en prison. Le requérant fut transporté à l’hôpital pénitentiaire de Jilava dans un wagon pénitentiaire. Pendant ce transport, qui dura trois jours et trois nuits, du 24 au 26 janvier 1995, le requérant n’aurait pas reçu de traitement médical, de nourriture, ni d’eau. Il n’aurait pas pu s’asseoir durant tout ce trajet compte tenu du nombre de détenus transportés, à savoir entre 150 et 200, et pour cette raison il n’y avait plus de places assises. A l’intérieur du wagon pénitentiaire, aucune surveillance n’aurait été assurée. Le 26 janvier 1995, le requérant fut interné à l’hôpital de Jilava dans la section de neuropsychiatrie, avec un diagnostic de psychopathie paranoïaque. Pendant son hospitalisation à Jilava, le requérant aurait partagé son lit avec un autre détenu, porteur du virus H.I.V. Il ne fut pas traité du point de vue chirurgical et il aurait été soumis à des tortures psychologiques, par l’annonce que sa famille avait été tuée. Le 20 février 1995, le requérant fut reconduit à la prison d’Oradea dans le même wagon pénitentiaire qu’à l’aller. De retour à la prison d’Oradea, le requérant fut hospitalisé à l’infirmerie de la prison, avec un diagnostic de schizophrénie paranoïde. Pendant plusieurs semaines lors de son hospitalisation à l’infirmerie, les gardiens lui auraient refusé le droit de se promener dans la cour du pénitencier, ce qui eut des conséquences graves sur son état de santé. Lorsque le requérant fut mis en liberté, le 7 avril 1995, il ne pesait plus que 54 kilos, alors qu’il pesait près de 100 kilos lors de sa mise en détention en juillet 1994 (paragraphe 22 ci-dessus). A la suite des traitements subis en prison, il a été hospitalisé à plusieurs reprises en 1996 et 1997 et a subi plusieurs interventions chirurgicales relatives à la lithiase et à l’ulcère duodénal dont il souffre, maladies qui s’étaient aggravées pendant sa détention, faute de traitement adéquat. En février 1997, il fut examiné par les médecins de l’Hôpital militaire central de Bucarest, qui lui recommandèrent d’effectuer une tomographie et une intervention chirurgicale au niveau de l’orbite de l’œil gauche et de la pyramide nasale. Il ne put pas suivre ces prescriptions, en raison de l’insuffisance de ses moyens financiers. A cause des blessures subies en détention, le requérant souffre de forts maux de tête et il aurait perdu partiellement l’ouïe et la vue. b) thèse du Gouvernement Le 12 janvier 1995, le requérant fut examiné par un neuropsychiatre, qui estima qu’il souffrait d’une dépression nerveuse avec des troubles du comportement (paragraphe 102 ci-dessous). Pour le Gouvernement, il serait absolument impossible de supposer que le médecin ait constaté des lésions et qu’il ne les ait pas mentionnés dans la fiche d’observation. Le même jour, le requérant fut transféré dans la cellule no 42, afin de prévenir le déclenchement des conflits entre lui et ses codétenus. Dans la nuit du 12 au 13 janvier 1995, et non du 10 au 11 janvier 1995, vers 1 h du matin, une altercation survint entre le requérant et ses codétenus. Le requérant fut attaché ensuite au lit environ cinq heures, jusqu’à 5 h 30, heure à laquelle il fut amené à l’infirmerie. Selon le Gouvernement, il est impossible d’identifier les circonstances dans lesquelles a eu lieu l’incident en question. Le Gouvernement s’en remet, dès lors, aux conclusions de la décision du Parquet du 20 octobre 1997 (paragraphe 137 ci-après). Le matin du 13 janvier 1995, le gardien D.T. et le commandantadjoint P.V. rapportèrent au commandant du pénitencier que la nuit précédente, un incident avait eu lieu dans la cellule no 42. Les détenus « Sisi » et « Raj » rapportèrent également l’incident. Il ressort d’un procès-verbal rédigé par les employés du pénitencier d’Oradea et du rapport du commandant-adjoint du pénitencier, dont les copies ont été produites devant la Cour, que, la nuit du 12 au 13 janvier, vers minuit, le requérant avait provoqué des actes de désordre dans sa cellule, agressant les autres détenus, et, en conséquence, il avait été immobilisé sur le lit à l’aide de deux menottes. Le 13 janvier 1995, le requérant fut transporté à l’hôpital départemental d’Oradea (Spitalul judeţean Oradea), où il fut examiné dans les services de chirurgie, neurochirurgie, radiologie, orthopédie et ORL. Des radiographies relevèrent qu’il avait une fracture de la côte no 7 et une autre de la pyramide nasale sans déplacement. Le Gouvernement conteste le fait que le requérant aurait souffert en plus de fractures de la boîte crânienne, du thorax ou de la colonne vertébrale. Le requérant se serait vu appliquer le même jour un bandage thoracique. De retour à la prison d’Oradea, le requérant fut interné à l’hôpital pénitentiaire d’Oradea du 13 au 23 janvier 1998, avec un diagnostic à l’internement de « traumatisme du visage et troubles du comportement ». Le requérant reçut pendant la période en question des traitements par antibiotiques, antalgiques et sédatifs. Les 20 et 23 janvier 1995, le requérant fut examiné à l’hôpital départemental d’Oradea dans la section de psychiatrie. Le médecin ayant consulté le requérant, après avoir diagnostiqué qu’il souffrait du « syndrome paranoïde », recommanda qu’il soit interné, afin que ce diagnostic soit plus clairement établi. Le 23 janvier 1995, et non le 24, le requérant fut transféré à l’hôpital pénitentiaire de Jilava avec un diagnostic de « psychopatie paranoïde ». Le transport fut effectué dans un wagon appartenant au pénitencier. Avant d’être transporté, le requérant fut examiné par un médecin, qui conclut que son état de santé ne présentait pas un caractère d’urgence et ne nécessitait pas une assistance spéciale pendant le transport. Le requérant fut interné à l’hôpital pénitentiaire de Jilava le 26 janvier 1995, dans la section de neuropsychiatrie, avec le diagnostic de psychopathie paranoïaque. Le requérant fut interné dans le service de psychiatrie de l’hôpital pendant vingt-cinq jours. Il ne fut pas soumis, dans cette période, à des tortures psychologiques. Le règlement de l’hôpital prévoyant la séparation des détenus porteurs du virus HIV des autres détenus, le requérant n’eut pas à partager son lit avec une telle personne. Le 20 février 1995, le requérant sortit de l’hôpital avec le même diagnostic qu’à son entrée. Les médecins notèrent une amélioration de son état de santé. Pendant toute la durée de l’hospitalisation du requérant à l’infirmerie du pénitencier d’Oradea, il bénéficia de promenades journalières, qui avaient lieu dans deux cours aménagées à cette fin, la durée de chacune de ces promenades étant comprise entre trente minutes et une heure. 100. Les faits décrits par le Gouvernement aux paragraphes 93-99 cidessus sont confirmés par deux lettres des 15 et 17 mai 2001, que la Direction générale des établissements pénitentiaires a adressées à l’agent du Gouvernement roumain, et dont une copie a été donnée à la Cour. Les certificats médicaux 101. Le 3 août 1992, le requérant fut interné dans une clinique psychiatrique de Timisoara sous le diagnostic « épisode psychotique paranoïde ». Il ressort de la fiche médicale d’observation remplie par les médecins de la clinique, dont une copie a été produite par le Gouvernement, que l’internement eut lieu sur demande de la famille du requérant, au motif que ce dernier était dangereux pour son entourage et qu’il perturbait constamment le calme de sa famille et de ses voisins. Les médecins relevèrent en outre que le requérant exprimait des idées de persécution et de grandeur, qu’il était agité, insomniaque et qu’il avait un comportement agressif. Le requérant sortit de la clinique le 13 août 1992, avec le diagnostic suivant : « épisode psychotique atypique dans un contexte réactif et toxique exogène » et « structure particulière de la personnalité de modèle impulsif ». 102. Le 12 janvier 1995, le requérant fut conduit à l’hôpital de neurologie et de psychiatrie d’Oradea, où il fut examiné par le neuropsychiatre K.E. Dans l’attestation médicale qu’il lui délivra, le médecin mentionna que le requérant souffrait d’une dépression nerveuse avec des troubles du comportement. Il releva que le requérant avait l’impression de subir une pression magnétique dans tout son corps, surtout au niveau du cœur, et qu’il refusait de s’approcher du radiateur, dont la proximité lui faisait sentir une augmentation de la pression sanguine. Le médecin conclut que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde et recommanda sa mise sous observation. 103. Par une lettre datée du 12 janvier 1994, le commandant de la prison d’Oradea informa la cour d’appel d’Oradea que le requérant avait été vu en consultation le 12 janvier 1995 par un médecin spécialiste, qui avait établi le diagnostic de « schizophrénie paranoïde » et qui avait recommandé l’hospitalisation d’urgence dans un hôpital. En conséquence, le commandant priait la Cour d’appel d’ordonner l’hospitalisation d’urgence du requérant à l’hôpital pénitentiaire de Jilava, en faisant valoir que, sur le plan local, il ne pouvait pas être hospitalisé, à défaut de pouvoir être surveillé. Le commandant précisa à cet égard qu’il n’était pas loisible aux surveillants d’entrer avec leurs armes dans la section de neuropsychiatrie de l’hôpital. 104. La fiche médicale pour détenus du requérant remplie lors de son examen le 13 janvier 1995 à l’hôpital départemental d’Oradea indique chez le requérant une fracture de la 7ème côte et de la pyramide nasale avec fracture des os sans déplacement. Les médecins de la section de chirurgie et orthopédie recommandèrent un bandage thoracique et des antalgiques en cas de besoin. A la section d’ORL, les médecins recommandèrent que le requérant évite des traumatismes nasaux pendant un mois. 105. Le registre du même hôpital du 13 janvier 1995 indique que le requérant a subi un examen radiologique du thorax et des poumons, mettant en évidence une fracture de la 7ème côte, pour laquelle un bandage thoracique et du repos ont été prescrits. 106. Il ressort de la fiche médicale du requérant, telle que tenue par l’infirmerie de la prison d’Oradea, et présentée à la Cour par le Gouvernement défendeur, que le requérant est resté à l’infirmerie du 13 au 23 janvier 1995, avec le diagnostic de schizophrénie paranoïde, fracture de la 7ème côte et traumatisme facial avec des ecchymoses palpébrales, qu’il se serait infligés par autoagression. Le requérant se vit administrer à l’infirmerie des antalgiques, des antibiotiques et des sédatifs. 107. Le requérant fut à nouveau examiné par un médecin à l’infirmerie de la prison les 14, 16 et 18 janvier 1995. Le médecin consigna dans son rapport que le requérant présentait un bon état général. 108. Le 17 janvier, un médecin de l’infirmerie de la prison recommanda l’hospitalisation du requérant, estimant que la schizophrénie dont il souffrait ne pouvait pas être soignée autrement. Dans son rapport, le médecin écrivit que le requérant souffrait de schizophrénie et que, dans la nuit du 12 janvier 1995, il avait eu des troubles de comportement, s’infligeant des coups à luimême. Il indiqua également que le requérant avait été examiné le 13 janvier 1995 dans les services de chirurgie, ophtalmologie et ORL, qui avaient diagnostiqué une fracture d’une côte et de la pyramide nasale. 109. Le 23 janvier 1995, un médecin de l’infirmerie de la prison consigna dans la fiche médicale du requérant que ce dernier avait été interné à l’infirmerie pour schizophrénie et pour s’être causé à lui-même des lésions, mais qu’à l’issue de son traitement médical, son état de santé avait enregistré une évolution favorable. Il fit également état de ce que le requérant allait être transféré à Jilava pour traitement et expertise médicolégale. 110. Il ressort de la fiche médicale du requérant, telle que tenue par l’hôpital pénitentiaire de Jilava, qu’il y fut hospitalisé le 26 janvier 1995 à la section psychiatrie de l’hôpital avec un diagnostic de schizophrénie paranoïde et traumatisme crânien facial « par autoagression ». Le requérant fut soumis à un contrôle médical par les médecins psychiatres, dès son arrivée, qui mit en évidence des ecchymoses palpébrales et des œdèmes bilatéraux au niveau de ses membres inférieurs. Les médecins relevèrent que le requérant souffrait de douleurs gastriques et d’un ralentissement du transit intestinal. Ils notèrent en outre qu’il avait des antécédents psychiatriques, ayant été interné à la section de psychiatrie des hôpitaux de Timişoara et de Jilava. 111. Pendant son hospitalisation à Jilava, qui se prolongea jusqu’au 20 février 1995, le requérant fut soigné pour schizophrénie paranoïde avec des tranquillisants. Un régime alimentaire lui fut également prescrit. Il ne ressort pas des documents soumis qu’il ait bénéficié de soins pour le traumatisme facial ou la fracture de la côte. 112. Il résulte de la feuille d’observation remplie par les médecins de la section de psychiatrie de l’hôpital de Jilava qu’il était « tranquille, coopérant, revendicatif, (...) qu’il présentait des ecchymoses palpébrales de coloration violacée et qu’il accusait des douleurs dans la région des testicules, où il affirmait avoir été frappé ». Sur une autre colonne, figurent, entre parenthèses, les mots « refuse » et « traumatismes testiculaires » et, sur une autre ligne, une abréviation désignant les mots « examen chirurgical ». 113. Une lettre adressée le 5 mai 2001 par la Direction générale des établissements pénitentiaires à l’agent du Gouvernement roumain, en réponse à sa demande de renseignements, fait état de ce que, pendant son hospitalisation à l’hôpital pénitentiaire de Jilava, le requérant a été traité avec des tranquillisants, qu’il aurait suivi un régime alimentaire et qu’il n’aurait pas été vu en consultation à la section de chirurgie car il avait refusé un tel examen, ainsi qu’il ressortait de la feuille d’observation remplie par les médecins de la section de psychiatrie de l’hôpital (paragraphe 112 ci­dessus in fine). 114. Il ressort des certificats médicaux fournis par le requérant que, après avoir été remis en liberté, il a été hospitalisé du 1er au 17 novembre 1995 et du 19 au 28 février 1997 dans les hôpitaux départementaux d’Oradea et d’Alexandia, dans la section de chirurgie, où il a été traité par voie chirurgicale pour lithiase, sténose papillaire et pour des affections du colon et du pancréas. Les médecins lui prescrivirent trente et un jours d’arrêt de travail et lui recommandèrent d’effectuer un contrôle tomographique auprès de l’hôpital militaire central de Bucarest. Il ne résulte pas des documents fournis que le requérant ait perdu l’ouïe, ni la vue. Les plaintes du requérant pour mauvais traitements 115. En janvier 1995, après l’incident de la nuit du 10 à 11 janvier avec « Sisi » et « Raj », le requérant se serait plaint verbalement auprès du comandant de la prison d’avoir été maltraité par ses codétenus. A l’époque, vu ses blessures, il n’aurait pas pu rédiger lui-même une plainte pénale alléguant des mauvais traitements qui lui avaient été infligés. 116. Le 24 juillet 1995, le requérant envoya au parquet une plainte contre les détenus « Sisi » et « Raj », les accusant de tentative d’homicide ou d’atteinte grave à son intégrité corporelle, infractions respectivement prohibées par les articles 174 et 182 du Code pénal. Il demanda en outre l’ouverture d’une instruction à l’encontre du gardien S.P., qui l’avait amené sciemment dans la cellule no 42, où se trouvaient des récidivistes, pour qu’il y soit maltraité, et à l’encontre du gardien S.A., qui était de garde pendant la nuit quand il avait été battu et qui n’était pas intervenu pour faire cesser l’agression de ses codétenus. Il se plaignait également du commandant­adjoint de la prison d’Oradea V.P., qui avait ordonné qu’il soit attaché avec des menottes et qui l’aurait ainsi laissé « mourir le dos sur le ciment ». Il se plaignait en outre de ce que son épouse n’avait pas été autorisée à lui rendre visite en prison après qu’il eut été battu, afin qu’elle ne puisse pas s’apercevoir des traces de ses blessures, les gardiens ayant motivé ce refus par le fait qu’il aurait subi un choc psychique. Il se plaignait ensuite que, malgré l’état critique dans lequel il se trouvait après l’agression, alors qu’il était « entre la vie et la mort », il avait été embarqué dans le wagon pénitentiaire pour Jilava, à la section de psychiatrie, alors qu’il aurait dû être amené pour traitement à la section de chirurgie. Il s’exprimait dans les termes suivants : « probablement ils [les gardiens] ont compté sur le fait que j’allais mourir sur la route, et que la responsabilité en incomberait aux autres. A Jilava, à la section de psychiatrie, les médecins avaient vu que j’avais été battu et que j’avais des fractures et ils se sont étonnés qu’on m’y ait envoyé. A cette date-là, j’avais perdu beaucoup de sang, j’avais la tension comprise entre 7 et 12, mais ils m’ont quand même renvoyé à Oradea (...) le petit doigt de la main droite écrasé, l’ongle du pied gauche et de la main droite arrachés (...) ». Le requérant demanda enfin qu’une expertise médicale soit ordonnée par le Parquet afin d’établir son état actuel de santé. Il faisait valoir à cet égard qu’il ressentait des douleurs fortes au niveau de la tête, qu’il ne sentait plus la partie gauche de sa tête, le sinus gauche étant fracturé et bouché, et qu’il avait surtout des problèmes respiratoires, compte tenu de ce que les fractures thoraciques n’étaient pas bien guéries faute de traitement adéquat. 117. Selon le Gouvernement, le requérant ne déposa aucune plainte pénale en janvier 1995 contre les gardiens S.P. et S.A. ou contre les codétenus qui l’avaient agressé en janvier 1995. Le requérant se serait plaint pour la première fois de l’incident avec « Sisi » et « Raj » dans sa plainte adressée au Parquet le 24 juillet 1995 (paragraphe 116 ci-dessus). 118. Le 27 décembre 1995, en l’absence de réponse à sa plainte, le requérant écrivit au parquet militaire d’Oradea et au Parquet général. Il sollicita à nouveau une expertise médicale pour faire constater son état de santé et son invalidité. Il souligna en outre que, étant en détention provisoire, il aurait dû bénéficier de la présomption d’innocence et, partant, il aurait dû exécuter sa détention dans des cellules avec d’autres détenus en détention provisoire, en vertu des dispositions de la loi no 23/1969 sur l’exécution des peines. Or, contrairement à cette réglementation, il avait été transféré par le gardien P.S. dans une cellule de détenus condamnés définitivement et de récidivistes, afin qu’il y soit battu à mort. Il demanda au Parquet général de Bucarest d’enquêter sur ces aspects et de conclure qu’il avait été soumis par les gardiens de la prison d’Oradea à de mauvais traitements, infraction prohibée par l’article 267 du Code pénal. Le requérant se plaignait en outre qu’à l’infirmerie de la prison, il s’était vu interdire le droit de sortir en promenade, bien qu’il ait sollicité par écrit que ce droit soit respecté. Il se plaignait enfin de n’avoir pas été amené à certaines audiences devant le tribunal qui statuait sur son appel dans la procédure à son encontre, et ce pour ne pas être vu en public le visage et la tête écrasés et gonflés et les ongles de la main gauche arrachés. 119. Le 29 avril 1996, le requérant se plaignit auprès du Parquet militaire d’Oradea de ce que les procureurs qui traitaient sa plainte en retardaient l’issue, afin qu’aucun lien de causalité ne puisse être établi entre d’éventuelles opérations chirurgicale subies par lui et ses lésions à l’issue de l’incident avec « Sisi » et « Raj ». Il soulignait en outre que, bien qu’il ait été torturé la nuit du 11 à 12 janvier 1995, ce n’est que le 13 janvier 1995 qu’il avait été conduit à la section de chirurgie. Il faisait valoir à cet égard que les gardiens l’avaient tout d’abord amené, maltraité comme il était, à la section de neuropsychiatrie, afin qu’ils puissent avoir une preuve qu’il se serait infligé lui-même ses blessures, et il invitait le parquet à analyser la raison pour laquelle la direction de la prison d’Oradea avait tenté de couvrir l’agression qu’il avait subie de la part de ses codétenus avec le concours du commandantadjoint P.V. Le requérant faisait également savoir qu’il avait été conduit après l’incident avec « Sisi » et « Raj » dans le bureau du commandant R., le visage défiguré, « plutôt mort que vivant », mais que, vu son état, il n’était pas parvenu à en parler. Il sollicitait à nouveau une expertise médicale d’urgence pour faire constater l’aggravation de son état de santé. La procédure pénale concernant les mauvais traitements allégués par le requérant 120. Le 11 août 1995, le Parquet général (section des parquets militaires) informa le requérant que sa plainte pour mauvais traitement à l’encontre des fonctionnaires S.P., S.A. et V.P. de la prison d’Oradea avait été envoyée aux fins d’enquête au Parquet militaire d’Oradea. 121. Le 17 août 1995, la plainte du requérant fut enregistrée au Parquet militaire d’Oradea. 122. Le 8 septembre 1995, le requérant et son épouse furent entendus par le procureur en charge de l’enquête. Le requérant souligna en particulier que l’agression à laquelle il avait été soumis par ses deux codétenus « Sisi » et « Raj » avait eu lieu à l’instigation ou avec la complicité des gardiens P.S. et S.A. et que le commandant-adjoint de la prison, P.V., au lieu de prendre de mesures appropriées, avait donné l’ordre qu’il soit immobilisé avec des menottes. L’épouse du requérant déclara qu’elle s’était vu refuser le droit de visiter son époux du 5 au 8 janvier 1995 au motif que ce dernier aurait subi un choc psychique et qu’il était sous traitement. Elle faisait valoir qu’elle avait pu lui rendre visite à l’Hôpital de Jilava, entre les 18 et 20 janvier 1995, et qu’elle s’était aperçue à cette occasion-là qu’il était affaibli, qu’il avait des ecchymoses sous les deux yeux et l’ongle du petit doigt arraché. 123. Le 14 février 1996, le parquet interrogea le commandant-adjoint de prison P.V. et les gardiens P.S. et S.A. au sujet des mauvais traitements qu’aurait subis le requérant la nuit du 12 à 13 janvier 1995. 124. P.V. déclara que cette nuit, après avoir été informé par l’officier de garde que le requérant s’était battu avec d’autres codétenus et qu’il avait provoqué du scandale, il s’était rendu dans la cellule no 42, où il avait pu constater que le requérant était blessé au nez et qu’il avait du sang sur les mains. Après avoir essayé de discuter avec lui sur ce qui lui était arrivé, il avait ordonné – vu l’état du requérant et le fait qu’il faisait nuit – qu’il soit immobilisé au lit avec deux menottes dans sa cellule, le grillage fermé. Il déclarait avoir également installé un gardien devant le grillage de la cellule pour assurer sa surveillance. P.V. mentionna en outre que, bien que le règlement pénitentiaire prévoie que les détenus en détention provisoire, tel le requérant, devaient être logés dans des cellules séparées des détenus condamnés par décision définitive, cette règle comportait parfois des exceptions en raison de la surpopulation de la prison et de diverses situations spécifiques. Il ajouta que c’est en raison du comportement du requérant à l’égard d’autres détenus que celui-ci avait été placé en cellule avec des détenus condamnés définitivement. 125. Le gardien P.S., qui avait transféré le requérant dans la cellule 42, déclara qu’il ne l’avait nullement introduit dans cette cellule pour qu’il soit battu par les autres détenus. Il affirma que le requérant était « un malade psychique », que compte tenu de son comportement, il avait été successivement transféré dans diverses cellules. Il souligna enfin que, lorsque le requérant faisait une crise, il sautait du lit et se frappait la tête contre le grillage de la cellule. 126. Le gardien S.A. déclara que, lors de l’incident du requérant avec « Sisi » et « Raj », il était de garde. Il affirma qu’il n’avait pas eu le droit de faire sortir le requérant de sa cellule lorsque ce dernier le lui avait demandé la nuit de l’incident mais, qu’en revanche, il avait rapporté les faits qu’il avait constatés au commandant-adjoint de la prison, qui avait ensuite calmé le requérant. 127. Le 27 février 1996, le parquet entendit comme témoin H.L., un des codétenus se trouvant dans la cellule no 42 lors de l’incident avec « Sisi » et « Raj ». Il déclara qu’en janvier 1995, alors qu’il partageait la cellule de « Sisi » et « Raj », le requérant s’était mis pendant une nuit à prier dans son lit selon le rite musulman. « Sisi » avait alors attrapé un bâton en bois et s’était mis à le frapper sur tout le corps jusqu’à ce que le bâton se fende en deux. Ensuite, le requérant avait demandé au gardien S.A. de le transférer dans une autre cellule, mais ce dernier lui avait répondu qu’il ne pouvait pas le faire sans l’accord de ses supérieurs. Ensuite, « Raj » et « Sisi », énervés par le fait que le requérant descendait en permanence du lit, s’étaient mis à le frapper à nouveau avec un bâton. Dans la cellule, un poste de radio était allumé. Ensuite, « Sisi » et « Raj » frappèrent le requérant à coups de poings et de pieds. Le requérant riposta et se mit à crier. Le surveillant S.A. arriva après un certain temps et demanda ce qui se passait. « Sisi » avait répondu qu’ils étaient en train de « ramollir le requérant » (en roumain « să-l moaie »), afin que celui-ci ne fasse plus dans la cellule no 42 ce qu’il avait fait dans d’autres cellules. Le gardien S.A. donna ensuite à « Sisi » une paire de menottes et, avec le concours de « Raj », ils immobilisèrent le requérant dans son lit, les mains attachées par des menottes. Soulignant que le requérant était à ce moment-là fortement battu, il continuait sa déposition en montrant que le requérant avait ensuite été détaché, sur ordre du commandant-adjoint P.V., et que ce dernier avait ordonné qu’il soit à nouveau menotté s’il faisait du bruit. Il déclara enfin qu’à sa connaissance, aucune mesure n’avait été prise par la suite à l’encontre de « Sisi » et de « Raj », et que ces derniers n’avaient pas agi, d’après lui, sous l’instigation des gardiens de la prison. 128. En février 1996, le Parquet militaire d’Oradea demanda le dossier du requérant auprès de la prison d’Oradea et des informations au sujet du diagnostic médical dont il avait fait l’objet à l’hôpital pénitentiaire de Jilava. 129. Les 14 mars, 15 mai et 26 juin 1996, quatre témoins furent entendus par le Parquet au sujet de l’incident de la nuit du 12 au 13 janvier 1995. 130. Le 26 juin 1996, le Parquet militaire d’Oradea demanda au laboratoire médico-légal du département de Bihor d’effectuer une expertise médicolégale, afin de préciser la nature des lésions que présentait le requérant à la suite de son agression, le nombre de jours nécessaires pour son rétablissement et les conséquences que cet incident avait eues sur son état de santé, notamment si les mauvais traitements subis avaient conduit à la perte d’un sens ou d’un organe du requérant ou à son infirmité physique ou psychique permanente. 131. Le 27 juin 1996, un médecin légiste du laboratoire médico-légal du département de Bihor examina le requérant et lui prescrivit des examens médicaux auprès les services d’orthopédie, urologie, ORL et ophtalmologie. Il ne ressort pas des pièces dont dispose la Cour si ces examens ont été effectués ou non. 132. Le 11 juillet 1997, le requérant fut à nouveau interrogé par le Parquet militaire d’Oradea. Dans sa déclaration, il disait avoir effectué les contrôles de son état de santé que le médecin lui avait prescrits dans les services d’urologie, d’ORL et d’ophtalmologie et avoir déposé les résultats au laboratoire de médecine légale. 133. Le 27 août 1997, le laboratoire médico-légal du département de Bihor rendit son rapport d’expertise, en se fondant sur l’examen du requérant du 27 juin 1996 et sur sa fiche médicale établie par les médecins du pénitencier d’Oradea. Dans ledit rapport, le médecin légiste en chef S.I., après avoir fait mention de ce que le requérant n’avait pas effectué les examens qui lui avaient été prescrits le 27 juin 1996 dans les services d’urologie, ORL et ophtalmologie, conclut que, le 12 /13 janvier 1995, le requérant avait subi une fracture de la côte no 7 et un traumatisme de la pyramide nasale à la suite de coups reçus avec un instrument dur. Il estima que ces lésions avaient entraîné une incapacité temporaire totale de dixhuit jours. Il faisait état de ce qu’aucune invalidité permanente n’avait été décelée chez le requérant. 134. Les 12 février, 19 mars, 21 avril, 23 juillet, 15 et 18 août 1997 respectivement, le parquet entendit huit nouveaux témoins, dont « Sisi » et « Raj ». 135. Le détenu « Sisi » confirma que, pendant la nuit de l’incident, le requérant avait été frappé par un autre détenu avec un bâton et que le gardien, après avoir regardé à travers le judas, n’avait rien dit et était parti chercher le commandant-adjoint PV. Ce dernier avait ensuite attaché le requérant avec une paire de menottes, les mains dans le dos, et « le laissa en bas jusqu’au matin » (en roumain « l-a lăsat jos pâna dimineaţa»), où il l’amena à l’infirmerie. Il déclara que le détenu H. avait tapé la tête du requérant avec le manche d’un balai en bois et avait sauté avec ses pieds sur son ventre. Il affirma en outre que, d’après lui, le requérant simulait la folie et ajouta que la culpabilité du commandant-adjoint P.V. découlait, à son avis, du fait qu’il avait fait transférer le requérant dans la cellule de « Raj », auquel il avait demandé de prendre soin du requérant. Or, « Sisi » souligna que la cellule de « Raj » était connue dans la prison d’Oradea comme étant une cellule de détenus dangereux, « Raj étant l’homme de P.V. ». Il nia le fait que le requérant aurait passé un jour et une nuit sur le sol, dans une flaque de sang, que les employés du pénitencier aurait suggéré aux détenus de le frapper ou qu’il y aurait eu la radio allumée pendant que le requérant s’était fait agresser. 136. Le détenu « Raj » déclara qu’il avait demandé au commandant­adjoint P.V. de ne pas faire transférer le requérant dans sa cellule, car il y avait deux détenus dangereux et le requérant faisait semblant d’être fou. Il souligna avoir demandé à ce que le requérant soit transféré de sa cellule de crainte que les autres détenus ne supportent pas ses bêtises, mais affirma que P.V. lui avait répondu à ce sujet que, quoi qu’il puisse arriver, ce ne serait pas de sa faute. Il raconta que, le soir de l’incident, le requérant s’était mis à hurler et à frapper les autres codétenus, qui avaient riposté et avaient tenté de l’immobiliser. Ils avaient ensuite demandé une paire de menottes au gardien et l’avaient attaché au lit jusqu’au matin. Il déclara que personne n’avait frappé le requérant avec un corps dur et qu’au matin, lorsque le commandant­adjoint P.V. était venu dans la cellule, le requérant lui avait demandé de le faire sortir de là. P.V. l’avait soumis ensuite à un test psychologique pour voir si le requérant était réellement fou. Il nia que le commandant P.V. ait donné d’ordre que le requérant soit attaché sur le ciment pour qu’il succombe et qu’il soit resté dans une flaque de sang pendant vingt-quatre heures. Il nia également avoir été influencé par des gardiens pour le frapper et confirma que le commandant-adjoint P.V. lui avait dit le matin après l’incident de ne pas se faire de soucis car, de toute façon, la responsabilité incomberait au requérant. 137. Par une décision du 20 octobre 1997, le Parquet militaire d’Oradea rejeta la plainte du requérant à l’encontre des gardiens et des détenus « Sisi » et « Raj ». Il ressort de cette décision qu’entre les mois de septembre et décembre 1994, le requérant avait eu un comportement exemplaire dans la prison ; dès lors, il avait été nommé chef de cellule et récompensé par les autorités pénitentiaires. Toutefois, à partir du mois de décembre, il était devenu agressif, motif pour lequel l’administration pénitentiaire avait dû le transférer dans plusieurs cellules. Ainsi, le 12 janvier 1995, il avait été transféré dans la cellule no 42 avec les détenus « Sisi » et « Raj ». Dans la nuit du 12 au 13 janvier 1995, le gardien S.A., constatant un désordre dans la cellule du requérant, en avait alerté la direction de la prison. Le commandant­adjoint V.P. s’était rendu à la prison, où il avait constaté que le requérant avait agressé « Raj » et que, dès lors, « Raj », « Sisi » et un troisième compagnon de cellule, L.H., avaient répondu en frappant à leur tour le requérant. V.P. avait rétabli l’ordre et ordonné que le requérant fût couché dans son lit et surveillé jusqu’au lendemain matin, où il fut amené à l’infirmerie et soigné pour ses blessures. Le Parquet conclut que les accusations du requérant à l’encontre des employés de la prison n’étaient pas fondées. Quant aux codétenus du requérant, le Parquet confirma qu’ils étaient les auteurs des lésions subies par lui. S’appuyant sur le rapport d’expertise rendu le 27 août 1997 (paragraphe 133 ci-dessus), le Parquet souligna que les blessures infligées au requérant ne lui avaient provoqué aucune infirmité, qu’elles n’avaient pas mis sa vie en danger et qu’elles avaient entraîné une incapacité temporaire totale de 18 jours. Il rejeta néanmoins la plainte du requérant, au motif qu’elle n’avait pas été introduite dans le délai de deux mois imparti par l’article 284 du Code de procédure pénale, lu en combinaison avec l’article 180 du Code pénal sur l’infraction de coups et autres violences. 138. Le 29 mai 1998, le requérant contesta cette décision devant le Parquet Général (Section des parquets miliaires), sollicitant la réouverture des poursuites pénales et l’établissement de responsabilité pénale des auteurs de mauvais traitements à son encontre. Il souligna en particulier que la complicité de la direction de la prison résultait clairement des actes médicaux établis par les médecins les 12 et 17 janvier 1995, qui faisaient état de ce que, la nuit du 12 au 13 janvier 1995, il se serait auto-infligé des traumatismes au niveau de la tête et du thorax. Il releva que les documents en question étaient faux et qu’ils avaient été rédigés afin de maquiller son décès éventuel en suicide. Il se plaignait ensuite de ne pas avoir reçu de traitements médicaux du 11 janvier 1995, date à laquelle il avait été blessé, jusqu’au 13 janvier 1995, date à laquelle il avait été amené à l’infirmerie, et que, de surcroît, dans l’intervalle, il avait été immobilisé avec des menottes dans la cellule où se trouvaient ses agresseurs. Il alléguait en outre ne pas avoir reçu de traitement adéquat même après avoir été amené à l’infirmerie, le 13 janvier 1995, mais soulignait qu’il ne pouvait pas le prouver. Il se plaignait à nouveau d’avoir été transporté dans un wagon de marchandise à l’hôpital pénitentiaire de Jilava, malgré la gravité de son état de santé, et ce dans la section de psychiatrie et non pas dans la section de chirurgie, comme ses blessures l’exigeaient. Il faisait valoir qu’il n’y aurait pas bénéficié non plus d’un traitement médical approprié, n’ayant pas été interné dans la section de chirurgie et ayant été renvoyé, après plusieurs jours d’internement, à la prison d’Oradea, dans le même wagon pénitentiaire qu’à l’aller. Il sollicitait à nouveau une expertise médicale de son état de santé par l’institut de médecine légale de Bucarest et demandait en particulier un examen tomographique. 139. La Cour n’a pas été informée de l’issue de cette plainte, ni des éventuels actes de procédure auxquels aurait procédé le Parquet général après le 29 mai 1998 (paragraphes 9-12 ci-dessus). Les visites rendues au requérant en prison par son épouse 140. Selon le requérant, entre les 13 et 17 janvier 1995, l’administration de la prison d’Oradea, invoquant le fait que le requérant aurait subi une dépression nerveuse, interdisit à son épouse de lui rendre visite, afin de cacher les blessures que « Sisi » et « Raj » lui avaient infligées avec le concours des gardiens. Le requérant ne se serait jamais vu remettre un colis qu’aurait déposé son épouse à la prison pendant la même période, contenant deux cents marks allemands et des médicaments pour soigner ses affections de l’estomac et sa lithiase biliaire. 141. Il ressort d’une lettre datée du 31 mai 2001, adressées par la Direction des établissements pénitentiaires à l’agent du Gouvernement roumain en réponse à une demande de renseignements de ce dernier, que les registres de la prison d’Oradea font état de ce que le requérant a reçu la visite de son épouse le 4 janvier 1995, date à laquelle il s’est vu remettre un colis avec des aliments pesant 5 kilogrammes, et qu’il a reçu un autre colis du même expéditeur le 21 janvier 1995. C. L’action en dommages-intérêts pour détention illégale 142. Le 18 novembre 1999, le requérant assigna l’Etat, représenté par la Direction générale des finances publiques, devant le tribunal départemental de Timiş. S’appuyant sur les articles 504 et 505 combinés du Code de procédure pénale (ci-après « le C.P.P. »), tels qu’interprétés par une décision de la Cour Constitutionnelle du 10 mars 1998, et sur l’article 5 §§ 1-5 de la Convention, il demandait deux milliards de lei roumains de dédommagements pour sa détention provisoire du 5 juillet 1994 au 6 avril 1995, jugée abusive et illégale par la décision définitive du 6 avril 1995 (paragraphe 29 ci-dessus). Il faisait valoir notamment que, pendant la période incriminée, il avait subi des agressions qui lui avaient causé de multiples fractures crâniennes et costales. 143. Par jugement du 7 juillet 2000, le tribunal rejeta son action comme prématurée, au motif que la procédure engagée à son encontre était encore pendante devant les juridictions internes. 144. Par une décision du 23 novembre 2000, la cour d’appel de Timişoara accueillit l’appel du requérant et, annulant le jugement du 7 juillet 2000, renvoya le dossier devant le même tribunal pour un nouveau jugement. La cour d’appel jugea que les dommages et intérêts que le requérant avait sollicités dérivaient de sa détention, jugée illégale, et que, dès lors, la circonstance que les poursuites pénales à l’encontre du requérant soient toujours en cours n’était pas pertinente en l’espèce. La cour d’appel conclut que c’était à tort que le tribunal de première instance avait rejeté l’action du requérant comme étant prématurée. 145. A une date non précisée, la procédure fut reprise devant le tribunal de Timiş. Lors de l’audience du 30 mars 2001, l’État demanda au tribunal de rejeter l’action du requérant comme étant prescrite. Il soulignait qu’en vertu de l’article 504 § 2 du C.P.P., l’action en réparation des préjudices pouvait être introduite dans un délai d’un an à compter de la décision définitive d’acquittement ou de non-lieu. Il estimait ensuite qu’en l’espèce, ledit délai avait couru à compter du 26 novembre 1996, la date à laquelle la décision de la cour d’appel d’Oradea du 6 avril 1995, constatant l’illégalité de la détention provisoire du requérant, était devenue définitive. Or, il faisait valoir que le requérant avait introduit son action le 18 novembre 1999, soit près de trois ans après la date de cette décision qui lui avait été favorable. Le requérant souleva l’exception d’inconstitutionnalité des articles 504 § 2 et 505 § 2 du C.P.P. et demanda le renvoi de la cause devant la Cour Constitutionnelle. 146. Par jugement avant-dire-droit du 27 avril 2001, le tribunal renvoya le dossier auprès de la Cour Constitutionnelle afin qu’elle se prononce sur l’exception soulevée par le requérant. 147. Le 20 septembre 2001, la Cour Constitutionnelle accueillit la partie de l’exception soulevée concernant l’article 504 § 2 du C.P.P., jugeant que cette disposition était inconstitutionnelle dans la mesure où elle limitait les cas permettant d’engager la responsabilité de l’Etat pour les erreurs judiciaires commises dans les procès pénaux. La Cour Constitutionnelle rejeta toutefois l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 505 § 2 du C.P.P., dans les termes suivants : « ni les normes constitutionnelles en vigueur, ni les traités internationaux auxquels la Roumanie est partie ne garantissent l’imprescriptibilité du droit des personnes lésées par une détention illégale d’introduire une action en réparation de leurs préjudices, ni un délai limite dans lequel ce droit peut être exercé. (...) Le délai d’un an, prévu par l’article 505 § 2 du Code de procédure pénale, est un délai raisonnable de prescription du droit d’agir, qui assure à la personne lésée les conditions optimales pour exercer une action en justice, afin qu’elle obtienne une réparation intégrale ». 148. Par jugement du 18 janvier 2002, le tribunal de première instance de Timiş rejeta l’action du requérant comme étant prescrite. Il jugea que le délai de prescription d’un an prévu par l’article 505 § 2 du C.P.P. avait couru en l’espèce à compter du 26 novembre 1996, date à laquelle la décision de la cour d’appel d’Oradea constatant l’illégalité de la détention provisoire du requérant était devenue définitive. Or, l’action du requérant ayant été introduite le 18 novembre 1999, le tribunal l’estima tardive. 149. Bien que ce jugement fût susceptible d’appel, le requérant n’a pas exercé cette voie de recours, estimant que, compte tenu des décisions contradictoires des tribunaux nationaux, il n’avait aucune chance d’obtenir gain de cause. Le jugement du 18 janvier 2002 devint ainsi définitif, ne pouvant plus être attaqué par les voies de recours ordinaires. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Dispositions pertinentes en matière de mise en détention provisoire et de prolongation de celle-ci 150. Les articles pertinents du Code de procédure pénale (le « C.P.P. ») sont ainsi libellés : Article 136 sur la finalité et les catégories des mesures provisoires « Dans les causes relatives aux infractions punies de prison ferme, afin d’assurer le bon déroulement du procès pénal et pour empêcher que la personne soupçonnée ou l’inculpé ne se soustraie aux poursuites pénales (...), l’une des mesures préventives suivantes peut être adoptée à son encontre : (...) 1c) la détention provisoire. (...) La mesure prévue par l’article 136 § 1 c) peut être adoptée par le procureur ou par un tribunal. » Article 137 sur la forme de l’acte par lequel une mesure provisoire est adoptée « L’acte par lequel une mesure provisoire est adoptée doit énumérer les faits qui font l’objet de l’inculpation, son fondement légal, la peine prévue par la loi pour l’infraction en cause et les motifs concrets qui ont déterminé l’adoption de la mesure provisoire. » Article 143 sur la garde à vue « L’autorité chargée des poursuites pénales peut garder à vue une personne s’il y a des preuves ou des indices concluants qu’elle a commis un fait prohibé par la loi pénale. (...) Il existe des indices concluants lorsque, à partir des données existant dans l’affaire en cause, la personne faisant l’objet des poursuites pénales peut être soupçonnée d’avoir commis les faits reprochés. » Article 146 sur la mise en détention provisoire du prévenu « Lorsque les exigences de l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas prévus par l’article 148 du Code pénal, le procureur peut ordonner, d’office ou sur demande de l’organe de poursuites pénales, la mise en détention du suspect, par ordonnance motivée, en étayant les fondements légaux qui justifient l’arrestation et pour une durée qui ne saurait dépasser 5 jours. » Article 148 sur la mise en détention provisoire de l’inculpé « La mise en détention du requérant peut être ordonnée [par le procureur] si les exigences prévues par l’article 143 sont remplies et dans l’un des cas suivants : (...) h) l’inculpé a commis une infraction pour laquelle la loi prévoit une peine de prison de plus de 2 ans et son maintien en liberté constituerait un danger pour l’ordre public. » Article 149 sur la durée de la détention provisoire de l’inculpé « La durée de la détention provisoire de l’inculpé [ordonnée par le parquet] ne peut dépasser un mois, sauf dans les cas où elle est prolongée selon les voies légales. » Article 152 sur l’exécution du mandat d’arrêt « Lorsque l’arrestation de l’inculpé a été ordonnée en son absence, le mandat de dépôt est remis (...) à l’autorité de police pour qu’il soit exécuté. L’autorité de police procède à l’interpellation de la personne dont le nom figure dans le mandat (...) et l’amène devant l’autorité qui a émit le mandat. Si le mandat de dépôt a été émis par le procureur, celui-ci fait mention sur le mandat de la date à laquelle l’inculpé lui a été présenté, procède sur-le-champ à son interrogatoire et se prononce ensuite par résolution au sujet de la mise en détention de l’inculpé. Si, entre temps, l’affaire a été renvoyée devant le tribunal, le procureur renvoie la personne arrêtée devant le tribunal. Le président du tribunal entend l’inculpé et, si ce dernier soulève des objections nécessitant une solution rapide, fixe immédiatement une audience. » Article 155 sur la prolongation de la durée de la détention provisoire de l’inculpé « La durée de la détention provisoire de l’inculpée peut être prolongée en cas de besoin seulement de façon motivée. La prolongation de la durée de la détention provisoire peut être ordonnée par le tribunal qui est compétent de statuer sur le bienfondé des accusations (...) » Article 159 sur la procédure de prolongation de la durée de la détention provisoire par le tribunal « La formation de jugement est présidée par le président du tribunal ou par un juge désigné par celui-ci et la participation du procureur est obligatoire. Le dossier d’instruction est déposé par le procureur [au tribunal] au moins deux jours avant l’audience et peut être consulté par l’avocat sur demande. L’inculpé est amené devant le tribunal, assisté par un avocat. (...) Si le tribunal octroie la prolongation [de la durée de la détention], elle ne saurait dépasser 30 jours. Le procureur ou l’inculpé peuvent introduire un recours contre le jugement avant dire droit par lequel le tribunal a statué sur la prolongation de la durée de la détention provisoire. Le délai de recours est de 3 jours et court à compter du prononcé du jugement pour ceux qui y sont présents et à compter de la date de la notification pour ceux qui n’y sont pas. Le recours contre une décision de prolongation de la durée de la détention provisoire n’est pas suspensif de l’exécution (...) Le tribunal peut octroyer d’autres prolongations de la durée de la détention provisoire, mais chacune d’entre elles ne saurait dépasser 30 jours. » Article 300 sur le contrôle de la légalité de l’arrestation de l’inculpé « (...) Dans les affaires où l’inculpé est arrêté, le tribunal est tenu de vérifier d’office, lors de la première audience, la régularité de l’adoption et du maintien de la mesure de mise en détention [de l’inculpé]. » B. Dispositions et pratiques pertinentes relatives à l’obtention d’une réparation en cas de détention illégale 151. Les articles pertinents du C.P.P. sont ainsi libellés : Article 504 « 1. Toute personne condamnée par une décision définitive a le droit de se voir octroyer par l’Etat une réparation pour le dommage subi si, à la suite d’un nouveau jugement de l’affaire, le tribunal décide par jugement définitif qu’elle n’a pas commis le fait imputable ou que ce fait n’existait pas. Bénéficie également du droit à réparation du dommage subi celui à l’encontre duquel une mesure préventive a été prise, et au bénéfice duquel, pour les raisons citées dans le paragraphe précédent, un non-lieu ou un acquittement ont été prononcés. » Article 505 « (...) 2. L’action [en réparation] peut être introduite dans un délai d’un an à compter du moment où la décision judiciaire d’acquittement est devenue définitive ou à compter de la date de l’ordonnance de fin de poursuite. » Article 506 « Pour l’octroi de la réparation, l’intéressé peut s’adresser au tribunal de son domicile, en assignant en justice l’Etat (...). » 152. Dans une décision du 10 mars 1998, la Cour Constitutionnelle de Roumanie, saisie d’une exception d’inconstitutionnalité de l’article 504 § 1 du C.P.P., s’est prononcée comme suit : « Selon l’article 48 de la Constitution, l’Etat est responsable des préjudices causés par les erreurs judiciaires commises dans les procès pénaux. Il s’ensuit que le principe de la responsabilité de l’Etat à l’égard des personnes victimes d’une erreur judiciaire dans un procès pénal doit être appliqué à toutes les victimes d’une telle erreur. (...) La Cour constate que l’organe législatif n’a pas mis en conformité les dispositions de l’article 504 du Code de procédure pénale avec celles de l’article 48 par. 3 de la Constitution. (...) Par conséquent, compte tenu de ce que l’article 504 du Code de procédure pénale n’institue que deux cas permettant d’engager la responsabilité de l’Etat pour les erreurs judiciaires commises dans les procès pénaux, il s’ensuit que cette limitation est inconstitutionnelle, car l’article 48 par. 3 de la Constitution ne permet pas une telle limitation. » 153. L’article 1000 du Code civil est libellé comme suit dans ses parties pertinentes : « (...) Les maîtres et les commettants [sont responsables] du préjudice causé par leurs serviteurs et préposés dans l’exercice des fonctions dont ces derniers ont été chargés. » C. Dispositions relatives aux mauvais traitements subis en détention 154. Les articles pertinents du Code pénal sont libellés comme suit : Chapitre I : Infractions contre la vie, l’intégrité corporelle et la santé Article 180 Coups et autres violences « Les coups ou autres actes de violence causant des souffrances physiques sont passibles d’une peine de prison comprise entre un et trois mois de prison ou d’une amende. (...) Les coups ou les actes de violence ayant causé des lésions nécessitant de soins médicaux pendant 20 jours maximum sont passibles d’une peine de prison comprise entre trois mois et deux ans de prison ou d’une amende. (...) L’action pénale est déclenchée par la plainte préalable de la partie lésée (...) » Article 182 Atteinte grave à l’intégrité corporelle « L’atteinte portée à l’intégrité corporelle ou à la santé nécessitant, pour guérir, des soins médicaux de plus de 60 jours ou entraînant l’une des conséquences suivantes : la perte d’un organe ou d’un sens, l’arrêt de leur fonctionnement, une infirmité permanente physique ou psychique (...) est passible d’une peine de deux à cinq ans de prison. » Article 174 L’homicide volontaire « L’homicide est passible d’une peine de dix à vingt ans de prison et de l’interdiction des droits. La tentative [d’homicide] est punissable. » Chapitre II : Infractions qui empêchent l’exercice de la Justice Article 267 Les mauvais traitements « Le fait de soumettre à de mauvais traitements à une personne se trouvant en garde à vue ou en détention (...) est passible d’une peine de un à cinq ans de prison. » Article 267 La torture « Le fait d’occasionner à une personne, avec intention, une douleur ou des souffrances puissantes, physiques et psychiques, dans le but d’obtenir (...) des informations ou de témoignages, de la punir pour un acte qu’elle a commis ou qu’elle est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou faire pression sur elle ou pour toute autre raison fondée sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, quand une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de l’autorité publique ou par toute autre personne qui agit en vertu d’un titre officiel ou à l’instigation ou avec le consentement exprès ou tacite d’une telle personne est passible d’une peine de deux à sept ans de prison. (...) La tentative est punissable. (...) » 155. Les articles pertinents du C.P.P. sont libellés comme suit : Article 279 sur la procédure relative à la plainte préalable « Le déclenchement de l’action pénale a lieu sur plainte préalable de la personne lésée pour les infractions pour lesquelles la nécessité d’une telle plainte est prévue par la loi. La plainte préalable doit être envoyée : a) au tribunal, s’agissant d’infractions prohibées par l’article 180 (...) du Code pénal, si l’auteur est connu (...) » Article 284 sur le délai d’introduction de la plainte préalable « Pour les infractions pour lesquelles la loi prévoit la nécessité d’une plainte préalable, celle-ci doit être introduite dans un délai de deux mois à compter du jour où l’intéressé a connu l’auteur des faits dénoncés. » 156. Les dispositions pertinentes concernant la possibilité, pour l’intéressé, de demander une expertise médico-légale de son état de santé sont libellées comme suit : Décret no 446 du 25 mai 1966 relatif à l’organisation des institutions et des services médico-légaux Article 2 « Les institutions médico-légales sont l’Institut de recherches scientifiques médicolégales « Prof. Dr. Mina Minovici », en sous-ordre du ministère de la Santé, et les filiales de cet institut. Une commission supérieure médico-légale, ainsi que des commissions de contrôle et d’avis des actes médico-légaux agissent dans le cadre de l’Institut et de ses filiales. » Article 6 « L’institut de recherches scientifiques « Prof. Dr. Mina Minovici » et ses filiales effectuent (...) des expertises médico-légales, sur demande des organes de droit habilités, en cas d’homicide, de coups et blessures (...), de déficiences dans l’octroi de l’assistance médicale, ainsi que tous autres travaux médico-légaux prévus par le règlement d’application du présent décret. » Règlement d’application du décret no 446 du 25 mai 1996 Article 12 « Les services médico-légaux ont les attributions suivantes : (...) c) effectuent sur demande des personnes intéressées des examens médico-légaux (...) »
0
0
0
0
0
1
1
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant, né en 1925, est actuellement détenu à Nantes. Au cours des dernières années, il fut condamné pour des faits de nature criminelle et correctionnelle à plusieurs reprises, notamment : le 9 novembre 1992 à dix ans de réclusion criminelle par la cour d'assises du département du Cher pour vol avec arme, le 2 septembre 1998 à six mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Bernay pour grivèlerie, le 14 janvier 1999 à cinq ans d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Nevers pour vol avec arme, le 20 janvier 1999 à six mois d'emprisonnement par la cour d'appel de Rouen pour grivèlerie. Il aurait été libérable à compter du mois de septembre 2001 selon lui, à compter du 17 février 2002 selon le Gouvernement. En février 1998, le requérant fit également l'objet d'une condamnation à six mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Nevers, pour ne pas avoir réintégré en temps et en heure le centre de détention lors de sa dernière permission de sortie en 1998, après avoir respecté les modalités des quatre précédentes. Les experts qui l'examinèrent à ce propos conclurent qu'il était atteint « au moment des faits » d'un « trouble psychique ayant altéré son discernement » temporairement et que la prison ne pouvait être « thérapeutique » pour lui, compte tenu notamment de son âge avancé. Par la suite, le requérant fit l'objet d'un examen médical en prison qui révéla l'existence de ganglions au niveau de la gorge. Le service compétent prescrivit alors une intervention médicale. Il fut décidé qu'une opération chirurgicale aurait lieu le 8 novembre 2000, avec hospitalisation dès le 7 novembre 2000 à 14 h 30. Le 6 novembre 2000, le directeur du centre de détention d'Eysses informa le préfet de la nécessité de l'hospitalisation du détenu et sollicita la présence d'une escorte de police sur place, ainsi qu'une garde pendant la durée de l'hospitalisation. Concernant le risque sur le plan de la sécurité, les consignes au personnel pénitentiaire prévoyaient une surveillance normale à l'appréciation du chef d'escorte, et non une surveillance renforcée, c'estàdire ne nécessitant pas a priori le port permanent des menottes et des entraves. Le 7 novembre 2000, la veille de l'opération, le requérant fut transféré menotté en fourgon cellulaire de l'administration pénitentiaire à l'hôpital Pellegrin de Bordeaux pour y être hospitalisé. Deux fonctionnaires de police l'y attendaient afin d'assurer la surveillance et la garde pendant la durée de l'hospitalisation. Le reste de la journée, l'intéressé resta menotté mais non entravé. Durant la nuit, le requérant fut entravé. L'entrave était constituée d'une chaîne reliant l'une de ses chevilles au montant du lit. Le Gouvernement indique que l'entrave laissait une grande liberté de mouvement dans le lit, alors que le requérant soutient qu'en raison de la tension de la chaîne chaque mouvement était pénible ou douloureux et le sommeil impossible. Le 8 novembre 2000 au matin, l'intéressé exposa qu'à défaut de conditions d'hospitalisation humaines il préférait se faire opérer une fois libéré. Après s'être entretenu avec le personnel hospitalier, il réintégra le centre de détention le jour même à 11 h 45. Le 9 novembre 2000, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance d'Agen pour « sévices graves », « violences et voies de fait » et « torture ». Cette plainte, dirigée contre les deux policiers chargés de sa garde durant l'hospitalisation, se fondait sur la violation de l'article 803 du code de procédure pénale et de l'article 3 de la Convention, en raison du port d'entraves dans la nuit du 7 au 8 novembre 2000. Par une ordonnance du 16 novembre 2000, notifiée le 24 novembre, le doyen des juges d'instruction fixa la consignation à 6 000 francs français. Le 24 novembre 2000, le requérant, d'une part, adressa une lettre recommandée avec accusé de réception au greffier en chef du tribunal de grande instance d'Agen pour interjeter appel de cette ordonnance et, d'autre part, saisit le bureau d'aide juridictionnelle en raison de ses faibles ressources. En outre, le même jour, il informa le doyen des juges d'instruction de son appel en raison de l'insuffisance de ses ressources. La demande d'aide juridictionnelle fut enregistrée le 8 décembre, puis rejetée le 15 décembre 2000. Par une ordonnance du 23 mars 2001, le président du tribunal de grande instance d'Agen confirma le rejet, au motif que : « Le code de procédure pénale réserve explicitement le port des entraves pour celui qui est susceptible de prendre la fuite. Et tel est bien le cas du détenu qui se trouve hors de l'enceinte pénitentiaire. » Par une ordonnance du 15 mai 2001, le doyen des juges d'instruction déclara la plainte irrecevable pour absence de consignation. Parallèlement, le 4 avril 2001, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Agen déclara l'appel de l'ordonnance de consignation irrecevable pour non-respect des dispositions de l'article 503 du code de procédure pénale, lequel prévoit que l'appel formé par une personne incarcérée doit obligatoirement être effectué auprès du chef de l'établissement pénitentiaire. Le 11 avril 2001, le requérant forma un pourvoi contre cet arrêt. La procédure est toujours pendante devant la Cour de cassation. Libéré le 1er octobre 2001 à la suite de la fin de l'exécution de sa peine, le requérant a par la suite été incarcéré dans le cadre d'une autre procédure. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'article 803 du code de procédure pénale est ainsi libellé : « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de prendre la fuite. » Une circulaire générale du 1er mars 1993 précise : « (...) cette disposition s'applique à toute escorte d'une personne, qu'elle soit gardée à vue, déférée, détenue provisoire ou condamnée. Il appartient aux fonctionnaires de l'escorte d'apprécier, compte tenu des circonstances de l'affaire, de l'âge et des renseignements de personnalité recueillis sur la personne escortée, la réalité des risques qui justifient seuls, selon la volonté du législateur, le port des menottes ou des entraves. Sous réserve de circonstances particulières, (...) une personne dont l'âge ou l'état de santé réduisent la capacité de mouvement, [n'est] pas susceptible de présenter les risques prévus par la loi (...) »
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est un ressortissant bulgare né en 1943 et résidant à Plovdiv. A. La procédure pénale dirigée contre le requérant L'enquête préliminaire Le requérant était directeur général d'un fonds d'investissement agricole et d'une société financière. Il était également professeur d'économie et est titulaire d'un doctorat dans cette discipline. Le 11 mars 1996, le procureur du district de Plovdiv ouvrit à l'encontre du requérant et d'autres personnes une enquête préliminaire (no 300/96) portant sur un certain nombre d'opérations financières. L'intéressé fut inculpé de manquement à ses obligations professionnelles en vue de l'obtention d'un avantage illégal à son profit ou à celui d'autrui, infraction prévue à l'article 282 §§ 2 et 3 du code pénal. (...) Le procès (...) Le 30 octobre 1998, le tribunal de district de Plovdiv jugea le requérant coupable d'avoir ordonné des transferts de fonds à l'étranger en violation de la réglementation financière applicable. Les transferts en question avaient été effectués d'une part sans que M. Yankov eût justifié de la licéité de leur affectation et d'autre part pour le compte de clients de la société financière de l'intéressé que ce dernier n'avait pas pleinement identifiés. Le requérant fut en outre reconnu coupable d'avoir établi une procuration conférant des pouvoirs étendus à un tiers, au mépris des obligations auxquelles il était tenu en qualité de dirigeant de la société financière. Relaxé des autres chefs d'inculpation, il fut condamné à cinq ans d'emprisonnement. (...) B. La détention du requérant (...) Le 12 mars 1996, le requérant fut arrêté et placé en détention provisoire dans le cadre d'une enquête portant le numéro 300/96, sur décision d'un magistrat instructeur entérinée par un procureur. (...) Le 9 juillet 1998, le tribunal de district tint une audience à l'issue de laquelle il décida de libérer le requérant sous caution pour des raisons de santé. L'intéressé fut relâché le 10 juillet 1998, après avoir versé une caution. C. Les sanctions prises contre le requérant en mars 1998 : placement en isolement cellulaire et rasage du crâne Le 10 mars 1998, alors que le requérant subissait une fouille avant une rencontre avec ses avocats, les autorités pénitentiaires lui confisquèrent un document dactylographié. Il s'agissait, selon l'intéressé, de l'ébauche d'un livre où il décrivait des moments de sa vie de détenu ainsi que la procédure pénale dirigée contre lui, et dont il avait l'intention de lire des passages à ses avocats. L'agent de l'administration pénitentiaire ayant procédé à la saisie du manuscrit a affirmé que le requérant comptait le remettre à ses avocats. Le Gouvernement a produit plusieurs pages de ce document. Il s'avère qu'il s'agissait d'un premier jet qui n'était pas prêt pour publication. Ses passages pertinents se lisent ainsi : « Les accusations dont j'ai fait l'objet ne s'appuyaient sur aucune circonstance matérielle ni sur aucune preuve dénotant chez moi une quelconque intention criminelle ou démontrant que j'eusse commis une infraction (...) Le comportement des autorités à mon égard ne peut que m'apparaître injustifié et illégal (...) La (...) porte s'ouvrait avec un déclic (...) nous nous levions, les mains derrière le dos, tournant le dos aux gardiens : ils avaient peur que nous les attaquions avec nos tasses en plastique (...) Je n'ai jamais compris ce que craignaient ces fainéants bien nourris qui se regroupaient toujours par deux ou trois lorsqu'on nous distribuait la nourriture (...) Je ne mangeais que deux ou trois croûtons de pain et autant de cuillerées de cette eau sale qu'ils appelaient de la soupe. Nous les entendions la diluer (...) Qu'il était pénible de croiser le regard d'un codétenu affamé (...) de voir comment on transformait des hommes en bêtes (...) Il est vrai que la situation économique de la Bulgarie était difficile (...) Mais il était inhumain d'alimenter si peu et si mal les détenus (...) alors que des odeurs de viande rôtie ou frite nous parvenaient du quartier des surveillants. C'est du sadisme (...) C'est devenu très difficile quand ils ont interdit les visites des parents et des amis. Cela n'a pas été fait partout, mais les magistrats de Plovdiv avaient décidé de battre le record d'inhumanité dans le traitement des prisonniers (...) [Au départ], je ne savais pas et n'avais jamais imaginé ce que pouvaient être les autorités d'instruction et de jugement de la Bulgarie démocratique. Pendant longtemps, j'ai espéré qu'il y avait un malentendu (...) La perquisition [dans l'appartement] était dirigée par un policier [B.] dont le comportement trahissait le manque d'expérience ; c'était un parvenu de province (...) Pouvais-je imaginer, quand je travaillais quinze à seize heures par jour (...) qu'un jour viendrait où tout ce que j'avais fait (...) serait balayé (...) par certains individus puissants et sans scrupules « au service de la loi et de l'ordre » ? Nous avons une minute et demie à deux minutes pour utiliser les toilettes (...) Que l'un de nous dépasse le temps imparti et les cris et injures fusent, les coups pleuvent sur la porte et les matraques s'abattent (...) Vous n'y croyez pas ? Eh bien ! je ne pensais pas non plus que de telles conditions de vie pouvaient exister dans ce pays (...) Les surveillants – pour la plupart de simples villageois mieux payés (...) que des enseignants, des médecins ou des ingénieurs – ont droit à soixante-douze heures de repos après vingt-quatre heures de « travail » (...) Ils représentent l'autorité en prison, ils sont tout, nous dépendons d'eux. Il est vrai que certains d'entre eux sont des jeunes gens intelligents, mais ils sont une minorité (...) Nos protestations contre ces conditions scandaleuses n'ont jamais été suivies d'effet (...) Il y a eu deux inspections (...) les agents pénitentiaires couraient partout, il fallait nettoyer, donner meilleur aspect à la prison ; ils craignaient les plaintes des détenus. Mais les inspecteurs sont arrivés, ont fait une visite superficielle et sont repartis. » Le 10 mars 1998, après avoir entendu le requérant et les agents pénitentiaires concernés, le directeur de la prison de Plovdiv prit la décision no 99, ainsi libellée : « En application de l'article 76 k) de la loi sur l'exécution des peines, le prisonnier Todor Yankov est puni de sept jours de détention en cellule d'isolement (...) pour avoir émis des remarques injurieuses et diffamatoires à l'égard de fonctionnaires, magistrats instructeurs, juges, procureurs et autorités de l'Etat. » Cette décision fut appliquée le jour même, sans avoir été notifiée à l'intéressé. Il semble que le requérant ait été examiné par un médecin avant d'être transféré dans une cellule d'isolement disciplinaire. On lui rasa également le crâne avant son transfert. Le requérant indique qu'il n'y avait pas de toilettes dans sa cellule d'isolement, ce qui le contraignait à utiliser un seau qui n'était pas vidé régulièrement, que l'hygiène y était mauvaise et la lumière insuffisante. Ayant appris que leur client avait été puni, les avocats du requérant téléphonèrent à une date non précisée au directeur général des établissements pénitentiaires et des centres de détention, autorité compétente pour examiner les recours formés contre les décisions prises en matière d'isolement cellulaire. Le 17 mars 1998, le requérant quitta sa cellule d'isolement. Le 19 mars 1998, il comparut en audience publique devant le tribunal de district. Le fait qu'on lui avait rasé le crâne neuf jours auparavant était visible. Le 20 mars 1998, ses avocats se plaignirent du directeur de la prison auprès de la secrétaire d'Etat à la Justice. Ils lui firent notamment part des inquiétudes que leur client avait exprimées au sujet de l'animosité personnelle que lui avait manifestée à plusieurs reprises le directeur de la prison et des actes illégaux que ce dernier avait commis. La réponse que leur adressa la secrétaire d'Etat à la Justice le 29 avril 1998 comportait notamment le passage suivant : « Le recours que vous avez formé contre les actes prétendument illégaux du [directeur de la prison] a donné lieu à une enquête. En vertu de la décision no 99 en date du 10 mars 1998 (...) le prévenu dénommé Yankov a été condamné à sept jours d'isolement cellulaire. Cette sanction disciplinaire lui a été infligée parce que le manuscrit qui lui a été confisqué contenait des termes et des descriptions insultants envers les agents du ministère de l'Intérieur, les autorités d'instruction, le pouvoir judiciaire, le ministère public, les autorités pénitentiaires, les organes et les institutions de l'Etat (article 46 du règlement). Ce n'est pas le fait d'avoir rédigé ce manuscrit qui a motivé la sanction infligée à M. Yankov, ni son intention de le faire sortir de la prison, comme il en avait effectivement le droit. Son manuscrit lui a été rendu. Le prévenu souffre de thrombophlébite, une maladie chronique. Il a bénéficié en prison d'un suivi médical et de soins constants. Il en a été extrait à deux reprises pour être soigné en milieu libre et le sera à nouveau si cela se révèle nécessaire. » II. [TEXTE PERTINENT] (...) E. Observations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) sur la pratique consistant à raser de force le crâne des détenus Dans un rapport publié le 11 octobre 2001 sur la visite effectuée en 1998 dans l'« ex-République yougoslave de Macédoine », le CPT a indiqué que : « (...) le CPT souhaite appeler l'attention sur (...) pratiques observées par sa délégation (...) [dans un établissement pénitentiaire]. La première consistait à raser la tête des nouveaux pensionnaires et de ceux qui avaient été ramenés à l'institution après s'en être évadés. Des responsables de cet établissement ont reconnu qu'une telle mesure n'avait aucune justification médicale et pouvait être considérée comme dégradante (...) Le CPT recommande que les autorités de l'« ex-République yougoslave de Macédoine » mettent fin à ces pratiques. » (Traduction non officielle)
1
0
1
0
0
1
1
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1921 et réside à Bucarest. En 1940, A.W, tante du requérant, acheta un terrain sis à Bucarest, sur lequel elle édifia la même année un immeuble. En 1950, l’Etat prit possession de l’immeuble de A.W, en invoquant le décret de nationalisation no 92/1950. Ni les motifs ni la base légale de cette privation de propriété ne lui furent jamais notifiés. Par une lettre du janvier 1953, émanant d’une entreprise d’Etat, chargée d’administrer les logements d’Etat, A.W. fut informée qu’elle pouvait réintégrer son immeuble, car c’était par erreur que son immeuble avait été nationalisé. Par décision du 12 septembre 1959 du conseil des ministres (“Consiliul de ministri”) l’immeuble fut de nouveau nationalisé, en vertu d’un décret non publié émanant de ladite autorité. Selon les informations fournies par le requérant, la maison est occupée depuis 1973 par le Musée national d’art. A. La première action en revendication En 1993, en tant que légataire universel de A.W, le requérant revendiqua par une action civile introduite devant le tribunal de première instance de Bucarest le bien susmentionné. L’intéressé fit valoir que l’immeuble n’avait pas été nationalisé en vertu du décret no 92/1950, mais confisqué en 1959, à la suite d’une décision du conseil des ministres. 16. Par jugement du 3 novembre 1993, le tribunal releva que le décret no 92/1950 ne pouvait pas produire des effets juridiques concernant le bien revendiqué, car ce décret était contraire à la Constitution de 1948 en vigueur à l’époque. En tout état de cause, l’acte de nationalisation était nul, car il ne remplissait pas les conditions de fond et de forme exigées par la loi pour une telle privation de propriété. Le tribunal jugea que l’Etat occupait abusivement le bien en litige et que le propriétaire légal de ce bien était le requérant, et ordonna que le droit du requérant soit inscrit sur le registre foncier. Le Musée national d’art interjeta appel contre ce jugement, en faisant valoir, entre autres, que l’Etat avait acquis la propriété par l’effet de l’usucapion. Par décision du 24 octobre 1994, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’appel comme mal fondé. Il jugea que le décret no 92/1950 était contraire tant à la Constitution de 1948 qu’au code civil, et qu’en tout état de cause, la possession des biens litigieux par le Musée national d’art ne remplissait pas les conditions requises afin que ce dernier puisse se prévaloir de la prescription d’acquisition trentenaire. Le Musée national d’art forma un recours, qui fut rejeté par la cour d’appel de Bucarest le 8 février 1995. Le jugement du 3 novembre 1993 devint définitif, ne pouvant plus être attaqué par la voie du recours ordinaire. Dans un discours tenu en juillet 1994 dans la ville de Satu-Mare, le Président de la Roumanie demanda à l’administration de ne pas exécuter les décisions de justice dans lesquelles les tribunaux avaient conclu à la nullité des nationalisations de biens immobiliers sous le régime communiste. A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma un recours en annulation devant la Cour suprême de justice, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application du décret no 92/1950. Par arrêt du 7 février 1996, la Cour suprême de justice accueillit le recours en annulation, cassa le jugement du 3 novembre 1993 et, sur le fond, rejeta l’action en revendication du requérant. Elle constata que l’Etat s’était approprié le bien en question en vertu du décret de nationalisation no 92/1950 et jugea que l’application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les juridictions. Par conséquent, le tribunal de première instance de Bucarest n’avait pu rendre son jugement, constatant que le requérant n’était le véritable propriétaire du bien qu’en empiétant sur les attributions du pouvoir législatif. La Cour suprême de justice conclut que, de toutes manières, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était approprié abusivement. B. Évolutions postérieures à l’arrêt de la Cour suprême de justice Le 20 mars 1996, le requérant forma une action à l’encontre du Musée national d’art, afin de faire constater la nullité de la décision de nationalisation de l’immeuble et de la liste annexée au décret no 92/50. Par jugement du 29 novembre 1996, le tribunal de première instance rejeta l’action du requérant comme mal fondée. Par décision du 11 juin 1997, le tribunal départemental de Bucarest fit droit à l’appel du requérant, cassa le jugement et renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance. Analysant de nouveau le fond de l’affaire, le tribunal fit droit à la demande du requérant, le 5 février 1998, constata la nullité de la décision de nationalisation de l’immeuble et constata que le requérant était le vrai propriétaire de l’immeuble. Le Musée national d’art fit appel contre ce jugement, qui fut rejeté comme mal fondé par décision du 22 octobre 1998 du tribunal départemental de Bucarest. Le recours du Musée national d’art fut accueilli par arrêt du 7 octobre 1999 de la cour d’appel de Bucarest, déclarant irrecevable l’action du requérant, à défaut de demander la restitution du bien par la voie d’une action en revendication, et non par la voie d’une action en constatation. A une date non précisée, le requérant déposa une demande de restitution auprès de la commission administrative pour l’application de la loi no 112/1995 (ci-après « la commission administrative ») de Bucarest. Il a informé le greffe qu’il n’a jamais reçu de réponse à sa demande. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est un ressortissant roumain, né en 1925, et résidant à Bucarest. Entre 1992 et 1999, il a introduit auprès des tribunaux nationaux plusieurs actions en revendication d’un bien immobilier, nationalisé en vertu du décret no 92/1950. La première action en revendication immobilière Le 2 décembre 1992, le requérant saisit le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest d’une action en revendication immobilière à l’encontre du Conseil municipal de la ville de Bucarest et de la société d’Etat administrateur de logements d’Etat. Il faisait valoir qu’en tant qu’unique héritier des époux A., il était propriétaire d’un immeuble sis à Bucarest, que l’Etat s’était approprié abusivement en 1950, en invoquant les dispositions du décret de nationalisation no 92/1950. Or, ce décret excluait de la nationalisation les logements appartenant, entre autres, aux fonctionnaires, et les époux A. étaient fonctionnaires au moment de la nationalisation. Par jugement du 16 février 1993, le tribunal releva que c’était par erreur que la maison des époux A. avait fait l’objet d’une nationalisation, car ils faisaient partie d’une catégorie de personnes qui en étaient exemptées, selon l’article II dudit décret. Le tribunal jugea dès lors que la nationalisation était contraire aux dispositions du décret no 92/1950 et, confirmant le droit de propriété du requérant, en tant qu’héritier, ordonna aux défenderesses de lui restituer le bien. Le Conseil municipal de la ville de Bucarest interjeta appel devant le tribunal départemental de Bucarest. L’appel fut rejeté par une décision du 11 janvier 1994. Le Conseil municipal de la ville de Bucarest forma recours, qui fut rejeté le 21 avril 1994 par la cour d’appel de Bucarest pour non-paiement du droit de timbre. Le jugement du 16 février 1993 devint ainsi définitif, ne pouvant plus être attaqué par les voies de recours ordinaires. 15. Le 30 juin 1994, le maire de la ville de Bucarest ordonna la restitution de l’immeuble au requérant, et, le 18 août 1994, la société d’Etat I. s’exécuta. A cette occasion fut dressé un procès-verbal de mise en possession du requérant. A une date non précisée, le procureur général de la Roumanie forma devant la Cour suprême de Justice un recours en annulation contre le jugement du 16 février 1993, au motif que les juges avaient outrepassé leurs compétences en examinant la légalité de l’application du décret no 92/1950. Par arrêt du 13 septembre 1995, la Cour suprême annula le jugement du 16 février 1993 et rejeta l’action du requérant. Elle souligna que la loi était un moyen d’acquisition de la propriété, constata que l’Etat s’était approprié la maison en question le jour même de l’entrée en vigueur du décret de nationalisation no 92/1950 et rappela que l’application de ce décret ne pouvait pas être contrôlée par les instances judiciaires. Par conséquent, la Cour suprême estima que le tribunal de première instance de Bucarest n’avait pu rendre son jugement constatant que le requérant était le véritable propriétaire de la maison qu’en modifiant le décret susmentionné et, dès lors, en outrepassant ses attributions et en empiétant sur celles du pouvoir législatif. La Cour suprême conclut que, de toute manière, de nouvelles lois devraient prévoir des mesures de réparation pour les biens que l’Etat s’était appropriés abusivement. Le 12 décembre 1997, l’Etat vendit l’immeuble aux locataires, les époux I.M. et L.M. La deuxième action en revendication immobilière Le 2 juillet 1996, le requérant introduit à l’encontre de l’Etat, représenté par la mairie de Bucarest et la société administrant les biens de l’Etat, une deuxième action en revendication de son immeuble auprès du tribunal de première instance de Bucarest. Son action fut accueillie par un jugement du 10 mars 1997. Par décision du 22 janvier 1998, le tribunal départemental de Bucarest, cassa, sur appel des défenderesses, le jugement du 10 mars 1997 et, sur le fond, rejeta l’action du requérant pour autorité de la chose jugée. Le tribunal jugea qu’un litige entre les mêmes parties et ayant le même objet avait déjà été tranché par l’arrêt de la Cour suprême de Justice du 13 septembre 1995. Cette décision fut confirmée, sur recours du requérant, par un arrêt définitif de la cour d’appel de Bucarest du 14 mai 1998. 3. La troisième action en revendication immobilière En 1999, le requérant, s’appuyant sur le revirement de la jurisprudence de la Cour suprême de Justice opéré par la décision no 1 du 28 septembre 1998, qui avait statué que les tribunaux étaient compétents pour juger les actions en revendication des anciens propriétaires d’immeubles nationalisés, assigna à nouveau devant le tribunal de première instance de Bucarest le Conseil général de Bucarest et les anciens locataires, demandant la restitution de son immeuble et l’annulation du contrat de vente qu’ils avaient conclu en 1997. Par jugement avant-dire-droit du 22 mai 2000, le tribunal accueillit l’exception de l’autorité de la chose jugée soulevée par les parties défenderesses pour ce qui est de la partie de l’action du requérant concernant la restitution de l’immeuble. Par jugement du 30 juin 2000, le tribunal rejeta également la partie de l’action du requérant relative à l’annulation du contrat de vente, au motif que le requérant n’avait pas prouvé la mauvaise foi des acheteurs. Selon les informations dont dispose la Cour, le requérant ne s’est toujours pas vu restituer son immeuble, ni ne s’est vu octroyer une indemnisation pour celui-ci. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions légales et la jurisprudence internes pertinentes sont décrites dans l’arrêt Brumărescu c. Roumanie ([GC], no 28342/95, §§ 31-44, CEDH 1999-VII).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1946 et réside à Resiutta (Udine). Le requérant fut renvoyé en jugement pour banqueroute frauduleuse, infraction qu'il était accusé d'avoir commise par des actes accomplis jusqu'au 28 mars 1989, date à laquelle le tribunal civil de Pordenone avait déclaré la faillite d'une société que le requérant dirigeait. A une date non précisée, ce dernier quitta l'Italie pour la Roumanie. Il fut par conséquent jugé in absentia. Par un jugement du 14 octobre 1991, le tribunal de Pordenone condamna le requérant à une peine de six ans d'emprisonnement. Le requérant interjeta appel devant la cour d'appel de Trieste. Le 3 mars 1994, le requérant fut arrêté en Roumanie à la demande du parquet de Trieste. Par un jugement du 3 mai 1994, le tribunal de Mehedinti (Roumanie) se prononça pour l'extradition du requérant, et le 3 juin 1994 l'intéressé fut extradé en Italie, où il fut placé en détention provisoire. Le 1er août 1994, il fut assigné à domicile. Il fut libéré le 16 septembre 1994 et soumis à une mesure de sûreté consistant dans l'obligation de se rendre deux fois par semaine au poste de police pour signer un registre (obbligo di firma). Par un arrêt du 6 octobre 1994, la cour d'appel de Trieste réduisit la peine infligée au requérant à quatre ans d'emprisonnement. Le requérant se pourvut en cassation. Par un arrêt définitif du 24 octobre 1995, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Le 28 octobre 1995, le requérant demanda une remise de peine dans la mesure d'un an. Par une ordonnance du 23 novembre 1995, la cour d'appel de Trieste rejeta cette demande, observant que le 14 février 1991 le requérant avait bénéficié d'une remise de deux ans. Le 10 mai 1997, le requérant fut arrêté en exécution de nombreuses condamnations pénales prononcées à son encontre. Le 16 mai 1997, le requérant demanda une remise de peine de deux ans en application du décret présidentiel no 394 du 22 décembre 1990. Observant que les périodes qu'il avait passées en détention provisoire et sous écrou extraditionnel s'élevaient à six mois et quatorze jours, le requérant demanda de fixer la peine à purger à un an, cinq mois et seize jours d'emprisonnement, ce qui lui aurait permis de bénéficier de la mesure alternative de la prise en charge par le service social (affidamento in prova al servizio sociale). Par une ordonnance du 22 juillet 1997, la cour d'appel de Trieste rejeta les demandes du requérant. Elle observa tout d'abord que celui-ci avait déjà bénéficié d'une remise de peine en relation à une condamnation à deux ans d'emprisonnement devenue définitive en 1989. Par ailleurs, l'article 721 du code de procédure pénale (ci-après le « CPP ») prévoyait le « principe de spécialité » (principio di specialità), aux termes duquel une personne extradée ne pouvait être soumise à des privations de liberté pour des faits différents de ceux pour lesquels l'extradition avait été accordée. Cependant ce principe trouvait une exception pour le cas où, en ayant la possibilité, l'intéressé ne quittait pas le territoire de l'Etat dans un délai de quarante-cinq jours à compter du moment de sa libération. En l'espèce, il ressortait du dossier qu'après le prononcé de l'arrêt de la Cour de cassation du 24 octobre 1995, le requérant n'avait pas quitté le territoire italien. Le fait qu'il n'était pas en possession des documents valables pour expatrier n'était pas pertinent, étant ouvert au requérant de demander leur délivrance. La cour d'appel estima donc que des condamnations différentes de celle relative à la procédure terminée le 24 octobre 1995 pouvaient être exécutées contre le requérant. Elle fixa la durée globale de la peine que le requérant devait encore purger à trois ans, dix mois et quinze jours d'emprisonnement. Par une ordonnance du 7 août 1997, le parquet de Trieste, eu égard aux condamnations prononcées contre le requérant, aux remises de peine dont celui-ci avait bénéficié et aux périodes de privation de liberté qu'il avait subies, fixa la durée globale de la peine à purger à trois ans, sept mois et seize jours. Le parquet releva que le requérant avait commencé à purger cette peine le 10 mai 1997 et fixa la date de sa libération au 25 décembre 2000. Le 8 août 1997, le requérant se pourvut en cassation contre l'ordonnance de la cour d'appel de Trieste du 22 juillet 1997. Il observa qu'aux termes de l'article 721 du CPP, une exception au principe de spécialité pouvait avoir lieu si la personne extradée ne quittait pas le territoire italien dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la date de sa libération définitive, c'està-dire après avoir entièrement purgé la peine infligée. Par ailleurs, le requérant était soumis à une mesure de sûreté et n'avait pas le droit d'obtenir les documents nécessaires pour expatrier. Le 20 novembre 1997, le requérant demanda également la révocation de l'ordonnance du parquet de Trieste du 7 août 1997. Il observa que cette décision avait fait application des principes établis par la cour d'appel dans son ordonnance du 22 juillet 1997. En effet, le parquet avait fixé la peine à purger en tenant compte de nombreuses condamnations prononcées à son encontre. Cependant, aux termes de l'article 721 du CPP, seule la condamnation devenue définitive le 24 octobre 1995 pouvait être exécutée. Le requérant demanda en outre l'octroi d'une remise de peine et la déduction des périodes de détention provisoire et d'écrou extraditionnel. Par une ordonnance du 3 février 1998, la cour d'appel de Trieste rejeta la demande du 20 novembre 1997. Par un arrêt du 4 mai 1998, la Cour de cassation, accueillant pour l'essentiel les motifs de pourvoi du requérant, cassa l'ordonnance du 22 juillet 1997 et indiqua la cour d'appel de Trieste comme juridiction de renvoi. La Cour de cassation observa en outre que seule la condamnation devenue définitive le 24 octobre 1995 pouvait être exécutée à l'encontre du requérant, et que par conséquent l'octroi d'une remise de peine en relation à d'autres condamnations ne pouvant pas être exécutées n'empêchait pas d'octroyer une nouvelle remise. Enfin, la cour d'appel aurait dû déduire de la peine principale la période d'écrou extraditionnel en Roumanie. Dans un mémoire du 6 août 1998, le requérant demanda d'être libéré à titre provisoire. Il observa qu'en tenant compte des principes indiqués par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 mai 1998 et de la possibilité d'obtenir une remise de peine, la durée globale de la privation de liberté qu'il avait subie dépassait désormais la peine à purger. Par une ordonnance du 14 août 1998, le parquet de Trieste ordonna la libération du requérant. Il nota que la seule peine qui pouvait être exécutée était celle à quatre ans d'emprisonnement résultant de l'arrêt définitif de la Cour de cassation du 24 octobre 1995. Or, le requérant, qui avait subi une détention provisoire de six mois et quatorze jours, avait déjà purgé un an et trois mois. Le 28 juillet 1998, il avait bénéficié d'une réduction (liberazione anticipata) de quatre-vingt-dix jours. La peine qui lui restait à purger était donc inférieure à deux ans, durée maximale de la remise qui aurait pu être octroyée. L'audience devant la cour d'appel de Trieste, initialement fixée au 24 septembre 1998, fut renvoyée à la demande de l'avocat du requérant d'abord au 20 octobre, puis au 1er décembre 1998. Par une ordonnance du même jour, dont le texte fut déposé au greffe le 22 décembre 1998, la cour d'appel de Trieste fixa la durée globale de la peine que le requérant devait encore purger à un an, neuf mois et vingt-six jours. Elle déclara cette peine entièrement remise. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Dans ses parties pertinentes, l'article 1 du décret présidentiel no 394 du 22 décembre 1990 se lit comme suit : « Une remise de peine est octroyée pour non plus de deux ans en ce qui concerne les peines d'emprisonnement et pour non plus de dix millions de lires en ce qui concerne les amendes ». L'infraction de banqueroute frauduleuse est prévue et punie par l'article 216 du décret royal no 267 du 16 mars 1942. La peine pouvant être infligée va de trois à dix ans d'emprisonnement.
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1934 et réside à Bergame. Le 24 janvier 1989, la société O. demanda la mise en faillite du requérant devant le tribunal de Bergame. Le 20 juin 1990, le tribunal rejeta la demande au motif que le requérant exerçait une activité artisanale et que de ce fait, conformément aux articles 2083 du code civil et 1 de la loi sur la faillite, il n'aurait pas dû faire l'objet d'une procédure de faillite. Le 6 juillet 1990, la société O. fit opposition à ladite décision devant la cour d'appel de Brescia et le 29 septembre 1990 le requérant se constitua dans la procédure. Par une décision du 10 octobre 1990, la cour considéra que l'activité du requérant, comprenant également la vente de biens, pouvait être considérée comme étant une activité d'entrepreneur et renvoya l'affaire au tribunal de Bergame. Par une décision du 13 novembre 1990, dont le texte fut déposé au greffe le jour suivant, le tribunal déclara la mise en faillite du requérant. Le syndic de faillite présenta son compte de gestion le 30 janvier 1991 ; l'audience pour l'examen du passif de la faillite eut lieu le 5 février 1991 et continua le 16 avril 1991. Le 13 mai 1991, le juge délégué (« le juge ») déclara exécutif le passif de la faillite. Le 15 novembre 1996, le juge autorisa la vente aux enchères des biens immobiliers, fixée au 17 janvier 1997. Toutefois, le jour venu, aucun acheteur potentiel ne se présenta. Le Gouvernement a indiqué, dans ses observations du 6 novembre 2000, que des demandes visant la récupération d'autres créances auraient été introduites le 9 mars 1998. Le 28 mai 2001, le syndic déposa un rapport indiquant que la procédure était encore pendante en raison des difficultés de vente de deux terrains faisant partie de l'actif de la faillite. Il affirma en outre que, bien que certains offres d'achat avaient été présentées, les acheteurs potentiels n'avaient pas fourni la caution nécessaire. Partant, compte tenu des coûts des publications nécessaires pour une vente aux enchères, le syndic indiqua que « il n'était pas avantageux » d'organiser une telle vente. Les 10 avril et 15 mai 2001, le requérant demanda la clôture de la procédure. Le 4 juin 2001, le juge demanda au syndic d'organiser d'autres tentatives de vente et de proposer l'achat des terrains à la Mairie de Parzanica (Bergame), où ces derniers étaient situés. Par un rapport du 31 octobre 2001, le syndic indiqua à nouveau que la procédure était encore pendante en raison des difficultés de vente des deux terrains. Il indiqua au juge avoir proposé à la Mairie de Parzanica l'achat de l'un des deux biens et que la Maire s'était réservé de prendre une décision. Le syndic souligna également que les deux terrains étaient « probablement non aliénables » en raison du fait qu'ils étaient situés dans un petit village et qu'ils étaient difficilement accessibles. Le 7 novembre 2001, le juge ordonna d'afficher l'offre de vente. Le 12 juillet 2002, le juge fixa une tentative de vente aux enchères au 18 octobre 2002. Selon les informations fournies par le requérant le 5 juin 2003, la procédure est encore pendante. Les terrains auraient entre-temps été vendus et la procédure de transfert à l'adjudicataire serait en cours. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes de la loi sur la faillite (décret royal no 267 du 16 mars 1942) se lisent ainsi : Article 26 « Les décisions du juge délégué peuvent faire l'objet de recours (...) devant le tribunal dans un délai de trois jours de la date d'adoption, de la part du syndic, du failli, du comité des créanciers et de toute autre personne intéressée. Le tribunal décide en chambre du conseil par acte motivé. Le recours ne suspend pas l'exécution de la décision attaquée. » Article 36 « Les actes d'administration du syndic peuvent faire l'objet de recours devant le juge délégué de la part du failli et de toute autre personne intéressée ; le juge statue par décision motivée. Contre cette décision, il est possible d'introduire un recours, dans les trois jours, devant le tribunal. Celui-ci statue par acte motivé après avoir entendu le syndic et le demandeur. » Article 42 « Le jugement qui déclare la faillite prive le failli de l'administration et de la disponibilité de biens existants à la date dudit jugement. (...) » Article 48 « La correspondance adressée au failli doit être remise au syndic, qui a le droit de garder celle relative à des intérêts patrimoniaux. Le failli peut prendre connaissance de la correspondance. Le syndic doit garder le secret sur le contenu de la correspondance qui ne concerne pas lesdits intérêts. » Article 49 « Le failli ne peut quitter son lieu de résidence sans autorisation du juge et doit se présenter audit juge, au syndic ou au comité des créanciers chaque fois qu'il est convoqué, sauf les cas où, à cause d'un empêchement légitime, le juge l'autorise à comparaître par l'intermédiaire d'un représentant. Le juge peut faire amener le failli par la police si ce dernier n'obéit pas à la convocation. » Article 50 « Un registre public est tenu au greffe de chaque tribunal, dans lequel sont enregistrés les noms des faillis. Ces noms sont rayés du registre à la suite d'un jugement du tribunal. Le failli est soumis aux incapacités prévues par la loi jusqu'à ce que son nom soit rayé du registre. » Article 88 « L'administration des biens du failli est confiée au syndic au fur et à mesure que ce dernier rédige l'inventaire desdits biens (...). » Les dispositions pertinentes du code civil se lisent ainsi : Article 350 « Ne peuvent pas être nommés tuteurs et, si déjà nommés, doivent abandonner cette fonction : (...) le failli dont le nom n'a pas été rayé du registre des faillis. » L'article 393 prévoit essentiellement l'incapacité du failli à exercer les fonctions de syndic jusqu'à ce que son nom soit supprimé du registre des faillis. Les articles 2382, 2399, 2417 et 2516 du code civil prévoient l'interdiction pour le failli d'être nommé administrateur et syndic d'une société commerciale ou coopérative, ainsi que représentant des obligataires de sociétés anonymes. L'article 2 du décret du Président de la République no 223 du 20 mars 1967, modifié par la loi no 15 du 16 janvier 1992, prévoit essentiellement la suspension des droits électoraux du failli pendant la durée de la procédure de faillite et, en tout cas, pour une période non supérieure à cinq ans à partir de la déclaration de faillite.
0
0
1
0
0
0
0
0
1
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant, ressortissant turc né en 1949, est actuellement détenu à la prison d'İmralı (Mudanya, Bursa, Turquie). Avant son arrestation, il était le chef du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. L'arrestation et le transfert du requérant en Turquie Le 9 octobre 1998, le requérant fut expulsé de Syrie, où il résidait depuis de longues années. Arrivé le même jour en Grèce, les autorités grecques lui demandèrent de quitter le territoire grec dans les deux heures et rejetèrent sa demande d'asile politique. Le 10 octobre 1998, le requérant se rendit à Moscou dans un avion affrété par les services secrets grecs. Sa demande tendant à obtenir le statut de réfugié politique en Russie fut acceptée par la Douma, mais le Premier ministre russe ne mit pas cette décision en application. Le 12 novembre 1998, le requérant se rendit à Rome et présenta une demande d'asile politique. Les autorités italiennes mirent d'abord le requérant en détention, puis l'assignèrent à domicile. Tout en refusant de l'extrader vers la Turquie, les autorités administratives italiennes rejetèrent la demande d'asile politique soumise par l'intéressé. Celui-ci dut quitter l'Italie à la suite de pressions dans ce sens. Après avoir passé un ou deux jours en Russie, le requérant se rendit de nouveau en Grèce, probablement le 1er février 1999. Le lendemain, le 2 février 1999, le requérant fut emmené au Kenya, reçu à l'aéroport de Nairobi par les agents de l'ambassade grecque et installé à la résidence de l'ambassadeur grec. Le requérant présenta à l'ambassadeur grec à Nairobi une demande d'asile politique en Grèce, mais cette demande demeura sans réponse. Le 15 février 1999, le ministère des affaires étrangères du Kenya annonça que le 2 février 1999, l'avion qui avait amené M. Öcalan avait atterri à Nairobi, que le requérant était entré sur le territoire kenyan sans déclarer son identité et sans se soumettre au contrôle des passeports, alors qu'il était accompagné par des agents grecs. Le ministre kenyan des Affaires étrangères avait convoqué l'ambassadeur grec à Nairobi pour lui demander des renseignements sur l'identité du requérant. L'ambassadeur avait d'abord déclaré qu'il ne s'agissait pas d'Abdullah Öcalan. Devant l'insistance des autorités kenyanes, l'ambassadeur grec avait reconnu qu'il s'agissait bien de M. Öcalan. L'ambassadeur grec indiqua au ministre kenyan que les autorités d'Athènes étaient d'accord pour emmener le requérant hors du Kenya. Le ministre des Affaires étrangères du Kenya déclara aussi que les missions diplomatiques kenyanes à l'étranger avaient été les cibles d'actions terroristes, et que la présence du requérant au Kenya soulevait de sérieux problèmes de sécurité. Dans ces conditions, le gouvernement kenyan s'étonna de ce que la Grèce, Etat avec lequel il entretenait des relations amicales, ait pu, en connaissance de cause, placer le Kenya dans une situation à ce point délicate, l'exposant à la suspicion et à de possibles attaques. Invoquant le rôle joué par l'ambassadeur grec à Nairobi, le gouvernement kenyan déclara que la crédibilité de l'ambassadeur suscitait de sérieux doutes et demanda son rappel immédiat. Le ministre kenyan des Affaires étrangères indiqua également que les autorités kenyanes n'avaient rien à voir avec l'arrestation et la destination finale du requérant, qu'il n'était informé d'aucune opération menée par les forces turques durant le départ du requérant, et que les gouvernements kenyan et turc ne s'étaient pas consultés sur ce point. Le dernier jour du séjour du requérant à Nairobi, l'ambassadeur grec, à l'issue de son entretien avec le ministre kenyan des Affaires étrangères, annonça au requérant qu'il était libre de partir où il le désirait et que les Pays-Bas étaient prêts à l'accueillir. Le 15 février 1999, des agents kenyans se présentèrent à l'ambassade de Grèce afin de conduire le requérant à l'aéroport. L'ambassadeur de Grèce ayant manifesté son souhait d'accompagner lui-même le requérant à l'aéroport, une discussion entre lui et les agents kenyans eut lieu. Finalement, le requérant prit la voiture conduite par un agent kenyan. En chemin, la voiture où se trouvait le requérant se sépara du convoi et se rendit, par un passage réservé à la sécurité, dans la zone internationale de l'aéroport de Nairobi, au pied d'un avion dans lequel des agents de sécurité turcs attendaient M. Öcalan. Celui-ci fut appréhendé à 20 h 00 environ après être monté dans l'avion. Les juridictions turques avaient décerné sept mandats d'arrêt à l'encontre de M. Öcalan, et Interpol avait émis un avis de recherche (bulletin rouge) le concernant. Dans tous ces documents, on reprochait au requérant d'avoir fondé une bande armée en vue de mettre fin à l'intégrité territoriale de l'Etat et d'avoir été l'instigateur de plusieurs actes de terrorisme ayant abouti à des pertes en vies humaines. Dans l'avion qui le ramenait du Kenya en Turquie, le requérant fut accompagné d'un médecin militaire dès son arrestation. Un enregistrement vidéo et des photos de M. Öcalan, faits dans l'avion pour les besoins de la police, firent l'objet d'une fuite et apparurent dans la presse. Entre-temps, les détenus de la prison d'İmralı avaient été transférés dans d'autres établissements. Pendant le vol, entre le Kenya et la Turquie, le requérant eut les yeux bandés à chaque fois que les agents turcs ne portaient pas de cagoule. On lui enlevait le bandeau dès que les agents mettaient leur cagoule. Selon le Gouvernement, le bandeau fut enlevé dès que l'avion entra dans la zone aérienne turque. L'intéressé fut placé en garde à vue à la prison d'İmralı le 16 février 1999. Durant le trajet de l'aéroport en Turquie jusqu'à la prison d'İmralı, le requérant portait une cagoule. Sur des photos prises à l'île d'İmralı en Turquie, le requérant comparut sans cagoule, ni bandeau sur les yeux. M. Öcalan affirma par la suite qu'on lui avait administré des tranquillisants, probablement dans les locaux de l'ambassade de Grèce à Nairobi. B. La garde à vue à İmralı A partir du 16 février 1999, le requérant fut interrogé par les membres des forces de l'ordre. Le 20 février 1999, la durée de sa garde à vue fut prolongée de trois jours par décision du juge (prise au vu du dossier) au motif que les interrogatoires n'étaient pas terminés. Les magistrats et les procureurs près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara arrivèrent sur l'île d'İmralı le 21 février 1999. Selon le requérant, le 22 février 1999, seize avocats désignés par sa famille demandèrent à la cour de sûreté de l'Etat l'autorisation de rendre visite à leur client. On leur répondit oralement qu'un seul avocat serait autorisé à voir le détenu. Les avocats qui se rendirent à Mudanya (point de départ pour l'île d'İmralı) le 23 février 1999 se virent refuser par l'administration l'autorisation de voir leur client. Toujours selon le requérant, ses avocats furent harcelés par la foule, à l'instigation ou sous l'œil bienveillant des policiers en civil. Dès le début de la détention de M. Öcalan, l'île d'İmralı fut décrétée zone militaire interdite. Selon l'intéressé, la gestion de la sécurité dans son affaire fut confiée au « centre de crise » créé à Mudanya. C'est cette entité qui était chargée d'accorder aux avocats et autres visiteurs les autorisations de voir le requérant. D'après le Gouvernement, des mesures extraordinaires furent prises afin de sauvegarder la vie du requérant. Ce dernier avait un grand nombre d'ennemis qui auraient pu être tentés de mettre un terme à sa vie. Toujours selon le Gouvernement, la fouille des avocats s'inscrivait dans le cadre de ces mesures de sécurité. Le 22 février 1999, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara interrogea le requérant et recueillit la déposition faite par lui en tant que prévenu. L'intéressé exposa qu'il était le fondateur du PKK et son leader actuel. Au début, M. Öcalan et le PKK s'étaient assigné pour but de fonder un Etat kurde indépendant, mais au fil du temps ils avaient changé d'objectif et avaient recherché la participation au pouvoir des Kurdes, considérés comme constituant une population libre et ayant joué un rôle important dans la fondation de la République. Le requérant confessa que les gardes de village constituaient une cible privilégiée pour le PKK. Il confirma également que cette organisation usait de méthodes violentes contre la population civile, en particulier depuis 1987. Il précisa qu'il était personnellement opposé à ces méthodes et qu'il avait vainement essayé d'empêcher leur utilisation. Il indiqua au procureur que les chefs de guerre, qui désiraient s'approprier le pouvoir au sein du PKK, avaient dirigé une partie de leur pression contre la population kurde, que certains d'entre eux avaient été jugés et condamnés par le PKK et avaient été exécutés avec son approbation personnelle. Il reconnut que l'évaluation par les autorités turques du nombre de morts et de blessés imputables aux agissements du PKK était proche de la réalité, que ce nombre pouvait même être plus élevé, et que les attaques perpétrées l'avaient été sur ses ordres et dans le cadre de la lutte armée menée par le PKK. Il ajouta qu'il avait décidé en 1993 de décréter un cessez-le-feu, donnant ainsi suite à la demande du président turc, M. Özal, qui lui avait été transmise par le dirigeant kurde Celal Talabani. Il déclara aussi devant le procureur qu'après son départ de la Syrie le 9 octobre 1998 il s'était rendu d'abord en Grèce, puis en Russie et en Italie. Ces deux pays ayant refusé de lui accorder le statut de réfugié politique, il avait été conduit au Kenya par les services secrets de la Grèce. C. La comparution devant le juge et la mise en détention provisoire Le 23 février 1999, le requérant comparut devant un juge assesseur de la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara, qui ordonna sa mise en détention provisoire. Le requérant ne forma pas opposition auprès de la cour de sûreté de l'Etat contre cette décision. Devant le juge assesseur, il réitéra la déclaration faite par lui devant le procureur. Il ajouta qu'en sa qualité de fondateur et chef du PKK il était compétent en dernier ressort pour approuver les décisions prises au sein de cette organisation. Au cours de la période 1973-1978, les activités du PKK s'étaient situées sur le plan politique. En 1977 et 1978, le PKK avait organisé des attaques armées contre les « ağa » (grands propriétaires terriens). A partir de 1979, après le passage du requérant au Liban, le PKK avait commencé ses préparatifs sur le plan paramilitaire. Depuis 1984, l'organisation menait une lutte armée à l'intérieur de la Turquie. Les responsables de chaque département décidaient des actions armées, dont le requérant confirmait les grandes lignes. M. Öcalan prenait par ailleurs les décisions stratégiques et tactiques pour l'ensemble de l'organisation. Les unités se chargeaient de l'exécution de ces décisions. D. Les contacts avec l'extérieur lors de l'instruction judiciaire et les conditions de détention à la prison d'İmralı Le lendemain de l'arrivée du requérant en Turquie, son conseil turc, Me Feridun Çelik, demanda à pouvoir lui rendre visite. L'avocat fut empêché par les membres des forces de l'ordre de quitter les locaux de l'association des droits de l'homme de Diyarbakır et fut appréhendé par la suite avec sept de ses confrères. Le 17 février 1999, Mes Böhler et Prakken, accompagnées de leur associé M. Koppen, se virent refuser à l'aéroport d'Istanbul l'autorisation de pénétrer sur le territoire turc afin de se rendre auprès du requérant. Les autorités avaient en effet considéré que ces avocates ne pouvaient représenter le requérant en Turquie et que le passé de Me Böhler (soupçonnée d'avoir milité contre les intérêts de la Turquie et participé à des réunions organisées par le PKK) laissait planer le danger d'une atteinte à l'ordre public en Turquie. Le 25 février 1999, le requérant put s'entretenir avec deux des seize avocats qui avaient demandé à le voir, Mes Z. Okçuoğlu et H. Korkut. Ce premier entretien eut lieu en présence d'un juge et de membres des forces de l'ordre portant des cagoules. Ces derniers avaient décidé que l'entrevue ne pourrait dépasser vingt minutes. Le procès-verbal de celle-ci fut remis à la cour de sûreté de l'Etat. Les autres représentants du requérant obtinrent l'autorisation de faire signer le pouvoir pour la Cour et de voir leur client ultérieurement. Lors de l'instruction préparatoire, qui se déroula entre le 15 février 1999, date de l'arrestation de M. Öcalan, et le 24 avril 1999, date du début du procès, le requérant eut douze entretiens à huis clos avec ses avocats. Les dates et durées de ces entretiens sont les suivantes : le 11 mars 1999 (45 minutes), le 16 mars 1999 (une heure), le 19 mars 1999 (une heure), le 23 mars 1999 (57 minutes), le 26 mars 1999 (une heure et 27 minutes), le 2 avril 1999 (une heure), le 6 avril 1999 (une heure), le 8 avril 1999 (61 minutes), le 12 avril 1999 (59 minutes), le 15 avril 1999 (une heure), le 19 avril 1999 (une heure) et le 22 avril 1999 (une heure). Selon le requérant, ses entretiens avec ses avocats eurent lieu sous la surveillance de personnes placées derrière les vitres et furent filmés au moyen d'un caméscope. Après les deux premières visites, de courte durée, les contacts des avocats avec le requérant furent limités à deux visites par semaine, d'une durée d'une heure chacune. A chaque visite, les avocats furent fouillés à cinq reprises et durent remplir un questionnaire très détaillé. Toujours selon le requérant, l'échange de documents entre lui-même et ses conseillers et la prise de notes étaient interdits lors de ces entretiens. Les représentants de M. Öcalan ne purent transmettre à ce dernier ni la copie du dossier de son procès (sauf l'acte d'accusation, notifié par le parquet), ni d'autres éléments de nature à lui permettre de préparer sa défense. Selon le Gouvernement, aucune restriction ne fut imposée au requérant quant au nombre de visites de ses avocats, ni quant à la durée de celles-ci. Hormis la première, qui se déroula sous la surveillance d'un juge et de membres des forces de l'ordre – lesquels se trouvaient dans la même pièce que le requérant et ses avocats – les visites eurent lieu dans le cadre des restrictions prévues par le code de procédure pénale. Afin d'assurer leur sécurité, les avocats furent conduits sur l'île d'İmralı par des bateaux à partir d'un quai privé. Des chambres d'hôtel furent réservées pour eux à un endroit proche du lieu d'embarquement. Toujours aux dires du Gouvernement, la correspondance du requérant ne fit l'objet d'aucune restriction. Entre temps, le 2 mars 1999, les délégués du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« le CPT ») visitèrent la prison d'İmralı. Leur lettre du 22 mars 1999 adressée aux représentants du gouvernement turc indiquait que la santé physique du requérant était bonne et que l'intéressé avait déclaré n'avoir subi aucun mauvais traitement depuis son arrestation. Sa cellule était convenablement équipée. Le CPT appela l'attention du Gouvernement sur le fait que l'isolement du requérant et son accès limité au plein air pouvaient compromettre sa santé psychique. La dernière visite des délégués du CPT à la prison d'İmralı, où le requérant est le seul détenu, se déroula lors de leur mission en Turquie du 2 au 14 septembre 2001. Il ressort de leur constatations que la cellule qu'occupe le requérant est assez grande pour un détenu et dispose d'un lit, d'une table, d'un fauteuil et d'une bibliothèque. La cellule est également dotée d'une climatisation et d'un coin toilette, ainsi que d'une fenêtre qui donne sur une cour interne. Le requérant dispose de livres, de journaux, et d'un poste de radio. Il n'a pas accès aux émissions télévisées ni au téléphone. En revanche, il reçoit la visite de médecins deux fois par jour et celle de ses avocats une fois par semaine. E. Les médias Le requérant affirme que, même avant le commencement du procès, il fut présenté par une partie des médias comme un « tueur de bébés ». Les dépositions faites par lui en tant que prévenu lors de l'instruction préparatoire furent divulguées à la presse alors même qu'elles n'avaient pas encore été mises à la disposition de ses avocats. Selon le Gouvernement, l'affaire Öcalan suscita un fort intérêt de la part des médias et des journalistes, qui formulèrent toutes sortes de commentaires sur la question de savoir si le requérant devait ou non être jugé coupable. Les avocats de M. Öcalan intentèrent une action contre un journaliste qui, selon eux, avait diffamé le requérant. F. Le procès devant la cour de sûreté de l'Etat Par un acte d'accusation présenté le 24 avril 1999 (et joint à plusieurs autres, s'échelonnant entre 1989 et 1998 et établis en l'absence du requérant par divers parquets), le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara reprocha au requérant d'avoir mené des activités visant à provoquer la sécession d'une partie du territoire national. Il requit la peine capitale en vertu de l'article 125 du code pénal. Le dossier de l'affaire se composait de 17 000 pages et résultait de la jonction des dossiers de sept procédures déjà entamées contre le requérant par diverses cours de sûreté de l'Etat. L'accès des avocats du requérant à ce dossier ainsi qu'à l'acte d'accusation fut assuré le 7 mai 1999. Les autorités judiciaires n'ayant pu fournir une copie du dossier, les avocats apportèrent leur propre photocopieuse et finirent de photocopier le dossier le 15 mai 1999. Le parquet n'avait pas versé certains documents au dossier, par exemple ceux concernant l'arrestation du requérant au Kenya et son transfert en Turquie. Les deux premières audiences, qui se tinrent à Ankara les 24 et 30 mars 1999 et auxquelles le requérant ne participa point, concernaient des questions de procédure, telles que les demandes de constitution de partie intervenante, les mesures à prendre pour les audiences devant se tenir sur l'île d'Imralı et pour la participation des parties et la présence du public aux débats. D'après le Gouvernement, les allégations selon lesquelles les policiers ont harcelé les avocats à la sortie de la première audience, tenue le 24 mars 1999 à Ankara, fait actuellement l'objet d'une enquête pénale. Du 31 mai au 29 juin 1999, la cour de sûreté de l'Etat, composée de deux juges civils et d'un magistrat militaire, tint sur l'île d'İmralı neuf audiences, auxquelles le requérant participa. Devant la cour, l'intéressé déclara, entre autres, qu'il réitérait les dépositions faites par lui devant le procureur et devant le juge assesseur. Il confirma qu'il était le plus haut responsable du PKK, qu'il dirigeait l'organisation et qu'il avait donné instruction aux membres de celle-ci de procéder à certains actes. Il déclara n'avoir reçu ni mauvais traitements ni insultes depuis son arrestation. Par ailleurs, ses représentants plaidèrent que la cour de sûreté de l'Etat ne pouvait être considérée comme un tribunal indépendant et impartial au sens de l'article 6 de la Convention. Le requérant affirma que, pour sa part, il acceptait la juridiction de la cour de sûreté de l'Etat. Il se déclara prêt à coopérer avec l'Etat turc afin de mettre un terme aux actes de violence liés au problème kurde et promit de faire cesser la lutte armée du PKK. Il affirma vouloir « œuvrer pour la paix et la fraternité et atteindre ce but au sein de la République turque ». Il précisa que si dans un premier temps, il avait envisagé une lutte armée pour obtenir l'indépendance de la population d'origine kurde, c'était par réaction contre la pression politique exercée par le gouvernement sur cette population. Au vu de l'évolution de la situation, il avait changé de cap et limité ses revendications à une autonomie ou une reconnaissance des droits culturels des Kurdes au sein d'une société démocratique. Il déclara accepter la responsabilité politique de la stratégie générale du PKK, mais refuser la responsabilité pénale des actes de violence allant au-delà de la politique déclarée du PKK. Dans le but de mettre en évidence le rapprochement entre son organisation et le gouvernement, il sollicita l'audition, en tant que témoins à décharge, des responsables du gouvernement qui avaient mené des négociations avec le PKK. Cette demande ne fut pas accueillie par la cour de sûreté de l'Etat. Les demandes de ses avocats tendant à la communication de documents complémentaires ou à l'élargissement de l'instruction afin de recueillir davantage d'éléments de preuve furent rejetées par la cour de sûreté de l'Etat au motif qu'il s'agissait de manœuvres dilatoires. Les avocats du requérant se plaignirent devant la cour de sûreté de l'Etat des restrictions et des difficultés qu'ils rencontraient pour s'entretenir avec leur client. Leur demande visant à obtenir l'autorisation de se concerter avec le requérant lors des pauses-déjeuner fut acceptée par la cour de sûreté de l'Etat à l'audience du 1er juin 1999. Le 2 juin 1999, la cour de sûreté de l'Etat décida d'autoriser le requérant à consulter le dossier sous la surveillance de deux greffiers et de permettre aux avocats de l'intéressé de transmettre à leur client des copies de documents versés au dossier. Les avocats ne se présentèrent pas à l'audience du 3 juin 1999. Sur leur demande, les procès-verbaux d'audience et des copies des documents versés au dossier leur furent remis à eux ainsi qu'au requérant le 4 juin 1999. L'un des conseils du requérant remercia la cour de sûreté de l'Etat pour avoir créé une ambiance sereine. Le 8 juin 1999, le parquet présenta son réquisitoire (conclusions finales) et requit la condamnation du requérant à la peine capitale en vertu de l'article 125 du code pénal. Les conseils du requérant demandèrent un délai d'un mois pour préparer leurs conclusions finales. La cour de sûreté de l'Etat leur accorda quinze jours, délai maximum prévu par la législation. Le 18 juin 1999, la Grande Assemblée nationale de Turquie modifia l'article 143 de la Constitution et exclut les magistrats militaires (du siège comme du parquet) de la composition des cours de sûreté de l'Etat. Des modifications dans le même sens furent apportées le 22 juin 1999 à la loi sur les cours de sûreté de l'Etat. A l'audience du 23 juin 1999, le magistrat désigné pour remplacer le juge militaire siégea pour la première fois au sein de la cour de sûreté de l'Etat. Cette dernière constata que le nouveau juge avait déjà lu le dossier et les procès-verbaux, conformément à l'article 381 § 2 du code de procédure pénale, et qu'il avait aussi suivi dès le début le déroulement de la procédure et assisté aux audiences. Les conseils du requérant s'opposèrent à la nomination de ce magistrat non militaire au motif qu'il était déjà intervenu dans le dossier. Cette objection fut rejetée par la cour. Toujours le 23 juin 1999, les conseils du requérant exposèrent leurs moyens de défense quant au fond des accusations. Le 29 juin 1999, la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara, après avoir entendu les dernières paroles du requérant, le déclara coupable d'avoir mené des actions visant la sécession d'une partie du territoire de la Turquie et d'avoir formé et dirigé dans ce but une bande de terroristes armés, et elle le condamna à la peine capitale en application de l'article 125 du code pénal. Elle considéra que le requérant était le fondateur et le premier responsable de l'organisation illégale que constituait le PKK. Ce dernier avait pour but la sécession d'une partie du territoire de la République de Turquie afin d'y former un Etat kurde doté d'un régime politique fondé sur l'idéologie marxiste-léniniste. La cour de sûreté de l'Etat jugea établi qu'à la suite de décisions prises par le requérant et sur ses ordres et directives, le PKK avait procédé à plusieurs attaques armées, attentats à la bombe, sabotages et vols à main armée, et que, lors de ces actes de violence, des milliers de civils, de militaires, de policiers, de gardes de village et de fonctionnaires avaient trouvé la mort. Elle n'admit pas l'existence de circonstances atténuantes permettant de commuer la peine capitale en réclusion à perpétuité, compte tenu notamment du nombre très élevé et de la gravité des actes de violence, lesquels avaient entraîné la mort de milliers de personnes, y compris des enfants, des femmes et des vieillards, et eu égard au danger important et imminent que représentaient ces actes pour le pays. G. Le pourvoi en cassation Le requérant forme un pourvoi en cassation contre la décision, laquelle, compte tenu de la gravité de la peine prononcée, fut également soumise d'office au contrôle de la Cour de cassation. Par un arrêt adopté le 22 novembre 1999 et prononcé le 25, la Cour de cassation confirma l'arrêt du 29 juin 1999 en toutes ses dispositions. Elle considéra que le remplacement du juge militaire par un magistrat non militaire pendant le procès ne nécessitait pas le renouvellement des actes de procédure déjà accomplis puisque le nouveau magistrat avait suivi la procédure dès le début et que la loi elle-même disposait que celle-ci devait se poursuivre à partir du stade auquel elle se trouvait au moment du remplacement. La Cour de cassation rappela également que la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara était habilitée par la loi à tenir ses audiences en dehors de son ressort, notamment pour des raisons de sécurité. Quant au fond, la Cour de cassation tint compte du fait que le requérant était le fondateur et le président du PKK. Elle se référa au but et à l'activité de cette organisation, qui visait la fondation d'un Etat kurde sur un territoire à faire céder par la Turquie à l'issue d'une lutte armée et qui, à cette fin, procédait à des attaques armées et à des sabotages contre les forces armées et les établissements industriels ou touristiques, espérant ainsi affaiblir l'autorité de l'Etat. Le PKK avait également un front politique (ERNK) et un front armé (ARNK), qui fonctionnaient sous son contrôle. Ses principaux revenus étaient « l'impôt », « les amendes », les dons, les cotisations et l'argent provenant des vols à main armée et du trafic d'armes et de stupéfiants. Selon la Cour de cassation, le requérant dirigeait l'ensemble des trois formations. Dans les discours qu'il avait prononcés lors des conférences du parti, dans ses interventions audiovisuelles, dans ses instructions aux militants, M. Öcalan avait ordonné de recourir à des actes de violence, indiqué des tactiques de combat, prononcé des sanctions contre ceux qui ne respectaient pas ses consignes et incité la population civile à passer à l'acte. Les actes de violences perpétrés par le PKK de 1978 jusqu'à l'arrestation du requérant (soit au total 6 036 attaques armées, 3 071 attentats à la bombe, 388 vols à main armée et 1 046 enlèvements) avaient provoqué la mort de 4 472 civils, 3 874 militaires, 247 policiers et 1 225 gardes de village. La Cour de cassation estima que le PKK, fondé et dirigé par le requérant, représentait un danger sérieux, grave et imminent pour l'intégrité du pays. Elle considéra que les faits reprochés à M. Öcalan correspondaient bien à ceux constituant l'infraction définie à l'article 125 du code pénal et qu'il n'était pas nécessaire, pour l'application de cette disposition, que le requérant, fondateur et président du PKK et instigateur des actes de violence commis par cette organisation, eût lui-même utilisé une arme. H. Commutation de la peine capitale en réclusion à perpétuité En octobre 2001, l'article 38 de la Constitution fut modifié dans le sens que la peine capitale ne pourrait plus être prononcée ni exécutée sauf en temps de guerre ou de danger imminent de guerre, ou en cas d'actes terroristes. Par la loi no 4771 publiée le 9 août 2002, la Grande Assemblée nationale de Turquie décida, entre autres, d'abolir la peine de mort en temps de paix (c'est à dire sauf situation de guerre ou de danger imminent de guerre) en apportant des modifications aux lois concernées, y inclus le code pénal. Selon ces modifications, la réclusion à perpétuité, infligée à la suite de la commutation de la peine capitale déjà prononcée en raison des actes de terrorisme, devrait être purgée jusqu'à la fin des jours du condamné. Dans une lettre du 19 septembre 2002 adressée à la Cour, le Gouvernement déclara qu'« il n'[était] plus possible d'exécuter la condamnation à mort d'Abdullah Öcalan, confirmée par la Cour de cassation turque dans l'arrêt qu'elle a[vait] rendu le 22 novembre 1999 ». Par un arrêt du 3 octobre 2002, la cour de sûreté de l'Etat d'Ankara commua la peine capitale imposée au requérant en réclusion à perpétuité. Elle constata que les infractions reprochées au requérant et réprimées par l'article 125 du code pénal avaient été commises en temps de paix et constituaient des actes de terrorisme. L'un des partis politiques représentés au parlement, le parti de l'action nationaliste, (MHP, Milliyetçi Hareket Partisi) intenta devant la Cour constitutionnelle une action en annulation de certaines dispositions de la loi no 4771, y compris celles abolissant la peine capitale en temps de paix pour les auteurs d'actes terroristes. Par un arrêt du 27 décembre 2002, la Cour constitutionnelle rejeta cette action. Le 9 octobre 2002, les deux syndicats intervenants dans la procédure pénale au nom de leurs membres défunts, le syndicat des travailleurs du secteur public et le syndicat de l'éducation nationale (rassemblant les enseignants), formèrent un pourvoi contre l'arrêt du 3 octobre 2002 commuant la peine capitale infligée au requérant en réclusion à perpétuité. Les syndicats intervenants soutinrent que la situation créée par les activités du PKK au sud-est de la Turquie devrait s'analyser en un « danger imminent de guerre ». Cette procédure est toujours pendante. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS A. Statut des cours de sûreté de l'Etat Selon l'article 143 de la Constitution, dans sa version d'avant la modification constitutionnelle survenue le 18 juin 1999, les cours de sûreté de l'Etat étaient composées d'un président, de deux membres titulaires et de deux membres suppléants. Le président, un membre titulaire et un membre suppléant étaient nommés parmi les juges civils, un membre titulaire et un membre suppléant parmi les juges militaires. Tel qu'il a été modifié par la loi no 4388 du 18 juin 1999, l'article 143 de la Constitution est ainsi libellé : « (...) Les cours de sûreté de l'Etat se composent d'un président, de deux membres titulaires, d'un membre suppléant, d'un procureur général de la République et d'un nombre suffisant de procureurs de la République. Le président, deux membres titulaires, un membre suppléant et le procureur général de la République sont nommés parmi les juges et les procureurs de premier rang, les procureurs de la République parmi les procureurs d'autres rangs, pour quatre ans, par le Haut Conseil de la Magistrature, selon la procédure définie dans la loi spéciale. Leur mandat est renouvelable (...) » Les modifications nécessaires quant à la nomination des juges et des procureurs de la République furent apportées à la loi no 2845 sur les cours de sûreté de l'Etat par la loi no 4390 du 22 juin 1999. Selon l'article 1 provisoire de la loi no 4390, les mandats des juges militaires et des procureurs militaires en fonction au sein des cours de sûreté de l'Etat devaient prendre fin à la date de la publication de cette loi (le 22 juin 1999). Selon l'article 3 provisoire de la même loi, les procédures pendantes devant les cours de sûreté de l'Etat à la date de publication de cette loi devaient se poursuivre dans l'état où elles se trouvaient à cette date. B. Article 125 du code pénal turc Cette disposition se lit ainsi : « Sera passible de la peine capitale quiconque commettra un acte tendant à soumettre toute ou partie du territoire de l'Etat à la domination d'un Etat étranger, à amoindrir l'indépendance de l'Etat, à altérer son unité, ou à soustraire à son administration une partie du territoire sous son contrôle. » C. Contrôle de la légalité de la détention Aux termes du quatrième paragraphe de l'article 128 du code de procédure pénale (tel que modifié par la loi no 3842/9 du 18 novembre 1992), toute personne arrêtée ou dont la garde à vue a été prolongée sur ordre d'un procureur peut contester la mesure en question devant le juge d'instance compétent et, le cas échéant, être libérée. Dans la procédure devant les cours de sûreté de l'Etat (relevant de la loi no 2845 du 16 juin 1983), l'article 128 du code de procédure pénale n'est applicable que dans sa version antérieure aux modifications du 18 novembre 1992, version qui ne prévoit pas de moyen de recours pour les personnes arrêtées ou maintenues en garde à vue sur ordre du parquet. L'article 1 de la loi no 466 sur l'octroi d'indemnités aux personnes illégalement arrêtées ou détenues prévoit : « Seront compensés par l'Etat les dommages subis par toute personne : arrêtée ou placée en détention dans des conditions et circonstances non conformes à la Constitution et aux lois ; à laquelle les griefs à l'origine de son arrestation ou détention n'auront pas été immédiatement communiqués ; qui n'aura pas été traduite devant le juge après avoir été arrêtée ou placée en détention dans le délai légal ; qui aura été privée de sa liberté sans décision judiciaire après que le délai légal pour être traduite devant le juge aura expiré ; dont les proches n'auront pas été immédiatement informés de son arrestation ou de sa détention ; qui, après avoir été arrêtée ou mise en détention conformément à la loi, aura bénéficié d'un non-lieu (...), d'un acquittement ou d'un jugement la dispensant d'une peine ; qui aura été condamnée à une peine d'emprisonnement moins longue que sa détention ou à une amende seulement (...) » Par ailleurs, l'article 144 du code de procédure pénale prévoit en principe que toute personne appréhendée ou mise en détention provisoire peut s'entretenir avec son défenseur à huis clos, sans que ce dernier ait besoin d'une procuration. Dans la procédure devant les cours de sûreté de l'Etat, l'article 144 du code de procédure pénale n'est applicable que dans sa version antérieure aux modifications du 18 novembre 1992, version qui prévoit qu'un magistrat peut être présent lors des entretiens entre l'accusé et son avocat dans la période antérieure à l'ouverture de l'action pénale. D. Le Conseil de l'Europe et la peine capitale Le Protocole no 6 à la Convention prévoit dans son article 1 que « la peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ». Aux termes de l'article 2 du Protocole no 6 : « Un Etat peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ; une telle peine ne sera appliquée que dans les cas prévus par cette législation et conformément à ses dispositions. Cet Etat communiquera au Secrétaire Général du Conseil de l'Europe les dispositions afférentes de la législation en cause. » Le Protocole no 6 a été ratifié par quarante et un des quarante-quatre Etats membres du Conseil de l'Europe, et signé par l'ensemble des Etats membres, y compris, très récemment – le 15 janvier 2003 –, par la Turquie. Seules la Turquie, l'Arménie et la Russie ne l'ont pas encore ratifié. Le Protocole no 13 à la Convention, qui prévoit l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances, a été ouvert à la signature le 3 mai 2002. Son préambule se lit ainsi : « Les Etats membres du Conseil de l'Europe, signataires du présent Protocole, Convaincus que le droit de toute personne à la vie est une valeur fondamentale dans une société démocratique, et que l'abolition de la peine de mort est essentielle à la protection de ce droit et à la pleine reconnaissance de la dignité inhérente à tous les êtres humains ; Souhaitant renforcer la protection du droit à la vie garanti par la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après dénommée « la Convention ») ; Notant que le Protocole no 6 à la Convention concernant l'abolition de la peine de mort, signé à Strasbourg le 28 avril 1983, n'exclut pas la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ; Résolus à faire le pas ultime afin d'abolir la peine de mort en toutes circonstances, Sont convenus de ce qui suit : (...) » Aux termes de l'article 1 du Protocole no 13 : « La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté. » Conformément à son article 7, le Protocole « entrera en vigueur le premier jour du mois qui suit l'expiration d'une période de trois mois après la date à laquelle dix Etats membres du Conseil de l'Europe auront exprimé leur consentement à être liés par le présent Protocole. » Dans son Avis no 233 (2002) sur le « Projet de protocole à la Convention européenne des Droits de l'Homme relatif à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances », l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe rappela : « (...) ses dernières résolutions sur le sujet, à savoir la Résolution 1187 (1999) intitulée « L'Europe, continent exempt de la peine de mort », et la Résolution 1253 (2001) relative à l'abolition de la peine de mort dans les pays ayant un statut d'observateur auprès du Conseil de l'Europe, dans lesquelles elle renouvelle sa conviction que l'application de la peine de mort constitue une peine inhumaine et dégradante, et une violation du droit le plus fondamental de l'homme, le droit à la vie, et réaffirme que la peine capitale n'a pas sa place dans des sociétés démocratiques civilisées, régies par l'Etat de droit » (paragraphe 2). L'Assemblée constata en outre que : « La deuxième phrase de l'article 2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme prévoit toujours la peine de mort. Cela fait longtemps que l'Assemblée se propose de supprimer cette phrase, pour que la théorie corresponde à la réalité, d'autant plus que les documents constitutionnels nationaux et les traités internationaux plus modernes ne contiennent plus de dispositions de ce type » (paragraphe 5). L'article X § 2 des « Lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme », adoptées le 15 juillet 2002, se lit ainsi : « En aucun cas, une personne accusée d'activités terroristes ne peut encourir la condamnation à mort ; dans l'éventualité d'une condamnation à une telle peine, celle-ci ne peut pas être exécutée. » E. Autres évolutions au niveau international concernant la peine de mort Dans sa résolution 1984/50 du 25 mai 1984 sur les « Garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort », le Conseil économique et social des Nations unies a énuméré une série de règles devant être observées par les pays où la peine de mort est toujours applicable. L'article 5 de cette résolution est ainsi libellé : « La peine capitale ne peut être exécutée qu'en vertu d'un jugement final rendu par un tribunal compétent après une procédure juridique offrant toutes les garanties possibles pour assurer un procès équitable, garanties égales au moins à celles énoncées à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, y compris le droit de toute personne suspectée ou accusée d'un crime passible de la peine de mort de bénéficier d'une assistance judiciaire appropriée à tous les stades de la procédure. » Dans un certain nombre d'affaires concernant des condamnés à mort, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a observé qu'en cas de violation des garanties d'un procès équitable exposées à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'exécution d'une sentence de mort ne serait pas conforme à l'article 6 § 2 du Pacte qui définit les circonstances dans lesquelles la peine capitale peut être exécutée. Dans l'affaire Reid c. Jamaïque (no 250/1987), le Comité déclara : « [P]rononcer la peine de mort au terme d'un procès dans lequel les dispositions du Pacte n'ont pas été respectées constitue (...) une violation de l'article 6 du Pacte. Comme le Comité l'a noté au paragraphe 7 de son observation générale 6, la disposition qui prévoit que la peine de mort ne peut être prononcée que selon la législation en vigueur et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte implique que « les garanties d'ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d'innocence, des garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure ». » Des observations similaires ont été formulées par le Comité dans les affaires Daniel Mbenge c. Zaire (Communication no 16/1977, 8 septembre 1977, U.N. Doc. Supp. no 40, [A/38/40], 134 [1983]) et Wright c. Jamaïque (Communication no 349/1989, U.N. Doc. CCPR/C/45/D/349/1989 [1992]). Dans un avis consultatif concernant « le droit à être informé sur l'assistance consulaire dans le cadre des garanties du procès équitable » (Avis consultatif OC-16/99), la Cour interaméricaine des Droits de l'Homme a examiné les incidences des garanties du procès équitable sur l'article 4 de la Convention américaine des Droits de l'Homme, qui autorise la peine capitale dans certaines circonstances. Elle déclara : « 134. Peut-être est-il utile de rappeler que lors d'un examen précédent de l'article 4 de la Convention américaine (Restrictions à l'application de la peine de mort, Avis consultatif OC-3/83 du 8 septembre 1983, série A no 3), la Cour a relevé que l'application et l'imposition de la peine capitale étaient régies par le principe selon lequel « la mort ne doit pas être donnée arbitrairement ». Tant l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques que l'article 4 de la Convention exigent un respect strict de la procédure judiciaire et limitent l'application de cette peine aux « crimes les plus graves ». Dans les deux instruments, on observe donc une nette tendance à restreindre l'application de la peine de mort et, en définitive, à l'abolir purement et simplement. 135. Cette tendance, qui est manifeste dans d'autres instruments interaméricains et universels, se retrouve dans le principe internationalement reconnu qui veut que les Etats qui n'ont pas aboli la peine capitale doivent, sans exception, observer avec la plus grande rigueur toutes les garanties judiciaires en cas de condamnation à mort. De toute évidence, l'obligation de respecter le droit à l'information est d'autant plus impérative en pareil cas, compte tenu de la nature exceptionnellement grave et irréversible de la peine susceptible d'être appliquée à un condamné à mort. Si le principe du procès équitable, avec l'ensemble de ses droits et garanties, doit être respecté quelles que soient les circonstances, son observation prend d'autant plus d'importance lorsqu'est en jeu ce droit suprême que reconnaissent et protègent tous les traités et déclarations en matière de droits de l'homme : la vie humaine. 136. L'exécution de la peine de mort étant irréversible, l'observation la plus stricte et la plus rigoureuse des garanties judiciaires est exigée de l'Etat, de sorte que ces garanties ne soient pas violées et qu'une vie humaine ne soit pas prise arbitrairement en conséquence. » Dans son arrêt Hilaire, Constantine and Benjamin et al. v. Trinidad and Tobago du 21 juin 2002, la Cour interaméricaine déclara : « Compte tenu de la nature exceptionnellement grave et irréversible de la peine de mort, l'observation du principe du procès équitable, avec l'ensemble de ses droits et garanties, prend d'autant plus d'importance lorsqu'une vie humaine est en jeu. » (§ 148)
0
0
0
0
0
1
1
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les deux requérants sont des ressortissants italiens, nés en 1959. Ils sont mariés et à l’époque des faits, ils résidaient à Massa Finalese (Modène). La requérante réside actuellement en France avec son cinquième enfant qui est né dans ce pays. La présente affaire concerne l’éloignement et la prise en charge des quatre premiers enfants du couple, V., P., E. et A. – au nom desquels les deux requérants ont également introduit la présente requête – à la suite de poursuites pénales ouvertes contre des membres de la famille de la requérante et, par la suite, contre les deux requérants. A l’époque de l’éloignement, les enfants étaient âgés respectivement de onze, neuf, huit et quatre ans. a. Les poursuites pénales engagées contre des membres de la famille de la requérante En juin 1998, M., une cousine des enfants des deux requérants, âgée de douze ans, déclara à la psychologue qui la suivait depuis deux ans qu’elle avait subi – de même que son frère et d’autres enfants, parmi lesquels ceux des requérants – des abus sexuels dans une habitation privée et, lors de rites sataniques, dans un cimetière de la part de ses parents et d’autres adultes, parmi lesquels d’autres membres de la famille de la requérante. Lors de cet entretien, M. ajouta que la requérante faisait confiance à son père et lui confiait ses enfants. A la suite de ces déclarations, des poursuites pénales furent engagées à l’encontre des parents de M. ainsi que du père et des frères de la requérante devant le tribunal de Modène . Les poursuites s’inscrivirent dans une procédure pénale déjà ouverte à l’encontre de douze personnes et ayant trouvé son origine dans les déclarations d’autres enfants. En juillet 1998, après avoir été soumis à des expertises médicales, M. et son frère furent éloignés de leur famille et placés à l’assistance publique. Le 21 novembre 1998, de premières expertises médicolégales furent conduites sur les enfants des requérants. Le parquet ordonna que seuls des médecins assistent aux visites et que ni les deux requérants ni leurs conseils ne soient présents. Les requérants ne désignèrent pas d’expert. Les deux experts désignés d’office conclurent que l’état physique des quatre enfants, à l’instar de celui qui avait été révélé par les expertises faites sur M. et sur les autres enfants concernés par les allégations d’abus, étaient compatibles avec des situations d’abus sexuels graves et répétés. Le 14 février 1999, un des deux experts rencontra à nouveau V. et A. et confirma les conclusions qu’elle avait formulées le 21 novembre 1998 quant à l’existence d’abus répétés et graves sur les deux fillettes. En novembre 1999, selon la version fournie par V., son grand-père et ses oncles maternels se seraient approchés d’elle à la sortie de l’école et lui auraient infligé de nouveaux sévices, apparemment pour l’intimider à la suite de ses déclarations contre eux. Après la dénonciation de l’enfant, par une décision du 24 novembre 1999 du tribunal de Modène, ils furent mis en détention. Par un jugement du 5 juin 2000, le père et les frères de la requérante furent condamnés, en même temps que d’autres personnes, par le tribunal de Modène du chef d’abus sexuels sur mineurs, commis aussi sur les quatre enfants des requérants. Par un arrêt du 11 juillet 2001, déposé au greffe le 8 octobre 2001, la cour d’appel de Bologne confirma en partie ces condamnations. Elle affirma tout d’abord la crédibilité générale de tous les enfants par rapport aux abus subis dans le milieu domestique. Elle estima que les dépositions des enfants, qui confirmaient les déclarations de M., devaient être considérées comme étant dignes de foi et indépendantes de toute pression ou influence de la part des services sociaux, des magistrats impliqués dans l’affaire ou encore des familles d’accueil. Sur la base de ces considérations et des preuves recueillies, la cour d’appel confirma la condamnation des parents de M., dont le père était l’un des frères de la requérante, ainsi que des deux autres frères et du père de la requérante, par rapport aux abus commis à leur domicile sur M. et sur les enfants des requérants. Cependant, la cour d’appel acquitta les accusés par rapport aux abus prétendument commis au cimetière, au motif que ces faits n’avaient pas été établis. Sur ce point la cour d’appel soutint que les déclarations concernant les rites sataniques et les abus prétendument commis dans le cimetière tiraient leur origine des dépositions altérées de D.G., l’un des enfants impliqués, qui avait évoqué de telles situations en 1997 suite à une reconstitution artificielle des expériences d’abus réellement subis. Ces déclarations avaient par la suite été reprises, grâce aussi au contexte provincial et à la médiatisation de l’affaire, générant ainsi chez les autres enfants des suggestions et des faux souvenirs collectifs et les amenant à amplifier les violences effectivement subies. La cour d’appel ne partagea pas les conclusions des experts concernant la crédibilité des enfants à cet égard. En ce qui concerne la situation spécifique des enfants des requérants, la cour d’appel souligna qu’il ressortait des différentes expertises et dépositions qu’ils avaient vécu de façon sereine l’éloignement de leur famille et qu’ils n’avaient jamais manifesté le souhait de rentrer chez eux ni des regrets ou de la nostalgie (à l’exception de V., le soir de son éloignement). Elle ajouta que la séparation des enfants avait permis de préserver l’authenticité de leurs dépositions. Selon le Gouvernement, les requérants auraient dû être entendus dans le cadre de cette procédure en qualité de personnes accusées dans une procédure connexe (persone indagate in procedimento connesso). Cependant, toujours selon le Gouvernement, cela n’aurait pas été possible : la requérante se serait rendue introuvable et l’acte de citation n’aurait par conséquent pas pu lui être notifié ; quant au requérant, il aurait usé de sa faculté de ne pas répondre. Le 19 novembre 2001, le parquet de Bologne se pourvut en cassation. Par un arrêt rendu le 26 novembre 2002, la Cour de cassation confirma l’arrêt de la cour d’appel de Bologne. b. Les poursuites pénales engagées contre les requérants Par une note du 8 mars 1999, l’ASL (Azienda Sanitaria Locale) informa le tribunal pour enfants que V. avait confié à son parent d’accueil, C.P., avoir fait l’objet d’abus sexuels de la part de son père à partir de l’âge de sept ans. Le 11 mars 1999, C.P. fut interrogé par le procureur de la République près le tribunal de Modène. Il relata qu’après une rencontre avec la psychologue, V. était bouleversée et avait beaucoup pleuré ; la psychologue avait dit à C.P. que V. était peut-être prête à se confier à lui. V. lui aurait par la suite confié avoir subi des abus sexuels de la part de son père avec la complicité de sa mère. Elle avait ajouté que les abus concernaient également ses frères. C.P. affirma en outre que V. aurait été très déçue d’apprendre que ses parents refusaient de reconnaître qu’elle et ses frères avaient fait l’objet d’abus sexuels de la part de membres de la famille. Le 17 mars 1999, le procureur de la République ordonna aux requérants de comparaître devant lui le 9 avril 1999 en tant que « personnes faisant l’objet d’enquêtes préliminaires » (invito per la presentazione di persona sottoposta a indagini). Les preuves indiquées par le procureur étaient les déclarations de C.P., les résultats des expertises médicolégales conduites le 21 novembre 1998 sur les enfants et révélant des traces d’abus sexuels, ainsi que la note de l’ASL du 8 mars 1999. Le 9 avril 1999, les requérants furent interrogés par le procureur près le tribunal de Modène. Ils contestèrent fermement les accusations, dénoncèrent l’acharnement des services sociaux à leur encontre et affirmèrent que les déclarations des enfants étaient le résultat de manipulations et de suggestions de la part des familles d’accueil et des psychologues. Le 14 juin 1999, le juge chargé des investigations préliminaires ordonna une expertise psychologique sur les trois aînés des requérants. Dans un rapport du 5 octobre 1999, les psychologues et le travailleur social mentionnèrent le climat d’intimidation créé par les défenseurs des requérants le 29 septembre 1999, durant les opérations d’expertise. Le 8 octobre 1999, le juge des investigations préliminaires ordonna une expertise médicolégale sur les quatre enfants. Ayant exclu la nécessité d’un nouvel examen médical, il ordonna que l’expertise eût lieu en n’utilisant que le matériel photographique recueilli lors de l’examen des enfants du 21 novembre 1998, dans le cadre du procès contre les membres de la famille de la requérante. Le 9 octobre 1999, le procureur de la République demanda que le délai pour clore l’enquête préliminaire fût prorogé au 25 avril 2000. Le juge chargé des investigations préliminaires fit droit à cette demande. Le 10 décembre 1999 les trois aînés des requérant furent l’objet d’une audition protégée de la part du juge des investigations préliminaires. Les avocats des requérants assistèrent à l’audition et posèrent des questions aux enfants. En février 2000, à la suite des demandes répétées des requérants, des témoignages de catéchistes ainsi que des enseignants des enfants furent versés au dossier. Ces témoignages indiquaient tous que rien d’anormal n’avait été remarqué chez les enfants avant l’intervention des autorités. Le 15 mars 2000, l’expert nommé par le juge déposa l’expertise médicolégale ordonnée le 8 octobre 1999. Dans son rapport, il exprima des divergences avec les conclusions tirées par les experts lors de l’examen du 21 novembre 1998, dans la mesure où les clichés ne prouvaient pas l’existence de signes révélateurs spécifiques d’abus. Néanmoins, l’expert conclut que, compte tenu de la teneur de la question qui lui avait été posée (appréciation de la compatibilité de la situation objective avec l’hypothèse d’abus sexuels), il n’était peut-être pas nécessaire d’examiner à nouveau les enfants. Les experts nommés par les deux requérants estimèrent que le matériel photographique était inadéquat et soulignèrent la nécessité d’examiner à nouveau les enfants. Le 21 mars 2000 fut déposé le rapport concernant l’expertise psychologique ordonnée le 14 juin 1999. Les experts nommés par le juge estimèrent que, malgré l’étonnement que l’on pouvait ressentir face aux abus que les enfants affirmaient avoir subis, notamment par leur père, leurs témoignages devaient être considérés comme crédibles et qu’aucun élément du dossier n’indiquait qu’ils puissent avoir été manipulés ou influencés. Le 6 mai 2000, les requérants furent à nouveau interrogés par le ministère public. Le 30 mars 2001, les requérants furent renvoyés en jugement. Le 21 mai 2001, faisant droit à la demande du ministère public, le tribunal de Modène appliqua aux requérants la mesure conservatoire de l’interdiction d’entrée et de séjour dans la province de Reggio d’Emilie, les enfants ayant déclaré avoir été approchés et menacés à plusieurs reprises par leurs parents. Le 28 février 2002, le ministère public demanda la levée de ladite mesure, estimant que les raisons qui l’avaient justifiée n’existaient plus. Par une ordonnance du même jour, le tribunal leva la mesure. Par un arrêt du 24 septembre 2002, le tribunal de Modène condamna en première instance les deux requérants à une peine de douze ans de réclusion, à l’interdiction perpétuelle d’exercer des fonctions publiques, ainsi qu’au dédommagement des parties civiles. Il les déchut en outre de l’autorité parentale. c. La procédure d’éloignement devant le tribunal pour enfants La mesure d’urgence Le 27 octobre 1998, en raison de l’implication des quatre enfants des requérants dans les situations évoquées par M., le ministère public près le tribunal pour enfants de Bologne demanda leur éloignement provisoire et urgent du foyer familial. Par une décision du 6 novembre 1998, déposée au greffe le 11, ledit tribunal fit droit à cette demande. Il ordonna également la suspension de l’autorité parentale des requérants et nomma l’ASL, organisme local pour les questions de santé, tuteur des enfants. Les passages pertinents de cette décision se lisent comme suit : « Le Tribunal (...) formule les observations suivantes : il y a lieu d’intervenir à titre provisoire et urgent en vue de protéger les enfants ; les enfants habitent avec leurs parents ; leur cousine, [M.], éloignée de sa famille avec son frère en vertu d’une décision de ce tribunal, a relaté des faits d’une gravité bouleversante, concernant le petit R. (frère de M.), ses cousins Covezzi [V., P,. E. et A.] et S.B. ; tous les enfants auraient fait l’objet d’abus répétés de la part de nombreux adultes (parmi lesquels les parents de [M.], son grand-père paternel et certains de ses oncles), et auraient été soumis à des rites sexuels et sataniques ; la crédibilité de [M.] est liée aux modalités de ses déclarations (...), à la teneur de celles-ci (...), aux éléments les corroborant, à savoir les résultats des examens médicolégaux auxquels elle a été soumise en même temps que son petit frère (...) ; la crédibilité de [M.] découle également du lien avec les déclarations faites par d’autres enfants, elles aussi crédibles, lesquels ont relaté, avec une cohérence alarmante et que l’on ne saurait considérer comme occasionnelle (...), des rites orgiaques-sexuels auxquels ont été soumis de nombreux enfants dans un contexte similaire ; cela impose de prêter la plus grande attention aux déclarations de [M.] concernant ses cousins Covezzi (quant à ceux-ci, [M.] n’évoque pas une participation de leurs parents) et sa cousine S.B. (dont le père est en revanche directement mis en cause par [M.]) ; en particulier, les craintes aiguës manifestées par l’enfant (même par rapport à sa sécurité personnelle) pour avoir raconté les abus subis et le contexte même extrafamilial dans lequel ces derniers ont eu lieu, rendent plausibles des comportements d’intimidation à son égard, qui rendent indispensable de mettre en place une protection absolue des autres enfants impliqués, eux aussi exposés au risque de rétorsions de la part des adultes mis en cause ; en ce qui concerne les frères Covezzi, malgré le fait que, comme on vient de le dire, leurs parents ne paraissent pas en l’état « directement » mis en cause, il y a lieu d’observer ce qui suit : puisque selon toute vraisemblance ce qui a été relaté par [M.] est vrai, les parents n’ont à tout le moins rien relevé et n’ont aucunement surveillé leurs enfants qu’ils ont confiés à des proches, lequels les ont en revanche amenés à plusieurs reprises dans des endroits où ils ont été soumis à des abus ; en particulier, les parents n’ont aucunement perçu l’inévitable malaise des enfants, lesquels, à leur tour, n’ont pas perçu leurs parents en tant que protecteurs si, dans la meilleure des hypothèses du point de vue de ces derniers, leurs enfants ne leur ont rien raconté de ce qu’ils subissaient ; il apparaît en conséquence que l’environnement familial ne permet pas d’assurer la protection nécessaire des enfants, et est défaillant et hautement inadéquat, de sorte qu’en l’état s’impose l’éloignement des enfants ; par ailleurs, seul le placement dans un environnement autre que celui dans lequel les enfants ont vécu pendant qu’ils subissaient des abus répétés et gravissimes pourra leur permettre de se sentir enfin protégés et de rendre donc possibles à la fois des examens médicolégaux (qui exigent, on le sait, la collaboration des petits) et une enquête psycho-diagnostique approfondie, mesures qui pourraient entraîner un autre traumatisme pour les enfants ; en outre, leur placement dans un environnement protégé, dans le but précisément de comprendre pleinement les expériences qu’ils ont vécues, pourra représenter même pour les parents une occasion utile pour établir plus rapidement leur position par rapport aux événements dans lesquels leurs enfants ont été impliqués et pour assumer la fonction de protection qui jusqu’à présent a fait complètement défaut ; dans ces circonstances et compte tenu des carences gravissimes des parents, il y a lieu de suspendre leur autorité parentale sur les enfants, de désigner l’ASL du lieu de résidence en tant que tuteur temporaire, afin que cette dernière les place dans un environnement protégé adéquat et qu’elle procède aux nécessaires vérifications psycho-diagnostiques sur l’état des enfants, sur leur relation avec leurs parents et sur les aptitudes parentales de ces derniers ; les rapports entre les parents et les enfants devront être suspendus jusqu’à ce que la fonction de protection des premiers aura été recouvrée ; par ces motifs vu l’article 336 dernier alinéa du code civil en décidant à titre provisoire et d’urgence toute décision définitive réservée décide la suspension de l’autorité parentale (...) nomme tuteur temporaire des enfants l’ASL de Modène, qui veillera au placement des enfants dans un milieu protégé, à la suspension des rapports avec les parents jusqu’à ce que le présent tribunal prenne de nouvelles dispositions, et qui effectuera une enquête psycho-diagnostique, en relatant au tribunal la situation des enfants dans deux mois ; ordonne aux parents de se rendre à toutes les rencontres fixées par les responsables de l’ASL de Mirandola, de collaborer à l’enquête menée par ceux-ci et d’en respecter toutes les instructions. (...) » La décision fut exécutée le matin du 12 novembre 1998. Les requérants affirment que l’éloignement eut lieu à 5 h 45 du matin, et que les modalités de l’irruption dans l’habitation auraient causé des traumatismes psychologiques chez les enfants. Le Gouvernement conteste cette allégation et affirme que l’éloignement des enfants fut exécuté de façon non violente et à une heure raisonnable. Selon le rapport remis le 9 mars 1999 par les services sociaux au tribunal pour enfants, les enfants furent accompagnés au poste de police par leurs parents. Ceux-ci entravèrent cependant les efforts déployés par les travailleurs sociaux afin d’informer les enfants. La requérante eut une attitude menaçante envers les travailleurs sociaux, tandis que les enfants s’éloignaient tranquillement avec ceux-ci. Il ressort en outre du rapport des services sociaux que la requérante eut une attitude d’intimidation envers les enfants, tendant à leur attribuer la responsabilité de la mesure d’éloignement. Les enfants furent placés dans quatre lieux d’accueil différents, situés dans la même province. Il s’agissait d’une communauté religieuse pour A. et de familles d’accueil pour V., P. et E. Lors de l’entretien avec les psychologues et le travailleur social qui eut lieu le lendemain, la requérante exclut toute responsabilité des membres de sa famille dans les faits évoqués par M., tandis que le requérant n’écarta pas la possibilité que le père de M. ait pu commettre des abus à l’encontre de sa fille. Le 19 novembre 1998, les requérants saisirent la cour d’appel de Bologne en demandant l’annulation de la mesure d’éloignement d’urgence prise le 6 novembre 1998. Ils faisaient valoir que le caractère inadéquat de leur environnement familial n’était point prouvé et qu’il n’existait aucun danger réel de préjudice pour les enfants. En outre, ils déposèrent au greffe plusieurs déclarations des enseignants, éducateurs, scouts et médecins ayant été en contact avec les enfants, selon lesquelles aucun signe de malaise n’avait été remarqué. Par une décision du 16 décembre 1998, déposée au greffe le 8 janvier 1999 et notifiée aux requérants le 15 janvier 1999, la cour d’appel rejeta l’opposition du 19 novembre 1998 au motif que, ayant été prise à titre provisoire et d’urgence, la décision du tribunal ne pouvait faire l’objet d’un appel. Le 21 janvier 1999, les requérants s’adressèrent alors au tribunal pour enfants de Bologne afin d’obtenir l’annulation de sa décision du 6 novembre 1998. Ils firent valoir, entre autres, que les enfants avaient été éloignés uniquement afin de mener des enquêtes ; or, les enfants ayant été examinés le 21 novembre 1998, il n’y avait plus aucune raison justifiant la suspension de leur autorité parentale. Le 9 mars 1999, l’ASL déposa devant le tribunal pour enfants le premier rapport sur l’état psychologique des enfants qu’elle était tenue d’établir en tant que tuteur des enfants. Selon ce document, depuis l’éloignement, les psychologues de l’ASL avaient eu des entretiens avec les enfants plusieurs fois par semaine. Ces entretiens n’avaient été ni filmés ni enregistrés sur support audio. Le rapport attestait que les enfants s’étaient intégrés positivement dans les familles d’accueil et qu’ils avaient déclaré ne pas vouloir rencontrer leurs parents ni retourner avec eux. Par ailleurs, des rencontres filmées entre les requérants et les services sociaux furent organisées, toujours en présence d’au moins un des psychologues qui suivaient les enfants, afin de « pouvoir travailler sur le système de relations entre enfants et parents ». A ce propos, le rapport faisait état d’un manque de coopération de la part des requérants. En fait, ceux-ci interrompirent leur participation à ces rencontres en février 1999. Le 12 mars 1999, les requérants demandèrent au tribunal pour enfants de procéder à leur interrogatoire, de sorte que des rencontres avec les enfants puissent par la suite être organisées. Ils réitérèrent leur demande afin que la décision du 6 novembre 1998 fût révoquée. Ils soulignèrent que le procureur de la République avait terminé son enquête et demandé le renvoi en jugement des personnes soupçonnées des abus en question. Or ils ne figuraient pas parmi ces derniers. Le 31 mars 1999, après avoir reçu le résultat de l’expertise médico-légale effectuée sur les enfants le 21 novembre 1998 et le rapport de l’ASL du 8 mars 1999, le tribunal pour enfants de Bologne entendit pour la première fois les deux requérants. Ces derniers refusèrent de signer le procès-verbal d’audience, qui selon eux ne reflétait que partiellement le déroulement de l’audience. Les requérants se plaignirent par la suite des juges du tribunal devant le Conseil supérieur de la Magistrature. Par une décision du 26 janvier 2000, ce dernier rejeta le recours des requérants et affirma qu’aucun reproche pouvait être faite aux juges du tribunal pour enfants. A l’occasion de leur première audition devant le tribunal pour enfants, les requérants contestèrent le contenu du rapport du 9 mars 1999, en faisant valoir qu’il contenait des inexactitudes et des mensonges. Ils accusèrent également les travailleurs sociaux d’avoir influencé les enfants et d’entraver leur retour dans leur famille. Ils demandèrent que les enfants fussent confiés à une autre autorité locale, qu’ils fussent réunis et qu’en tout cas des rencontres avec eux fussent organisées. Ils demandèrent en outre au tribunal de se procurer les dossiers médicaux, les enregistrements des entretiens des travailleurs sociaux avec les requérants et les enfants, les tests menés par les services sociaux et tout autre élément de preuve pertinent. Le 14 avril 1999, le tribunal pour enfants rejeta les demandes d’instruction formulées par les requérants, car la procédure pénale engagée à leur encontre était pendante, et ordonna une expertise sur leur personnalité, sur leur capacité à exercer l’autorité parentale et sur les relations avec leurs enfants. Il nomma l’expert G.Z. Le 19 avril 1999, les requérants, ayant appris que C.P., le parent d’accueil de V., avait informé cette dernière de l’avancement des enquêtes pénales, et estimant que cela ne faisait pas partie des tâches de C.P., d’autant plus que V. avait été bouleversée par ces nouvelles, s’adressèrent au procureur de la République pour qu’il demande au tribunal pour enfants de Bologne de confier les enfants à une autre autorité locale et de les réunir. Les 5, 21 et 24 mai 1999, les requérants demandèrent de nouveau que les enfants fussent confiés à une autre autorité locale et placés dans le même foyer, et qu’en tout cas, des rencontres avec leurs enfants fussent organisées. Ils demandèrent au tribunal de statuer sur l’attribution des droits parentaux sans attendre l’issue de la procédure pénale dirigée contre eux. Ils prièrent en outre le tribunal de modifier partiellement le mandat confié à l’expert le 14 avril 1999, en procédant notamment à l’audition directe des enfants et à un examen simultané des parents et des enfants. Le 26 mai 1999, le tribunal pour enfants rejeta les demandes des requérants. Il affirma que l’expertise ordonnée par le tribunal était essentielle pour pouvoir statuer sur la capacité des requérants à exercer leurs droits parentaux et précisa qu’il n’incombait pas aux requérants de dire comment elle devait être menée à bien, l’expert étant libre de décider si les éléments recueillis par les services sociaux étaient utiles. Il estima inopportun de placer les enfants ailleurs, vu qu’aucun élément concret ne démontrait que les services sociaux qui suivaient les enfants étaient incompétents. Quant à l’adoption d’une décision définitive, le tribunal estima devoir attendre la progression de l’enquête pénale et le rapport de l’expert. Par courrier du 13 septembre 1999, les requérants demandèrent directement à G.Z., l’expert nommé par le tribunal pour enfants, de procéder à un examen direct des enfants et à une appréciation de la relation parents-enfants. L’expert ne donna pas suite à la demande des requérants. Dans une note du 27 septembre 1999, il rappela l’objet même de l’expertise, à savoir la vérification des personnalités et des aptitudes parentales des requérants, pour lequel l’examen conjoint avec les enfants et l’audition de ces derniers n’apparaissaient pas nécessaires. Il fit valoir de surcroît que l’interruption des rapports ordonnée par le tribunal pour enfants rendait impossible toute rencontre entre les requérants et les enfants. A la suite du refus de l’expert, les requérants ne participèrent plus aux opérations d’expertise. Les 16 et 26 novembre 1999, les deux requérants s’adressèrent au tribunal pour enfants pour dénoncer le manquement de la famille d’accueil de V. à son obligation de surveillance, ce qui avait donné lieu à de nouveaux épisodes de sévices sexuels à l’encontre de cette dernière (voir paragraphe 16 cidessus). Ils faisaient remarquer que c’était précisément le fait qu’on leur reprochait un manque de surveillance similaire qui leur avait valu l’éloignement de leurs enfants. Ils demandèrent en outre : l’adoption d’une décision définitive concernant la situation de leurs enfants ; le remplacement de l’expert G.Z. ; la désignation d’un neuropsychiatre pour enfants en vue de vérifier la situation psychique réelle des enfants ; la suspension des entretiens entre les enfants et la psychologue V.D. ; le transfert du suivi des enfants à une autre ASL et le placement de V. dans une autre famille d’accueil ; une expertise médicale sur V., avec faculté pour les requérants de désigner un expert privé. Le 9 décembre 1999, G.Z. déposa son rapport d’expertise concernant les requérants. Il indiqua tout d’abord que ceux-ci avaient interrompu les opérations d’expertise avant qu’il puisse terminer l’évaluation de leurs personnalités. Compte tenu de cet élément, il conclut que les requérants ne présentaient pas de troubles psychiques proprement dits. Le couple révélait néanmoins une tendance marquée à défendre leur propre image, qui paraissait plus importante que la douleur ou la tendresse, pourtant essentielles pour des parents. Quant aux services sociaux, l’expert rejeta les remarques des requérants concernant un manque d’objectivité et l’existence de préjugés. Il ressort du rapport que l’ASL expliqua à l’expert que la décision de séparer les enfants avait été dictée par l’opportunité de donner à chaque enfant un « entourage familial renforcé ». Par une décision du 13 décembre 1999, le tribunal pour enfants rejeta toutes les demandes des requérants. En particulier, il estima que l’intervention d’un neuropsychiatre n’était pas nécessaire car aucun élément n’indiquait une pathologie psychiatrique chez les enfants et que leurs souffrances devaient en revanche être imputées aux abus gravissimes qu’ils avaient subis lorsqu’ils se trouvaient encore chez leurs parents. En outre, aucune raison ne commandait d’interrompre les entretiens entre les enfants et la psychologue V.D., étant donné que celle-ci, qui faisait partie du service chargé du suivi des enfants, n’avait pas les obligations d’impartialité et de neutralité pesant sur l’autorité judiciaire et était appelée à soutenir les enfants et à comprendre leurs expériences passées avec une compétence technico-professionnelle. Rien ne justifiait par ailleurs le déplacement de V. dans une autre famille d’accueil. Quant à la demande d’une expertise médicale sur V., le tribunal estima que celle-ci relevait le cas échéant de la procédure pénale ouverte à l’encontre des requérants et que le tuteur avait uniquement pour tâche de s’assurer que l’enfant était en bonne santé. Par rapport à l’état de santé de V., aucune faculté de désigner un expert privé ne pouvait être reconnue aux parents, considérant qu’ils avaient été déchus de l’autorité parentale. Quant à l’adoption d’une décision définitive concernant la garde des enfants, le tribunal estima nécessaire de recueillir davantage d’informations, également quant à l’évolution de l’attitude des requérants, tout en soulignant que cette question était inévitablement liée à l’issue des procédures pénales pendantes. A cet égard, le tribunal considéra néanmoins nécessaire que lui fussent communiquées les raisons pour lesquelles certains cadeaux offerts par les requérants à leurs enfants n’avaient pas été remis à ces derniers. A la fin du mois de décembre 1999, la requérante se domicilia en France, où elle donna naissance à un enfant. Cette décision fut motivée par la crainte que son cinquième enfant lui fût également enlevé. En effet, selon les requérants une décision d’éloignement avait été envisagée avant même sa naissance, comme le démontrait le fait que, dès le 23 décembre 1999, l’ASL avait informé le parquet de la naissance imminente du cinquième enfant des requérants aux fins de prendre une décision relevant, le cas échéant, de sa compétence. Les requérants interjetèrent appel contre la décision du 13 décembre 1999. Dans le mémoire qu’elle déposa, l’ASL indiqua, entre autres, que la séparation des enfants avait été décidée « sur la base d’une nécessité dictée par l’urgence », mais ultérieurement, dans le même document, elle évoqua également la nécessité de « garantir un niveau de protection très élevé compte tenu de l’interruption des rapports ». L’appel fut déclaré irrecevable le 16 février 2000. La cour d’appel considéra en effet que la décision du tribunal constituant toujours une mesure provisoire et urgente, donc temporaire, elle ne pouvait faire l’objet d’un appel. Le 10 mai 2000, le président du tribunal pour enfants rejeta la demande des requérants de désigner un curateur spécial, au motif que cette mesure n’était pas prévue par la loi. Les décisions au fond Par décret du 26 juillet 2000, le tribunal pour enfants prononça la déchéance de l’autorité parentale des requérants. Le tribunal souligna notamment la crédibilité des enfants quant aux abus dont étaient accusés certains membres de la famille des requérants. Or ce fait démontrait déjà en soi l’incapacité des requérants à exercer leur fonction de parents, comme le confirmaient également les résultats de l’expertise de G.Z. En outre, les requérants s’obstinaient à nier même les abus commis par d’autres membres de leur famille et montraient l’absence d’une véritable aptitude à réparer de nature à répondre aux exigences de leurs enfants. Au demeurant, ces derniers avaient déclaré ne pas vouloir rentrer à la maison et recevoir des cadeaux de la part de leurs parents, et avaient montré que les requérants leur inspiraient des sentiments de peur et de souffrance. Leurs rapports avec les requérants paraissaient en conséquence compromis et leur perception du rôle protecteur de leurs parents inexistante. Le rétablissement des rapports entre les requérants et leurs enfants – imprévisible à ce moment-là – dépendait donc de la disponibilité des requérants. Quant aux rapports des enfants entre eux, le tribunal pour enfants confirma leur placement séparé. Il estima qu’à la lumière des résultats des expertises concernant l’état psychologique des enfants, un placement individuel pour chaque enfant était la solution la plus indiquée pour leur assurer l’espace nécessaire à la reconstruction des expériences personnelles. L’ASL était désignée comme tuteur des enfants et était chargée de maintenir les rapports entre eux ainsi que d’assurer tout soutien psychothérapeutique. Le tribunal pour enfants interdit en outre aux requérants d’envoyer des cadeaux aux enfants, en dépit des nombreuses demandes introduites par les requérants à ce sujet. Les requérants interjetèrent appel, mais furent déboutés le 18 avril 2001 par la cour d’appel de Bologne. Celle-ci estima avant tout que le choix du tribunal pour enfants de ne pas entendre les requérants avant d’ordonner l’éloignement de leurs enfants se justifiait par la gravité des faits et par la nécessité d’éviter que les enfants ne subissent des pressions ou influences. Ce choix s’était d’ailleurs révélé justifié à la lumière du comportement ultérieur des requérants, caractérisé par une attitude très dure envers leurs enfants. Du reste, les requérants avaient pu exposer leurs raisons ultérieurement, même s’ils n’avaient pas pu le faire lors d’une audition immédiate par le tribunal. Quant à l’interruption de tout contact et à l’interdiction d’envoyer quoi que ce soit aux enfants, la cour d’appel estima que certaines modalités de mise en œuvre de cette décision pouvaient paraître rigides et discutables ; cependant, elles s’étaient révélées justifiées par la suite, compte tenu de la réaction négative des enfants lorsque les requérants avaient cherché à s’en rapprocher ou encore lorsque V. avait fait l’objet de menaces par ses oncles et son grand-père maternels. Etant donné que deux procédures pénales étaient pendantes, le risque de pression sur les enfants était trop important. Par ailleurs, la cour d’appel n’attribua pas un poids décisif au fait que les enfants avaient donné une impression de sérénité apparente avant leur éloignement : puisque leurs souffrances avaient fait surface lorsqu’ils avaient été soumis à des analyses psycho-diagnostiques après leur éloignement, il n’était pas surprenant qu’en l’absence de telles analyses, ils n’avaient rien laissé transparaître. En outre, cette impression de sérénité avait été rapportée par des non-spécialistes. Il était enfin étonnant que, même après le jugement de condamnation en première instance du tribunal de Modène du 5 juin 2000, les requérants persistent dans leur refus d’admettre ne serait-ce que la possibilité que leurs enfants aient subi des abus. Enfin, malgré les rectifications contenues dans l’expertise médicolégale du 15 mars 2000, l’ensemble des expertises médicolégales confirmait nettement les abus dénoncés par les enfants des requérants. D. La décision du juge des tutelles du 10 avril 2002 Le 20 janvier 2001, les requérants s’adressèrent au juge des tutelles près le tribunal de Modène. Ils alléguèrent que l’ASL avait commis plusieurs violations de ses devoirs de tutelle et en demandèrent la destitution ; ils demandèrent également le regroupement des quatre enfants dans la même famille et la réalisation d’une expertise psychologique sur les enfants. Le 15 janvier 2002, la grand-mère maternelle des enfants demanda au même juge des tutelles le rétablissement des rapports avec ses petitsenfants. Par une décision du 10 avril 2002, le juge des tutelles rejeta toutes les demandes des requérants. Il estima en premier lieu que l’autorité chargée de la tutelle des enfants avait suivi de manière rigoureuse les indications du tribunal pour enfants. En outre, le juge des tutelles souligna que l’attitude des enfants à l’encontre des parents se caractérisait par un refus total et il ajouta que cette attitude, loin d’être la conséquence de l’influence des tuteurs sur les enfants, comme l’alléguaient les requérants, était due au fait objectif de l’interruption totale des rapports avec les requérants, indépendamment du bien-fondé des accusations lancées à l’encontre de ceux-ci. Le juge des tutelles affirma que la décision de l’ASL de placer les enfants dans des lieux d’accueil séparés était conforme aux indications du tribunal pour enfants. Le juge indiqua par ailleurs avoir constaté que l’ASL remplissait son obligation de sauvegarde des rapports entre les enfants par le biais de rencontres protégées et que les solutions d’accueil des enfants étaient adaptées aux nécessités matérielles et psychologiques de ceux-ci. Par la même décision, le juge des tutelles fit droit à la demande de la grand-mère des enfants et lui accorda le droit de rencontrer ces derniers. A une date qui n’a pas été précisée, l’ASL interjeta appel contre cette partie de la décision. La procédure est à ce jour pendante. E. La situation des enfants Le 5 novembre 2001, l’ASL déposa un rapport au tribunal pour enfants concernant la situation des enfants depuis l’éloignement du foyer familial. Le rapport faisait état d’une grande affection réciproque entre les enfants, manifestée par la constante nécessité de chacun de s’enquérir du bien-être et du niveau de protection des autres. Néanmoins, les enfants exprimaient un refus total de revivre ensemble ; tout en étant disponibles pour les rencontres, ils ne demandaient jamais à se voir et vivaient les moments de rencontre avec inquiétude et agressivité. Les psychologues et les parents d’accueil expliquaient les difficultés de relations entre les enfants par l’âge de ceux-ci et la gravité des situations vécues. En particulier, on sentait un grand sentiment de culpabilité chez les enfants, notamment chez les trois aînés, dû au fait qu’ils avaient souvent été obligés d’user de violence entre eux. Depuis leur séparation en novembre 1998, les enfants s’étaient revus quatre fois jusqu’en décembre 1999, puis avaient commencé à se revoir à partir de l’été 2000 à l’occasion de fêtes ou de circonstances particulières. Les enfants pouvaient en outre se rencontrer, même si ce n’était que pendant quelques minutes, lors des entretiens avec les psychologues et des auditions devant les autorités judiciaires. Il ressortait en outre du rapport que les enfants avaient été bouleversés par la nouvelle de la naissance de leur cinquième frère, et avaient exprimé de l’inquiétude en apprenant que celui-ci n’avait pas été éloigné de la mère. F. Autres éléments de l’affaire Les 3, 9, 17 et 18 mars 1999, des députés présentèrent au président du Conseil des ministres ainsi qu’aux ministres de la Justice, de la Santé et de la Solidarité plusieurs demandes visant à obtenir des éclaircissements sur l’affaire des requérants. Après avoir recueilli les informations pertinentes auprès des juridictions concernées, le ministre de la Justice répondit que rien ne justifiait une intervention de sa part dans l’activité desdites juridictions. Le 14 février 2002, une nouvelle question parlementaire concernant l’éloignement des enfants des requérants fut adressée au ministère de la Justice. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisent comme suit. Aux termes de l’article 330 du code civil (« Déchéance de l’autorité parentale ») : « Le juge peut prononcer la déchéance de l’autorité parentale lorsque le parent enfreint ou néglige ses devoirs, ou abuse des pouvoirs en découlant, et que cela entraîne un préjudice grave pour l’enfant. Dans ce cas, pour des raisons graves, le juge peut ordonner l’éloignement de l’enfant du domicile familial. » Selon l’article 333 du code civil (« Comportement du parent préjudiciable pour les enfants ») : « Lorsque le comportement d’un ou des deux parents, tout en étant préjudiciable pour l’enfant, n’est pas de nature à donner lieu à la décision de déchéance prévue par l’article 330, le juge, suivant les circonstances, peut adopter les mesures qui s’imposent et peut même ordonner son éloignement du domicile familial. Ces mesures peuvent être révoquées à tout moment. » L’article 336 du code civil (« Procédure à suivre ») prévoit que : « Les mesures indiquées dans les articles qui précédent sont adoptées à la suite d’un recours de l’autre parent, de membres de la famille ou du ministère public et, lorsqu’il s’agit de révoquer des décisions antérieures, aussi du parent concerné. Le tribunal décide en chambre du conseil, après avoir recueilli des informations et entendu le parquet. Si la mesure est demandée contre un des parents, celui-ci doit être entendu. En cas d’urgence, le tribunal peut adopter, même d’office, des mesures intérimaires dans l’intérêt du mineur (330, 333). » Les décisions des tribunaux pour enfants aux termes des articles 330 et 333 du code civil relèvent de leur compétence gracieuse (« volontaria giurisdizione »). Elles n’ont pas un caractère décisoire et peuvent dès lors être révoquées à tout moment. Ne s’agissant pas de décrets pris au sens des articles 737 et 739 du code de procédure civile, en outre, les décisions en question ne sont pas susceptibles d’appel mais peuvent seulement faire l’objet de demandes de l’une des parties en cause visant à réexaminer la situation. Par ailleurs, selon la loi no 184 du 4 mai 1983 régissant la prise en charge et l’adoption de mineurs, le mineur privé temporairement d’un environnement familial adéquat peut être confié à une autre famille, à une communauté de type familial ou, à défaut d’un placement familial adéquat, à un foyer (article 2).
0
0
0
0
0
0
0
0
1
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les requérants sont des ressortissants irlandais nés en 1958 et 1957. Ils résident dans le comté de Wicklow, en Irlande. Le 12 septembre 1990, ils décidèrent d'acheter aux « vendeurs » un terrain, pour lequel un permis de construire avait été délivré, afin d'y bâtir une maison. La vente fut conclue en octobre 1990. Il existait des divergences entre les différentes cartes du site qui avaient été utilisées pour la vente et il apparut par la suite que les intéressés ne pouvaient accéder au bien-fonds depuis la route. Ils furent obligés de cesser les travaux et de vendre le terrain. Le 31 mai 1991, le ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation institua une commission d'enquête pour le secteur de la viande de bœuf (ci-après le « Beef Tribunal ») et désigna le président de la High Court comme membre unique de cette commission. Tout en assumant ses fonctions auprès du Beef Tribunal, le président continuait à siéger aux instances de la High Court lorsque cela lui était possible. Le 17 juillet 1991, les requérants engagèrent devant la High Court une procédure pour faute, fausses déclarations, violation de contrat, présentation erronée des faits et rupture de garantie contre leurs propres solicitors (ci-après les « solicitors des requérants »), les vendeurs et les « solicitors des vendeurs ». Le 10 mars 1992, la High Court prescrivit, avec l'accord des parties, la communication des pièces. A la demande des requérants et avec le consentement des défendeurs, la High Court ordonna le 4 mai 1992 à ces derniers de présenter leurs moyens de défense dans un délai de quatre semaines. Des demandes additionnelles formulées par les requérants furent rejetées les 22 et 24 juin, ainsi que le 19 octobre 1992. Le 18 mai 1993, l'avocat principal des requérants attesta que l'affaire se trouvait en état. Une audience initialement prévue pour le 8 juillet 1993 fut ajournée au 15 juillet 1993 en raison de l'état de santé de l'un des défendeurs et il fut décidé qu'une autre date serait fixée alors. Les requérants élevèrent une objection contre ce report. Le 15 juillet 1993, la nouvelle audience fut prévue pour le 6 octobre 1993 mais, le jour venu, aucun juge n'était disponible et l'affaire passa le 7 octobre 1993, lorsque le président de la High Court (ci-après le « juge de première instance ») se libéra pour l'audience. Le Gouvernement soutient que l'avocat présent avait informé le juge de première instance que l'audience prendrait deux jours, que le juge avait indiqué aux parties que son emploi du temps auprès du Beef Tribunal ne lui permettait de consacrer que deux jours à leur cause et que, si l'audience devait durer plus longtemps, il se verrait contraint de la reporter jusqu'à ce qu'il eût achevé sa mission auprès du Tribunal, qu'il ne traiterait que des questions de responsabilité et que les requérants avaient exprimé leur accord. Les requérants nient que leur avocat ait informé le juge de première instance que l'audience prendrait deux jours, que le juge les ait informés que le procès serait ainsi reporté, que leur avocat ait accepté un renvoi de leur affaire sine die (compte tenu de l'état psychologique de la requérante) et nient avoir consenti à la séparation des questions de responsabilité et de réparation. La cause des requérants fut examinée les 7 et 8 octobre 1993 mais, puisque l'audience n'était pas terminée, le juge de première instance l'ajourna. Le 2 novembre 1993 et le 8 février 1994, les requérants envoyèrent au greffier en chef de la High Court une lettre par laquelle ils demandaient à être informés du moment où l'instance pourrait reprendre. Le 16 mars 1994, ils s'adressèrent par écrit au greffier, en joignant un certificat médical établi par le médecin de la requérante le 12 mars 1994 (voir le paragraphe 32 ci-dessous), le priant d'intervenir auprès du juge de première instance afin que celui-ci fixât une date. Les requérants téléphonèrent également à de nombreuses reprises au greffier au sujet de la date de l'audience. En mars 1994, le greffier les informa par téléphone que le juge de première instance confirmait la tenue d'une audience en juillet 1994. Par une lettre adressée au greffier le 9 juin 1994, les intéressés demandèrent la fixation d'une date d'audience. Au cours de cette période, les requérants écrivirent aussi, notamment, à de nombreux membres du Dáil Eireann (la Chambre des représentants) ainsi qu'au ministre de la Justice. Par une lettre du 25 mars 1994, le vice-président du Dáil Eireann les informa qu'il avait demandé au président par intérim de la High Court d'intervenir en leur faveur. Le 7 avril 1994, le président par intérim répondit que l'affaire serait examinée en juillet 1994. Le 29 juillet 1994, le juge de première instance acheva son rapport pour le Beef Tribunal. Le 19 septembre 1994, il fut désigné Chief Justice de la Cour suprême. Il reprit l'audience consacrée à la cause des requérants le 5 octobre 1994. Il entendit les deux derniers témoins et ordonna le dépôt de conclusions écrites. Il mit l'affaire en délibéré en précisant qu'il rendrait le jugement une semaine environ après réception des pièces écrites. Ces pièces furent déposées fin octobre 1994. Le 29 novembre 1994, les 2 février, 12 avril et 22 mai 1995, les requérants écrivirent à certains greffiers de la High Court en demandant quand le jugement serait rendu. Ils reçurent une réponse datée du 26 mai 1995 indiquant que le juge de première instance, dont l'emploi du temps était très chargé, n'était pas en mesure de confirmer la date du jugement. En réponse à la lettre des requérants, le ministre de la Justice leur expliqua par une lettre du 10 juillet 1995 que, bien qu'il ne pût intervenir dans l'instance, il avait attiré l'attention de l'un des greffiers de la High Court sur leur cas. Par une lettre du 12 juillet 1995, les requérants prièrent l'un des greffiers de veiller à ce que le jugement fût rendu rapidement. Un greffier les informa par écrit le 13 juillet 1995 que la décision serait prononcée avant la fin du mois. Les requérants adressèrent une autre lettre au ministre de la Justice qui leur répondit le 25 juillet 1995 qu'il avait transmis une copie de leur correspondance au juge de première instance. En réponse à une autre lettre des requérants, un greffier confirma par la suite que le jugement serait prononcé le 12 septembre 1995. Lecture du jugement fut donnée à cette date. Les vendeurs et les solicitors des requérants furent reconnus civilement responsables ; la plainte dirigée contre les solicitors des vendeurs fut rejetée. Le 21 septembre 1995, la High Court rendit plusieurs ordonnances concernant les dommages-intérêts (ajournement de la procédure destinée à évaluer le montant de la réparation) et les frais mis à la charge des parties qui avaient succombé. Il fut décidé que le modèle d'ordonnance n'aurait pas à être complété avant la mise au point définitive du jugement écrit par le juge de première instance, afin de donner aux requérants le temps d'examiner le texte du jugement avant l'expiration du délai pour interjeter appel des ordonnances de la High Court. Les requérants adressèrent, les 6 et 13 octobre 1995, deux lettres à un greffier de la High Court, et le texte du jugement devint disponible à la mi-octobre 1995. L'ordonnance de la High Court fut achevée le 17 octobre 1995 et, le 3 novembre 1995, les requérants attaquèrent auprès de la Cour suprême les conclusions en faveur des solicitors des vendeurs. De leur côté, les vendeurs attaquèrent les conclusions de la High Court en leur défaveur. Faute d'un sténographe aux audiences de la High Court, il fallut, aux fins de l'appel, établir un compte rendu des interventions faites lors des audiences, qui devait recueillir l'aval de la partie adverse. Le 9 février 1996, les requérants achevèrent une longue note sur les interventions (« la note ») et, le 29 mars 1996, ils la soumirent pour approbation aux vendeurs et aux solicitors de ceux-ci. Le 17 juillet 1996, les requérants sollicitèrent deux choses : les observations des solicitors des vendeurs sur leur note et le rejet de l'appel des vendeurs pour manquement de diligence, ces derniers n'ayant pas déposé de documents à l'appui de leur appel. Le 26 juillet 1996, la Cour suprême, présidée par le juge de première instance, alors Chief Justice, examina les deux demandes en question. Elle ordonna aux vendeurs et à leurs solicitors de présenter leurs observations sur la note dans un délai de deux semaines, faute de quoi le juge de première instance y mettrait un point final. Quant à la seconde demande, les vendeurs avaient jusqu'au 7 octobre 1996 pour produire des documents à l'appui de leur appel, sinon la Cour suprême pourrait rayer leur recours du rôle. L'examen des deux demandes fut reporté au 11 octobre 1996. L'appel des vendeurs et la demande y relative furent par la suite abandonnés. Après que les requérants leur eurent adressé, en août 1996, d'autres lettres, les solicitors des vendeurs exprimèrent, le 17 septembre de la même année, leur désaccord avec seize points de la note. Le 11 octobre 1996, l'examen de la demande des requérants concernant la note fut reporté au 18 octobre 1996. Trois jours plus tard, les solicitors des vendeurs confirmèrent que celle-ci ne recueillerait pas leur assentiment. Le 18 octobre 1996, trois juges de la Cour suprême (parmi lesquels ne figurait pas le juge de première instance) donnèrent pour instruction au juge de première instance de régler la question de la note. Le 24 octobre 1996, les requérants remirent au juge de première instance cette note, accompagnée de la liste des seize points contestés. Vers le mois de novembre 1996, le président de la High Court demanda que toutes les plaintes concernant des retards dans les procédures lui fussent communiquées. Il publia dans la Bar Review de janvier-février 1997 un article faisant état des retards, dus au nombre insuffisant de juges, observés dans le prononcé des jugements mis en délibéré. Il y invitait les praticiens du droit à l'informer officiellement de leurs préoccupations à ce sujet. Par la suite, les requérants adressèrent à plusieurs reprises (notamment le 14 janvier, le 12 mars et le 25 juin 1997) des lettres à un greffier de la High Court, lui demandant que la note fût achevée dans les meilleurs délais. Le 8 juillet 1997, ils écrivirent au président de la High Court pour le prier d'intervenir en raison du retard qu'avait pris leur procédure. Toujours en juillet 1997, un greffier de la High Court les informa oralement que le juge de première instance examinerait la question après le 20 août 1997. Le 18 septembre 1997, les requérants envoyèrent un nouveau rappel à ce greffier. Le 10 octobre 1997, le Department of Justice, Equality and Law Reform (le « ministère de la Justice ») invita le greffier en chef à s'expliquer sur le retard injustifié qui était allégué dans cette affaire. Le 16 octobre 1997, un greffier informa le ministère de la Justice que la question de la note serait réglée dans le délai d'une semaine. Par une lettre du 22 octobre 1997, le juge de première instance communiqua aux parties un rapport de six pages qu'il avait établi sur les interventions et les points prêtant à controverse ; il présenta également des excuses aux requérants pour le retard survenu. Dans une lettre du 24 octobre 1997, un greffier assura au ministère de la Justice que la question de la note avait été résolue et qu'une audience sur l'appel aurait lieu à bref délai. A la suite des plaintes adressées par les requérants à leur représentant au Dáil Eireann et au Tánaiste (le vice-premier ministre), l'Attorney General, dans une lettre du 30 octobre 1997 destinée aux requérants, se dit préoccupé par les retards qu'avait subis leur procès. Tout en rappelant qu'il ne pouvait, en application de la Constitution, intervenir dans les affaires judiciaires, l'Attorney General expliqua avoir parlé de façon informelle au juge de première instance, qui lui avait affirmé que toutes les questions pendantes avaient été réglées. Par une lettre du 4 novembre 1997, l'Attorney General indiqua au Tánaiste que les retards subis par les requérants le préoccupaient et qu'il avait abordé la question dans un cadre privé et officieux avec le juge de première instance ; ce dernier l'avait assuré que toutes les questions pendantes avaient été réglées. Les requérants furent invités à rencontrer un membre du bureau de l'Attorney General fin novembre 1997 ; le bureau dut toutefois leur indiquer qu'il ne pouvait intervenir dans une procédure judiciaire. Le 9 décembre 1997, les requérants modifièrent leur appel. Le ministre de la Justice répondit par écrit le 21 janvier 1998 aux questions posées par le Taoiseach (le premier ministre) sur le procès des requérants ; il indiqua que, le 21 novembre 1997, l'audience d'appel avait été fixée au 2 février 1998. La Cour suprême rendit, le 9 mars 1998, après délibération, son arrêt sur l'appel des requérants. Elle trancha en faveur de ceux-ci et déclara que, ayant commis une faute, les solicitors des vendeurs étaient tenus de les indemniser. L'affaire fut renvoyée à la High Court pour évaluation et répartition des dommages-intérêts. Par une lettre du 7 mai 1998, l'Attorney General répondit aux questions que lui avait posées le membre du Dáil Eireann auquel les requérants s'étaient adressés. Il estimait leur affaire « préoccupante » et espérait que, grâce au système de contrôle des retards judiciaires récemment mis en place, ce genre d'expérience ne se renouvellerait pas à l'avenir. En mai 1998, les solicitors des vendeurs modifièrent leurs moyens de défense et, en juin 1998, les requérants présentèrent de nouveaux éléments concernant le préjudice subi par eux. Le 26 juin 1998, les solicitors des vendeurs déposèrent tardivement auprès de la High Court la somme de 85 000 livres irlandaises (IEP). Les requérants élevèrent une objection. Par une lettre qu'il adressa à ceux-ci le 13 juillet 1998, le bureau de l'Attorney General précisa que son intervention précédente concernait un acte administratif exécuté par le juge de première instance, à savoir la note portant sur les interventions, mais que les questions restant en suspens étaient de nature judiciaire, ce qui lui interdisait d'intervenir. Le bureau de l'Attorney General confirma par une lettre du 22 juillet 1998 avoir été informé que la High Court avait prévu une audience le 13 octobre 1998. Le bureau du Taoiseach adressa le 6 août 1998 aux requérants une lettre dans laquelle il indiquait lui aussi que, grâce à l'augmentation du budget des juridictions, il était à espérer que leur expérience ne se renouvellerait pas. En outre, le 9 octobre 1998, les requérants rencontrèrent le Tánaiste à propos des lenteurs de la procédure en cours. Une audience consacrée à l'évaluation des dommages-intérêts eut lieu du 13 au 16 octobre 1998 devant la High Court. Le 25 novembre 1998, estimant que les deux requérants avaient éprouvé une grande anxiété et une vive contrariété en raison de la faute commise par les défendeurs, cette juridiction alloua aux intéressés environ 200 000 IR£ pour préjudice matériel et 10 000 IEP pour préjudice moral. Elle décida également que les frais des requérants seraient pris en charge, après évaluation et taxation. Le 11 décembre 1998, elle examina la part de responsabilité des différents défendeurs. Sa décision fut achevée au début du mois de février 1999. Aucun recours sur ces points ne fut formé devant la Cour suprême. Le juge taxateur abrégea le délai de signification de la note de frais des requérants (ordonnance 99, article 28 § 1, du règlement des juridictions supérieures – Rules of the Superior Courts) et fixa une audience au 29 juillet 1999. La note de frais comprenait 519 rubriques et couvrait 172 pages. L'audience fut ensuite reportée au 20 octobre 1999 à la demande des solicitors des vendeurs. Elle eut bien lieu à cette date mais, n'ayant pu être terminée alors, fut suspendue pour reprendre le 20 novembre 1999. Elle fut à nouveau ajournée ; elle se poursuivit et s'acheva le 22 novembre 1999, date à laquelle le juge taxateur, après délibération, rendit sa décision. L'ordonnance de taxe, fixant un montant d'environ 300 000 IEP, fut signée par le juge taxateur le 15 décembre 1999. Les requérants ont présenté à la Cour une série de certificats médicaux. Un certificat établi par le médecin de la requérante le 26 mai 1993 faisait état de l'apparition de graves symptômes d'anxiété depuis le début des problèmes juridiques. La requérante avait déjà dû suivre plusieurs séries de traitements et était, à ce stade, dépressive et sous médicaments. Le médecin expliquait que les symptômes d'anxiété persisteraient probablement tant que l'affaire ne serait pas réglée. Par un certificat du 12 mars 1994, il confirma la détérioration de l'état de la requérante, qui souffrait de « dépression caractérisée ». Les traitements avaient au départ produit des effets mais les retards survenus dans la procédure aggravaient son état. Un rapport psychiatrique concernant la requérante établi en juillet 1998 notait une dépression nerveuse sérieuse depuis le début de la procédure, nécessitant la prise fréquente d'antidépresseurs et de tranquillisants. On estimait dans ce rapport que la procédure risquait à tout moment de provoquer une rechute, malgré certaines périodes d'amélioration après des traitements adéquats. Le rapport indiquait de plus qu'un rétablissement total ne pourrait s'opérer qu'une fois la procédure achevée. Un rapport psychiatrique établi en août 1998 attestait que le requérant souffrait d'une grande fatigue nerveuse liée à la procédure. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L'article 40 § 3 (1) de la Constitution est ainsi libellé : « L'Etat s'engage à respecter dans ses lois et, dans la mesure du possible, à défendre et soutenir par ses lois, les droits individuels du citoyen. » Certains des droits individuels du citoyen sont expressément garantis par les dispositions de la Constitution. Par ailleurs, en interprétant et en appliquant l'article 40 § 3 (1) de la Constitution, les juridictions irlandaises ont identifié d'autres droits, que la Constitution n'énonce pas, mais qui sont toutefois protégés en vertu de cet article. Il s'agit en particulier du principe de « justice constitutionnelle » (selon lequel, notamment, nul ne saurait être juge et partie (nemo iudex in sua causa), toute personne susceptible d'être lésée par une décision doit avoir la possibilité de présenter sa cause (audi alteram partem), toute personne a droit à une procédure équitable). L'autre droit pertinent qui n'est pas énoncé mais découle de l'article 40 § 3 (1) est le droit d'ester en justice (le droit d'accès à un tribunal). L'instruction 60 du règlement des juridictions supérieures énonce : « 1. Dans le cas où la validité d'une loi au regard de la Constitution est mise en cause dans le cadre d'une procédure ou dans tout autre contexte, la partie qui prend l'initiative des actes de procédure en avise sur-le-champ l'Attorney General, si celui-ci n'est pas déjà partie à l'instance. Dans le cas où une question relative à l'interprétation de la Constitution autre que celle du type visé au paragraphe premier se pose dans le cadre d'une procédure ou dans tout autre contexte, la partie qui prend l'initiative des actes de procédure en avise l'Attorney General, si la cour le lui ordonne. Cet avis expose brièvement la nature de la procédure dans laquelle la question ou le litige survient, ainsi que l'argumentation de la ou des parties à l'instance. L'Attorney General a dès lors la possibilité d'intervenir dans la procédure ou dans le débat et d'y devenir partie pour ce qui concerne la question posée. » L'instruction 123 du règlement des juridictions supérieures dispose en ses parties pertinentes : « 1. Dans le cadre d'un procès ou de l'examen d'une question dans lequel interviennent des dépositions orales, toute partie peut demander au juge d'ordonner que la procédure soit consignée par un sténographe ; dans un tel cas, le juge désigne le sténographe. (...) La partie ayant formulé la demande prévue au paragraphe 1 (...) prend la rémunération du sténographe à sa charge, à moins que le juge ou le Master certifie à l'issue du procès ou de l'audience que, selon lui, il était opportun que la procédure fût en tout ou partie consignée par un sténographe. Si un tel certificat est délivré, la rémunération du sténographe ayant consigné tout ou partie de la procédure visée est intégrée aux dépens. Le juge peut ordonner, au cours ou à l'issue du procès ou de l'audience, que des copies de l'intégralité ou de passages des transcriptions des dépositions établies par le sténographe lui soient fournies aux frais du contribuable ou soient fournies à toute partie en faisant la demande aux frais de cette partie. »
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1945 et réside à Rome. Elle est propriétaire d'un appartement à Rome, qu'elle avait loué à V.P. Par un acte signifié le 29 juillet 1992, elle donna congé à la locataire et l'assigna à comparaître devant le juge d'instance de Rome. Par une ordonnance du 13 janvier 1993, qui devint exécutoire le 19 janvier 1993, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 12 janvier 1994. Le 28 février 1994, la requérante signifia à la locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 2 mars 1994, la requérante fit une déclaration solennelle qu'elle avait un besoin urgent de récupérer l'appartement pour en faire son habitation propre. Le 22 décembre 1994, elle réitéra cette déclaration. Le 25 mars 1994, elle lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 18 mai 1994 par voie d'huissier de justice. Entre le 18 mai 1994 et le 4 juillet 2002, l'huissier de justice procéda à vingt-quatre tentatives d'expulsion qui se soldèrent toutes par un échec, la requérante n'ayant pas obtenu le concours de la force publique dans l'exécution de l'expulsion. La prochaine tentative d'expulsion est prévue pour le 4 juillet 2003. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est décrit dans l'arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1929 et réside à Viareggio. Elle est propriétaire d'un appartement à Viareggio, qu'elle avait loué à G.P. Par une lettre recommandée du 19 avril 1986, la requérante informa le locataire de son intention de mettre fin à la location à l'expiration du bail, soit le 31 décembre 1987, et le pria de libérer les lieux avant cette date. Par un acte signifié le 12 novembre 1987, la requérante réitéra l'avis de congé et assigna l'intéressé à comparaître devant le juge d'instance de Viareggio. Par une ordonnance du 5 mai 1988, qui devint exécutoire le 12 novembre 1988, ce dernier confirma formellement le congé du bail et décida que les lieux devaient être libérés au plus tard le 31 décembre 1988. Le 7 décembre 1991 et de nouveau le 2 juillet 1993, la requérante signifia au locataire le commandement de libérer l'appartement. Le 22 juin 1993, la requérante fit une déclaration solennelle qu'elle avait un besoin urgent de récupérer l'appartement pour en faire l'habitation de son fils. A une date non spécifiée, elle lui signifia l'avis que l'expulsion serait exécutée le 23 septembre 1993 par voie d'huissier de justice. Entre le 23 septembre 1993 et le 13 mai 1997, l'huissier de justice procéda à onze tentatives d'expulsion. Ces tentatives se soldèrent toutes par un échec, la requérante n'ayant pas obtenu le concours de la force publique dans l'exécution de l'expulsion. Le 26 juin 1997, la requérante récupéra son appartement avec le concours de la force publique. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est décrit dans l'arrêt Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, §§ 18-35, CEDH 1999-V.
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Genèse de l’affaire et premier internement du requérant Le requérant est né en 1944 et réside à Fribourg-en-Brisgau. Le 19 décembre 1994, le tribunal d’instance de Weißenburg en Bavière, sur demande du requérant, lui accorda un droit de visite de sa fille, née en 1992 hors mariage. Quatre mois auparavant le requérant et la mère de l’enfant s’étaient séparés. La mère recourut contre cette décision. Le 19 juin 1995, le tribunal régional d’Ansbach infirma cette décision et priva le requérant du droit de visite au motif que le bien-être de l’enfant excluait pour le moment tout contact avec le père. Le 30 mars 1995, sur demande de l’autorité administrative (Landratsamt) de Weißenburg-Gunzenhausen, la police arrêta le requérant et le présenta au médecin de l’administration. Après que celui-ci l’eut examiné et conclu à l’existence d’un soupçon de maladie psychique, l’autorité administrative ordonna l’internement provisoire du requérant au département de psychiatrie de l’hôpital de district d’Ansbach. Par une décision du 31 mars 1995, le tribunal de tutelle d’Ansbach confirma l’internement provisoire du requérant en vue de procéder à une expertise pour déterminer si les conditions justifiant un internement définitif étaient remplies. Cette mesure fut prolongée à deux reprises. Au cours de cette procédure fut établie, le 28 avril 1995, une expertise médicale par les docteurs W. et T. de l’hôpital de district qui concluaient à l’existence d’une psychose paranoïde et d’un danger pour autrui de ce fait. Dans leur analyse, ils s’appuyèrent sur un examen du requérant conduit malgré le désaccord de celui-ci et sur des témoignages de son ex-compagne et du père de celle-ci recueillis par la police. Comme cela ressort d’une note du 18 mai 1995 du juge du tribunal de tutelle chargé de l’affaire, celui-ci, en réaction à deux lettres du requérant, adressa aux deux médecins la question de savoir si et dans quelle mesure les informations dont ils disposaient constituaient une base suffisante pour conclure au résultat obtenu eu égard à l’opposition à l’examen du requérant. La Cour ignore si les médecins ont répondu à cette question. Le requérant s’opposa à l’ordonnance initiale et aux deux prolongations. A chaque fois, le tribunal régional d’Ansbach rejeta le recours du requérant au motif que, la mesure d’internement ayant été remplacée par une nouvelle, le recours était devenu sans objet. La Cour suprême du Land de Bavière (Bayerisches Oberstes Landesgericht) confirma les décisions du tribunal régional. Le fait que le requérant avait été débouté de ses recours contre l’internement provisoire à trois reprises parce qu’il n’était plus affecté par les mesures ordonnées à son encontre ne pouvait être reproché au tribunal régional, celui-ci ayant décidé de manière suffisamment rapide. Le deuxième internement du requérant Les 15 septembre et 24 octobre 1995, le requérant fut examiné par le Service d’hygiène (Gesundheitsamt) de Fribourg-en-Brisgau, qui ne constata aucune anomalie justifiant un internement. D’autres rapports d’experts en psychiatrie, établis sur demande du requérant entre juillet 1995 et mai 1996, aboutirent au même résultat, dont notamment celui du Dr W. de Bâle (examen du requérant à huit reprises), du Dr Z de Munich (deux examens) et du Dr K. de Fribourg-en-Brisgau (deux examens). Certains d’entre eux mirent en doute le bien-fondé de l’expertise du 28 avril 1995 au motif qu’elle se fondait principalement sur des témoignages écrits de l’ex-compagne du requérant et du père de celle-ci. Le 9 janvier 1996, le tribunal d’instance de Weißenburg interdit au requérant tout contact avec sa fille. Le 19 juillet 1996, le tribunal d’instance de Fribourg-en-Brisgau refusa la demande du parquet d’Ansbach tendant à mettre le requérant sous tutelle au motif que, compte tenu des expertises médicales établies et de l’impression qu’il avait donnée devant le tribunal, rien ne permettait de conclure à la nécessité d’une tutelle. Dans une autre procédure concernant le retrait du permis de conduire du requérant, le tribunal administratif d’Ansbach, par une décision du 31 juillet 1996, mit en doute l’expertise du 28 avril 1995 et restitua son permis au requérant. Le 30 octobre 1996, l’ex-compagne du requérant appela la police au motif que le requérant la menaçait. La police trouva le requérant à l’entrée de la maison de son ex-compagne et l’emmena à la gare du village. A la suite d’une dispute violente entre le requérant, qui était revenu de la gare, et le père de son ex-compagne, la police arrêta le requérant et l’emmena au Service d’hygiène de Weißenburg. Dans son diagnostic du même jour, le médecin du Service d’hygiène, le Dr H., estima que l’internement provisoire du requérant était nécessaire afin de protéger la famille de son ex-compagne. Il releva que le requérant avait déclaré, en pleine conscience mais dans un état tendu, qu’il avait un droit naturel de voir sa fille et qu’il ferait tout pour exercer ce droit. Les tribunaux ne l’ayant pas pris au sérieux, il était temps de prendre l’affaire en main. Les accusations pour coups et blessures étaient calomnieuses. Le médecin en conclut que l’impression que le requérant avait donnée lors de son examen laissait penser à l’existence d’une maladie psychique à caractère schizophrène, comme l’avait par ailleurs établi l’expertise médicale de l’hôpital de district d’Ansbach du 28 avril 1995. Il en déduisit qu’il fallait s’attendre à ce que le requérant eût de nouveau recours à la violence étant donné que sa maladie psychique influait sur sa capacité de contrôler ses actions. Le même jour, l’autorité administrative de Weißenburg-Gunzenhausen envoya le requérant provisoirement à l’hôpital de district d’Ansbach dans l’intérêt de l’ordre public. Le 31 octobre 1996, le tribunal de tutelle d’Ansbach ordonna l’internement provisoire du requérant, conformément à l’article 70 h §§ 1 et 2 de la loi sur les affaires de la juridiction gracieuse (Gesetz über Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit - voir paragraphe 37 ci-dessous) et à l’article 1er de la loi bavaroise sur l’internement (Bayerisches Unterbringungsgesetz - voir paragraphe 38 ci-dessous). Le tribunal fonda sa décision sur le diagnostic, obtenu le même jour par téléphone, d’un médecin de l’hôpital de district, le Dr B., qui disait avoir déjà traité le requérant plusieurs fois et qui constatait à nouveau une psychose paranoïde. L’internement s’avérait nécessaire car le requérant ne voulait pas se prêter à un traitement, mettant ainsi en péril tant sa propre santé que la sûreté publique. Étant donné que le requérant ne se soumettrait pas de sa propre volonté à l’examen médical, il y avait lieu d’ordonner son internement dans un hôpital psychiatrique. D’autres mesures moins sévères n’étaient pas suffisantes. Le requérant ne fut pas entendu par le juge au motif qu’il y avait urgence. La durée maximale de la mesure était de six semaines, c’est-à-dire jusqu’au 12 décembre 1996. Le 4 novembre 1996, le requérant fut entendu par le juge chargé de l’affaire à l’hôpital de district et en présence du Dr B. Lors de l’audition, le requérant fit référence à l’expertise du Dr W. de Bâle du 6 mai 1996, au rapport du Service d’hygiène de Fribourg-en-Brisgau des 15 septembre et 24 octobre 1995 et à la procédure devant le tribunal administratif d’Ansbach concernant le retrait de son permis de conduire. Le Dr B. critiqua l’expertise du Dr W. au motif qu’elle n’avait pris en considération aucune source d’information externe mais seulement l’impression que le requérant avait donné au médecin. Sur ce point, le requérant rétorqua que dans le dossier médical du Dr W. se trouvait l’expertise du 28 avril 1995 de l’hôpital de district qui, elle, avait largement tenu compte de ces sources extérieures. Par une lettre du 11 novembre 1996, le requérant, représenté par son avocat, recourut contre son internement et annonça qu’il motiverait son recours après avoir consulté le dossier judiciaire. Le 18 novembre 1996, le requérant s’évada de l’hôpital de district. Le 2 décembre 1996 arrivèrent au tribunal régional les motivations du recours du requérant datées du 19 novembre 1996. Le 4 décembre 1996, le tribunal de tutelle reçut le rapport d’expertise du Dr B. de l’hôpital de district du 3 décembre. Celui-ci conclut à l’existence d’un soupçon de troubles de personnalité chez le requérant, mais constata l’absence de symptômes de schizophrénie. Il fallait s’attendre à ce que le requérant commette d’autres infractions mêmes graves. Eu égard aux reproches de partialité envers les médecins de l’hôpital de district, le Dr B. préconisa un examen médical par un expert extérieur à l’établissement aux fins d’évaluer la nécessité d’un internement durable du requérant. Le 9 décembre 1996, le Dr W. de Bâle, après l’avoir examiné le 26 novembre 1996, attesta qu’il n’avait pas relevé de maladie psychique chez le requérant. Le 13 décembre 1996, le tribunal régional rejeta le recours du requérant, représenté par son avocat, contre cette mesure provisoire au motif que celui-ci n’en était plus affecté, les effets de l’ordonnance ayant cessé le 12 décembre 1996. Il ajouta en outre qu’au moment où arrivait le dossier du requérant au tribunal, le requérant avait fui l’hôpital de district et n’était de ce fait plus concerné par la mesure. Le requérant recourut contre la décision du tribunal régional. Il se plaignit notamment de ce que le tribunal avait attendu l’expiration de la mesure d’internement provisoire afin de pouvoir rejeter son recours en raison du défaut de qualité de victime. Le 17 décembre 1996, le Dr K. de Fribourg-en-Brisgau examina le requérant et confirma le constat du Dr W. Le 4 février 1997, la Cour suprême du Land de Bavière confirma la décision du tribunal régional. Elle estima que celui-ci n’avait pas agi de manière incorrecte, tout en partageant la préoccupation du requérant, à savoir qu’une règle de procédure, empêchant de fait l’intéressé de faire revoir la décision d’internement par un tribunal supérieur, posait des problèmes quant à sa légalité. Le 10 mars 1997, la cour d’appel administrative du Land de Bavière (Bayerischer Verwaltungsgerichtshof) octroya l’effet suspensif du recours contre le retrait du permis de conduire du requérant tant qu’elle n’avait pas connu de l’appel contre la décision du tribunal administratif d’Ansbach du 31 juillet 1996. En se référant à un rapport d’expert du Dr K. de Fribourg-en-Brisgau du 10 février 1997, elle admit notamment que le retrait du permis ne pouvait être fondé ni sur l’examen du requérant par l’autorité administrative du 30 mars 1995, ni sur l’expertise des docteurs W. et T. de l’hôpital d’Ansbach du 28 avril 1995, qu’elle considérait comme étant réfutée. Le 19 mars 1998, la Cour constitutionnelle fédérale, statuant en comité de trois juges, décida de ne pas retenir le recours constitutionnel du requérant contre l’arrêt de la Cour suprême du Land de Bavière du 4 février 1997. Le troisième internement du requérant et développements ultérieurs Le 29 septembre 1997, le Service d’hygiène de Fribourg-en-Brisgau examina le requérant et ne releva aucun indice pouvant justifier son internement dans l’intérêt de sa santé ou de sa sécurité et de la protection de tiers. Le 28 novembre 1997, le tribunal d’instance de Fribourg-en-Brisgau refusa de donner suite à une demande du parquet de Nuremberg-Fürth visant à mettre le requérant sous tutelle. Le 22 décembre 1997, le tribunal d’instance d’Ansbach ordonna l’internement provisoire du requérant dans un hôpital psychiatrique en tant qu’inculpé dans le cadre d’une information judiciaire ouverte contre lui pour plusieurs délits. Le 26 janvier 1998, le requérant fut arrêté par la police et interné à l’hôpital psychiatrique d’Emmendingen. Le 2 février 1998, le tribunal régional d’Ansbach confirma la décision du tribunal d’instance. Il ajouta que le parquet d’Ansbach projetait de demander une nouvelle expertise. Le 6 février 1998, le requérant fut transféré à l’hôpital de district d’Ansbach. Le 8 avril 1998, la cour régionale supérieure (Oberlandesgericht) de Nuremberg confirma la décision du tribunal régional, en se fondant notamment sur les expertises du 28 avril 1995 et du 3 décembre 1996. Dans l’expertise mandatée par le parquet d’Ansbach et établie le 28 mai 1998, le professeur N. de Munich, un spécialiste en psychiatrie réputé, estima l’existence d’une psychose paranoïde théoriquement possible mais nullement prouvée et exclut toute autre psychose. Le 10 juillet 1998, après avoir entendu le requérant, le tribunal régional d’Ansbach annula l’ordonnance d’internement du 22 décembre 1997 au motif que la nouvelle expertise avait exclu l’irresponsabilité pénale du requérant et avait mis en doute l’existence d’une responsabilité pénale réduite. En outre, l’expert avait jugé peu probable que la libération du requérant porterait atteinte à la sécurité publique. Le 10 juillet 1998, le requérant fut libéré. Le 23 novembre 1999, le tribunal régional de Fribourg-en-Brisgau rejeta une demande du requérant tendant à obtenir des dommages-intérêts pour les examens psychiatriques qui avaient été ordonné à son encontre. Le 7 septembre 2000, la cour régionale supérieure de Karlsruhe confirma le jugement entrepris. Le 11 septembre 2001, la Cour constitutionnelle fédérale décida de ne pas retenir le recours constitutionnel du requérant dirigé contre ces décisions. Dans une expertise du 10 juillet 2000, établie dans le cadre d’une procédure devant la Cour fédérale de justice sur demande de l’avocat du requérant, le Dr K. de Fribourg-en-Brisgau critiqua en détail l’expertise du 28 avril 1995 et conclut qu’une maladie psychique du requérant n’avait pu être prouvée. Par deux lettres du 16 novembre et du 19 décembre 2000, un autre expert de Fribourg-en-Brisgau, le Dr Ku., certifia, sur demande de l’avocat du requérant dans une procédure devant le tribunal régional d’Augsbourg, que le requérant était en pleine possession de ses capacités et ne souffrait d’aucune maladie psychique. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Loi sur les affaires de la juridiction gracieuse L’article 70 h de la loi sur les affaires de la juridiction gracieuse (Gesetz über Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit) habilite le juge, entre autres, à ordonner provisoirement une mesure d’internement. Il renvoie entre autres à l’article 69f § 1 de la même loi qui, quant à lui, dispose notamment qu’une telle mesure provisoire ne peut être ordonnée que si - il y a urgence ; - il existe un rapport d’expert sur l’état de santé de l’intéressé ; - l’intéressé a été entendu personnellement. Il permet en outre au juge de renoncer à l’audition de l’intéressé si celleci porterait préjudice à ce dernier ou si l’intéressé n’est pas capable de s’exprimer. Le juge peut de même ordonner la mesure sans avoir entendu l’intéressé s’il y a danger imminent. Loi bavaroise sur l’internement L’article 1er § 1 de la loi bavaroise sur l’internement (Bayerisches Unterbringungsgesetz) dispose notamment que peut être internée sans son consentement ou contre sa volonté toute personne qui souffre d’une maladie et de troubles psychiques et qui constitue de ce fait un danger pour la sécurité et l’ordre publics. L’article 2 énonce que l’objectif de l’internement d’une personne est d’empêcher un danger pour la sécurité ou l’ordre publics. Il prévoit en outre que la personne internée doit être traitée de manière à lui permettre de mener une vie responsable dans la société. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle fédérale La Cour constitutionnelle fédérale, dans un arrêt rendu en chambre (Senat) le 30 avril 1997 (no 2 BvR 817/90 et autres) et portant sur une perquisition à domicile, a établi une nouvelle jurisprudence en reconnaissant notamment que le refus des juridictions pénales d’examiner la légalité de la perquisition litigieuse au seul motif que celle-ci avait expiré, constituait une violation du droit de l’intéressé à un recours effectif, prévu à l’article 19 § 4 de la Loi fondamentale. Par un arrêt du 10 mai 1998 (no 2 BvR 978/97), après l’avoir déjà indiqué dans un arrêt du 1er avril 1998 (no 2 BvR 1263/97), le troisième comité de trois juges (Kammer) de la seconde chambre a étendu cette jurisprudence aux mesures d’internement provisoires et a retenu le recours constitutionnel de l’intéressé comme étant manifestement bien-fondé (offensichtlich begründet). La Cour constitutionnelle fédérale a confirmé sa jurisprudence ultérieurement (voir arrêts du 18 mars 1999, no 2 BvR 1717/98, et du 5 décembre 2001, no 2 BvR 527/99 et autres). Les juridictions civiles ont suivi cette jurisprudence, comme en témoignent, parmi d’autres, les arrêts de la Cour suprême du Land de Bavière du 12 février 1999 (no 3 Z BR 54/99), et des cours régionales supérieures de Karlsruhe du 4 avril 2000 (no 11 Wx 28/00), de Hamm du 29 mai 2001 (no 15 W 139/01) et de Schleswig du 26 août 1998 (no 2 W 153/98).
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Istanbul. En décembre 1991, la maison d'édition Pelê Sor, dont le requérant est propriétaire, assura la publication d'un livre intitulé « Comment nous nous sommes battus contre le peuple kurde ! Mémoires d'un soldat » (« Kürt Halkına Karşı Nasıl Savaştık - Bir Askerin Anıları »). Les passages pertinents de cet ouvrage se lisent ainsi : « Avant propos de l'éditeur Cette brochure est une compilation qui résume les écrits d'un jeune Turc révolutionnaire dans les années 1986 (qui utilise Yavuz Erkal comme nom d'emprunt, mais dont nous cachons le véritable nom). Il met en lumière les aspects les plus profonds de ce qui se passe au Kurdistan turc. (...) Cette petite brochure s'interprète comme une petite contribution au droit de « diffuser et recevoir des informations » (...) Depuis 60 ans, le chauvinisme, dénommé le nationalisme d'Atatürk, a érigé au rang de barbarie la politique de terreur, de pression et d'avilissement que la République de Turquie estime comme un principe fondamental que le peuple kurde mérite. Les forces de l'Etat essayent de briser, d'effacer de l'histoire le peuple kurde par des méthodes nazies. Le peuple kurde quant à lui lutte contre cela et va réussir. (...) Préface (...) Je faisais partie des troupes militaires envoyées au Kurdistan dans le cadre de la guerre menée contre les membres d'un mouvement politique (le PKK) présentée par la bourgeoisie turque comme une lutte contre les « séparatistes », les « brigands ». (...) Préparation à la guerre (...) Les hommes envoyés en mission au Kurdistan étaient choisis spécialement (...) On n'emmène pas les gens intelligents, malins et cultivés. Au contraire, sont choisis les naïfs, incultes, peu intelligents, ceux qui sont attachés aveuglément à leur Etat et leur patrie. Et puis les fascistes (...) Le groupe d'hommes ainsi constitué n'est pas en mesure de connaître du problème du Kurdistan. Il n'a pas conscience que le peuple kurde va tôt ou tard fonder son propre état. (...) La guerre et la barbarie pratiquée par l'armée (...) Tout est tenté pour faire face à la lutte nationale du peuple kurde. En tant que personne impliquée dans ses pratiques de pression et de violence, je vais raconter ce que j'ai vu, entendu en donnant des exemples (...) L'officier supérieur assassin H.S. (...) L'équipe en charge de l'interrogatoire, dont la mission est de torturer, a quitté le village après avoir torturé pendant trois jours les villageois de Ağaçyurdu. Le deuxième ou troisième jour suivant le départ du village des tortionnaires, nous avons rassemblé les villageois au centre du village en principe pour procéder à une fouille et recueillir les témoignages. Bien sûr en utilisant les méthodes les plus dures, en frappant et insultant (...) Parmi les villageois ainsi rassemblés, se trouvaient les membres de la famille de la personne recherchée. Dans cette famille, se trouve un jeune enfant de 12-13 ans, au printemps de sa vie, qui n'a commis aucune faute (...) H.S. a éloigné l'enfant de la foule et l'a emmené hors du village (...) Après un temps, nous avons entendu un coup de feu (...) l'enfant sans vie, baignant dans son sang, était allongé par terre (...) Les chiens assassins (...) meurtriers (...) chauvins (...) fascistes ne doivent pas restés impunis (...) Encore la sécurité des biens et des personnes (...) Ils ont rassemblé les habitants de Tönekpınar, Dadaklı, Körüklükaya avec ceux de Dönerdöver dans le même village. Ils les ont alignés dans le jardin de l'école. L'école a été transformée en salle de torture (...) il y a une autre équipe de torture. Ils ont commencé la torture avant notre arrivée (...) Les gens ne sont pas morts immédiatement au cours des tortures pratiquées par notre équipe ou dont notre équipe a été témoin. Ceux qui sont devenus infirmes étaient très nombreux (...) La guerre a été déclarée contre le peuple kurde (...) Ceux qui prétendent dans leurs politiques officielles qu'il n'y a pas de Kurdes en Turquie, qui n'acceptent pas non seulement leur droit national mais également leur existence même, ne pourrait déclarer publiquement « nous déclarons la guerre aux Kurdes » (...) L'eau a été empoisonnée (...) Le pain, la vie, l'honneur et même l'EAU du peuple sans défense ont été attaqués (...) un gendarme est mort deux heures après avoir bu de l'eau. Suite à un examen médical, il apparaît qu'il est mort par empoisonnement. Il a été empoisonné par l'eau qu'il a bue ! (...) Les ordres viennent d'Evren-Üruğ Nous avons vu et compris tous les aspects de l'affaire après cela. Nous avons compris que tous les puits et toutes les citernes de la région sont secrètement empoisonnés par le commandement des troupes militaires allant dans ces lieux. L'ordre quant à lui vient de l'état-major de l'armée. (...) Le secret de certains événements Depuis le début, je ne m'attarde pas sur les conséquences pratiques, les activités, les tactiques et les objectifs des membres du PKK. Ce pour deux raisons : en premier lieu, cela dépasse mes compétences, je pense que c'est un sujet qui doit être traité par d'autres ; en second lieu, le PKK n'est pas la véritable raison de la guerre au Kurdistan. Il n'est pas juste de se focaliser sur les membres du PKK et de rejeter en arrière-plan l'essentiel du problème. C'est en fait la véritable raison pour laquelle je ne me suis pas arrêté sur le PKK. Il ne faut pas non plus déduire de ce que je raconte que les membres du PKK ont raison, que ce qu'ils doivent faire est ce qu'ils font aujourd'hui ou le contraire. (...) » Le 20 décembre 1991, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul inculpa le requérant du chef de propagande séparatiste et incitation à la haine fondée sur la différence ethnique et régionale. Il requit sa condamnation ainsi que la saisie des ouvrages édités en vertu de l'article 8 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme et de l'article 312 §§ 1 et 2 du code pénal. A l'appui de ses accusations, le procureur cita les passages suivants de l'ouvrage litigieux : « Il met en lumière les aspects les plus profonds de ce qui se passe au Kurdistan turc. (...) depuis 60 ans, le chauvinisme, dénommé le nationalisme d'Atatürk, a érigé au rang de barbarie la politique de terreur, de pression et d'avilissement que la République de Turquie estime comme un principe fondamental que le peuple kurde mérite. Les forces de l'Etat essayent de briser, d'effacer de l'histoire le peuple kurde par des méthodes nazies. Le peuple kurde quant à lui lutte contre cela et va réussir. Je faisais partie des troupes militaires envoyées au Kurdistan dans le cadre de la guerre menée contre les membres d'un mouvement politique (le PKK) présentée par la bourgeoisie turque comme une lutte contre les « séparatistes », les « brigands ». » Les réquisitions du procureur peuvent en outre se lire comme suit : « [L]es écrits et commentaires selon lesquels les militaires sont privés de la conscience que le peuple kurde va tôt ou tard fonder son propre état, certains officiers ont torturé les villageois kurdes, les ont laissés infirmes, les ont tués de leurs propres mains, sont des chiens fascistes, (...) le peuple a été torturé parce qu'il était kurde, il ne faut pas que les chiens assassins, meurtriers, chauvins, fascistes restent impunis, les écoles ont été transformées en salle de torture, les Kurdes forment une autre nation, (...) déclar[er] qu'ils appartiennent à la nation turque est un mensonge et une invention, l'eau du peuple a été empoisonnée, les membres du PKK sont justes et honorables, ce qu'ils font est juste, ils travaillent pour fonder le Kurdistan constituent en vertu de l'article 8 de la loi no 3713 de la propagande écrite ayant pour objet de porter atteinte à l'unité de la République de Turquie et de son peuple et d'inciter à la haine fondée sur la différence ethnique et régionale ». Dans son mémoire de défense qu'il soumit à la cour de sûreté de l'Etat, le requérant nia les faits qui lui étaient reprochés et précisa que la publication de l'ouvrage litigieux n'avait pas pour objet de faire de la propagande séparatiste ni d'inciter à la haine fondée sur la différence ethnique et régionale. En outre, il soutint qu'en qualité de propriétaire d'une maison d'édition, il ne saurait assumer la responsabilité pénale découlant de la publication de l'ouvrage en cause, cette responsabilité devant être recherchée chez l'auteur de l'ouvrage, lequel en l'espèce était absent de la procédure. Le 14 octobre 1993, la cour de sûreté de l'Etat condamna le requérant, en qualité de propriétaire et responsable de la maison d'édition Pelê-Sor, à une peine de six mois d'emprisonnement et à une amende de 50 000 000 livres turques (TRL) pour propagande séparatiste en vertu de l'article 8 de la loi no 3713. En outre, elle ordonna la saisie des ouvrages litigieux. Dans ses attendus, la cour de sûreté de l'Etat constata que l'ouvrage litigieux consistait en un recueil de mémoires d'un jeune soldat ayant effectué son service militaire en 1986 dans le Sud-Est de la Turquie. Elle en cita les passages suivants : « La dictature fasciste du 12 septembre a, depuis 60 ans, par le chauvinisme, dénommé le nationalisme d'Atatürk, érigé au rang de barbarie la politique de terreur, de pression et d'avilissement que la République de Turquie estime comme un principe fondamental que le peuple kurde mérite. Les forces de l'Etat essayent de briser, d'effacer de l'histoire le peuple kurde par des méthodes nazies. Le peuple kurde quant à lui lutte contre cela et va réussir. Je faisais partie des troupes militaires envoyées au Kurdistan dans le cadre de la guerre menée contre les membres d'un mouvement politique (le PKK) présentée par la bourgeoisie turque comme une lutte contre les « séparatistes », les « brigands ». » Au terme de l'examen du contenu de l'ouvrage, la cour de sûreté de l'Etat considéra qu'il s'agissait là de propagande séparatiste. La motivation de son arrêt se lit comme suit : « Un soldat effectuant son service militaire dans l'armée turque dans la région du sud-est anatolien raconte les tortures, avilissements, mauvais traitements qu'ils [les soldats] ont pratiqués contre le peuple de cette région ; [il raconte] que face à la pression de l'Etat contre les citoyens d'origine kurde de cette région, [la guérilla assure la protection de la région et mène une lutte pour la libération nationale kurde, lutte qui tôt ou tard, va réussir.] [Note du greffe : Un tel passage ne figure pas dans l'ouvrage en question.] Il est en résumé déclaré que le peuple kurde va fonder son propre Etat. Ainsi, en qualifiant de kurde une partie du peuple vivant sur le territoire de la République de Turquie et lié à l'Etat turc par un lien de nationalité, en qualifiant de nation kurde le peuple vivant ici, en qualifiant les actions menées là-bas par le groupement séparatiste PKK de lutte nationale, il est fait de la propagande séparatiste contre l'intégrité du territoire turc. » Par la suite, le requérant se pourvut en cassation aux fins d'infirmation de cet arrêt. Le 2 mars 1994, la Cour de cassation confirma l'arrêt de première instance et débouta le requérant de son pourvoi. Le 12 avril 1994, le procureur délivra un mandat de dépôt et une injonction de payer au requérant. Le 15 novembre 1995, à la suite de l'entrée en vigueur de la loi no 4126 emportant modification de l'article 8 de la loi no 3713, le procureur demanda à la cour de sûreté de l'Etat de procéder à un réexamen de l'affaire au regard de ces nouvelles dispositions législatives. Le 16 février 1996, au terme d'un nouvel examen de l'affaire au regard des dispositions de l'article 8 de la loi no 3713, tel que modifié par la loi no 4126, la cour de sûreté de l'Etat condamna le requérant à une peine de six mois d'emprisonnement et à 100 000 000 TRL d'amende. Le requérant se pourvut en cassation contre l'arrêt du 16 février 1996. Le 15 janvier 1998, la Cour de cassation infirma l'arrêt de première instance en raison de l'entrée en vigueur de la loi no 4304 du 14 août 1997 relative au sursis des actions et des peines relatives aux infractions commises en qualité de gérant responsable jusqu'au 12 juillet 1997. Le 28 avril 1998, la cour de sûreté de l'Etat, saisie sur renvoi de la Cour de cassation, prononça le sursis à statuer pour une durée de trois ans conformément aux principes énoncés dans la loi no 4304. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'article 8 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, avant modification par la loi no 4126 du 27 octobre 1995, était ainsi libellé : « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat de la République de Turquie et à l'unité indivisible de la nation sont prohibées, quels que soient le procédé utilisé et le but poursuivi. Quiconque se livre à pareille activité est condamné à une peine de deux à cinq ans d'emprisonnement et à une amende de cinquante à cent millions de livres turques. (...) » Tel qu'il a été modifié par la loi no 4126 du 27 octobre 1995, cet article dispose : « La propagande écrite et orale, les réunions, assemblées et manifestations visant à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat de la République de Turquie ou à l'unité indivisible de la nation sont prohibées. Quiconque poursuit une telle activité est condamné à une peine d'un à trois ans d'emprisonnement et à une amende de cent à trois cents millions de livres turques. En cas de récidive, les peines infligées ne sont pas converties en amende. (...) Lorsque le crime de propagande visé au premier paragraphe est commis par la voie d'imprimés ou par des moyens de communication de masse autres que les périodiques mentionnés au second paragraphe, les auteurs responsables et les propriétaires des moyens de communication de masse sont condamnés à une peine de six mois à deux ans d'emprisonnement ainsi qu'à une amende de cent à trois cents millions de livres turques (...) » Les articles 1 et 2 de la loi no 4304 du 14 août 1997 relative au sursis au jugement et à l'exécution des peines quant aux infractions commises avant le 12 juillet 1997 en qualité de gérant responsable se lisent comme suit : Article 1 « Il est sursis à l'exécution des peines infligées en leur qualité de gérant responsable conformément à l'article 16 de la loi no 5680 sur la presse ou à d'autres lois, aux auteurs d'infractions commises avant le 12 juillet 1997 (...) Il est sursis à la mise en mouvement de l'action publique ou au jugement si le gérant responsable n'est pas encore poursuivi, si une enquête préliminaire a été ouverte mais que l'action publique n'a pas encore été lancée, si la procédure en est au stade de l'instruction finale mais que le jugement n'a pas encore été prononcé ou si le jugement a été prononcé mais n'est pas encore devenu définitif. » Article 2 « (...) Toute condamnation en qualité de gérant responsable prononcée pour une infraction commise avant le 12 juillet 1997 est réputée nulle et non avenue si ledit délai de trois ans expire sans que soit intervenue une nouvelle condamnation pour une infraction intentionnelle. Dans les mêmes conditions, si l'action publique n'a pas été lancée, elle ne peut plus l'être ; si elle l'a été, il y est mis fin. » Le statut des cours de sûreté de l'Etat est décrit dans les arrêts Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002) et Özdemir c. Turquie, (no 59659/00, §§ 21-22, 6 février 2003).
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les quarante-cinq requérants, dont les noms figurent ci-joint en annexe, sont des ressortissants grecs résidant à Athènes et dans la région d'Attique. Par la loi no 109 du 20 août 1967, adoptée quelques mois après l'établissement de la dictature, l'Etat grec céda au Fonds de la marine nationale (Ταμείο Εθνικού Στόλου) un domaine de 1 165 000 m² à proximité de la plage d'Aghia Marina, à Marathon d'Attique. Une partie de ce domaine, de 165 000 m² environ, appartenaient aux habitants du village de Kapandriti d'Attique, dont les requérants. Dix des propriétaires du domaine saisirent alors le procureur près le tribunal de grande instance d'Athènes, l'invitant à prendre des mesures provisoires et « à rétablir la situation initiale ». Par trois ordonnances du 30 juillet 1968, le procureur accueillit les demandes : les terrains litigieux ne relevaient pas du domaine public forestier, mais constituaient des terres agricoles cultivées par leurs propriétaires. L'une des trois ordonnances fut cependant rétractée pour « manque d'urgence » par le procureur près la cour d'appel d'Athènes, après opposition formée par le Fonds de la marine nationale. Par acte du 12 avril 1969, le ministère de l'agriculture informa le quartier général de la marine nationale que lesdits 165 000 m² ne relevaient pas du domaine forestier, mais étaient de terres agricoles cultivées et possédées par plusieurs particuliers ; il l'avisa donc de l'impossibilité de disposer de cette partie du domaine cédé par la loi no 109/1967 et de la nécessité de prendre des mesures adéquates pour « le rétablissement du droit ». Toutefois, loin de restituer les terrains, la marine nationale entreprit des travaux de construction d'une base navale et d'un lieu de villégiature pour officiers. Un décret royal du 12 novembre 1969 (publié au Journal officiel du 15 décembre 1969) classa toute la région d'Aghia Marina comme « forteresse navale ». A. Les actions en restitution des terrains litigieux Après la chute de la dictature en 1974, M. Petros Papamichalopoulos, propriétaire d'une autre partie du domaine cédé, saisit le tribunal de grande instance d'Athènes d'une action en revendication de la propriété de ses terrains. Le tribunal fit droit à sa demande. Le 31 décembre 1976, saisie par l'Etat, la cour d'appel d'Athènes estima qu'en 1967, ce dernier n'avait pas transféré la propriété des terrains litigieux - qui étaient dans leur ensemble de terres agricoles appartenant à plusieurs particuliers - car il n'y possédait aucun titre de propriété (arrêt no 8011/1976). La Cour de cassation confirma cet arrêt le 14 juin 1978 (arrêt no 775/1978). Le 17 juillet 1978, M. Petros Papamichalopoulos signifia par huissier de justice les décisions susmentionnées au Fonds de la marine nationale, en vue de leur exécution. Suivi d'un huissier, il se présenta à l'entrée de la base navale et demanda l'exécution des décisions judiciaires, mais le commandant de la base leur refusa l'accès au motif qu'il avait des ordres dans ce sens et qu'il faudrait une autorisation du Quartier général de la Marine nationale, lequel la refusa. Une démarche engagée auprès du procureur de la Cour de cassation n'aboutit pas non plus [voir Papamichalopoulos c. Grèce, arrêt au principal du 24 juin 1993, série A no 260-B ; (article 50) arrêt du 31 octobre 1995, série A no 330-B.]. Le 2 juillet 1977, suite à l'arrêt no 811/1976, M. Petros Karagiannis, père des trois premiers requérants, M. Athanasios Karakitsos, père des requérants nos 7–9, M. Alexandros Karakitsos, père des requérants nos 1018, ainsi que les requérants nos 4, 5, 19, 20, 21, 39, 40 et 44 saisirent le tribunal de grande instance d'Athènes d'une action en revendication de leurs terrains. L'Etat intervint dans la procédure en faveur du Fonds de la marine nationale. Par un jugement avant dire droit de 1979 (no 11904/1979), le tribunal ordonna un complément d'instruction. La procédure demeure pendante à ce jour. B. La tentative de récupération en échange de terrains d'égale valeur. Le 16 octobre 1980, le ministre de l'Agriculture invita la préfecture d'Attique de l'Est à céder aux intéressés des terrains d'égale valeur, qui seraient situés dans la même région. Par une décision conjointe du 9 septembre 1981, les ministres de l'Economie, de l'Agriculture et de la Défense nationale instituèrent une commission d'experts. Chargée de sélectionner certains terrains proposés en échange par le ministère de l'Agriculture et d'en estimer la valeur, elle formula ses conclusions dans un rapport du 14 janvier 1982. Une loi no 1341/1983, publiée au Journal officiel du 30 mars 1983, reconnut expressément, dans son article 10, que les particuliers revendiquant la propriété des terrains occupés par le Fonds de la marine nationale pouvaient en demander d'autres en échange, suivant la procédure de l'article 263 du code rural ; elle prévoyait, à cette fin, la vérification des titres de propriété selon l'article 246 du même code. En vertu de ladite loi, les requérants ou leurs prédécesseurs saisirent la deuxième commission d'expropriation (Επιτροπή Απαλλοτριώσεων) d'Athènes, composée du président du tribunal de grande instance d'Athènes et d'experts de l'administration. Par décision no 41/1986 du 4 septembre 1986, la commission reconnut leur droit de propriété sur une étendue de 38 459 m². Les 4 et 27 mai 1987 respectivement, l'Etat et le Fonds de la marine nationale recoururent contre cette décision devant le tribunal de première instance d'Athènes. Par décision no 2528/1989, le tribunal fit droit à la demande de l'Etat et déclara irrecevable le recours du Fonds de la marine nationale ; d'après lui, seuls l'Etat ou les intéressés avaient qualité pour agir contre ladite décision et non des tiers comme le Fonds de la marine nationale. Les 6 juillet et 3 novembre 1989 respectivement, les requérants et le Fonds de la marine nationale interjetèrent appel de cette décision. Le 30 mars 1990, par décision no 3624/1990, la cour d'appel d'Athènes rejeta l'appel des requérants. En particulier, la cour d'appel estima que le tribunal de première instance avait à juste titre annulé la décision no 41/1986 de la deuxième commission d'expropriation, dans la mesure où les intéressés avaient omis de produire de documents certifiant que leurs terrains n'étaient pas hypothéqués (πιστοποιητικά βαρών). Les intéressés ayant par la suite soumis les certificats nécessaires, la deuxième commission d'expropriation, par décision no 109/1991 du 3 juillet 1991, reconnut de nouveau leur droit de propriété. Le 1er novembre 1991, l'Etat recourut contre cette décision devant le tribunal de première instance d'Athènes ; le Fonds de la marine nationale se joignit à lui en intervenant dans la procédure. Le 27 novembre 1992, par décision no 4965/1992, le tribunal rejeta le recours et confirma la décision attaquée. Le 8 février 1993, l'Etat interjeta appel de cette décision ; le Fonds de la marine nationale se joignit à lui en intervenant dans la procédure. Le 13 décembre 1994, par arrêt avant dire droit no 6300/1994, la cour d'appel d'Athènes ordonna une expertise en vue de faire vérifier les titres de propriété des demandeurs. L'expert déposa son rapport le 29 mai 1997. Il concluait que les requérants étaient les propriétaires des terrains litigieux. Le 11 mars 2002, la cour d'appel d'Athènes reconnut le droit de propriété des requérants (arrêt no 2044/2002). C. La décision d'expropriation des terrains litigieux Le 4 février 1999, par décision des ministres de la défense nationale, des finances et de l'agriculture, l'Etat grec procéda à l'expropriation d'une superficie de 57 801 m², dans laquelle se trouvent entre autres les terrains des requérants, au profit de la marine de guerre (Πολεμικό Ναυτικό), dans le but d'y construire un lieu de villégiature pour les familles des officiers de la marine. Le 29 janvier 2001, le tribunal de première instance d'Athènes fixa le prix unitaire provisoire d'indemnisation entre 20 000 et 50 000 drachmes (58,69 – 146,74 euros) au mètre carré, en tenant compte de la valeur réelle des terrains dans les conditions économiques et monétaires actuelles (jugement no 210/2001). Les sommes fixées n'ont pas encore été versées aux requérants. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Aux termes de l'article 17 de la Constitution grecque de 1952, applicable à l'époque de l'adoption de la loi litigieuse : « 1. Nul n'est privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable et complète. L'indemnité est toujours fixée par les juridictions civiles ; en cas d'urgence, elle peut aussi être fixée provisoirement par voie judiciaire, après audition ou convocation de l'ayant droit, que le tribunal, à sa discrétion, peut obliger à fournir un cautionnement correspondant à celle-ci, selon les modalités prévues par la loi. Avant le paiement de l'indemnité fixée définitivement ou provisoirement, tous les droits du propriétaire restent intacts, l'occupation de la propriété n'étant pas permise (...) Des lois spéciales règles les matières concernant les réquisitions pour les besoins des forces armées en cas de guerre ou de mobilisation, ou pour parer à une nécessité sociale immédiate de nature à mettre en danger l'ordre public ou la santé publique. » De son côté, l'article 17 de la Constitution de 1975, actuellement en vigueur, dispose : « 1. La propriété est placée sous la protection de l'État. Les droits qui en dérivent ne peuvent toutefois s'exercer au détriment de l'intérêt général. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est que pour cause d'utilité publique, dûment prouvée, dans les cas et suivant la procédure déterminés par la loi et toujours moyennant une indemnité préalable complète. Celle-ci doit correspondre à la valeur que possède la propriété expropriée le jour de l'audience sur l'affaire concernant la fixation provisoire de l'indemnité par le tribunal. Dans le cas d'une demande visant à la fixation immédiate de l'indemnité définitive, est prise en considération la valeur que la propriété expropriée possède le jour de l'audience du tribunal sur cette demande (...). » [Pour plus de détails sur la procédure de fixation de l'indemnité, voir Katikaridis et autres c. Grèce, arrêt du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V, pp. 16831684, § § 26-28.]
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1962. A. L'arrestation et la garde à vue Le 14 décembre 1993, la requérante fut arrêtée par la police à Istanbul, puis placée en garde à vue jusqu'au 27 décembre 1993 dans les locaux de la direction de la sûreté d'Istanbul, section de la lutte contre le terrorisme. La requérante ne bénéficia pas de l'assistance d'un avocat lors de sa garde à vue. A la demande de la direction de la sûreté, formulée par des lettres des 18 et 23 décembre 1993, le procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul ordonna la prolongation de la garde à vue de la requérante jusqu'au 27 décembre 1993. Dans ses lettres, la direction de la sûreté mentionna que la garde à vue avait débuté le 16 décembre 1993. Le 27 décembre 1993, à la demande de cette même direction, la requérante fut examinée par un médecin légiste, membre de l'institut de médecine légale d'Istanbul. Son rapport mentionna les traces suivantes sur le corps de l'intéressée : une ecchymose s'étendant sur une surface de 3 x 2 cm et une petite enflure au bras droit près de l'épaule. Il ordonna en outre un arrêt de travail de deux jours. Le même jour, le procureur de la République entendit la requérante et demanda sa mise en détention provisoire au juge chargé de l'instruction. Il lui reprochait d'être membre d'une organisation terroriste. Le 27 décembre 1993, la requérante fut traduite devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l'Etat qui ordonna sa mise en détention provisoire. Le 29 décembre 1993, elle fut examinée par le médecin de la maison d'arrêt d'Istanbul, où elle avait été transférée après sa mise en détention provisoire, et un rapport fut établi. Le 17 janvier 1994, la section d'Eyüp de l'institut de médecine légale examina ce rapport ainsi que l'intéressée et fit les constatations suivantes : des douleurs au cou et au dos, une douleur à l'épaule et au bras droits, une diminution de mouvement au devant du bras, une enflure au bras droit, une douleur dans la partie inférieure de la cage thoracique, une diminution accentuée de mouvement à la main droite, une difficulté de préhension. Il constata en outre une ancienne ecchymose sur la partie postérieure du bras droit, une érosion sans croûte de 0,5 cm au devant du bras droit, des lésions avec ecchymose d'une longueur de 3 à 4 cm et d'une largeur de 0,1 à 0,2 cm en forme de branche sur la partie gauche du dos, des douleurs lors des mouvements des mains et des poignets, une diminution de sensibilité du bras droit. Le médecin considéra que les séquelles constatées ne mettaient pas en danger la vie de la requérante et ordonna un arrêt de travail de sept jours. Par un acte d'accusation présenté le 4 février 1994, le procureur de la République reprocha à la requérante d'avoir participé aux activités terroristes du PKK, enfreignant ainsi l'article 168 du code pénal réprimant la formation des bandes armées pouvant commettre des délits contre l'Etat et les pouvoirs publics. B. La plainte pour mauvais traitements Le 11 juillet 1994, la requérante déposa une plainte devant le parquet d'Istanbul contre les fonctionnaires de police responsables de sa garde à vue, alléguant que ceux-ci lui avaient infligé des mauvais traitements lors de sa garde à vue de douze jours. Elle soutint qu'elle avait été contrainte de signer les procès-verbaux de déposition. Par un acte d'accusation du 11 janvier 1995, le procureur de la République intenta une action devant la cour d'assises contre deux fonctionnaires de police. Il leur reprochait d'avoir infligé des mauvais traitements à la requérante au regard des dispositions de l'article 243 du code pénal qui réprime l'usage de la torture en vue d'extorquer des aveux des prévenus. Par un jugement du 13 juillet 1995, faute de preuves suffisantes, la première cour d'assises d'Istanbul acquitta les deux fonctionnaires de police. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code pénal réprime le fait pour un agent public de soumettre quelqu'un à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements).
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside à San Remo. Le requérant a fait l'objet de plusieurs procédures pénales, à l'issue desquelles il a été condamné à des peines d'emprisonnement. Par un décret du 16 novembre 1991, le procureur de Trieste détermina le cumul des peines et ordonna la remise en liberté du requérant à compter du 4 avril 1992. Le 4 avril 1992, le requérant fut remis en liberté pour avoir purgé sa peine. A. La détention litigieuse Le 27 novembre 1992, le procureur de Naples - se référant à une décision de condamnation à deux ans d'emprisonnement prononcée le 8 novembre 1989 par la cour d'appel de Naples - ordonna l'exécution de cette condamnation et l'arrestation du requérant. Le requérant fut arrêté le 11 décembre 1992. Le 28 février 1994, le requérant introduisit un recours devant le procureur de Naples, contestant la légalité de sa détention. Il faisait essentiellement valoir qu'il était en train de purger une peine pour laquelle il avait été placé en détention provisoire dans la période allant de 1982 à 1985 et que cette période n'avait pas été prise en compte par le procureur. Par une décision du 25 mars 1994, le procureur de Naples accueillit le recours du requérant et ordonna sa remise en liberté immédiate. Il ressort de la décision que, suite au recours du requérant, le procureur avait demandé et obtenu les renseignements dont le requérant faisait mention dans son recours. Il s'était avéré que le requérant avait été placé en détention provisoire à Sulmona pendant deux ans, cinq mois et vingt-neuf jours, que cette détention provisoire concernait la condamnation de la cour d'appel de Naples et que celle-ci n'avait pas été prise en compte lors du cumul des peines. Une note du procureur général de Naples datée du 22 juillet 1994, que les autorités italiennes ont fait parvenir, fait état de ce que celui-ci n'avait pu consulter qu'en mars 1994 le dossier pénitentiaire du requérant, gardé près la prison de Sulmona, et avait pu ainsi retracer l'historique des détentions du requérant. B. Les recours en réparation Le 13 avril 1995, le requérant introduisit devant le tribunal de Salerno un recours en responsabilité civile des juges S.I. et C.C., membres respectivement du parquet de Trieste et du parquet de Naples. S'appuyant sur la loi no 117 du 13 avril 1988, le requérant demandait une réparation pour la période de quinze mois et quatorze jours qu'il avait passée en détention sans titre et qui découlait d'une erreur de calcul commise par ces juges et d'une grave négligence de leur part. Par une décision du 4 octobre 1995, le tribunal de Salerno rejeta le recours. A titre préliminaire, le tribunal retint uniquement l'action engagée contre S.I., puisque seul celui-ci était l'auteur de l'ordre d'arrestation du 27 novembre 1992 en exécution de la condamnation de la cour d'appel de Naples. Puis, le tribunal estima que l'irrégularité de l'acte incriminé découlait d'une erreur de calcul et ne rentrait pas dans la notion d'acte privatif de liberté émis « en dehors des cas prévus par la loi (article 2 § 3 d) de la loi no 117 de 1988) » ; par conséquent, la responsabilité du magistrat ne pouvait pas être mise en cause. En deuxième lieu, le tribunal estima que la négligence du procureur ne pouvait pas être qualifiée d'inexcusable, puisque S.I, avant de prendre sa décision, s'était bien adressé aux différentes administrations pénitentiaires pour recueillir les données permettant de retracer l'historique de la détention du requérant. Or, si certaines administrations pénitentiaires n'avaient pas fourni les données souhaitées, cela ne pouvait pas être reproché au magistrat. Enfin, le tribunal constata que le requérant n'avait attaqué ni la décision de calcul de la peine ni l'ordre d'exécution par un recours au juge d'application des peines, au sens de l'article 665 § 4 du code de procédure pénale ; le requérant, pour contester la légalité de sa détention, s'était adressé au procureur et, pour ce faire, avait attendu le 28 février 1994. Le requérant interjeta appel de cette décision. En particulier, il alléguait avoir épuisé les voies de recours, étant donné qu'il avait introduit un recours auprès du procureur conformément à l'article 657 § 3 du code de procédure pénale et avait eu gain de cause. De surcroît, sa plainte concernait l'absence de prise en compte d'une période de détention provisoire et non pas le calcul des peines d'emprisonnement. Par une décision du 24 juillet 1996, la cour d'appel de Salerno rejeta l'appel du requérant, suivant le raisonnement du tribunal et confirmant intégralement la décision attaquée. Le requérant se pourvut en cassation, faisant valoir en particulier qu'il avait épuisé les voies de recours, étant donné qu'il s'était prévalu, et avec succès, d'un des recours existants aptes à remédier à sa situation. Par une décision du 7 juillet 1997, déposée au greffe le 23 décembre 1997, la Cour de cassation rejeta le recours, estimant que le requérant ne pouvait se prévaloir de l'action en réparation au motif qu'il n'avait pas épuisé les remèdes à sa disposition. Il ressort de cette décision que, tout en admettant que le recours utilisé par le requérant était alternatif à celui que le requérant n'avait pas utilisé, la cour considéra que ce dernier devait être considéré comme privilégié par la loi no 117 de 1988. Par conséquent, le requérant n'avait pas épuisé les voies de recours et ce motif d'irrecevabilité absorbait tous les autres. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Droit à réparation pour détention irrégulière Aux termes de l'article 314 § 2 du code de procédure pénale, toute personne qui a passé une période en détention provisoire ayant, par la suite, été reconnue comme étant illégale (à savoir non conforme aux articles 273 et 280 du code de procédure pénale) par une décision définitive a droit à une réparation. La demande en réparation doit être introduite dans un délai de dix-huit mois à partir de la décision reconnaissant l'illégalité de la détention provisoire. A l'époque des faits, aucune réparation n'était possible pour une détention après condamnation s'étant avérée illégale. La Cour constitutionnelle (arrêt no 310 du 25 juillet 1996) a déclaré l'article 314 du code de procédure pénale inconstitutionnel dans la mesure où il ne reconnaissait pas le droit à réparation pour le cas de détention irrégulière faisant suite à un ordre d'exécution d'une condamnation. L'action en responsabilité civile des magistrats La loi no 117 de 1988 réglemente l'action en responsabilité civile des magistrats. L'article 2 § 3 d) de la loi prévoit que la responsabilité d'un magistrat peut être mise en cause lorsque celui-ci a adopté - intentionnellement ou pour faute grave - une mesure privative de liberté en dehors des cas prévus par la loi. Aux termes de l'article 4, l'action peut être introduite après épuisement des voies de recours permettant d'attaquer la mesure litigieuse et en tout état de cause seulement lorsque la mesure litigieuse n'est plus modifiable ou révocable. L'applicabilité directe de l'article 5 § 5 de la Convention L'applicabilité directe de l'article 5 § 5 de la Convention a constamment été niée par les juridictions italiennes. Par exemple, dans l'arrêt no 2823 du 20 mai 1991 (affaire Cruciani), la deuxième section de la Cour de cassation soutenait, par rapport à l'article 5 § 5 de la Convention, que cette disposition se bornait à prévoir d'une manière générale un droit à réparation, de sorte qu'il en découlait uniquement une obligation pour les Etats de le mettre en œuvre par leurs instruments internes et la non-applicabilité directe de la disposition en question.
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le premier requérant, le Parti socialiste de Turquie (Sosyalist Türkïye Partisi, ci-après le STP), était un parti politique dissous par un arrêt de la Cour constitutionnelle rendu le 30 novembre 1993. Les autres requérants en étaient les membres fondateurs. Le STP fut fondé le 6 novembre 1992 et la déclaration y afférente fut déposée auprès du ministère de l'Intérieur. Le 25 février 1993, le procureur général de la République près la Cour de cassation intenta devant la Cour constitutionnelle une action en dissolution du STP. Dans son réquisitoire, il lui reprochait d'avoir enfreint les principes de la Constitution et la loi sur les partis politiques. Il estima que, de par son contenu et ses objectifs, son programme portait atteinte à l'intégrité territoriale et à l'unité de la nation. Le 4 mars 1993, le président de la Cour constitutionnelle transmit le réquisitoire du procureur général au président du STP et invita ce dernier à soumettre ses observations préliminaires en défense. Dans ses observations présentées le 7 mai 1993, l'avocat du STP demanda, à titre préliminaire, la tenue d'une audience ainsi que l'audition des responsables du parti. Il soutint notamment que la loi sur les partis politiques contenait des dispositions contraires aux droits fondamentaux garantis par la Constitution. D'autre part, il fit valoir la nécessité de substituer aux normes antidémocratiques de la Constitution les principes du droit international. Il soutint en outre que le réquisitoire du parquet manquait d'objectivité, dans la mesure où il était fondé sur l'interprétation erronée de certains passages isolés, sélectionnés dans le programme du parti. Le 16 juin 1993, le procureur général soumit à la Cour constitutionnelle ses réquisitions quant au fond de l'affaire. Le 29 juillet 1993, l'avocat du STP présenta ses observations écrites quant au fond. Le 30 novembre 1993, la Cour constitutionnelle décida de dissoudre le STP. Dans son arrêt, publié au Journal officiel du 9 août 1994, elle rappela en premier lieu les grands principes de la Constitution relatifs à cette affaire et selon lesquels les personnes qui vivent sur le territoire turc, quelle que soit leur origine ethnique, forment une unité à travers leur culture commune. L'ensemble de ces personnes qui fonde la République de Turquie se nomme la « nation turque ». Les groupes ethniques constituant la « nation » ne se divisent pas en majorité ou minorité. La Cour constitutionnelle rappela que, selon la Constitution, aucune distinction d'ordre politique ou juridique, qui serait fondée sur l'origine ethnique ou raciale, n'est autorisée entre les citoyens turcs : tous les ressortissants peuvent bénéficier sans distinction de tous les droits civils, politiques et économiques. En ce qui concerne particulièrement les citoyens turcs d'origine kurde, la Cour constitutionnelle indiqua que ceux-ci jouissaient des mêmes droits que les autres citoyens turcs dans toutes les régions de la Turquie. Elle ajouta qu'il n'en résultait pas que l'identité kurde était reniée par la Constitution : les ressortissants d'origine kurde ne sont pas empêchés d'exprimer leur identité kurde. La langue kurde peut être utilisée dans tous les lieux privés, dans les locaux de travail, dans la presse écrite et dans les œuvres artistiques et littéraires. La Cour constitutionnelle rappela le principe selon lequel toute personne est tenue de respecter les dispositions de la Constitution même si elle ne les approuve pas. La Constitution ne défend pas que l'on fasse valoir des différences mais interdit la propagande fondée sur la distinction raciale et destinée à mettre fin à l'ordre constitutionnel. Elle rappela que, selon le traité de Lausanne, une langue distincte ou une origine ethnique distincte ne suffisaient pas, à elles seules, à accorder à un groupe la qualité de minorité. Pour ce qui est du contenu du programme du STP, la Cour constitutionnelle observa qu'il supposait l'existence en Turquie d'un peuple kurde distinct, ayant une culture et une langue qui lui étaient propres. Selon la Cour constitutionnelle, le STP réclamait un droit à l'autodétermination pour les Kurdes et soutenait le droit de mener une « guerre d'indépendance ». Elle observa que l'attitude adoptée par le STP était comparable à celle des groupes terroristes et constituait en soi une provocation illicite à la violence. La Cour constitutionnelle conclut que les activités du STP entraient, entre autres, dans le cadre des restrictions énoncées au paragraphe 2 de l'article 11 de la Convention ainsi que dans celui des dispositions de son article 17. Elle rappela dans ce contexte que la Charte de Paris pour une nouvelle Europe condamnait le racisme, la haine d'origine ethnique et le terrorisme. Par ailleurs, l'Acte final de Helsinki garantit le respect des principes de l'inviolabilité des frontières et de l'intégrité du territoire. La Cour constitutionnelle ordonna dès lors la dissolution du STP en vertu de l'article 101, alinéa a, de la loi sur les partis politiques, au motif que son programme était de nature à porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et à l'unité de la nation. La Cour constitutionnelle invoqua notamment certains passages du programme qui se lisent comme suit : « Mouvement de libération nationale : de nos jours, l'une des dynamiques les plus importantes au monde est le mouvement national kurde, l'insistance et l'ampleur de ce mouvement ont fait que celui-ci occupe une place particulière parmi les mouvements de libération nationale. De la poursuite de cette lutte dépend la création de nouvelles dynamiques. » « Moyen-Orient : la Turquie se situe à l'intersection des dynamiques qui produisent le déséquilibre et l'instabilité, la lutte nationale d'extrême gauche découle du mouvement kurde. » « Le peuple kurde pourra préserver et développer sa langue et sa culture. » « Le droit à l'autodétermination des peuples, y compris celui de la sécession sera garanti par les lois et par les instruments sociaux. » « Appel aux forces socialistes et révolutionnaires pour assurer le droit à l'autodétermination. » « Les moyens de propagande seront utilisés, dans le processus de la libération socialiste, en vue d'assurer la coexistence des peuples turc et kurde. » II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes de la Constitution se lisent ainsi : Article 2 « La République de Turquie est un Etat de droit démocratique, laïc et social, respectueux des droits de l'homme dans un esprit de paix sociale, de solidarité nationale et de justice, attaché au nationalisme d'Atatürk et reposant sur les principes fondamentaux énoncés dans le préambule. » Article 3 § 1 « L'Etat de Turquie constitue, avec son territoire et sa nation, une entité indivisible. Sa langue officielle est le turc. » Article 14 « Les droits et libertés mentionnés dans la Constitution ne peuvent être exercés dans le but de porter atteinte à l'intégrité territoriale de l'Etat et l'unité de la nation, de mettre en péril l'existence de l'Etat turc et de la République, de supprimer les droits et libertés fondamentaux, de confier la direction de l'Etat à un seul individu ou à un groupe ou d'assurer l'hégémonie d'une classe sociale sur d'autres classes sociales, d'établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la religion ou l'appartenance à une secte religieuse, ou d'instituer par tout autre moyen un ordre étatique fondé sur de telles conceptions et opinions. » Article 68 « Les citoyens ont le droit de fonder des partis politiques et, conformément à la procédure prévue à cet effet, d'y adhérer et de s'en retirer. (...) Les partis politiques sont les éléments indispensables de la vie politique démocratique. Les partis politiques sont fondés sans autorisation préalable et exercent leurs activités dans le respect de la Constitution et des lois. (...) Le statut, le règlement et les activités des partis politiques ne peuvent être contraires à l'indépendance de l'Etat, à son intégrité territoriale et celle de sa nation, aux droits de l'homme, aux principes d'égalité et de la prééminence du droit, à la souveraineté nationale, ou aux principes de la République démocratique et laïque. Il ne peut être fondé de partis politiques ayant pour but de préconiser et d'instaurer la domination d'une classe sociale ou d'un groupe, ou une forme quelconque de dictature. (...) » Article 69 « Les partis politiques ne peuvent pas se livrer à des activités étrangères à leurs statuts et à leurs programmes, et ne peuvent se soustraire aux restrictions prévues à l'article 14 de la Constitution ; ceux qui les enfreignent sont définitivement dissous. (...) Les décisions et le fonctionnement interne des partis politiques ne peuvent être contraires aux principes de la démocratie. (...) Dès la fondation des partis politiques, le procureur général de la République contrôle en priorité la conformité à la Constitution et aux lois de leurs statuts et programmes ainsi que de la situation juridique de leurs fondateurs. Il en suit également les activités. La Cour constitutionnelle statue sur la dissolution des partis politiques à la requête du procureur général de la République. Les fondateurs et les dirigeants à tous les échelons des partis politiques définitivement dissous ne peuvent être fondateurs, dirigeants ou commissaires aux comptes d'un nouveau parti politique, et il ne peut être fondé de nouveaux partis politiques dont la majorité des membres serait constituée de membres d'un parti politique dissous. (...) » A l'époque des faits, les dispositions pertinentes de la loi no 2820 se lisaient ainsi : Article 78 « Les partis politiques : a) ne peuvent ni viser, ni inciter des tiers (...) à mettre en péril l'existence de l'Etat et de la République turcs, à abolir les droits et libertés fondamentaux, à établir une discrimination fondée sur la langue, la race, la couleur de peau, la religion ou l'appartenance à un courant religieux, ou à instaurer, par tout moyen, un régime étatique fondé sur de telles notions et conceptions. (...) » Article 80 « Les partis politiques ne peuvent avoir pour but d'affaiblir le principe de l'Etat unitaire sur lequel se fonde la République turque ni se livrer à des activités poursuivant pareille fin. » Article 81 « Les partis politiques ne peuvent : a) affirmer l'existence, sur le territoire de la République de Turquie, de minorités fondées sur des différences tenant à la culture nationale ou religieuse, à l'appartenance à une secte, à la race ou à la langue ; b) avoir pour but la destruction de l'intégrité de la nation en se proposant, sous couvert de protection, promotion ou diffusion d'une langue ou d'une culture non turques, de créer des minorités sur le territoire de la République de Turquie ou de se livrer à des activités connexes. (...) » Article 90 (premier article du chapitre 4) « Les statuts, programmes et activités des partis politiques ne peuvent contrevenir à la Constitution et à la présente loi. » Article 101 « La Cour constitutionnelle prononce la dissolution du parti politique : a) dont les statuts ou le programme (...) se révèlent contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi, ou b) dont l'assemblée générale, le comité central ou le conseil administratif (...) adoptent des décisions, émettent des circulaires ou font des communications (...) contraires aux dispositions du chapitre 4 de la présente loi (...), ou dont le président, le vice-président ou le secrétaire général font des déclarations écrites ou orales contraires auxdites dispositions (...) »
0
1
0
0
0
0
0
0
0
0
Le requérant est né en 1942 et réside à Athènes. Le requérant est ingénieur civil et entrepreneur de travaux publics. La présente affaire porte sur une procédure engagée par le requérant en vue d'obtenir le paiement du solde pour les travaux effectués dans le cadre d'un marché public. Le 16 novembre 1993, la cour administrative d'appel (Τριμελές Διοικητικό Εφετείο) de Tripolis fit droit à ses demandes et fixa les montants qui devaient être versés au requérant par la caisse de la préfecture d'Arkadia (arrêt no 175/1993). Le 15 mars 1994, la préfecture d'Arkadia se pourvut en cassation. Le 1er mars 1999, le Conseil d'Etat rejeta le recours pour tardiveté (arrêt no 612/1999). L'arrêt no 175/1993 devint alors définitif. Toutefois, en dépit des démarches du requérant, l'administration n'a pas procédé au paiement des sommes dues. Le 5 juin 1999, le requérant saisit à nouveau la cour administrative d'appel de Tripolis, qui, le 14 juin 2001, condamna la préfecture d'Arkadia à lui verser 62 898 935 drachmes, plus la taxe sur la valeur ajoutée pour la période allant du 5 juin 1999 jusqu'au versement (arrêt no 277/2001). Le 30 janvier 2002, la préfecture d'Arkadia se pourvut en cassation. Son pourvoi est actuellement pendant devant le Conseil d'Etat. Entre-temps, le 21 janvier 2002, le requérant engagea la procédure d'exécution forcée à l'encontre de la préfecture d'Arkadia. En effet, le requérant se prévalut d'une réforme récente du droit interne, en vertu de laquelle il est désormais possible d'engager la procédure d'exécution forcée à l'encontre de l'Etat, des organismes de collectivité locale et des personnes morales de droit public. Il procéda ainsi à la saisine des dépôts bancaires de la préfecture, d'un montant total de 108 510 702 drachmes (318 447 euros). Cette somme fut versée au nom du requérant à la Caisse des dépôts et consignations, le 6 mars 2002. Le 7 mars 2002, le requérant saisit le tribunal de première instance de Tripolis d'une demande tendant à obtenir le versement de cette somme. Le 27 juin 2002, le tribunal rejeta la demande au motif que les créanciers du requérant (l'Etat et une banque) avaient déjà saisi la somme versée à la Caisse des dépôts et consignations pour le recouvrement de leurs créances à l'encontre du requérant (décision no 329/2002).
0
0
0
0
0
0
0
1
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est un ressortissant danois d’origine turque, né en 1967 en Turquie et résidant au Danemark. A. Arrestation et procédure pénale à l’encontre du requérant Le 8 juillet 1997, suite à un appel téléphonique d’A.Y., le propriétaire d’un bar situé à Fethiye, qui se plaignait du comportement du requérant, plusieurs policiers en tenue civile et en uniforme se rendirent sur les lieux pour l’arrêter et le placer en garde à vue. Le même jour à 1 h 30, le propriétaire du bar fut entendu par la police. Il déclara que, le 7 juillet 1997 vers 23 h 30, le requérant s’était rendu dans son établissement, qu’il avait consommé de l’alcool, puis, vers 1 heure, il avait commencé à importuner la clientèle féminine du bar. Le propriétaire lui avait demandé de se tenir correctement et de ne pas déranger les clientes. Le trublion feignant de ne pas l’écouter, le propriétaire avait appelé la police. A l’arrivée des agents de police, le requérant les avait insultés et s’en était pris à eux. Le même jour, la police entendit un autre témoin, M.S.Ş. Celui-ci déclara qu’à son arrivée au bar, vers 23 h 55, le requérant accostait les clientes et les dérangeait, puis que le propriétaire du bar l’avait prié de se tenir correctement, mais en vain. Il mentionna qu’à leur arrivée, le fauteur de troubles avait insulté les agents de police, qu’il leur avait résisté, refusant de les suivre au commissariat de police ainsi qu’ils le lui avaient demandé, et qu’il avait eu un comportement agressif. Le procès-verbal d’interrogatoire du 8 juillet 1997 fit état de ce que le requérant passait des vacances en Turquie et que ce soir-là, vers minuit, il se trouvait dans un bar en compagnie de deux dames. Un serveur avait vainement tenté de le dissuader de discuter avec elles ; puis, deux policiers étaient arrivés pour lui demander de les suivre au commissariat de police. Le requérant contesta les avoir insultés. Le 8 juillet 1997 à 2 h 45, le requérant fut présenté au médecin légiste de l’hôpital public de Fethiye. Dans son rapport médical, celui-ci fit état de ce que le requérant présentait un léger taux d’alcoolémie et qu’il n’y avait aucune trace de coups ou de violence sur son corps. Le 8 juillet 1997 à 3 heures, la police prit la déposition d’Y.K., l’un des policiers qui avaient procédé à l’arrestation du requérant. Il déclara qu’il s’était rendu dans le bar en question, que le requérant les avait insultés, avait refusé de les suivre, s’en était pris à lui en lui donnant un coup de pied qui entraîna sa chute et une blessure. Il indiqua que le requérant avait déchiré sa tenue et continué de l’attaquer ; il avait ainsi été contraint d’utiliser la force pour le maîtriser et l’emmener au poste de police. Le même jour à 3 heures 30, la police entendit A.E., un autre des policiers. Il déclara qu’une fois arrivé sur place, il avait décliné son identité au requérant avec ses autres collègues et lui avait demandé de quitter l’établissement en les suivant. Le requérant s’en étant pris à lui en l’insultant, il avait été contraint d’utiliser la force pour le maîtriser et l’emmener au poste de police. Le même jour, les policiers M.K. et K.A. déposèrent dans les mêmes termes qu’A.E. devant la police. Toujours à la même date, à 4 heures, la police entendit le policier, M.A.A. qui avait procédé à l’arrestation du requérant. Celui-ci déclara que le jour de l’incident il s’était rendu au bar en question ; à leur arrivée le requérant les avait insulté ; il avait refusé de quitter le bar et avait refusé d’obtempérer. Encore le 8 juillet 1997, le requérant fut entendu par le juge qui ordonna sa mise en détention provisoire. Dans le procès-verbal d’interrogatoire, le requérant réitéra sa déposition recueillie lors de sa garde à vue. Le 10 juillet 1997, le requérant présenta une requête devant le tribunal correctionnel de Fethiye (« le tribunal correctionnel ») en vue de sa mise en liberté provisoire. Dans sa demande, il indiqua avec précision l’adresse de ses domiciles au Danemark et en Turquie, à Konya précisément. Il précisa notamment qu’il était en vacances en Turquie avec sa famille et qu’actuellement ses enfants et son épouse se trouvaient à Eskişehir, chez ses beaux-parents. Le même jour et à sa demande, il fut examiné par le centre médical de Fethiye, rattaché au ministère de la Santé. Le rapport médical indiqua que le requérant présentait une plaie avec croûte de 2,5-3 cm en dessous du genou gauche, au milieu du tibia (« tibio-fibio »), causant une sensibilité violente de cette zone, une éraflure sur la jambe droite dans la région extérieure du milieu du tibia, une ancienne éraflure, une sensibilité sur les épaules et sur le dos dans la région située entre les deux scapulas, ainsi qu’une légère éraflure sur le lobe de l’oreille gauche. Le médecin légiste demanda un examen orthopédique au service d’orthopédie de l’hôpital public de Fethiye pour évaluer les sensibilités situées au milieu du tibia droit, sur les épaules et le dos. Le 11 juillet 1997, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté provisoire en réitérant les mêmes arguments. Il précisa en outre que, conformément à la législation pertinente en la matière, il était possible d’exécuter au Danemark la peine qui serait prononcé à son encontre par les juridictions nationales. Le 11 juillet 1997, le procureur de la République près le tribunal correctionnel inculpa le requérant, en application des articles 258 § 1, 256 § 1, 266 § 1, 572 § 1 et 40 du code pénal, pour outrage à fonctionnaire en état d’ébriété. Le 14 juillet 1997, le tribunal rejeta les demandes de mise en liberté du requérant compte tenu des faits qui lui étaient reprochés et de l’état des preuves. A cette même date, le requérant fut examiné par le service d’orthopédie de l’hôpital public de Fethiye. Le médecin fit état de ce qu’il ne présentait aucune pathologie orthopédique spécifique. Eu égard aux blessures constatées dans le rapport médical du 10 juillet 1997, il ordonna un arrêt de travail de trois jours. Le 1er août 1997, le procureur de Fethiye entendit le commissaire de police S.T. Celui-ci déclara qu’il avait pris son service le 8 juillet 1997 à 8 heures et qu’à son arrivée au poste de police, il avait pris connaissance de son dossier du requérant. Il déclara que ce dernier avait passé la nuit dans un autre poste de police dans la mesure où il n’y avait pas de cellule dans leurs locaux. Il ajouta que le requérant avait été reconduit au poste de police vers 10 heures, qu’il l’avait entendu puis transféré au parquet. Il contesta les allégations de mauvais traitements qui lui étaient reprochées et précisa qu’une altercation avait eu lieu entre le requérant et les policiers qui l’avaient arrêté, et que le policier Y.K. avait été blessé au genou et ses vêtements déchirés. Le 5 août 1997, le requérant présenta une nouvelle demande de mise en liberté, qui fut acceptée le même jour. Le 11 août 1997, au Danemark, un médecin établit un certificat médical relatif à l’incapacité de travail du requérant en lui prescrivant un arrêt de travail d’un mois. Le 8 septembre 1997, le requérant fut examiné par un autre médecin au Danemark. Celui-ci mentionna notamment qu’il n’avait pas constaté de lésion apparente, mais que la détention en Turquie avait causé des problèmes psychiques et psychologiques. Il constata en outre une amélioration de l’état de santé du requérant, mais indiqua que celui-ci ressentait néanmoins des douleurs au niveau de la hanche droite. Il demanda son examen par un psychologue. Le 2 octobre 1997, le requérant fut examiné par un psychologue du Centre de psychologie du Triangle, au Danemark. Dans son rapport, le médecin constata que le comportement psychologique du requérant était en adéquation avec les trente jours de détention en Turquie. Il nota que les mauvais traitements subis avaient causé des dommages psychiques et physiques. Il releva que le requérant s’était plaint de maux de tête, d’oublis et de fortes douleurs dans le dos. Par un jugement du 18 novembre 1997, le tribunal correctionnel condamna le requérant à une peine d’emprisonnement de quatre mois. Puis, en application de l’article 6 de la loi no 647 relative à l’exécution des peines, il décida de surseoir à l’exécution de la peine. Par une lettre du 24 juillet 2001, le représentant du requérant informa le greffe de la Cour de ce qu’il n’avait pas formé de pourvoi contre le jugement rendu par le tribunal. B. Procédure pénale à l’encontre des policiers incriminés Le 21 juillet 1997, le requérant déposa une plainte pénale auprès du parquet de Fethiye contre les policiers qui l’avaient battu lors de son arrestation et de sa garde à vue. Il soutint que le médecin légiste, auteur du rapport médical du 8 juillet 1997, avait établi ce rapport sans l’avoir examiné. Le 30 juillet 1997, le procureur de Fethiye entendit les fonctionnaires de police qui avaient procéder à l’arrestation du requérant. M.A.A. déclara que, le jour de l’incident, il s’était rendu avec son collègue Y.K. dans le bar en question et qu’à leur arrivée, une équipe de policiers en civil était déjà sur place et essayait de faire sortir le requérant des lieux. Il précisa que le requérant s’en était pris à eux, qui étaient en uniforme, et avait opposé de la résistance ; puis qu’avec ses collègues, ils avaient forcé le requérant à sortir du bar. Ce dernier s’était accroché à la porte et, tout en continuant de résister, avait renversé son collègue Y.K. en le blessant au genou. Enfin, il avait difficilement réussi à emmener le requérant au commissariat de police. Le même jour, le parquet de Fethiye entendit Y.K., un autre fonctionnaire de police. Celui-ci déclara notamment que, le jour de l’incident, il s’était rendu sur les lieux en uniforme et qu’une équipe de policiers en civil était déjà en train de faire sortir l’individu du bar. Il avait aidé ses collègues en tenant le requérant par le bras, celui-ci l’avait ensuite frappé à coup de pied et fait tombé en lui faisant un croche-pied. Il s’était blessé en tombant et son pantalon s’était déchiré. Il précisa que le requérant était soûl, qu’il les avait insultés et avait refusé d’obtempérer ; il avait résisté à sa sortie du bar en se tenant à la porte ; ils se tiraillaient mutuellement. Le même jour, le parquet de Fethiye entendit également A.G. qui déclara avoir pris son service le 8 juillet 1997, que le requérant avait été ramené au poste de police vers 10 heures, et qu’il avait recueilli sa déposition. Toujours le 30 juillet 1997, le parquet de Fethiye entendit A.E., appartenant à la section de la lutte contre le terrorisme. Il déclara qu’il s’était rendu dans l’établissement en question en tenue civile, accompagné de M.K. et K.A. Ils avaient décliné leur identité au requérant en l’invitant à sortir du bar et celui-ci les avait alors insultés. Malgré son opposition, ils tentèrent de le faire sortir. Puis des fonctionnaires de police en uniforme étaient arrivés sur les lieux. Le requérant avait frappé à coup de pied et de poing le fonctionnaire de police Y.K. qui avait été blessé au genou en tombant par terre, et continuait de résister et de proférer des insultes. A la même date, le parquet de Fethiye entendit M.K., appartenant également à la section de la lutte contre le terrorisme. Il déclara qu’avec ses collègues et les fonctionnaires de police venus du commissariat, ils avaient essayé de faire sortir le requérant du bar, que celui-ci avait opposé une forte résistance, puis qu’ils étaient tombés à terre avec lui. Le requérant les insultait, était en état d’ébriété et avait finalement, avec difficulté, été emmené au commissariat de police. Le 1er août 1997, le procureur de la République de Fethiye rendit une ordonnance de non-lieu au motif qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites à l’encontre des policiers incriminés pour absence de preuve. L’opposition du requérant, formulée le 5 août 1997, à l’encontre de cette ordonnance fut rejetée le 27 août 1997 par le président de la cour d’assises de Muğla. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code pénal réprime le fait pour un agent public de soumettre quelqu’un à la torture ou à des mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements).
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE L’affaire concerne l’homicide, le 19 juillet 1996, de MM. Angelov et Petkov par un membre de la police militaire qui tentait de les arrêter. Les requérants, tous ressortissants bulgares, se déclarent d’origine rom. Mlle Anelia Kuntchova Natchova, née en 1995, est la fille de M. Angelov, et Mme Aksiniya Hristova, née en 1978, est la mère de Mlle Natchova. Toutes deux vivent à Dobrolevo (Bulgarie). Mme Todorka Petrova Rangelova et Mr Rangel Petkov Rangelov, nés respectivement en 1955 et 1954 et résidant à Lom (Bulgarie), sont les parents de M. Petkov. A. Les circonstances ayant entouré le décès de MM. Angelov et Petkov En 1996, MM. Angelov et Petkov, tous deux âgés de vingt et un ans, effectuaient leur service militaire en tant qu’appelés dans la Force de construction (Строителни войски), une division de l’armée chargée de la construction d’immeubles d’habitation et d’autres projets civils. Début 1996, MM. Angelov et Petkov furent arrêtés pour s’être absentés sans autorisation à plusieurs reprises. Le 22 mai 1996, ils furent condamnés respectivement à neuf mois et à cinq mois d’emprisonnement. Tous deux avaient déjà été condamnés précédemment pour vol. Le 15 juillet 1996, ils s’évadèrent d’un chantier à l’extérieur de la prison où on les avait amenés pour travailler et se réfugièrent chez la grand-mère de M. Angelov, Mme Tonkova, dans le village de Lesura. Aucun des deux hommes n’était armé. Leur absence fut signalée le lendemain et leurs noms inscrits sur la liste des personnes recherchées par la police militaire. L’unité de Vratsa de la police militaire reçut un mandat d’arrêt le 16 juillet 1996. Le 19 juillet 1996, vers midi, le militaire de permanence à l’unité de la police militaire de Vratsa reçut un appel téléphonique anonyme selon lequel MM. Angelov et Petkov se cachaient dans le village de Lesura. Au moins à l’une des occasions précédentes où il s’était absenté sans autorisation, M. Angelov avait été retrouvé et arrêté dans ce village. L’officier commandant l’unité, le colonel D., décida d’envoyer quatre membres de la police militaire, sous les ordres du commandant G., rechercher et arrêter les deux hommes. Au moins deux des militaires connaissaient l’un des hommes ou les deux. Le commandant G. connaissait apparemment Lesura puisque, d’après un secrétaire qui travaillait pour la commune et qui fut ultérieurement entendu comme témoin, sa mère était originaire du village. Le colonel D. déclara aux hommes que, « conformément au règlement », ils devaient se munir de leurs revolvers et fusils automatiques et porter des gilets pare-balles. Il les informa que MM. Angelov et Petkov étaient des « délinquants actifs » (криминално проявени) – euphémisme employé pour décrire les personnes ayant déjà été condamnées ou celles soupçonnées d’infractions – qui s’étaient évadés. Les militaires reçurent l’ordre de recourir à tous les moyens nécessaires pour arrêter les intéressés. Les militaires partirent immédiatement pour Lesura dans une jeep. Deux d’entre eux portaient l’uniforme alors que les autres étaient en civil. Seul le commandant G. portait un gilet pare-balles. Il était muni de son revolver personnel et d’un fusil automatique Kalachnikov de calibre 7,62 mm. Les autres hommes étaient armés de revolvers. Tout au long de l’opération, trois fusils automatiques Kalachnikov restèrent dans le coffre du véhicule. Le commandant G. instruisit les hommes oralement alors qu’ils se rendirent à Lesura. Le sergent N. devait couvrir le côté est de la maison, le commandant G. le côté ouest et le sergent K. devait pénétrer dans la maison. Le sergent S., le conducteur, devait demeurer dans le véhicule et surveiller le côté nord. Vers 13 heures, les militaires arrivèrent à Lesura. Ils demandèrent à un secrétaire de la mairie et à un des villageois, M. T.M., de les accompagner pour leur montrer où se trouvait la maison de la grand-mère de M. Angelov. Le véhicule se dirigea vers le quartier rom de Lesura. Le sergent N. reconnut la maison puisqu’il y avait précédemment arrêté M. Angelov pour une absence sans autorisation. Dès que la jeep arriva devant la maison, entre 13 heures et 13 h 30, le sergent K. reconnut M. Angelov, qui était à l’intérieur, derrière la fenêtre. Ayant remarqué le véhicule, les deux hommes tentèrent de s’enfuir. Les militaires entendirent le bruit d’une vitre cassée. Le commandant G. et les sergents K. et N. sautèrent du véhicule alors qu’il roulait toujours. Le commandant G. et le sergent K. entrèrent par la porte du jardin ; le premier se rendit du côté ouest et le deuxième pénétra dans la maison. Le sergent N. se dirigea vers le côté est de la maison. Le sergent S. resta dans la voiture, avec le secrétaire de mairie et M. T.M. Le sergent N. déclara par la suite que lorsqu’il avait constaté que MM. Angelov et Petkov s’échappaient par la fenêtre et couraient vers un jardin voisin, il avait crié : « Arrêtez, police militaire ! ». Il avait sorti son revolver, mais n’avait pas tiré. Les deux hommes avaient continué de courir. Le sergent N. s’était précipité dans la rue pour tenter de les intercepter en contournant plusieurs maisons. En courant, il avait entendu le commandant G. crier : « Pas un geste, police militaire, pas un geste [ou] je tire! ». C’est alors que la fusillade avait commencé. Dans son témoignage, le commandant G. déclara : « (...) J’ai entendu le sergent N. crier : « Pas un geste, police » (...) J’ai vu les appelés ; ils couraient, puis se sont arrêtés devant la clôture entre le jardin de Mme Tonkova et celui des voisins (...) J’ai vu qu’ils tentaient de sauter par-dessus la clôture [grillagée], et j’ai donc crié : « Pas un geste, ou je tire ». J’ai enlevé le cran de sûreté et chargé le fusil automatique. J’ai ensuite tiré un coup de feu en l’air, en tenant de la main droite le fusil automatique pointé vers le haut, à peu près perpendiculairement au sol (...) Les appelés ont grimpé par-dessus la clôture [grillagée] et continué à courir, je les ai suivis puis j’ai tiré un, deux ou trois coups de feu et crié : « Pas un geste ! », mais ils ont continué à courir. J’ai de nouveau tiré des coups en l’air avec le fusil automatique et crié : « Pas un geste ou je tire à balles réelles », et je les ai encore une fois avertis, mais ils ont continué à courir sans se retourner. Après l’avertissement, j’ai tiré à droite [des deux hommes] avec l’arme automatique en visant le sol et en espérant que cela les arrêterait. J’ai de nouveau crié : « Pas un geste ! » lorsque les intéressés étaient au coin de l’autre maison, puis j’ai visé et tiré sur eux alors qu’ils escaladaient la clôture. J’ai visé leurs pieds. Je me trouvais en contrebas (...) [S]’ils avaient sauté par-dessus la deuxième clôture, ils se seraient enfuis et je n’avais aucun autre moyen de les arrêter. La pente était un peu raide à cet endroit, [je] me tenais en contrebas (...) La deuxième clôture se trouvait plus haut, c’est pour cette raison que j’ai visé à côté [des deux hommes] lorsque j’ai tiré la première fois, pensant qu’aucun habitant des maisons voisines ne serait ainsi blessé, et la deuxième fois j’ai visé les appelés, mais tiré sur leurs pieds. L’article 45 du règlement nous autorise à utiliser des armes à feu pour arrêter des membres des forces militaires qui ont commis une infraction passible de poursuites à la diligence du procureur et qui ne se rendent pas après avoir reçu un avertissement. Toutefois, conformément au paragraphe 3 de [cette disposition], nous devons protéger la vie des personnes contre lesquelles [nous utilisons les armes à feu] – c’est pour cette raison que j’ai tiré sur les pieds [des victimes] – afin d’éviter des blessures mortelles. La dernière fois que j’ai tiré sur les pieds des appelés, je me tenais à une distance de vingt mètres d’eux et ils se trouvaient exactement au coin sud-est du jardin voisin. Après les tirs, les deux hommes sont tombés (...) Tous deux étaient couchés sur le ventre et donnaient signe de vie (...) Ils gémissaient (...) puis le sergent S. est arrivé, je l’ai appelé (...) et lui ai remis mon fusil automatique (...) ». D’après les déclarations des trois militaires qui se trouvaient sous les ordres du commandant G., MM. Angelov et Petkov étaient couchés sur le sol devant la clôture, leurs jambes pointant dans la direction de la maison d’où ils étaient venus. L’un était couché sur le dos et l’autre sur le ventre. Un voisin, M. Z., qui habitait en face de la grand-mère de M. Angelov témoigna également. Vers 13 heures – 13 h 30, il avait vu une jeep militaire s’arrêter devant la maison de Mme Tonkova. Puis il avait entendu quelqu’un crier : « Ne courez pas, je tire à balles réelles ». Il avait ensuite entendu des coups de feu. Il avait regardé dans le jardin voisin et vu M. Angelov, qu’il connaissait, et un autre homme sauter par-dessus la clôture grillagée séparant le jardin de Mme Tonkova de celui d’un autre voisin. Il n’avait pas vu l’homme qui criait, étant donné qu’il se tenait derrière la maison de Mme Tonkova. Il avait ensuite vu MM. Angelov et Petkov tomber à terre et apparaître l’homme qui leur avait tiré dessus, tenant un fusil automatique. M. Z. déclara en outre : « Les autres hommes en uniforme se sont alors mis à faire des reproches à [l’homme qui avait tiré sur MM. Angelov et Petkov], lui disant qu’il n’aurait pas dû tirer, et qu’il n’aurait pas dû les accompagner. Parmi les hommes qui étaient arrivés dans la jeep, seul l’officier supérieur a tiré (...) Je le connais de vue, il a de la famille à Lesura ». Le sergent S. indiqua que lorsqu’ils étaient arrivés à la maison, il était resté près du véhicule et avait entendu le sergent N. crier depuis le côté est de la maison : « Pas un geste, police ! ». Il avait également entendu le commandant G. crier plusieurs fois : « Pas un geste, police ! », depuis le côté ouest de la maison. Puis le commandant G. avait ouvert le feu avec son fusil automatique, tout en continuant à crier. Le sergent S. était alors entré dans le jardin. Il avait vu le commandant G. sauter par-dessus la clôture grillagée et l’avait entendu crier. Il l’avait rejoint, avait pris son fusil automatique et vu MM. Angelov et Petkov couchés à terre, près de la clôture. Ils étaient toujours vivants. A ce moment-là, le sergent K. était sorti de la maison. Le commandant G. était allé chercher la jeep et avait signalé l’événement par radio. A leur retour, le sergent N. était revenu de la rue voisine et les avait aidés à transporter les blessés dans le véhicule. Le chef de l’unité de la police militaire de Vratsa et d’autres officiers furent informés de l’incident vers 13 h 30. Dans son témoignage, le sergent K. précisa qu’il était entré dans la maison et était en train de parler à la grand-mère de M. Angelov et à une autre femme lorsqu’il avait entendu le commandant G. sommer MM. Angelov et Petkov de s’arrêter. Dans la maison, il avait remarqué qu’une vitre avait été cassée dans la pièce surplombant le jardin. Il était sur le point de sortir lorsqu’il avait entendu des tirs provenant de derrière la maison. En se rendant dans le jardin, il avait rencontré le commandant G. qui lui avait dit que les fugitifs avaient été blessés. Le sergent K. avait alors grimpé par-dessus la clôture grillagée pour s’approcher des blessés, qui étaient toujours en vie et gémissaient. Il s’était retrouvé avec le fusil automatique dans les mains, mais ne se souvenait pas comment il l’avait reçu. Il avait ouvert le magasin de l’arme, où il n’avait vu aucune cartouche. Il ne restait plus qu’une cartouche dans le barillet. Immédiatement après la fusillade, un certain nombre de personnes du voisinage se rassemblèrent. Les sergents K. et S. emmenèrent les blessés à l’hôpital de Vratsa, alors que le commandant G. et le sergent N. restèrent sur place. MM. Angelov et Petkov décédèrent sur le trajet vers Vratsa. On constata leur décès à leur arrivée. La grand-mère de M. Angelov, Mme Tonkova, donna la version suivante des événements. Son petit-fils et M. Petkov se trouvaient dans sa maison lorsqu’ils avaient remarqué une jeep qui s’approchait. Mme Tonkova était sortie et avait vu quatre hommes en uniforme. Ils étaient tous entrés dans le jardin, l’un d’entre eux avait contourné la maison et commencé à tirer avec un fusil automatique pendant un très long moment. Les trois autres hommes étaient également armés mais n’avaient pas tiré. Elle s’était rendue dans la cour, et avait supplié l’homme qui tirait de s’arrêter. Celui-ci s’était toutefois dirigé vers l’arrière de la maison. Elle avait ensuite entendu des coups de feu dans le jardin de derrière. Elle l’avait suivi et avait alors vu son petit-fils et M. Petkov, blessés par balles, allongés dans le jardin du voisin. D’après un autre voisin, M. M.M., les trois policiers avaient tiré. Deux d’entre eux avaient tiré en l’air et le troisième – qui se trouvait sur le côté ouest de la maison (le commandant G.) – visait quelqu’un. M. M.M. avait entendu entre quinze et vingt coups de feu, peut-être plus. Il avait ensuite vu les policiers militaires se rendre dans le jardin voisin, où MM. Angelov et Petkov étaient tombés. Ce jardin appartenait à M. M.M. et à sa fille. Lorsqu’il avait vu son petit-fils – un jeune garçon – qui se tenait là, M. M.M. avait demandé au commandant G. l’autorisation de s’approcher pour aller le chercher. Le commandant G. avait pointé son fusil sur lui de façon brutale et l’avait insulté en criant : « maudits Tsiganes ! ». B. L’enquête sur les décès Le 19 juillet 1996, tous les militaires impliqués dans l’incident firent des rapports séparés sur les décès à l’unité de la police militaire de Vratsa. Aucun d’entre eux ne fut soumis à un alcootest. Une enquête pénale sur les décès fut ouverte le même jour et un magistrat instructeur militaire inspecta les lieux entre 16 heures et 16 h 30. Dans son rapport, il décrivit les lieux, y compris l’emplacement de la maison de Mme Tonkova, de la première clôture grillagée, ainsi que l’endroit où les douilles avaient été trouvées et les taches de sang relevées. Il indiqua que la première clôture grillagée était endommagée et qu’elle avait été arrachée à un endroit. Un croquis fut annexé au rapport. Il représentait le jardin de la maison de Mme Tonkova et le jardin voisin où MM. Angelov et Petkov étaient tombés. Les endroits où les douilles avaient été trouvées furent indiqués. Le croquis et le rapport ne faisaient état que de quelques mesures relevées dans les jardins. La pente et autres caractéristiques du terrain et des environs ne furent pas décrites. Neuf douilles furent récupérées. L’une fut trouvée dans la rue, devant la maison de Mme Tonkova (apparemment non loin de l’endroit où la jeep s’était arrêtée). Quatre furent découvertes dans la cour de Mme Tonkova, derrière la maison, près de la première clôture grillagée séparant son jardin de celui du voisin. Trois autres douilles furent trouvées dans le jardin du voisin (M. M.M.), près des taches de sang. Bien que la distance exacte entre ces douilles et les taches de sang ne fût pas indiquée, d’autres mesures figurant sur le croquis permettent de déduire qu’il s’agit de cinq à dix mètres. Une neuvième cartouche fut trouvée par la suite et remise à la police militaire par l’oncle de M. Angelov. L’endroit où elle fut découverte ne fut pas indiqué. Les taches de sang se trouvaient à un mètre les unes des autres. Sur le croquis, elles figuraient à un peu plus de neuf mètres de la première clôture grillagée. La distance entre les taches de sang et la deuxième clôture que MM. Angelov et Petkov avaient apparemment tenté d’escalader au moment des tirs n’était pas indiquée. Le magistrat instructeur recueillit des échantillons de sang. Le 21 juillet 1996, un médecin légiste procéda à une autopsie. Selon le rapport d’autopsie no 139/96, M. Petkov était décédé d’« une blessure à la poitrine », les tirs l’ayant atteint « à la poitrine ». La blessure fut décrite comme suit : « On relève une plaie de forme ovale de 2,5 cm sur 1 cm sur la poitrine, à 144 cm des pieds, avec des tissus manquants, et des bords déchiquetés et compressés dans la zone de l’épaule gauche. On relève une plaie de forme ovale de 3 cm dans le dos, à gauche de la ligne infrascapulaire, à une distance de 123 cm des pieds, avec des tissus manquants, des bords déchiquetés et déchirés vers l’extérieur. » Quant à M. Angelov, le rapport conclut que le décès était dû à « une blessure par balle, qui [avait] endommagé une artère » et que la balle avait été tirée « dans le dos ». Il était en outre précisé : « On relève une blessure ronde d’un diamètre d’environ 0,8 cm sur la gauche des fesses, à 90 cm des pieds (...) avec des tissus manquants, et des parois et bords déchiquetés (...) On constate, dans la partie basse [de l’abdomen], à une distance de 95 cm des pieds, légèrement à gauche du nombril, une plaie ovale de 2,1 cm avec des bords déchirés et déchiquetés et des parois ouvertes vers l’extérieur et des tissus manquants sur le bord. » Le rapport conclut que les blessures avaient été causées par des balles tirées d’une certaine distance avec un fusil automatique. Les 22, 23 et 24 juillet 1996, les quatre membres de la police militaire, deux voisins (M.M. et K.), le secrétaire qui travaillait à la mairie, et l’oncle de M. Angelov furent interrogés par le magistrat instructeur. La mère de M. Petkov fut également interrogée ultérieurement. Le 1er août 1996, le fusil automatique du commandant G., une cartouche trouvée dans ce fusil et les neuf douilles découvertes sur les lieux furent examinés par un expert en balistique de la direction régionale des affaires internes de Vratsa. D’après son rapport, le fusil automatique était en état de fonctionnement, les neuf cartouches recueillies avaient été tirées avec cette arme et la dernière cartouche, qui se trouvait dans le fusil, pouvait être tirée. Le rapport d’un médecin légiste daté du 29 août 1996 conclut que M. Petkov avait un taux d’alcool de 0,55 pour mille dans le sang de et M. Angelov un taux de 0,75 pour mille (en droit bulgare, le fait de conduire avec une alcoolémie supérieure à 0,5 pour mille constitue une infraction administrative). Le 20 septembre 1996, un examen médicolégal des taches de sang relevées sur les lieux fut effectué par un expert de la direction régionale des affaires internes de Vratza, lequel conclut que les groupes sanguins étaient les mêmes que ceux des victimes. Les 20 janvier et 13 février 1997, un autre voisin (M. T.M.) et Mme Hristova (une des requérantes) furent interrogés. Le 26 mars 1997, la grand-mère de M. Angelov et un voisin, Z., furent également interrogés. Le 7 janvier 1997, les familles de MM. Angelov et Petkov eurent accès au dossier de l’enquête. Ils sollicitèrent l’audition de trois autres témoins : T.M., Mme Tonkova et Z.H. Leur demande fut accueillie. Les témoins furent entendus par le magistrat instructeur les 20 janvier et 26 mars 1997. Les requérants ne demandèrent pas que d’autres éléments de preuve fussent recueillis. Le 31 mars 1997, le magistrat instructeur clôtura l’enquête préliminaire et établit le rapport final. Il nota que MM. Angelov et Petkov s’étaient évadés alors qu’ils purgeaient une peine de prison, et avaient donc commis une infraction. Le commandant G. avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour sauveur leur vie. Il leur avait ordonné de s’arrêter et de se rendre, et avait tiré des coups de feu en signe d’avertissement. Il avait visé les intéressés seulement après avoir constaté qu’ils continuaient de courir et risquaient de s’enfuir. Il n’avait pas cherché à blesser les organes vitaux. Le magistrat instructeur conclut donc que le commandant G. avait agi conformément à l’article 45 du règlement de la police militaire et, étant donné que le commandant G. n’avait commis aucune infraction, recommanda au parquet régional de Pleven de clôturer l’instruction. Le 8 avril 1997, le procureur militaire de Pleven accepta la recommandation du magistrat instructeur et clôtura l’enquête préliminaire sur les décès. Il conclut que le commandant G. avait agi conformément à l’article 45 du règlement de la police militaire. Il avait adressé plusieurs avertissements aux deux hommes et tiré des coups de feu en l’air. Il avait tiré sur les intéressés uniquement parce qu’ils ne s’étaient pas rendus et risquaient de s’enfuir. Il avait tenté d’éviter d’infliger des blessures mortelles. Aucune autre personne n’avait été blessée. Lorsqu’il décrivit la situation personnelle des victimes, notamment leur environnement familial, leur éducation et leurs condamnations antérieures, le procureur, dans sa décision, mentionna que les intéressés étaient tous deux issus de « familles appartenant à une minorité » – euphémisme souvent employé pour désigner les personnes de la minorité rom. Par une ordonnance du 11 juin 1997, le procureur du parquet des forces armées rejeta l’appel ultérieur des requérants au motif que MM. Angelov et Petkov avaient provoqué la fusillade en tentant de s’enfuir et que le commandant G. avait pris les mesures requises par la loi en pareille situation. Dès lors, l’usage des armes avait été légal en vertu de l’article 45 du règlement de la police militaire. Le 19 novembre 1997, le procureur du service de contrôle des enquêtes du parquet des forces armées rejeta un autre recours pour des motifs similaires à ceux invoqués par les autres procureurs. II. RAPPORTS D’ORGANISATIONS INTERNATIONALES SUR LES ALLÉGATIONS DE DISCRIMINATION À L’ÉGARD DES ROMS Le Rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne et ses Etats membres en 2002, établi par le réseau d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux à la demande de la Commission européenne, précise notamment que des abus policiers contre les Roms et des groupes similaires, y compris des violences physiques et un usage excessif de la force, ont été rapportés dans nombre d’Etats membres de l’Union européenne, y compris l’Autriche, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie et le Portugal. Au cours de ces quatre dernières années, dans ses rapports par pays, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe s’est déclarée préoccupée par la violence policière motivée par le racisme, en particulier à l’égard des Roms, dans un certain nombre de pays européens, dont la Bulgarie, la République tchèque, la France, la Grèce, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie. Dans son rapport de 2000 sur la Bulgarie, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) déclare notamment : « Un problème particulièrement préoccupant est la discrimination et les mauvais traitements pratiqués par la police pour ce qui concerne les membres de la communauté rom/tsigane. Le Comité pour la prévention de la torture (CPT) du Conseil de l’Europe constatait en mars 1997 que « les suspects délinquants privés de leur liberté par la police en Bulgarie courent un risque sérieux d’être maltraités au moment de leur arrestation et/ou de leur détention, et [...] font l’objet à l’occasion de mauvais traitements graves ou de tortures ». (...) [L]e « Human Rights Project » signale dans son rapport annuel pour 1998 de nombreux autres cas de comportements contestables de la police envers des membres de la communauté rom/tsigane. Sont citées parmi les violations les plus communes : l’utilisation d’une force physique excessive pendant la détention afin d’extorquer des renseignements ; l’utilisation non justifiée d’armes à feu ; des perquisitions à domicile menées sans mandat ; la destruction de biens privés et les menaces à la sécurité personnelle des personnes ayant porté plainte contre la police auprès des autorités compétentes.(...) Le « European Roma Rights Centre » signale que [les dispositions relatives à l’introduction de poursuites contre les auteurs d’actes de violence] ont été utilisées ces dernières années pour protéger les droits des Roms, mais que les condamnations restent isolées par rapport à l’ampleur du problème. Le « Human Rights Project » note dans son rapport annuel pour 1998 que la majorité des plaintes déposées par cette organisation non gouvernementale au nom de Roms victimes de violences policières n’ont pas été suivies d’effets. Dans l’état actuel des choses, les victimes semblent peu désireuses de porter plainte, notamment lorsqu’elles sont en attente d’être jugées, peut-être parce qu’elles ont l’impression que le fait de se plaindre pourrait aggraver leur situation devant les tribunaux. L’absence de confiance de la part des victimes quant à la possibilité d’obtenir réparation peut s’ajouter à une mauvaise volonté des autorités à reconnaître la réalité du problème que posent certains comportements contestables de la part de la police. Il semble donc qu’un premier pas serait de reconnaître publiquement que des problèmes existent dans ce domaine, et que la police et les responsables politiques s’engagent fermement à garantir que toute allégation de mauvais comportement ou d’acte délictueux de la part de la police fera rapidement l’objet d’une enquête rigoureuse et sera suivie d’effets. Dans son premier rapport, l’ECRI recommande la création d’un organe indépendant – au niveau central et local – chargé d’enquêter sur la police et sur les pratiques d’enquête et pénitentiaires en vue de déceler les formes latentes ou patentes de discrimination raciale et de veiller à ce que toute discrimination soit sévèrement punie. L’ECRI souhaiterait renouveler cette proposition. Un organe spécialisé pour combattre le racisme et la discrimination, comme préconisé plus haut, pourrait également jouer un rôle important à cet égard. (...) On signale également des cas de violence physique exercée dans les prisons bulgares sur les Roms/Tsiganes par des gardiens et autres responsables : à ce jour, aucune poursuite n’a été engagée pour mauvais traitements infligés par des personnels pénitentiaires. (...) L’ECRI est préoccupée par la persistance d’une discrimination répandue contre les membres de la communauté rom/tsigane en Bulgarie. (...) On signale que les collectivités locales sont parfois impliquées dans une administration illégale de la justice concernant les communautés roms/tsiganes, souvent avec la complicité silencieuse de la police locale. L’ECRI insiste pour que les autorités nationales ne tolèrent pas de telles formes de discrimination pratiquées par les collectivités locales. De ce point de vue, il est particulièrement important de veiller à ce que les politiques et la législation nationales contre la discrimination soient comprises et appliquées au niveau local. Il serait également souhaitable de sensibiliser les agents des collectivités territoriales à cette question et de lutter contre les préjugés. L’ECRI constate avec satisfaction que le gouvernement bulgare est disposé à s’attaquer à ces questions de discrimination. Il l’a démontré en adoptant en avril 1999 un « Programme-cadre pour l’intégration équitable des Roms dans la société bulgare ». Ce programme a été élaboré à l’initiative d’organisations roms/tsiganes et en concertation avec des représentants de toutes les associations de Roms en Bulgarie. (...) Ce document contient des stratégies destinées à réaliser l’égalité pour les Roms en Bulgarie, et pose comme problème principal le traitement discriminatoire dont sont victimes les Roms. » Dans leurs observations, les requérants invoquent également les constats d’organes spécialisés des Nations unies (paragraphe 153 ci-après). Des organisations non gouvernementales, telles que le Human Rights Project et Amnesty International, ont signalé ces dernières années de nombreux incidents de violences raciales alléguées à l’égard de Roms en Bulgarie, y compris par des agents des forces de l’ordre. III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Règlement non publié sur la police militaire, adopté par le ministère de la Défense le 21 décembre 1994 L’article 45 du règlement (article 45), tel qu’en vigueur à l’époque des faits, était ainsi libellé : « 1) Les membres de la police militaire peuvent faire usage d’armes à feu (...) dans les circonstances suivantes : (...) pour arrêter une personne servant dans l’armée, qui a commis ou est sur le point de commettre une infraction passible de poursuites à la diligence du procureur et qui ne se rend pas après avoir reçu une sommation (...) 2) Le recours à la force doit être annoncé par une sommation ou par un tir de semonce (...) 3) Lorsqu’ils utilisent des armes à feu, les membres de la police militaire ont l’obligation, dans la mesure du possible, de protéger la vie de la personne contre laquelle ils ont recours à la force et de secourir les blessés (...) 5) En cas d’utilisation d’armes à feu, un rapport décrivant les circonstances ayant entraîné pareil usage est établi ; [le rapport] est transmis aux supérieurs du militaire concerné. » En décembre 2000, l’article 45 du règlement a été remplacé par le décret no 7 du 6 décembre 2000 sur l’usage de la force et des armes à feu par la police militaire (publié au Journal officiel no 102/2000, modifié en 2001). Conformément à l’article 21 du décret, les armes à feu peuvent être utilisées notamment pour procéder à l’arrestation de toute personne qui a commis une infraction de la catégorie des infractions passibles de poursuites à la diligence du procureur. La plupart des infractions prévues par le code pénal relèvent de cette catégorie, à l’exception des infractions faisant l’objet de poursuites privées, telles que les lésions corporelles légères et certains types de diffamation. Toutefois, en vertu des articles 2, 4 § 1 et 21 du décret, la nature de l’infraction commise par la personne contre laquelle la force et les armes à feu sont utilisées et la personnalité du délinquant sont des facteurs à prendre en compte. En outre, la force et les armes à feu ne peuvent être utilisées qu’en dernier ressort, lorsque les buts poursuivis ne peuvent pas être atteints par d’autres moyens. Autres droit et pratique pertinents sur l’usage de la force au cours d’une arrestation L’article 12 du code pénal régit le degré de force pouvant être utilisé dans les situations de légitime défense. Il requiert essentiellement que tout acte accompli en état de légitime défense ou pour la défense d’autrui soit proportionné à la nature et à l’intensité de l’attaque et raisonnable compte tenu des circonstances. Cependant, cette disposition ne prévoit pas les cas où la force est utilisée par un policier ou une autre personne pour procéder à une arrestation, sans qu’il y ait eu agression de l’agent procédant à l’arrestation ou d’une tierce personne. Jusqu’en 1997, aucune autre disposition ne régissait cette question. Il apparaît toutefois que les tribunaux ont appliqué l’article 12 par analogie en quelques occasions. Pour combler cette lacune, la Cour suprême, dans sa décision interprétative no 12 rendue en 1973, a déclaré, sans autre précision, que le fait de causer un dommage pour effectuer une arrestation ne devrait pas entraîner des poursuites si la force utilisée n’était pas supérieure à celle qui était nécessaire (121973-PPVS). Dans sa décision no 15 du 17 mars 1995, la Cour suprême, tout en constatant que le recours à la force en vue de procéder à une arrestation n’était pas réglementé par la loi, ce qui était source de difficultés pour les tribunaux, a estimé que les principes à appliquer étaient ceux qui avaient été identifiés par la doctrine. En particulier, le fait de causer un dommage ne se justifierait que s’il y avait des raisons plausibles de soupçonner que la personne devant être arrêtée avait commis une infraction, s’il n’existait aucun autre moyen de procéder à l’arrestation et si le dommage causé était proportionné à la gravité de l’infraction. La Cour suprême a également déclaré : « (...) [Causer un dommage à l’auteur d’une infraction en vue de procéder à son arrestation] doit être un acte de dernière extrémité. Si l’auteur de l’infraction ne tente pas de fuir ou (...) tente de fuir, mais dans un endroit connu, il ne se justifie pas de lui causer un dommage (...) Le dommage causé doit être proportionné à la gravité (...) de l’infraction. Si le délinquant a commis une infraction constituant un danger insignifiant pour le public, sa vie et sa santé ne sauraient être mises en danger. Il pourrait se justifier, toutefois, de mettre la vie ou la santé d’une personne en péril lorsque celle-ci se cache après avoir commis une infraction grave (par exemple un meurtre, un viol ou un vol qualifié). Les moyens utilisés pour procéder à l’arrestation (et le dommage causé) doivent être raisonnables. Il s’agit là de la principale condition de la légalité (...) Lorsque le dommage causé dépasse ce qui était nécessaire (...), c’est-à-dire lorsqu’il ne correspond pas à la gravité de l’infraction et aux circonstances ayant entouré l’arrestation, (...) son auteur est passible de poursuites (...) » En 1997, le Parlement a décidé de combler la lacune législative en ajoutant un nouvel article 12 a) au code pénal. Cette disposition énonce que le fait de causer un dommage à l’auteur d’une infraction lors de son arrestation n’est pas punissable lorsqu’il n’existait aucun autre moyen de procéder à l’arrestation et que la force utilisée était nécessaire et légale. La force employée n’est pas considérée comme « nécessaire » lorsqu’elle n’est manifestement pas proportionnée à la nature de l’infraction commise par la personne en état d’arrestation ou est en soi excessive et inutile. Peu de jugements interprétant l’article 12 a) ont été signalés. Le code de procédure pénale L’article 192 énonce que l’action publique ne peut déclenchée que par un procureur et un magistrat instructeur, qui agissent à la suite d’une plainte ou de leur propre initiative. D’après l’article 237 § 6, tel que libellé avant le 1er janvier 2000, la victime pouvait interjeter appel d’une décision de classement sans suite devant un procureur de rang supérieur. La victime ne disposait d’aucun autre moyen de contester un refus d’engager des poursuites. Lorsque les tribunaux militaires ont compétence pour connaître d’une affaire, par exemple lorsqu’elle concerne un membre de la police militaire, la conduite de l’enquête et des poursuites relève de la responsabilité des magistrats instructeurs et des procureurs militaires, dont les décisions sont susceptibles d’appel devant le procureur général. L’article 63 autorise les victimes d’une infraction à se constituer partie civile et, dans ce contexte, à réclamer des dommages-intérêts, examiner le dossier et faire des copies des documents pertinents, apporter des éléments de preuve, soulever des exceptions, présenter des demandes et interjeter appel des décisions des autorités d’instruction et de poursuite. La nouvelle loi sur la protection contre la discrimination La loi sur la protection contre la discrimination, adoptée en septembre 2003, est entrée en vigueur le 1er janvier 2004. Il s’agit d’une législation exhaustive qui a pour but de créer un mécanisme offrant une protection effective contre la discrimination illégale. Elle s’applique principalement dans les domaines des relations de travail, de l’administration d’Etat et des prestations de service. L’article 9 prévoit un renversement de la charge de la preuve dans les affaires de discrimination. D’après cette disposition, lorsque le demandeur prouve des faits permettant de conclure à l’existence d’un traitement discriminatoire, il incombe au défendeur d’établir qu’il n’y a pas eu violation du droit à l’égalité de traitement. La loi prévoit également la création d’une commission pour la protection contre la discrimination, qui est notamment compétente pour examiner les plaintes présentées par des particuliers. IV. LES DISPOSITIONS PERTINENTES DU DROIT INTERNATIONAL ET DU DROIT COMPARÉ A. Les principes des Nations unies Les principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (les principes des Nations unies sur le recours à la force et aux armes à feu) ont été adoptés le 7 septembre 1990 par le huitième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants. Le principe 9 énonce : « Les responsables de l’application des lois ne doivent pas faire usage d’armes à feu contre des personnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines, ou pour procéder à l’arrestation d’une personne présentant un tel risque et résistant à leur autorité, ou l’empêcher de s’échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pour atteindre ces objectifs. Quoi qu’il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l’usage meurtrier d’armes à feu que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines. » Selon d’autres dispositions des principes, l’action des responsables de l’application des lois « sera proportionnelle à la gravité de l’infraction et à l’objectif légitime à atteindre » (principe 5). En outre, « les gouvernements feront en sorte que l’usage arbitraire ou abusif de la force ou des armes à feu par les responsables de l’application des lois soit puni comme une infraction pénale » (principe 7). La réglementation nationale régissant l’usage des armes à feu doit « assurer que les armes à feu ne sont utilisées que dans des circonstances appropriées et de manière à minimiser le risque de dommages inutiles ». Le principe 23 dispose que les victimes ou leur famille doivent avoir accès à une procédure indépendante, « en particulier à une procédure judiciaire. » En outre, le principe 24 énonce : « Les pouvoirs publics et les autorités de police doivent faire en sorte que les supérieurs hiérarchiques soient tenus pour responsables si, sachant ou étant censés savoir que des agents chargés de l’application des lois placés sous leurs ordres ont ou ont eu recours à l’emploi illicite de la force ou des armes à feu, ils n’ont pas pris toutes les mesures en leur pouvoir pour empêcher, faire cesser ou signaler cet abus. » Les principes des Nations unies relatifs à la prévention efficace des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et aux moyens d’enquêter efficacement sur ces exécutions, adoptés le 24 mai 1989 par le Conseil économique et social dans sa résolution 1989/65, disposent notamment qu’une enquête approfondie et impartiale sera promptement ouverte dans tous les cas où l’on soupçonnera des exécutions extrajudiciaires, arbitraires et sommaires et que l’enquête aura notamment pour objet de déterminer « toute pratique pouvant avoir entraîné le décès, ainsi que tout ensemble de faits se répétant systématiquement ». Le principe 11 prévoit : « Lorsque les procédures d’enquête établies seront inadéquates, soit que les compétences techniques ou l’impartialité nécessaires fassent défaut, soit que la question soit trop importante, soit encore que l’on se trouve en présence manifestement d’abus systématiques, lorsque la famille de la victime se plaint de ces insuffisances ou pour toute autre raison sérieuse, les pouvoirs publics feront poursuivre l’enquête par une commission d’enquête indépendante ou par un organe similaire. Les membres de cette commission seront choisis pour leur impartialité, leur compétence et leur indépendance personnelle. Ils seront, en particulier, indépendants à l’égard de toute institution ou personne qui peut faire l’objet de l’enquête. La commission aura tout pouvoir pour obtenir tout renseignement nécessaire à l’enquête et elle mènera l’enquête en application des présents Principes. » Le principe 17 dispose : « Un rapport écrit sera établi dans un délai raisonnable sur les méthodes et les conclusions de l’enquête. Il sera rendu public immédiatement et comportera une description de l’enquête et des procédures et méthodes utilisées pour apprécier les éléments de preuve, ainsi que des conclusions et recommandations fondées sur des constatations et sur la loi applicable (...) ». B. La jurisprudence du Comité des Nations unies contre la torture (CAT) Dans sa décision du 21 novembre 2002, le Comité, saisi de la requête no 161/2000 présentée par Hajrizi Dzemajl et consorts contre Yougoslavie, a estimé que les motifs des habitants non roms de Danilovgrad, Monténégro, qui ont détruit un quartier rom au cours d’une émeute le 14 avril 1995 en présence de policiers « étaient en grande partie raciaux ». Ce fait aggravait la violation de l’article 16 § 1 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans cette affaire. Dans son appréciation des éléments de preuve, le CAT a constaté qu’il n’avait obtenu aucune explication écrite de l’Etat partie concerné et a décidé de se fonder sur « les mémoires détaillés des requérants ». C. Les directives de l’Union européenne sur la discrimination La directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail énoncent dans leurs article 8 et article 10 respectivement : « 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires conformément à leur système judiciaire, afin que, dès lors qu’une personne s’estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l’égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. Le paragraphe 1 ne fait pas obstacle à l’adoption par les Etats membres de règles de la preuve plus favorables aux plaignants. Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux procédures pénales. (...) Les Etats membres peuvent ne pas appliquer le paragraphe 1 aux procédures dans lesquelles l’instruction des faits incombe à la juridiction ou à l’instance compétente. » Les préambules à ces directives disposent notamment que les règles nationales relatives à l’appréciation des faits peuvent prévoir que la discrimination indirecte peut être établie par tous les moyens, y compris sur la base de données statistiques. D. L’article 132-76 du code pénal français Cette disposition, qui a été introduite en février 2003, prévoit : « Dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l’infraction est commise à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance,vraie ou supposée, de la victime à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque l’infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, images, objets ou actes de toute nature portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la victime ou d’un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. »
0
0
0
1
1
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La maison d'édition Belge Uluslararası Yayıncılık (BUY), dont la requérante était propriétaire et éditrice à l'époque des faits, assura la publication d'un livre intitulé « Notre Ferhat, l'anatomie d'un meurtre » (« Bizim Ferhat, bir cinayetin anatomisi »). L'ouvrage était un recueil d'articles dans lequel l'auteur relatait le meurtre de Ferhat Tepe, journaliste au quotidien Özgür Gündem. Le 12 octobre 1994, à la demande du procureur de la République près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul (« la cour de sûreté de l'Etat »), le juge assesseur de cette même juridiction rendit une ordonnance de référé sur la saisie du livre en question sur le fondement de l'article 86 du code de procédure pénale au motif qu'il contenait de la propagande séparatiste. Le même jour, deux policiers se rendirent dans les bureaux de la société requérante afin de notifier l'ordonnance de saisie. Ils procédèrent à la saisie de cinq exemplaires. Le 21 octobre 1994, la cour de sûreté de l'Etat écarta l'opposition formée par la requérante contre l'ordonnance de saisie. Le 28 octobre 1994, le procureur de la République inculpa la requérante, en sa qualité de propriétaire des éditions BUY et d'éditrice du livre incriminé, du chef de propagande séparatiste sur le fondement de l'article 8 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme. Devant la cour de sûreté de l'Etat, la requérante réfuta les accusations à son encontre et fit valoir qu'elle avait assuré la publication de l'ouvrage litigieux estimant que son contenu ne justifiait pas de mesures de répression. En outre, elle plaida notamment que les passages retenus par le procureur de la République ne sauraient aucunement passer pour de la propagande séparatiste, et qu'à supposer même que l'on pût y voir une critique à l'endroit du régime actuel de l'Etat, celle-ci serait du droit de tout citoyen. Par un arrêt du 29 décembre 1995, la cour de sûreté de l'Etat condamna la requérante à six mois d'emprisonnement et une amende de 50 000 000 livres turques (TRL) sur le fondement de l'article 8 § 2 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, modifié par la loi no 4126. Tenant compte de circonstances atténuantes, la cour réduisit la peine d'emprisonnement à cinq mois et commua celle-ci en une amende de 42 000 000 TRL. Elle ordonna enfin la confiscation de l'ouvrage litigieux. La cour de sûreté de l'Etat releva que l'auteur désignait une région particulière de la Turquie comme étant le « Kurdistan » et identifiait les mouvements insurrectionnels dans cette région à une lutte nationale kurde. Elle considéra que l'ouvrage, pris dans son ensemble, contenait de la propagande séparatiste. Elle en cita les passages suivants : Page 5 : « (...) les violations des droits de l'homme au Kurdistan et en Turquie, des tortures infligées lors de l'évacuation des villages et le nombre des exécutions extrajudiciaires fait accroître le dossier d'accusation de l'Etat. » Page 6 : « Comme le démontre d'ailleurs les évolutions récentes, ce système, qui ne voit en lui que le droit de vivre dans ce pays, n'octroyant aux Kurdes ce droit que dans la mesure de leur servilité, qui leur impose par la force de ne pas utiliser leur droit pour maintenir leur culture et leur langue maternelle, ne pourra pas survivre longtemps. » Page 10 : « Ceux qui, aujourd'hui, au Kurdistan, bombardent les villages, brûlent les champs, tuent les bébés dans leurs berceaux, essaient d'expulser les gens de leurs provinces, les torturent, tirent sur eux en tendant des embuscades, dans la nuit noire kidnappent et tuent les personnes qui n'ont qu'un souci : la liberté, savent-ils dans quelles pages de l'histoire ils se trouveront ? (...) » Page 14 : « Les prisons sont remplies de forces révolutionnaires, des Kurdes qui essaient de promouvoir leur lutte nationale et des intellectuels qui essaient d'informer les gens à l'aide de leur plume. » Par un arrêt du 11 mars 1997, la Cour de cassation confirma l'arrêt de première instance. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l'époque des faits sont décrits dans les arrêts İbrahim Aksoy c. Turquie (nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97, §§ 41-42, 10 octobre 2000), Özel c. Turquie (no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002). L'article 8 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme a été abrogé par la loi no 4928 du 19 juin 2003. L'article 28 § 5 de la Constitution se lit ainsi : « (...) Quiconque écrit, imprime, fait imprimer ou communiquer tout type d'information ou d'article menaçant la sécurité interne ou externe et l'intégrité indivisible de l'Etat avec son territoire et sa nation ou incitant à la perpétration d'infractions, à la rébellion ou à l'insurrection ou concernant les renseignements secrets relatifs à l'Etat est tenu responsable en vertu de la législation relative à ces infractions. La diffusion peut être empêchée à titre préventif par une décision rendue par le juge ou, s'il y a péril en la demeure, sur un ordre de l'autorité expressément habilitée par la loi. L'autorité informe le juge compétent de sa décision dans les vingt-quatre heures. Lorsque le juge compétent ne confirme pas ladite décision dans les quarante-huit heures, elle est considérée comme nulle. (...). » L'article 86 du code de procédure pénale dispose que des publications peuvent être saisies sur décision du juge après l'ouverture d'une enquête ou de poursuites en raison des infractions définies par la loi.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Né en 1959, le requérant se trouve actuellement détenu dans un établissement de soins aux Pays-Bas. Entre 1975 et 1995, il fut condamné à dix-neuf reprises pour vol (diefstal), destruction de biens (vernieling), voies de fait (mishandeling) et voies de fait aggravées (zware mishandeling). Le 21 janvier 1997, le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Arnhem le condamna pour des voies de fait et des voies de fait aggravées commises en 1996. Considérant qu’à l’époque de la commission des infractions le requérant était capable de comprendre la nature illégale de ses actes mais que ses facultés mentales étaient tellement peu développées qu’il ne pouvait être jugé responsable de ces infractions que dans une mesure limitée, le tribunal d’arrondissement infligea à l’intéressé une peine de quinze mois d’emprisonnement assortie d’une ordonnance de mise à disposition (terbeschikkingstelling – ci-après « ordonnance TBS ») avec internement dans un établissement de soins (met bevel tot verpleging van overheidswege – ci-après « internement dans un établissement TBS »). Le 16 septembre 1997, la cour d’appel (gerechtshof) d’Arnhem confirma le jugement rendu par le tribunal d’arrondissement le 21 janvier 1997. Le requérant, qui avait d’abord saisi la Cour de cassation (Hoge Raad) d’un pourvoi contre l’arrêt du 16 septembre 1997, se désista de ce recours le 5 février 1998, date à laquelle, sa peine d’emprisonnement purgée, l’ordonnance TBS prit effet. Il ne fut toutefois pas directement interné dans un établissement TBS mais fut placé en détention transitoire dans une maison d’arrêt (huis van bewaring) ordinaire. Le 7 août 1998, la requérant saisit la commission de recours (beroepscommissie) de la section des internements du Conseil central de l’application du droit pénal (Centrale Raad voor Strafrechtstoepassing) d’un recours contre la prolongation apparemment automatique pour trois mois de la période de six mois de détention transitoire visée à l’article 12 de la loi définissant dans leurs principes les soins à apporter aux personnes internées (Beginselenwet verpleging ter beschikking gestelden ; ci-après : « la loi de 1997 »). Il soulignait que ladite période de six mois avait expiré, qu’il n’avait reçu du ministre de la Justice aucune notification écrite l’avertissant que sa détention transitoire serait prolongée de trois mois, et qu’apparemment la procédure de sélection de l’établissement TBS le plus adapté pour l’accueillir n’avait pas encore démarré. Entre le 11 septembre et le 11 novembre 1998, le requérant séjourna à l’institut du docteur F.S. Meijers aux fins de détermination de l’établissement TBS le plus approprié pour lui. Le 5 novembre 1998, il protesta devant la commission de recours contre la deuxième prolongation apparemment automatique pour une durée de trois mois de sa détention transitoire, l’invitant à suspendre la deuxième demande de prolongation. Le 10 novembre 1998, le ministre de la Justice déposa devant la commission de recours des observations écrites en réponse à celles soumises par le requérant. Le 11 novembre 1998, le président de la commission de recours rejeta la demande du requérant tendant au sursis à l’exécution de la décision prise par le ministre le 2 novembre 1998 de prolonger de trois mois la détention transitoire du requérant à la maison d’arrêt. Tenant compte du fait qu’au moment de la décision le requérant avait passé huit mois à attendre son internement dans un établissement TBS et que d’après le rapport médical du 15 octobre 1998 il n’y avait apparemment aucune nécessité médicale urgente justifiant l’internement de l’intéressé dans pareil établissement, le président de la commission de recours conclut qu’il n’y avait aucun intérêt impérieux exigeant qu’il fût sursis à l’exécution de la décision du ministre. Le 28 janvier 1999, le requérant contesta la troisième prolongation apparemment automatique pour une durée de trois mois de sa détention transitoire. Le 15 février 1999, le ministre informa l’intéressé qu’il ne pouvait toujours pas être placé dans un établissement TBS et que sa détention transitoire avait été prolongée pour une nouvelle période de trois mois, c’est-à-dire du 31 janvier au 30 avril 1999. Le 10 mars 1999, après qu’une audience se fut tenue le 19 janvier 1999, la commission de recours rendit sa décision sur les recours formés par le requérant contre la première et la deuxième prolongation automatique de sa détention transitoire. Les parties pertinentes en l’espèce de cette décision étaient ainsi libellées : « 1. Les décisions attaquées 1 Le ministre n’a pas prolongé avant le 4 août 1998 le délai dans lequel l’appelant aurait dû être placé dans un établissement TBS. En application de l’article 12 § 3 de la loi [de 1997], cette omission doit être considérée comme une décision de prolonger ledit délai. 2 Le ministre n’a pas prolongé avant le 2 novembre 1998 le délai dans lequel l’appelant aurait dû être placé dans un établissement TBS. En application de l’article 12 § 3 de la loi [de 1997], cette omission doit être considérée comme une décision de prolonger ledit délai. (...) Les faits (...) L’ordonnance TBS visant l’appelant a pris effet le 5 février 1998. Depuis lors, et dans l’attente de son internement dans un établissement TBS, l’intéressé a séjourné à titre transitoire dans la maison d’arrêt de G. Par une lettre du 2 septembre 1998, le ministre a fait savoir à l’appelant qu’il ne pouvait pas encore être placé dans un établissement TBS et que la période qu’il pouvait passer dans une maison d’arrêt (la période transitoire) dans l’attente de son internement était d’office et à compter du 4 août 1998 prolongée d’une période de trois mois expirant le 2 novembre 1998 (...) L’appelant a été entendu par un consultant pénitentiaire le 16 octobre 1998. Par une lettre du 2 novembre 1998, le ministre a avisé l’appelant qu’il ne pouvait toujours pas être placé dans un établissement TBS et que la période transitoire précédant son internement était prolongée du 2 novembre 1998 au 31 janvier 1999. Du 11 septembre 1998 au 11 novembre 1998, l’appelant a été admis aux fins de sélection dans l’institut du docteur F.S. Meijers à Utrecht. Les responsables de la sélection ont alors décidé qu’il serait envoyé dans l’établissement X à Y. Le service psychiatrique de l’arrondissement d’Utrecht a fourni au sujet de l’état psychique de l’appelant un avis médical daté du 15 octobre 1998, qui a été complété par un rapport du 16 octobre 1998. Thèses défendues par les parties (...) Se référant à la note rédigée par un commentateur à propos de l’arrêt [Bizzotto c. Grèce] rendu par la Cour européenne des Droits de l’Homme le 15 novembre 1996 (Nederlandse Jurisprudentie 1998, no 203), le conseil de l’appelant estime (...) qu’il y a violation de l’article 5 de la Convention dès lors que le délai de six mois est dépassé. (...) [Le ministre] fait observer, en ce qui concerne l’invocation par l’appelant de l’article 5 de la Convention, que les ordonnances TBS visent premièrement à assurer la sécurité de la société et deuxièmement à assurer le traitement des personnes concernées. La jurisprudence de la Cour de cassation implique que l’exécution d’une ordonnance TBS ne constitue pas une privation illégale de liberté. Il peut en revanche y avoir lieu à octroi de dommages-intérêts lorsque l’aspect traitement fait défaut. Lorsqu’un recours est accueilli par la commission de recours, l’aspect traitement est automatiquement réputé faire défaut à compter de la date d’expiration pertinente. L’appréciation (...) 5.2.1 Pour l’appréciation du bien-fondé du recours, il y a lieu tout d’abord de poser ce qui suit. Compte tenu de la genèse de l’article 12 de la loi [de 1997], il faut supposer que le législateur a entendu permettre en principe au ministre, en cas de manque de places disponibles dans les établissements TBS, de prolonger aussi souvent que nécessaire pour une période de trois mois le délai de six mois, fixé au paragraphe 1 de ladite disposition, dans lequel une personne visée par une ordonnance TBS doit être placée dans un établissement de soins. Pareille décision de prolongation prise par le ministre à raison d’un manque de places disponibles dans les établissements de soins ne constitue dès lors pas un motif automatique de déclarer le recours bien fondé. (...) 2.3 (...) Pour statuer sur les recours formés par les personnes sous le coup d’une ordonnance TBS contre les décisions de prolongation de leur détention transitoire prises par le ministre, la commission de recours doit disposer à tout le moins d’informations, qui doivent lui être communiquées par le ministre ou en son nom, concernant : – la capacité disponible ou le manque de places disponibles dans les établissements TBS à l’époque de l’adoption de la décision de prolongation de la période transitoire, ainsi que les prévisions pouvant être faites à ce sujet pour la période de trois mois suivant la décision ; – une indication de la durée moyenne des séjours transitoires en maison d’arrêt à l’époque de l’adoption de la décision de prolongation de la période transitoire ; – le rapport pro justitia relatif à l’état psychique de la personne concernée et une attestation établie par un médecin concernant la question de savoir si cette personne peut ou non, eu égard à son état psychique, continuer à séjourner de manière transitoire dans une maison d’arrêt. 2.4 Le ministre est tenu de prendre avant l’expiration de la période transitoire visée à l’article 12 de la loi de [1997] une décision sur la prolongation de la période en question et de respecter à cet égard les prescriptions procédurales fixées aux articles 53 § 2 a) de la loi [de 1997] – l’obligation d’entendre la personne concernée – et 54 § 2 de la même loi – l’obligation d’informer la personne concernée. Ces prescriptions sont d’une importance essentielle pour la situation juridique de la personne censée être internée, et le ministre est donc tenu de les respecter lorsqu’il s’agit pour lui de décider s’il convient ou non de prolonger la période transitoire. (...) 3 L’invocation de l’article 5 de la Convention n’est pas fondée. En effet, le placement à titre transitoire dans une maison d’arrêt d’une personne sous le coup d’une ordonnance TBS repose sur la décision juridictionnelle ayant émis cette ordonnance, tandis que l’article 9 § 1 b) de la loi sur les prisons (Beginselenwet Gevangeniswezen) dispose que les maisons d’arrêt sont destinées à accueillir les personnes « qui ont été privées de leur liberté par décision de justice (...) pour autant (...) et aussi longtemps que leur admission dans l’établissement qui leur est destiné n’est pas possible ». 4.1 Pour autant que le recours est dirigé contre la prolongation de la période transitoire du 4 août 1998 au 2 novembre 1998, la commission de recours formule les considérations qui suivent. 4.2 De l’examen effectué dans la présente affaire il est apparu que le ministre n’a pas pris avant l’expiration de la période transitoire une décision concernant la prolongation de cette période. L’appelant n’a pas davantage été entendu au sujet de cette question. L’invocation par le ministre de l’exception prévue à l’article 53 § 4 a) de la loi [de 1997] relativement à la possibilité de ne pas entendre la personne concernée en cas d’urgence n’est pas fondée. La disposition en cause n’est pas applicable, dès lors qu’en l’espèce il n’y a pas eu d’incident soudain exigeant l’adoption d’une mesure immédiate qui aurait empêché d’entendre la personne intéressée. La commission de recours estime dans ces conditions que (...) le recours est fondé et que (...) la décision [implicite] du ministre de prolonger la période transitoire doit être annulée pour vices de forme. 4.3. La commission de recours estime que l’appelant doit se voir allouer une certaine compensation pour l’incertitude dans laquelle il a été tenu du fait de l’attitude du ministre visée au point 5.4.2 (...). Après avoir entendu le ministre à cet égard, la commission de recours fixe cette compensation à 100 florins néerlandais (NLG). 4.4 Etant donné que le ministre n’a pas adressé à l’appelant une notification écrite distincte de la prolongation ici en cause, mais que par une notification du 2 novembre 1998 il a avisé l’intéressé de la nouvelle prolongation de la période transitoire après l’avoir entendu au sujet de cette question, la commission de recours n’imposera pas au ministre de prendre une nouvelle décision concernant la période visée au point 1.1, mais examinera s’il y a par ailleurs des motifs de fond d’annuler la décision (...). La commission de recours renvoie à cet égard aux considérations formulées sous le point 5.6 ci-dessous. 5.1 Pour autant que le recours est dirigé contre la prolongation de la période transitoire du 2 novembre 1998 au 30 janvier 1999, la commission de recours formule les considérations qui suivent. 5.2 De l’examen de la présente affaire il est apparu que le ministre n’a pas pris avant l’expiration de la période transitoire une décision concernant la prolongation de cette période. La commission de recours estime qu’il en résulte (...) que le recours est fondé et que (...) la décision [implicite] du ministre de prolonger la période transitoire doit être annulée pour ce vice de forme. 5.3 La commission de recours estime que l’appelant doit se voir allouer une certaine compensation pour l’incertitude dans laquelle il a été tenu du fait de l’attitude du ministre visée au point 5.5.2 ci-dessus (...). Après avoir entendu le ministre à cet égard, la commission de recours fixe cette compensation à 100 NLG. 6 L’examen de la présente affaire a permis d’établir de manière suffisante qu’en raison d’un manque de places l’appelant n’a pas encore été placé dans un établissement TBS. Il a par ailleurs été suffisamment établi qu’en adoptant ses décisions en la matière le ministre ne s’est pas écarté de sa politique consistant à fixer l’ordre de succession des placements en établissement TBS en fonction des dates de prise d’effet des ordonnances d’internement. 7 La durée totale du séjour de l’appelant au sein d’une maison d’arrêt dans l’attente de son internement dans un établissement TBS était, au moment des décisions attaquées, pas encore d’une longueur telle que ces décisions de prolongation de la période transitoire doivent être jugées déraisonnables ou inéquitables eu égard à l’ensemble des intérêts en cause. 8 Il ressort de l’attestation médicale établie par le service psychiatrique de l’arrondissement d’Utrecht le 16 octobre 1998 que l’état psychique de l’appelant à ce moment n’était pas de nature à faire considérer qu’une prolongation du séjour de l’intéressé en maison d’arrêt était irresponsable. Tout en estimant hautement souhaitable qu’en cas de décisions de prolongation successives le ministre soumette chaque fois des rapports médicaux actualisés, la commission de recours estime qu’en ce qui concerne les présents recours elle peut se satisfaire de l’attestation médicale qui fut établie peu de temps avant la deuxième prolongation. Du rapport établi à l’issue de la procédure de sélection qui eut lieu au cours de la période du 11 septembre 1998 au 11 novembre 1998 (et qui chevauchait donc partiellement les deux périodes de prolongation incriminées) il n’apparaît pas que l’appelant fût inapte à être détenu pendant la période au cours de laquelle il séjourna à l’institut du docteur F.S. Meijers. 9 Eu égard aux considérations ci-dessus, la commission de recours estime que les décisions incriminées ne sont pas contraires à la substance de la loi de [1997] et que le délai dans lequel l’appelant aurait dû être interné dans un établissement TBS devait être prolongé du 4 août 1998 au 2 novembre 1998 et du 2 novembre 1998 au 31 janvier 1999. 10 Dès lors que les décisions attaquées doivent être annulées pour vices de forme, la commission de recours décide, en application de l’article 66 § 3 b) combiné avec l’article 69 § 5 de la loi [de 1997], que sa décision relative aux prolongations de la période transitoire doit se substituer aux décisions attaquées. (...) » La décision de la commission de recours était insusceptible d’appel. Le 22 avril 1999, le ministre de la Justice décida de prolonger la détention transitoire du requérant pour une nouvelle période de trois mois commençant le 1er mai 1999. Le requérant attaqua cette décision devant la commission de recours le 4 mai 1999. Il fut admis dans un établissement TBS le 17 mai 1999. Le 15 juin 1999, après qu’une audience se fut tenue le 19 avril 1999, la commission de recours annula la décision du ministre de prolonger la détention transitoire du requérant du 31 janvier au 30 avril 1999 pour des vices de forme tenant au fait que le ministre ne s’était pas conformé aux prescriptions de l’article 53 § 2 a) et de l’article 54 § 2 de la loi de 1997. Considérant également que la durée totale de la détention transitoire du requérant ne pouvait, compte tenu de l’ensemble des intérêts en cause, passer pour avoir été tellement longue qu’elle dût être qualifiée de déraisonnable ou d’inéquitable, et n’ayant constaté aucun élément indiquant que l’état mental du requérant exigeât un placement prioritaire de l’intéressé dans un établissement TBS, la commission de recours jugea que la décision attaquée ne devait pas être annulée pour méconnaissance de la substance de la loi de 1997. Jugeant que la détention transitoire du requérant devait se prolonger jusqu’au 30 avril 1999, elle décida par ailleurs de substituer à la décision du ministre sa propre décision de prolonger la détention transitoire du requérant du 31 janvier au 30 avril 1999. Elle alloua à l’intéressé une somme de 100 NLG à titre de compensation pour les vices procéduraux dont était entachée la décision du ministre. Pour autant que le requérant avait soutenu que sa détention transitoire était contraire à l’article 5 de la Convention, la commission de recours s’exprima comme suit : « L’invocation de l’article 5 de la Convention est dépourvue de fondement. En effet, le placement à titre transitoire dans une maison d’arrêt d’une personne sous le coup d’une ordonnance TBS repose sur la décision judiciaire ayant imposé l’internement, tandis qu’en vertu de l’article 9 § 1 b) de la loi sur les prisons, qui a produit ses effets jusqu’au 1er janvier 1999, et de l’article 9 § 2 f) de la [nouvelle] loi sur les prisons [de 1999] telle qu’elle s’applique depuis ladite date, les personnes sous le coup d’une ordonnance TBS peuvent être détenues dans une maison d’arrêt aussi longtemps que leur admission dans l’établissement qui leur est destiné n’est pas possible. En vertu de l’article 12 de la loi de 1997, la durée de pareil séjour dans une maison d’arrêt peut, après une période de six mois, être prolongée de trois mois en trois mois. » Le 11 novembre 1999, après qu’une audience se fut tenue le 17 septembre 1999, la commission de recours se prononça sur le recours formé par le requérant le 4 mai 1999. Après avoir estimé établi que, contrairement à ce qu’exigeait l’article 53 § 2 de la loi de 1997, le requérant n’avait pas été entendu avant l’adoption de la décision, la commission de recours considéra que ce vice de procédure justifiait à lui seul l’annulation de la décision incriminée. Elle jugea de surcroît que, pour des motifs de fond également, la décision du 22 avril 1999 devait être annulée dès lors qu’à l’expiration de la prolongation décidée, le requérant aurait passé plus de quinze mois en détention transitoire. Après mise en balance de tous les intérêts pertinents, elle considéra qu’une période de plus de quinze mois devait être jugée déraisonnable et inéquitable. Elle alloua au requérant 100 NLG de compensation pour les vices procéduraux dont la décision était entachée et 1 250 NLG pour les seize jours qu’il avait passés en détention transitoire en vertu de la décision du 22 avril 1999. Le 18 février 2000, le tribunal d’arrondissement (arrondissementsrechtbank) d’Arnhem prolongea de deux ans la durée de validité de l’ordonnance TBS. Le requérant attaqua cette décision devant la cour d’appel d’Arnhem, qui le débouta le 13 novembre 2000 par une décision insusceptible de recours. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Les dispositions pertinentes du code pénal (Wetboek van Strafrecht) néerlandais tel qu’il était en vigueur à l’époque des faits sont ainsi libellées : « Article 13 Une personne condamnée à une peine d’emprisonnement et qui, du fait que ses facultés mentales présentent un développement déficient ou des troubles pathologiques, entre en ligne de compte pour pareille mesure peut être internée dans un établissement judiciaire (justitiële inrichting) de soins (verpleging) pour personnes faisant l’objet d’une ordonnance TBS ; en pareil cas, les articles 37 c), 37 d) et 37 e) s’appliquent par analogie. (...) Article 37 Le juge peut ordonner qu’un individu qui, du fait que ses facultés mentales présentent un développement déficient ou des troubles pathologiques, ne peut se voir imputer une infraction soit placé dans une clinique psychiatrique (plaatsing in een psychiatrisch ziekenhuis) pour une période d’un an, mais uniquement si l’intéressé représente un danger pour lui-même, pour autrui ou pour la sécurité générale des personnes ou des biens. (...) Article 37 a) Le juge peut prendre une ordonnance de mise à disposition (terbeschikkingstelling – ci-après « ordonnance TBS ») à l’égard d’un suspect dont les facultés mentales présentaient au moment des faits un développement déficient ou des troubles pathologiques : 1o si le fait commis par l’intéressé constitue un délit passible en vertu de la loi d’une peine d’emprisonnement de quatre ans ou plus, s’il fait partie des délits définis aux articles 132, 285 § 1, 285 b), 318, 326 a) ou 395 du code pénal, à l’article 175, alinéa 2 du code de la route de 1994, ou à l’article 11, alinéa 2 de la loi sur l’opium, ou s’il constitue l’infraction définie à l’article 432 sous 3o du code pénal, et 2o si la mesure en cause est nécessaire dans l’intérêt de la sécurité d’autrui ou de la sécurité générale des personnes ou des biens. Lorsqu’il applique le paragraphe précédent, le juge peut renoncer à l’imposition d’une peine, même s’il estime que le fait est imputable au suspect. Lorsqu’il prononce une ordonnance au sens du paragraphe 1, le juge tient compte des déclarations figurant dans les rapports établis au sujet de la personnalité du suspect, ainsi que de la gravité de l’infraction commise et du nombre de condamnations subies antérieurement par l’intéressé pour des délits. Le paragraphe 1 du présent article et l’article 37 § 1 peuvent être appliqués conjointement en rapport avec la même infraction. Article 37 b) Le juge peut ordonner que la personne mise à disposition soit placée dans un établissement TBS aux fins d’y recevoir des soins d’office (verpleging van overheidswege) si pareille mesure est nécessaire dans l’intérêt de la sécurité d’autrui ou dans l’intérêt de la sécurité générale des personnes ou des biens. (...) Article 37 c) Des mesures générales d’administration (algemene maatregels van bestuur) régissent les conditions dans lesquelles les personnes mises à disposition reçoivent des traitements dans les établissements où elles sont internées. Le ministre de la Justice veille à ce que les personnes mises à disposition qui sont placées dans un établissement TBS reçoivent les traitements nécessaires. Pour certains patients, le ministre peut, dans l’intérêt de la sécurité d’autrui ou dans l’intérêt de la sécurité générale des personnes ou des biens, délivrer des instructions spéciales au chef de l’établissement de soins concerné. Les règles devant être établies en vertu du paragraphe 1 doivent prévoir la possibilité pour les personnes mises à disposition d’interjeter appel contre les décisions restreignant leur liberté de mouvement ou de correspondance ou encore leur droit à recevoir des visiteurs. Article 37 d) Les personnes mises à disposition peuvent être internées, à condition que les établissements en question aient été désignés à cet effet par le ministre de la Justice, a) dans des établissements privés gérés par des personnes morales ayant leur siège aux Pays-Bas ; b) dans des établissements publics. Les traitements sont administrés de préférence dans un établissement privé. (...) Article 37 e) Sauf dispositions contraires dans une loi ou dans un texte réglementaire, les frais afférents à l’internement des personnes mises à disposition sont supportés par l’Etat. Les règles concernant le paiement des frais afférents aux internements dans des établissements non publics sont fixées dans une mesure générale d’administration. » Une ordonnance de mise à disposition avec internement dans un établissement de soins n’a pas une finalité punitive mais vise à protéger la société contre tout risque que pourrait représenter la personne concernée. La mesure est initialement imposée pour une période de deux ans, et elle peut être prolongée par un juge pour de nouvelles périodes de un ou deux ans lorsque la sécurité d’autrui ou la sécurité générale des personnes ou des biens le requiert (article 38 d) du code pénal). La durée totale d’une mise à disposition ne peut excéder quatre ans, sauf si la mesure a été imposée à raison d’une infraction dirigée contre l’intégrité physique d’une ou de plusieurs personnes ou constituant un danger à cet égard. Dans ce dernier cas, il n’y a en principe aucune restriction au nombre de prolongations pouvant être décidées par un juge (article 38 e) du code pénal). Les dispositions régissant la procédure relative à la prolongation des ordonnances TBS figurent aux articles 509o – 509x du code de procédure pénale (Wetboek van Strafvordering). L’article 509o § 1 dispose que le ministère public (openbaar ministerie) peut soumettre une demande (vordering) tendant à la prolongation d’une ordonnance TBS deux mois au plus tôt et trois mois au plus tard avant la date à laquelle elle est censée expirer. La demande doit être accompagnée d’une recommandation récente et motivée établie par l’établissement dans lequel la personne concernée est traitée (article 509o § 2 CPPP). La juridiction compétente pour statuer sur pareille demande est le tribunal d’arrondissement qui a jugé la personne concernée en première instance pour l’infraction à l’origine de l’ordonnance TBS (article 509p). L’article 9 de la loi de 1951 sur les prisons (Beginselenwet gevangeniswezen), telle qu’elle était en vigueur au 1er janvier 1999, disposait : « Les maisons d’arrêt sont destinées : a) à accueillir les personnes qui doivent purger une peine d’emprisonnement ou de détention militaire ; b) à accueillir toutes les autres personnes légalement privées de leur liberté par un jugement ou une ordonnance judiciaire ou par une autorité publique lorsqu’il n’y a pas d’autre endroit adapté pour les accueillir ou lorsque leur admission dans un endroit adapté n’est momentanément pas possible. » Le 1er janvier 1999 est entrée en vigueur une nouvelle loi sur les prisons (Penitentiaire Beginselenwet), qui remplace la loi de 1951. La partie pertinente en l’espèce de l’article 9 § 2 de la nouvelle loi dispose : « Peuvent être détenues dans une maison d’arrêt : (...) f) les personnes mises à disposition avec internement dans un établissement de soins au sens des articles 37 b) ou 38 c) du code pénal, pour autant que leur admission dans un établissement adapté n’est momentanément pas possible. » Le 1er octobre 1997 sont entrés en vigueur les articles 1-11 et 13-80 de la loi sur l’internement en établissement TBS des personnes mises à disposition (« la loi de 1997 »). Les établissements TBS, qui étaient au nombre de sept à l’époque pertinente, sont des établissement de sécurité maximale, leurs pensionnaires ayant été jugés représenter un danger important pour la société comme pour eux-mêmes. Le traitement offert dans ces établissements vise à réduire ce danger et à prévenir la récidive. La loi de 1997 distingue entre les soins (verpleging) et le traitement (behandeling). Les soins donnés dans un établissement TBS visent à protéger la société contre les risques que représentent les personnes mises à disposition, en les maintenant recluses dans un établissement sécurisé. Les traitements sont censés prendre en charge les troubles et personnalités individuels. Ils visent à aider les personnes mises à disposition à connaître et maîtriser les troubles dont ils sont atteints, à les rendre attentives à leurs responsabilités et à adapter leur comportement de manière à ne plus représenter une menace pour la société. En vertu de l’article 12 de la loi de 1997, disposition qui, le 11 juillet 1997, était déjà entrée en vigueur, une personne mise à disposition doit être admise dans un établissement TBS dans les six mois de la prise d’effet de l’ordonnance TBS. Cette période peut être prolongée par le ministre de la Justice pour des périodes de trois mois chaque fois si le placement s’avère momentanément impossible. En l’absence d’une décision de prolongation explicite, on considère qu’une décision de prolongation de la détention transitoire a implicitement été adoptée. La détention transitoire est ainsi automatiquement prolongée. En conséquence, la non-adoption d’une décision de prolongation ne peut jamais aboutir à la libération de la personne concernée. Celle-ci peut toutefois attaquer devant la commission de recours la décision censée avoir été implicitement adoptée. L’article 11 de la loi de 1997 dispose que le ministre de la Justice doit décider dans quel établissement TBS précis la personne concernée doit être placée et que sa décision doit au minimum tenir compte des exigences de protection de la société contre la dangerosité de la personne mise à disposition, de la sécurité des personnes autres que le détenu ou de la sécurité générale des personnes ou des biens, ainsi que des impératifs liés au traitement dont la personne concernée est justiciable eu égard à la nature de la déficience ou des troubles pathologiques établis de ses facultés mentales. La décision relative au choix de l’établissement TBS le plus approprié – eu égard aux différences entre les divers établissements du point de vue du niveau de sécurité, de la population des patients (sexe, diagnostic psychiatrique, aptitude des intéressés à fonctionner dans une structure de groupe, etc.), des méthodes de traitement et de la durée moyenne de séjour des patients – est dans la plupart des cas précédée d’une période d’observation psychiatrique de sept semaines à l’Institut du docteur F.S. Meijers, spécialisé dans ce domaine. Dans le rapport (no 96/575) remis par le médiateur national le 5 décembre 1996, qui concernait la situation antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de 1997, il était précisé qu’en principe, eu égard à la période d’observation de sept semaines et à une marge de quelques semaines pour le traitement administratif de la demande de sélection et de la procédure d’admission, un délai de trois mois entre la date à laquelle une personne condamnée pouvait prétendre à une libération anticipée et la date d’admission dans un établissement TBS était acceptable. Reconnaissant qu’un léger écart entre la capacité disponible et la capacité requise des établissements TBS ne pouvait être entièrement exclu, le médiateur national ajoutait dans son rapport qu’un délai supplémentaire ne dépassant pas trois mois pouvait encore être jugé acceptable. Notant en revanche que le ministre de la Justice était responsable de la planification des capacités, le médiateur soulignait que l’invocation d’une situation de force majeure n’était acceptable que si le ministre pouvait faire la preuve de circonstances imprévues rendant de fait inévitable une période de détention transitoire plus longue. Depuis septembre 1999, un système simplifié est utilisé pour la sélection et le placement des personnes mises à disposition. Il en est résulté une réduction des délais d’admission dans un établissement TBS. En 2002, ce délai était en moyenne de 248 jours. III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS Dans le rapport établi par lui le 15 juillet 1993 à l’issue de sa visite aux Pays-Bas du 30 août au 8 septembre 1992 (CPT/Inf (93)15), le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants ( « CPT ») déclarait : « 130. (...) [la délégation] a également rencontré (par exemple, à la prison de Schie, à la prison de Singel et au FOBA) des détenu(e)s vis-à-vis desquel(le)s des mesures de traitement (par exemple, un placement TBS) avaient été prises, parfois depuis longtemps, mais qui n’avaient pas encore été transféré(e)s par manque de places disponibles. Le CPT souhaiterait obtenir les commentaires des autorités néerlandaises à ce propos. » Dans sa réponse au rapport du CPT (CPT/Inf (93)20), le gouvernement néerlandais précisa ce qui suit : « L’augmentation du nombre de personnes mises à disposition pose actuellement un sérieux problème de capacité, qui a pour effet d’augmenter le nombre des détenus attendant leur transfert dans un établissement TBS. Le gouvernement néerlandais partage l’avis du CPT selon lequel de tels détenus doivent être placés dans un délai raisonnable dans des structures hospitalières appropriées. La situation a toutefois changé depuis la visite de la délégation. Un programme a été mis en place qui vise à accroître les capacités d’accueil au travers de projets de construction et de la création de davantage de places dans les établissements existants, et des services pour patients ambulatoires nécessitant un traitement à temps partiel ont été adjoints à certaines établissements TBS, ce qui a pour effet d’accroître les chances pour les intéressés d’obtenir une libération conditionnelle. Ces mesures vont considérablement réduire les temps d’attente. » Dans le rapport établi par lui le 29 septembre 1998 à l’issue de sa deuxième visite aux Pays-Bas (du 17 au 27 novembre 1997), le CPT s’exprimait ainsi (CPT/Inf (98)15) : « 111. Depuis le début des années 1990, les autorités néerlandaises sont confrontées à une augmentation significative des ordonnances TBS, problème encore exacerbé par les séjours prolongés – plus de six ans – de quelque 160 personnes à l’intérieur du système TBS. En conséquence, le nombre des personnes qui attendent en prison d’être admises dans des établissements TBS est passé de 26 en 1991 à plus de 200 à l’époque de la deuxième visite périodique du CPT. En réponse à cette situation, les autorités néerlandaises ont décidé d’accroître le nombre de places TBS afin d’atteindre une capacité de 1 000 places en 1999. Le CPT note toutefois que dans une lettre adressée à la chambre basse du Parlement le 2 avril 1998 le ministre de la Justice indiquait que le manque de places TBS en 2002 était estimé à 340. Des préoccupations se sont exprimées aux Pays-Bas au sujet de la situation des détenus attendant en prison leur admission dans un établissement TBS. Pendant cette période d’attente, qui est aujourd’hui de neuf mois en moyenne, les personnes concernées ne reçoivent pas les traitements dont elles ont besoin, situation qui, cela a été souligné, est de nature à provoquer des sentiments d’anxiété, de doute de soi et de colère chez les personnes concernées. De plus, comme ces personnes sont jugées dangereuses, elles courent un risque sérieux de se voir appliquer des régimes restrictifs à l’intérieur des établissements pénitentiaires où elles sont transitoirement détenues. » Dans sa réponse (CPT/Inf (99)5), le gouvernement néerlandais informa le CPT des mesures que les autorités néerlandaises avaient mises en place afin, d’une part, de surmonter les difficultés découlant du grand nombre de détenus attendant leur admission dans un établissement TBS, et, d’autre part, de garantir à ces détenus le bénéfice d’un minimum de traitement adéquat pendant ce temps d’attente. D’après le gouvernement néerlandais, des efforts étaient faits pour faciliter/accélérer le passage des personnes mises à disposition vers des établissements psychiatriques ordinaires, et les autorités espéraient que la nouvelle disposition légale régissant la levée conditionnelle des ordonnances TBS permettrait à la fois d’accroître les sorties de prison des personnes mises à disposition et de réduire le nombre des personnes internées dans des établissements TBS. Le Gouvernement informait par ailleurs le CPT que de longues listes d’attente pour des places en établissement TBS continueraient d’exister en attendant que soit résolu le problème de capacité, mais que des expériences avaient commencé dans un certain nombre d’endroits, avec fourniture de traitements psychiatriques spécifiques pour les détenus attendant dans des prisons ordinaires leur admission dans un établissement TBS. Dans le cadre de ces expériences, des thérapeutes attachés aux services médicolégaux ambulatoires offraient une forme de thérapie préparatoire censée atténuer l’anxiété que les détenus pouvaient éprouver à l’idée d’un possible traitement TBS et à réduire l’hostilité croissante ressentie par ces personnes envers le système de la justice. D’après le Gouvernement, les premiers résultats de ces expériences étaient encourageants, dans la mesure où les personnes concernées – thérapeutes, agents pénitentiaires et détenus – avaient toutes répondu de manière positive, et il y avait parmi les détenus en attente d’une admission dans un établissement TBS une demande croissante pour ce type de soutien (pages 40-41).
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
Le requérant est né en 1961 et réside à Nový Jičín. En 1978, le requérant et sa sœur B.K. devinrent copropriétaires d’une maison et d’un terrain qu’ils avaient hérités de leurs parents. B.K. fut chargée d’administrer ces biens jusqu’à l’âge de majorité du requérant ; cependant, lorsque celui-ci l’informa en temps utile de son intention de disposer de sa part d’héritage, B.K. s’y opposa. Le 10 février 1989, le requérant saisit donc le tribunal de district (okresní soud) de Chomutov d’une demande tendant à la dissolution et au partage de la copropriété (návrh na zrušení a vypořádání podílového spoluvlastnictví). Proposant que toute la propriété soit attribuée à B.K., le requérant demandait de se voir accorder une compensation financière en contrepartie. Le 18 mai 1989, le tribunal prononça l’extinction de l’instance, faute pour le requérant d’avoir payé les frais de procédure. Cette décision fut annulée le 18 septembre 1989, après que le requérant s’acquitta de la somme nécessaire ; il allègue avoir fait ainsi dès le 3 mai 1989. A l’audience du 18 septembre 1989, le tribunal procéda à l’audition de B.K. Celle-ci fut alors invitée à présenter la liste des investissements consacrés à la maison. Selon le Gouvernement, elle soumit un exemplaire de cette liste le 17 octobre 1989 ; le requérant affirme ne l’avoir jamais vu. Le 29 mai 1990, le requérant fut interrogé par le tribunal de district de Karviná. B.K. se prononça sur sa déposition lors d’une audience tenue le 7 février 1991. Le 23 octobre 1990, le requérant se plaignit des retards de la procédure auprès du tribunal régional (krajský soud) d’Ústí nad Labem. Il fut admis par la suite que la procédure souffrait d’atermoiements et le requérant fut assuré que cette situation allait être redressée. Ni les parties ni le témoin convoqué ne comparurent à l’audience du 12 mars 1991, qui fut donc ajournée au 10 mai 1991. Le requérant allègue ne pas avoir reçu de citation à comparaître à cette audience. L’audience fixée au 10 mai 1991 fut ajournée sine die, apparemment en raison de la maladie du juge. Le requérant fait observer qu’il n’en avait pas été prévenu et qu’il s’était déplacé en vain. Le 16 septembre 1991, le tribunal tint une audience pendant laquelle le conjoint de B.K. fut entendu. N’ayant pas été présent à cette audience, le requérant s’y exprima le 7 novembre 1991. Un autre témoin fut interrogé à l’audience du 9 mars 1992, qui fut ajournée sine die afin de convoquer deux nouveaux témoins. Le 25 mars 1992, le requérant proposa d’en entendre un autre. Selon le requérant, un seul témoin fut entendu à l’audience du 9 mai 1992, bien que deux autres témoins fussent présents ; de surcroît, l’audience n’aurait duré que trente minutes en raison de l’indisponibilité du juge. Vu la distance considérable entre le lieu de son domicile et le siège du tribunal et afin de faire accélérer le déroulement de la procédure, le requérant demanda, le 3 juillet 1992, la délégation de son affaire à un autre tribunal. Le 28 décembre 1992, B.K. s’y opposa. Le 24 février 1993, le tribunal régional décida de ne pas déléguer l’affaire, relevant que l’immeuble litigieux ainsi que les domiciles de B.K. et des témoins se trouvaient dans le ressort du tribunal de Chomutov. A la suite d’une plainte du requérant, le vice-président du tribunal régional admit, le 20 avril 1993, que le déroulement soutenu de la procédure devant le tribunal de district était entravé par le manque de personnel. Une audience se tint devant le tribunal le 29 mars 1994 et un témoin fut interrogé à cette occasion. En mars et juin 1995, le président du tribunal régional admit que la durée de la procédure était excessive et s’engagea à veiller sur son déroulement. L’audience du 2 mai 1995 fut ajournée en raison de la non-comparution d’un témoin proposé par requérant ; le tribunal décida de faire amener ce témoin par la police à l’audience du 7 décembre 1995. Le requérant allègue que ledit témoin n’avait pas reçu de citation à comparaître ni n’avait été contacté par la police. Selon le Gouvernement, ni le requérant ni son avocat ne furent présents à l’audience du 7 décembre 1995 et la police manqua d’y amener le témoin susmentionné. Le requérant soutient en revanche que ce jour-là, il se rendit au tribunal avec quelques minutes de retard alors que l’audience avait déjà été close. Le 17 janvier 1996, le vice-président du tribunal régional estima que des retards sérieux, imputables à l’inactivité du juge, étaient survenus dans l’affaire du requérant. Le 25 janvier 1996, l’épouse du requérant s’adressa à la Cour constitutionnelle (Ústavní soud), se plaignant des retards dans la procédure devant le tribunal de district et de la partialité du juge concerné. Dans sa réponse du 14 février 1996, le juge de la Cour constitutionnelle informa l’épouse du requérant que son envoi ne pouvait être considéré comme un recours constitutionnel (ústavní stížnost), dans la mesure où il ne satisfaisait pas aux exigences de forme. Le 2 mai 1996, le vice-président du tribunal régional fit savoir à l’épouse du requérant que des retards incontestables dans la procédure étaient dus au manque critique de juges et à la difficulté de l’affaire. A l’audience du 18 juin 1996, le requérant souleva une objection de partialité contre le juge chargé de son affaire ; celle-ci fut rejetée par le tribunal régional le 26 juin 1996. Le 31 octobre 1996, le témoin proposé par le requérant fut entendu (le requérant allègue qu’il en fut ainsi de sa propre initiative, le tribunal ayant de nouveau omis d’adresser au témoin une citation) et il fut décidé de faire élaborer un rapport d’expertise sur le prix de l’immeuble litigieux. Le 8 novembre 1996, un expert fut désigné à cette fin et le requérant se vit ordonner de payer une consignation. Le 20 novembre 1996, le requérant dénonça le manque d’objectivité de l’expert mais, le 6 janvier 1997, ses objections furent rejetées et le dossier fut soumis à l’expert le 14 février 1997. Le 30 avril 1997, le rapport d’expertise fut soumis au tribunal et le requérant s’y prononça le 30 juin 1997. Le 12 août 1997, ce dernier demanda au tribunal, en vain, de désigner un nouvel expert afin d’élaborer une contre-expertise, et d’ajourner l’audience. Ladite expertise fut examinée à l’audience du 2 septembre 1997 ; à la demande de l’avocat du requérant, celle-ci a été ajournée au 4 septembre 1997. Le 4 septembre 1997, le tribunal de district rendit le jugement sur le fond de l’affaire, par lequel il prononça la dissolution de la copropriété en contrepartie d’une compensation revenant au requérant. Le 23 septembre 1997, le requérant fit appel, contestant l’identification de la propriété faite par le tribunal et considérant que le montant de la compensation allouée n’était pas raisonnable. Le 9 mars 1998, le tribunal régional d’Ústí nad Labem annula le jugement attaqué et renvoya l’affaire au tribunal de district, considérant qu’il fallait examiner la possibilité de diviser la propriété en question. Une nouvelle audience eut lieu devant le tribunal de district le 24 septembre 1998, où B.K. fut de nouveau interrogée. Sur commission, le requérant fut auditionné par le tribunal de Nový Jičín le 23 octobre 1998. Le 13 novembre 1998, le tribunal de district de Chomutov désigna le même expert en bâtiment qu’auparavant. Le 26 novembre 1998, le requérant souleva une objection de partialité à l’encontre de ce dernier et fit appel de la décision sur le paiement de la consignation. Ses objections furent rejetées le 18 décembre 1998 ; le 26 février 1999, le tribunal régional annula cependant la décision sur la consignation. Une nouvelle décision à cet égard fut rendue le 5 mai 1999. Le 4 juin 1999, le dossier fut envoyé à l’expert qui soumit son expertise le 14 février 2000. A l’audience du 13 avril 2000, l’expert judiciaire et les deux parties furent interrogés. Par son jugement du 20 avril 2000, le tribunal de district décida de dissoudre la copropriété en question et d’attribuer les biens à B.K. en contrepartie de la somme de 156 202, 50 CZK (environ 4 810 EUR) à payer au requérant ; ce dernier se vit enjoindre de rembourser à B.K. le montant de ses investissements, aucune partie ne se vit allouer le rembourser les frais de procédure. Le 12 mai 2000, le requérant interjeta appel, demandant de se voir octroyer la somme de 300 000 CZK (environ 9 240 euros), ainsi que le remboursement des frais de procédure. Le 13 novembre 2000, la juridiction d’appel invita l’expert judiciaire à s’exprimer sur un éventuel changement de prix de l’immeuble ; la réponse fut donnée le 4 janvier 2001. Le 8 mars 2001, le tribunal régional confirma le jugement du 20 avril 2000. Selon le Gouvernement, l’affaire fut définitivement close le 30 avril 2001. Selon les dires du requérant, il ne reçut la somme allouée que le 18 avril 2003 et la dépensa pour le remboursement des frais de procédure et des honoraires de son avocat.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1944, 1959, 1945 et 1963 et résident à Ankara. À l'époque des faits et au moment de l'introduction de la présente requête, Feridun Yazar était le président du Parti du travail du peuple (HEP). Les autres requérants étaient les membres fondateurs de ce parti. Lors du premier et du deuxième congrès extraordinaires du HEP tenus respectivement les 15 décembre 1991 et 19 septembre 1992 à Ankara, les requérants prirent chacun la parole. MM. Gezici et Özata d'une part et MM. Yazar et Çakmak d'autre part furent arrêtés par la police les 25 septembre 1992 et 28 septembre 1992 respectivement et placés en garde à vue pour avoir fait de la propagande séparatiste lors du congrès. Le 5 octobre 1992, les requérants furent entendus par le procureur de la République près la cour de sûreté de l'État d'Ankara (« le procureur »). Le même jour, MM. Çakmak et Gezici furent placés en détention provisoire. Par des actes d'accusation des 13 novembre 1992 (concernant les discours tenus lors du deuxième congrès) et 24 décembre 1992 (concernant les discours tenus lors du premier congrès), le procureur, en vertu de l'article 8 § 1 de la loi de 1991 relative à la lutte contre le terrorisme, inculpa les requérants du chef de propagande contre l'intégrité de l'État du fait de leurs discours. Il se référait aux passages suivants : M. Yazar : [Lors du congrès du 19 septembre 1992] « Depuis longtemps, un peuple existe, ici, au Moyen-Orient. Il est peut-être devenu une nation. Mais, on a voulu le priver de son identité en le divisant en quatre parties avec des frontières artificielles. On a voulu le priver de sa langue. Et jusqu'à nos jours, ils ont maintenu leur souveraineté sur ce peuple en le divisant en quatre parties et en les opposant les uns aux autres. En vue d'éradiquer le chauvinisme et éviter ces pratiques malheureuses, nous voulons créer une Turquie où chacun pourra vivre librement avec son identité, sa culture et sa langue. Nous disons : ' que personne ne s'octroie la liberté de nier l'identité d'un autre, que chacun vive avec son identité propre'. Nous disons 'à l'approche de l'an 2000, fondons cette République une seconde fois. Mais ce faisant, réunissons les conditions permettant à chacun de vivre avec son identité propre et ses libertés ; le Kurde en tant que Kurde, le Caucasien en tant que Caucasien (...), évitons donc tout ce sang versé (...) les militants du PKK ne viennent pas de la lune, ils sont eux aussi les enfants de ce pays. Ils sont les enfants de ce peuple. Vous ne pouvez pas les renier (...) Pourquoi ont-ils eu recours à une telle méthode de lutte ? (...) Discutons-en avec eux. Pour trouver une solution, pour que le sang s'arrête de couler, allons parler avec Abdullah Öcalan (...). C'est parce que nous disons 'le peuple kurde existe' que ce parti politique est contraire à la Constitution. Le peuple kurde existe. Même s'il n'est pas dans ta Constitution, il existe. Si ta Constitution est archaïque, est-ce de ma faute ? La Turquie nous appartient, depuis Edirne jusqu'à Hakkari. C'est notre droit (...). Nous ne renonçons pas à un seul pan de ce territoire. Au prix de notre sang, nous y tenons. Mais nous avons aussi un autre droit : à chaque pan de cette terre, nous avons le droit de vivre librement, par notre identité kurde (...). Ce n'est pas nous même, ce n'est pas le HEP mais c'est la politique représentée au sein de l'Assemblée nationale qui veut diviser le territoire de la Turquie. Car le HEP est le seul parti politique qui est pour la paix et pour le dialogue. 'Si vous avez peur', dis-je, 'si vous voulez qu'il n'y ait pas de lutte armée, légalisez le PKK pour qu'il dépose ses armes et qu'il vienne lutter dans l'arène politique'. Accordez une amnistie générale, débarrassez-vous des politiques hypocrites. Ceux qui sont condamnés en vertu de l'article 125 sont tous d'origine kurde. Les Kurdes ne peuvent même pas bénéficier de la mise en liberté conditionnelle (...) ». M. Çakmak : [Lors du congrès du 19 septembre 1992] « (...) Il est vrai qu'en Turquie le peuple kurde est confronté à l'extermination.(...) L'oppression et les violations de la démocratie qui faisaient honte même aux régimes féodaux est une réalité de notre pays. Dans ces circonstances, c'est une mission honorable que d'organiser obstinément un congrès si enthousiasmé (...), le peuple kurde attend beaucoup de choses de ce congrès. Pour le pouvoir politique et les souverains il n'y a qu'une seule démocratie : agressivité, oppression, extermination, usurpation. Il y a une seule réalité kurde : les maisons détruites, les montagnes et vallées bombardées, les Kurdes vus comme des criminels potentiels du seul fait d'être kurdes, et dont la lutte pour l'égalité et la liberté est étouffée par des massacres...une réalité kurde qui se traduit manifestement par l'extermination et la torture (...) A Göle, ils ont assassiné et enterré les gens (...) Mais il faut que vous sachiez qu'ils ne se contenteront pas de ces massacres ; la République turque, en vue de la réalisation des projets impérialistes américaines, se prépare à une intervention dans le nord de l'Irak sous prétexte de résoudre le problème kurde. Dans la période à venir, [l'opinion publique] sera de plus en plus partisane d'une solution politique, pacifiste et démocratique du problème [kurde], en constatant que les vieilles méthodes militaires de l'Etat sont désormais caduques.(...) Que l'Etat veuille bien pencher vers une solution pacifiste ou non, c'est son problème (...). La lutte organisée et la résistance du peuple kurde est la garantie de la résolution du problème [kurde]. » M. Özata : [Lors du congrès du 15 décembre 1991] « (...) l'établissement d'une véritable démocratie en Turquie n'est possible que par une résolution efficace de la question kurde. Ni le contre guérilla, ni les assauts des forces spéciales ne sont des moyens adéquats pour parvenir à cette fin (...). La lutte contre le terrorisme n'est plus une raison convaincante pour semer la haine entre les peuples. De quelle terreur peut-on parler si on continue à procéder à des exécutions sommaires ? Il s'agit d'une faute imputable à l'État ; il s'agit de la terreur d'État. Pour lutter contre les crimes commis par l'État, il faut que le peuple kurde insiste sur son droit à la libre détermination et décide librement de son avenir. (...) Ô travailleurs turcs, vous n'êtes pas exclus de ce peuple. L'angoisse du peuple kurde est votre angoisse même (...). [Lors du congrès du 19 septembre 1992] « (...) Le HEP, qui ouvre des horizons nouveaux à la politique actuelle de la Turquie bourrée de discours d'indivisibilité, de mythes des forces de sécurités héroïques, est chargé dans ce congrès de prouver la sagesse et la maturité de sa politique (...). Ils assassinent des innocents sous prétexte de lutter contre la terreur. Ils ont procédé à des exécutions injustes, des bombardements de villages sous les yeux des ministres de l'intérieur et des droits de l'Homme (...). Ils s'évertuent à ré-autoriser les [anciens] partis politiques interdits par la junte militaire. C'est bien beau que les partis dissous soient de nouveau autorisés, mais nul ne se prononce sur la dissolution, par divers moyens, des [nouveaux] partis qui ont trouvé leur place dans la politique actuelle du pays.(...) Chers délégués, chers amis, nous savons tous que la dissolution des partis politiques ne nous mènera nulle part. Et je ne crois pas du tout qu'ils en rendront compte au peuple. (...) [suite aux slogans de ' biji PKK' ] Chers amis, nous ne sommes pas contre les slogans lancés, mais je vous prie de prendre en considération les avertissements en vue du bon déroulement du congrès (...) » M. Gezici : [Lors du congrès du 15 décembre 1991] « (...) cette politique qui persiste depuis 70 ans n'est qu'une politique fasciste et raciste. (...) le peuple kurde résiste à cette oppression qui se concrétise avec des exécutions sommaires dans la rue et en plein jour. Ils continuent à exprimer leur propre réalité. Ils continuent à exprimer les exigences de leur démocratie. Pour sauvegarder leur identité nationale, ils [les Kurdes] descendent dans la rue suivant les appels des chefs de leur organisation déclarée illégale par l'État. Si, malgré les interdictions, le peuple kurde parvient à de tels rassemblements, cet État ne peut garder le silence face aux revendications des peuples kurdes et turcs. Ils disent : 'telle mentalité est une mentalité terroriste, telle mentalité est séparatiste, telle attitude est contraire au principe d'indivisibilité', mais le peuple kurde descend dans la rue et scande la vérité : 'nous sommes kurdes et ici c'est le Kurdistan. Ceux que vous appelez terroristes, sont nos leaders (...) Soit vous allez résoudre ce problème vous-même, soit je vais le résoudre moi-même avec mes propres moyens.' (...) [Lors du congrès du 19 septembre 1992] « (...) La lutte nationale du peuple kurde est parvenue à un tel stade qu'exprimer les réalités dans ce congrès sans avoir peur des lois existantes qui criminalisent ces mêmes réalités est la preuve de l'intégrité et de la maturité de la lutte nationale de libération du peuple kurde. Je m'exprime clairement, si ce régime et ses représentants veulent avoir pour la première fois une place respectable dans l'histoire, ils n'ont qu'une seule chose à faire : hisser le drapeau blanc face aux héros honorables du peuple kurde et de rendre des comptes de ce qu'ils ont fait jusqu'à aujourd'hui (...) Il y a une guerre au Kurdistan (...). Les deux camps de cette guerre sont définis : de la même manière qu'on peut clairement avancer qu'un des camps est la République turque, on peut dire que l'autre camp, c'est le Parti des travailleurs du Kurdistan [le PKK ] et sa guérilla (...). Les deux camps de cette guerre devraient, le plus tôt possible, se réunir autour d'une table et résoudre le problème (...) Pouvons-nous considérer que le PKK et d'autres organisations révolutionnaires, que les autorités de la République turque qualifient de terroristes séparatistes, mais que le monde entier, tout comme nous, qualifie de combattants de la libération nationale ; eh bien ces organisations sont à nos yeux légitimes, légales. (...) Ces gens-là, que vous nommez terroristes, sont des forces qui se sont légitimées d'elles mêmes, par le sang qu'elles ont versé pour leurs droits légitimes, mêmes si ceux-là n'étaient pas légaux. Nous soutenons la cause de ces gens-là. Car ils ont raison. » Dans l'acte d'accusation du 13 novembre 1992, le procureur souligna que les journaux du lendemain du deuxième congrès extraordinaire du parti étaient unanimement d'accord sur le fait que la réunion s'était muée en une manifestation du PKK et que le parti politique s'était identifié à cette organisation illégale. Il précisa que « dans la salle où se déroulait le congrès, il n'y avait pas un seul drapeau turc ; par contre, un groupe de militants non identifiés avaient hissé sur leurs épaules le drapeau jaune, rouge et vert de l'organisation terroriste PKK. L'ensemble des participants du congrès assistaient au spectacle [de ces militants] en lançant le slogan « biji PKK, biji Apo » (vive le PKK, vive Öcalan, en kurde) et en faisant le signe de la victoire avec leurs doigts ; ils ont également sorti des petits drapeaux du PKK, aux dimensions d'un mouchoir (...) Alors que l'hymne national turc n'a pas été récité, l'hymne de la République kurde Mahabat, fondée en Iran dans les années 1940, a été chanté (...)». Selon le procureur, les orateurs, en passant sous silence les violences de cette organisation envers la population civile, auraient essayé de présenter la lutte des forces de sécurité contre les terroristes du PKK comme une tentative d'extermination de la population kurde, ce qui prouverait leur soutien à l'organisation illégale. D'autre part, d'après le procureur, les actes des accusés ne pourraient être traités séparément du climat politique de la réunion et en appréciant les discours, il faudrait aussi prendre en compte l'intensité des actes terroristes du PKK. Dans ses lettres des 10 mars 1994 et 22 juin 1994 à la cour de sûreté de l'État, l'avocate des requérants contesta les accusations. En qualifiant l'accusation de « politique », elle fit valoir qu'il s'agissait en effet d'une présentation des points de vue politiques qui se basait non pas sur des preuves de culpabilité mais sur des préjugés et des soucis politiques. Elle invoqua le caractère pacifique des discours tenus par les requérants ainsi que l'article 90 de la Constitution en vertu duquel les accords internationaux dûment ratifiés seraient directement applicables dans le droit interne turc. Par un arrêt du 23 juin 1994, la cour de sûreté de l'État condamna MM. Yazar, Çakmak et Gezici à deux ans de prison et à une amende de 100 000 000 livres turques (« TRL ») chacun, en vertu de l'article 8 de la loi de 1991 et sur la base des faits mentionnés dans l'acte d'accusation du 13 novembre 1992. Quant à M. Özata, il fut acquitté sur cette même base. La cour condamna de plus MM. Özata et Gezici à deux ans de prison ainsi qu'à une amende de 50 000 000 TRL en vertu de l'article 8 de la loi de 1991 et sur la base des faits mentionnés dans l'acte d'accusation du 24 décembre 1992. Le 26 octobre 1994, les requérants se pourvurent en cassation. Dans les motifs de leur pourvoi, et sous le titre intitulé «la situation en droit international », ils invoquèrent entre autres, l'article 10 de la Convention. Le 18 décembre 1995, la Cour de cassation infirma l'arrêt en question en raison des modifications apportées à la loi de 1991 par la loi no 4126 du 27 octobre 1995. La cour de sûreté de l'État qui réexamina l'affaire rendît son arrêt le 7 novembre 1996. Elle condamna MM. Özata et Gezici sur la base de l'acte d'accusation du 24 décembre 1992, chacun à un an de prison et 100 000 000 TRL d'amende. Sur la base de l'acte d'accusation du 13 novembre 1992, elle condamna MM. Yazar, Çakmak et Gezici, à un an de prison et à une amende de 100 000 000 TRL. Du fait du cumul des peines, M. Gezici fut finalement condamné à deux ans de prison et à une amende de 200 000 000 TRL. Le 12 novembre 1996, les requérants se pourvurent en cassation contre ce dernier arrêt. Le 12 janvier 1998, la Cour de cassation confirma l'arrêt rendu en première instance. Le 27 janvier 1998, les requérants formulèrent une demande en révision du jugement dans les motifs de laquelle et sous le titre de « situation en droit international » ils invoquèrent de nouveau leur droit à la liberté d'expression. Le 23 février 1998, cette demande fut rejetée par la Cour de cassation. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l'époque des faits sont décrits dans les arrêts İbrahim Aksoy c. Turquie, nos 28635/95, 30171/96 et 34535/97, §§ 41-42, 10 octobre 2000.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE La requérante est née en 1969 et réside à Marseille. Né en 1958, son défunt concubin, M. Sliti, était de nationalité tunisienne. A. Les antécédents judiciaires et médicaux de M. Sliti M. Sliti avait fait l'objet de plusieurs hospitalisations en psychiatrie, en Tunisie comme en France. M. Sliti avait été condamné à une peine de quatre ans d'emprisonnement et à l'interdiction définitive du territoire français par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 2 octobre 1990. L'interdiction définitive du territoire ne fut pas exécutée immédiatement après qu'il eut purgé sa peine. En 1998, M. Sliti mit le feu au domicile de la requérante et menaça de se défenestrer avec son fils de 18 mois. Il fut condamné à un an d'emprisonnement pour ces faits, par un jugement du tribunal correctionnel de Marseille du 21 septembre 1998. Hospitalisé d'office au centre hospitalier Edouard Toulouse de Marseille (« CHET ») du 29 juillet au 25 août 1998 (service de psychiatrie), M. Sliti avait ensuite été transféré à la prison des Beaumettes pour y purger la peine susmentionnée. Une expertise psychiatrique ordonnée par le président du tribunal de grande instance de Marseille, datée du 1er septembre 1998 et réalisée par le Dr Goujon du CHET, conclut notamment à la nécessité que l'intéressé poursuivît « un traitement psychiatrique au long cours voire [une hospitalisation] en psychiatrie ». Par ailleurs, il ressort d'un courrier (daté du 4 mai 1999) du Dr Chabannes, psychiatre au CHET, que l'état « anxio dépressif » de M. Sliti avait nécessité son hospitalisation durant une vingtaine de jours en septembre 1998, ses « allégations suicidaires laissa[nt] penser à un possible passage à l'acte autoagressif ». Un certificat médical daté du 9 février 1999 et délivré par le même médecin indique en outre ce qui suit : « (...) actuellement stabilisé [M. Sliti] a pour traitement une association d'antidépresseurs, anxiolytiques et neuroleptiques. [Il] a tout intérêt à continuer d'être suivi sur le plan psychiatrique une fois sa libération accordée et ce d'autant [qu'il] est lui-même demandeur d'un soutien psychiatrique. Son médecin traitant de référence restera un des praticiens de l'hôpital Edouard Toulouse ». Le traitement médical prescrit à M. Sliti avant son placement en rétention administrative était composé des antidépresseurs, neuroleptiques et anxiolitiques suivants : Lysanxia 40 mg (deux comprimés par 24 heures), Deroxat 20 mg (un comprimé par 24 heures), Phenergan (quatre comprimés par 24 heures) et Risperdal 2 mg (deux comprimés par 24 heures). B. Le placement de M. Sliti au centre de rétention administrative de Marseille-Arenc Le 22 mai 1999, le Préfet des Bouches-du-Rhône décida d'exécuter l'interdiction définitive du territoire prononcée le 2 octobre 1990, à destination de la Tunisie. A cette fin, il ordonna le placement de M. Sliti dans les locaux du centre de rétention administrative de Marseille-Arenc jusqu'au 24 mai 1999. M. Sliti était toujours sous traitement médical ; une ordonnance du Dr Chabannes, datée du 21 mai 1999, en atteste. Au centre de rétention de Marseille-Arenc, la police se chargea de chercher les médicaments prescrits à M. Sliti et de les lui remettre. Par une ordonnance du 24 mai 1999, le président du tribunal de grande instance de Marseille ordonna la continuation de la mesure de rétention à Arenc jusqu'au 26 mai 1999, 22 heures, dans l'attente de la délivrance d'un titre de circulation transfrontière. Appel fut interjeté le 25 mai 1999 ; il sera rejeté le 26 mai 1999 par une ordonnance du président de la Cour d'appel aux motifs que la procédure suivie était régulière et que « M. Sliti [avait] été reconduit à la frontière ce jour [de sorte] que la mesure de rétention administrative était levée et que l'appel [devait] en conséquence [être] déclaré sans objet ». C. Le décès de M. Sliti Dans la matinée du 26 mai 1999, M. Sliti refusa de prendre ses médicaments à deux reprises ; il ne fut pas examiné par un médecin, alors que – selon les termes du mémoire du Gouvernement – il était dans un important état d'excitation. Vers 10 h 30, il eut un malaise et s'effondra. Alertés par d'autres personnes placées en rétention, des fonctionnaires de police en poste à Arenc se rendirent rapidement sur les lieux et le mirent en position latérale de sécurité, puis alertèrent les marins-pompiers. Vers 10 h 45, le médecin des marins-pompiers prodigua les premiers soins à l'intéressé ; il constata le coma de celui-ci et le médicalisa sur place. A 12 h 15, M. Sliti fut transporté vers l'hôpital de la Conception à Marseille ; il fut admis au service de réanimation aux alentours de 12 h 50 ; il y décéda à 14 h 50. D. L'information pour « recherche des causes de la mort » Le 26 mai 1999, une information fut ouverte en application de l'article 74 du code de procédure pénale, pour « recherche des causes de la mort » de M. Sliti. Le 27 mai 1999, le juge d'instruction donna commission rogatoire au commissaire central de police de Marseille aux fins de poursuivre l'enquête et, à cet effet : « procéder à l'audition de tous témoins utiles susceptibles de fournir des renseignements, à toutes constatations nécessaires, à toutes investigations, perquisitions régulières partout où besoin sera, ainsi qu'à toutes saisies qui soient utiles à la manifestation de la vérité », et « adresser (...) toutes réquisitions nécessaires à toutes administrations publiques ou à tous établissements privés, à tous fonctionnaires et à tous officiers publics ou ministériels, et plus généralement à toutes personnes pouvant fournir des renseignements ou documents utiles à la manifestation de la vérité ». Une autopsie fut pratiquée le 27 mai 1999 ; daté du même jour, le rapport conclut comme il suit : « L'examen et l'autopsie du cadavre de M. Moshen Sliti, mettent en évidence : - des signes de réanimation. La marque observée dans la région basithoracique gauche peut correspondre à une ponction cardiaque, ce qui demande à être confirmé par l'examen anatomopathologique du cœur et par l'étude du dossier médical. - l'absence de trace suspecte évocatrice de violence. - une congestion polyviscérale diffuse. - la présence d'une abondante spume dans la trachée et les bronches et des modifications macroscopiques du cœur pouvant évoquer une décompensation cardiorespiratoire aiguë à confirmer par expertises anatomopathologique et toxicologique ». Le 27 mai 1999, sur le fondement de la commission rogatoire susmentionnée, un officier de police judiciaire entendit deux fonctionnaires de police en service à Arenc le matin du 26 mai 1999. Le 28 mai 1999, il entendit l'oncle du défunt et, le 3 juin 1999, le médecin des marins-pompiers qui était intervenu après le malaise. Le 31 mai 1999, un autre officier de police avait entendu deux personnes retenues à Arenc au moment des faits (MM. T.S. Smain et E. Louis), témoins oculaires de ceux-ci. Il ressort des procès-verbaux de ces auditions qu'une dizaine de personnes se trouvaient à proximité du lieu où M. Sliti avait eu son malaise et avaient assisté aux événements. Il en ressort également que l'intéressé était déjà agité la veille de ceux-ci. D'autres prélèvements médicaux furent effectués sur le corps de la victime le 15 juin 1999. Un examen anatomopathologique de prélèvements effectués sur le corps de M. Sliti fut effectué le 15 octobre 1999 par le Dr H.P. Bonneau, désigné à cette fin par le juge d'instruction. Le rapport d'expertise conclut comme il suit : « Examen anatomopathologique des prélèvements autopsiques formolés mettant en évidence un œdème aigu pulmonaire, cause de la mort de M. Sliti. L'étiologie de cet œdème aigu pulmonaire doit être confrontée aux données de l'expertise toxicologique. Les autres organes sont histiologiquement normaux ». Le juge d'instruction ordonna une expertise toxicologique (ordonnances des 31 mai et 15 juin 1999), qu'il confia au Dr Mme M. Fornaris. Cette expertise eut lieu le 20 juin 2000 ; daté du 19 juillet 2000, le rapport conclut ainsi : « (...) les toxiques retrouvés sont tous d'origine médicamenteuse ; ils sont indiqués dans des pathologies diverses (anxiété, douleur, convulsions...). Ils ne paraissent pas susceptibles, de par leur nature même, leur association et leur taux sanguin (au moment du décès, voire au moment où les premiers troubles ont été ressentis) d'avoir pu être à l'origine directe du décès ou d'en avoir favorisé la survenance. » La requérante sollicita vainement l'accès aux rapports d'autopsie et toxicologique. Elle ne fut jamais entendue par le juge d'instruction et se trouva écartée de l'information. Le 22 avril 2000, elle saisit le juge d'instruction d'une demande de transmission du dossier d'information au Procureur de la République aux fins de voir délivrer un réquisitoire supplétif du chef d'homicide involontaire. Le juge d'instruction n'ayant pas répondu dans le mois, elle saisit, le 24 mai 2000, le président de la chambre d'accusation de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence de sa demande, en application de l'article 81 du code de procédure pénale. La demande fut déclarée irrecevable par une ordonnance du 29 mai 2000, au motif notamment que, « dans la procédure de recherche pour causes de la mort, la dame Slimani n'a aucune qualité pour solliciter des actes d'instruction ». Par des ordonnances des 6 et 20 novembre 2000, le juge d'instruction confia aux docteurs Boudouresques et Romano la mission d'expertise suivante : « Prendre connaissance du dossier médical de l'intéressé auprès du CHU de l'hôpital de la Conception et des pièces de la procédure jointes en copie. - Déterminer les causes de la mort de Sliti Moshen et dire notamment si les soins diligentés ont été conformes aux données actuelles de la science. - Décrire l'infrastructure médicale du Centre d'Arenc Marseille et dire si elle est conforme aux lois et règlements en vigueur. Au cas où des carences ou des anomalies seraient constatées, vous en préciserez les termes dans le développement de votre rapport et désignerez d'un point de vue médical la ou les personnes qui peuvent être tenues pour responsables. Vous pourrez entendre toute personne dont l'audition vous paraîtra utile et requérir de tous les établissements publics ou privés tous documents dont la consultation vous paraîtra utile. Vous formulerez toutes observations utiles à la vérité ». Daté du 2 mai 2001, le rapport décrit l'infrastructure médicale du centre d'Arenc, telle qu'elle était à la date du 17 mars 2001 ; il indique qu' « antérieurement à septembre 2000, cette structure médicale n'existait pas [ ;] les médicaments étaient distribués par les policiers aux détenus ». Sur les causes de la mort, il précise notamment ce qui suit : « (...) Les différents témoignages permettent de penser que les soins dont a bénéficié M. Sliti ont été prodigués entre 15 et 20 minutes après son malaise. La description des troubles cliniques présentés par M. Sliti correspondent à des crises d'épilepsie généralisées, répétitives, donc un état de mal épileptique. Cet état de mal épileptique peut être considéré comme inaugural dans la mesure où M. Sliti ne présentait aucun antécédent épileptique connu. Il est possible que le refus de prendre ses médicaments (nous pensons en particulier aux Benzodiazepines : 80 mg de Lysanxia) ait eut un effet dans le déclenchement de cet état de mal épileptique. Pour les résultats de l'analyse toxicologique il n'a pas été retrouvé de substance toxique autre que médicamenteuse. Par ailleurs ces substances d'origine médicamenteuse ne paraissent pas, d'après le rapport d'analyse toxicologique, susceptibles de par leur nature même, dans l'association des taux sanguins, d'être à l'origine du décès ou d'en avoir favorisé la survenance. Les soins prodigués par le médecin des marins-pompiers au centre d'Arenc sont ceux habituellement proposés dans le cas d'un état de mal épileptique. La prise en charge a comporté la prescription de médicaments anti-comitiaux puis en raison de leur inefficacité de barbituriques. Une intubation trachéale a été pratiquée. Il a été médicalisé sur place au centre d'Arenc pendant une heure et demie avant d'être transporté aux alentours de 12 heures 15 vers l'hôpital de la Conception à Marseille. Après mise en place d'un traitement barbiturique, il ne convulsait plus ce qui a permis son transport. Il n'y avait, d'après le Dr F. Topin, aucun signe d'insuffisance cardiaque. Les soins prodigués, d'abord par le médecin des marins-pompiers, puis dans le service de réanimation polyvalente de l'hôpital de la Conception sont ceux habituellement proposés dans ce type d'urgence médicale. Malgré une réanimation très vite entreprise et bien conduite, comportant, intubation, ventilation artificielle, perfusion, massage cardiaque externe, avec alcalinisation, M. Sliti a présenté un arrêt cardio-respiratoire entraînant son décès survenu aux alentours de 14 h 50. Les soins diligentés au centre de rétention d'Arenc le 26 mai 1999, et l'intervention immédiate des gardiens vers 10 h 30, l'intervention rapide du SAMU grâce à la diligence des officiers de police présents sur les lieux[,] vers 10 h 45 mise en place d'une médicalisation d'urgence, (examen clinique complet, un électrocardiogramme, mise en place d'une voie veineuse, avec utilisation de médicaments appropriés aux états de mal épileptique, intubation trachéale), les conditions de transport à l'hôpital de la Conception à Marseille, les soins diligentés par le service de réanimation polyvalente de l'hôpital de la Conception sont conformes aux données actuelles de la science. L'analyse du rapport d'expertise toxicologique établie par Mme M. Fornaris le 20 juillet 2000 ne permet pas d'incriminer une éventuelle substance toxique ayant pu être à l'origine du décès de l'intéressé. Une autopsie du cadavre de M. Mohsen Sliti montrait d'une part des signes de réanimation avec en particulier une ponction cardiaque, d'autre part la présence d'abondante spume dans la trachée des bronches et des modifications macroscopiques du cœur pouvant évoquer une décompensation cardio-respiratoire aiguë. Enfin l'examen anatomopathologique pratiqué par le Dr H.P. Bonneau le 15 octobre 1999, a permis de mettre en évidence un œdème aigu pulmonaire cause de la mort de M. Sliti. Conclusion : La cause de la mort de M. Sliti Mohsen est un arrêt cardio-respiratoire consécutif à un œdème aigu pulmonaire (défaillance aiguë du cœur gauche) succédant à un état de mal épileptique inaugural (possiblement induit par le refus de M. Sliti de prendre son traitement habituel). Les soins diligentés ont été conformes aux données actuelles de la science (au centre de rétention d'Arenc, par le SAMU, puis à l'hôpital de la Conception) ». Le 26 juin 2001, le Procureur de la République classa la procédure sans suite, « vu les conclusions des médecins experts » et « vu l'absence de tout élément susceptible de révéler l'existence d'un crime ou d'un délit à l'origine du décès ». Le 21 février 2003, la requérante, en son nom ainsi qu'en celui de ses enfants, forma un recours gracieux en indemnisation devant le Ministre de l'Intérieur. Elle expose qu'elle se fonde sur les documents produits par le Gouvernement dans la procédure devant la Cour, documents auxquels elle n'avait pu jusque là avoir accès. Selon elle, il ressort de ces pièces que « le décès de M. Sliti est la conséquence de dysfonctionnements graves dans le fonctionnement du service au centre de rétention d'Arenc » ; elle dénonce en particulier l'absence d'installations et de personnel médicaux au moment des faits. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'article 74 du code de procédure pénale est ainsi libellé : « En cas de découverte d'un cadavre, qu'il s'agisse ou non d'une mort violente, mais si la cause en est inconnue ou suspecte, l'officier de police judiciaire qui en est avisé informe immédiatement le procureur de la République, se transporte sans délai sur les lieux et procède aux premières constatations. Le procureur de la République se rend sur place s'il le juge nécessaire et se fait assister de personnes capables d'apprécier la nature des circonstances du décès. Il peut, toutefois, déléguer aux mêmes fins, un officier de police judiciaire de son choix. Sauf si elles sont inscrites sur une des listes prévues à l'article 157, les personnes ainsi appelées prêtent, par écrit, serment d'apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience. Le procureur de la République peut aussi requérir information pour recherche des causes de la mort ». Inséré dans le code de procédure pénale par la loi no 2002-1138 du 9 septembre 2002 (journal officiel du 10 septembre 2002), l'article 80-4 du code de procédure pénale est rédigé comme il suit : « (...) Les membres de la famille ou les proches de la personne décédée ou disparue peuvent se constituer partie civile à titre incident. Toutefois, en cas de découverte de la personne disparue, l'adresse de cette dernière et les pièces permettant d'avoir directement ou indirectement connaissance de cette adresse ne peuvent être communiquées à la partie civile qu'avec l'accord de l'intéressé s'il s'agit d'un majeur et qu'avec l'accord du juge d'instruction s'il s'agit d'un mineur ou d'un majeur protégé. » L'article 85 du code de procédure pénale est rédigé comme suit : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d'instruction compétent ». III. Rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (« CPT ») A. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite effectuée en France du 6 au 18 octobre 1996 (publié le 14 mai 1998) Une partie du rapport est consacrée aux « centres de rétention administrative pour ressortissants étrangers ». Le paragraphe 202 est libellé comme il suit : « (...), les conditions de séjour au centre administratif de rétention de Marseille-Arenc laissaient grandement à désirer. Les conditions matérielles étaient médiocres et les ressortissants étrangers ne se voyaient offrir aucune promenade en plein air pendant toute la durée de leur séjour. De plus, aucun encadrement médical spécifique, ni présence infirmière n'étaient prévus ; outre les difficultés d'accès à un médecin, cette situation entraînait inévitablement des conséquences inacceptables du point de vue de l'éthique médicale. Enfin, la délégation a relevé que l'information des retenus sur leurs droits et obligations n'était pas satisfaisante et qu'il y avait matière à clarification quant à la procédure à suivre pour le placement à l'isolement de retenus. La délégation a fait part de ses graves préoccupations en ce qui concerne le centre de rétention administrative de Marseille-Arenc lors de l'entretien de fin de visite. Ultérieurement, les autorités françaises ont informé le CPT d'une série de mesures destinées à améliorer la sécurité et la salubrité au centre de rétention de Marseille-Arenc ainsi que la prise en charge médicale des personnes retenues ; des dispositions ont également été prises en ce qui concerne l'information des retenus sur leurs droits et la procédure à suivre en cas de mise à l'isolement d'un retenu. Cela étant, les autorités françaises ont indiqué qu'il n'était pas contestable que le bâtiment abritant ce centre présente une configuration inadaptée. Le CPT a exprimé sa satisfaction face à la rapidité avec laquelle les autorités ont réagi aux observations de la délégation. Le Comité a toutefois souligné qu'il n'était pas acceptable que des personnes retenues soient privées de toute possibilité d'exercice en plein air pendant des périodes prolongées et qu'il y avait lieu d'organiser une présence infirmière journalière à l'intérieur du centre. Il a en conséquence recommandé aux autorités françaises de prendre sans délai des mesures appropriées sur ces deux points. Plus généralement, le CPT a invité les autorités françaises à reconsidérer l'aménagement d'un nouveau centre de rétention à Marseille ». B. Rapport au Gouvernement de la République française relatif à la visite en France effectuée du 14 au 26 mai 2000 (publié le 9 juillet 2001) Les paragraphes pertinents de ce rapport sont les suivants : « 59. A l'exception du Centre de rétention administrative de Marseille-Arenc, l'accès à un médecin et aux soins dans les lieux visités en mai 2000 peut être qualifié de satisfaisant. En particulier, dans tous ces lieux, l'accès au médecin et aux médicaments était gratuit pour les ressortissants étrangers maintenus ou retenus. (...) A l'inverse, à Marseille-Arenc, la situation était, à nouveau comme en 1996, inacceptable du point de vue de l'éthique médicale et - faut-il ajouter - du point de vue humain. En juillet 1998, l'organisation “Médecins du Monde” a dénoncé la Convention de collaboration pour la prise en charge sanitaire des retenus. L'organisation “SOS Médecins”, quant à elle, n'acceptait qu'exceptionnellement de se rendre au Centre. La délégation a entendu des plaintes répandues de la part des retenus qui, souhaitant consulter un médecin, se seraient vus rétorquer par les policiers qu'il fallait être solvable. Certains se plaignaient, en outre, que leurs réserves de médicaments (par exemple, traitement de substitution, médicaments appropriés pour les cas d'asthme) étaient sur le point d'être épuisées. Par ailleurs, la convention ad hoc n'ayant toujours pas été signée, aucune présence infirmière n'était organisée. A cela s'ajoutait le fait que le centre ne disposait d'aucune trousse de premiers soins (pas même de pansements) et que des médicaments, stockés dans un carton, étaient distribués par le personnel de surveillance, selon les besoins exprimés par les retenus. Suite à l'observation communiquée sur-le-champ par la délégation, les autorités françaises ont informé le CPT qu'une convention relative à l'organisation des prestations sanitaires a été signée le 14 juin 2000 entre le Préfet des Bouches-du-Rhône et l'Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille. A compter du 1er septembre, une présence infirmière sera assurée au centre sept jours sur sept ainsi que par un médecin à mi-temps. Le CPT tient à exprimer sa satisfaction face aux mesures prises. »
0
0
0
0
1
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1942 et réside actuellement à Diyarbakır, en Turquie. A l'époque des événements à l'origine de sa requête, il vivait à Çaylarbaşı (Dahlezeri en kurde), hameau du village de Türeli, situé dans la sous-préfecture de Lice, département de Diyarbakır. La requête porte sur les allégations du requérant concernant la détention non reconnue et la disparition ultérieure de ses deux fils, Servet et İkram İpek, au cours d'une opération conduite par les forces de l'ordre le 18 mai 1994 dans son village. Elle a également trait à la destruction alléguée du domicile et des biens de la famille de l'intéressé par les forces de l'ordre au cours de la même opération. A. Les faits Les circonstances ayant entouré la disparition des deux fils du requérant et la destruction alléguée des biens et du domicile de sa famille prêtent à controverse entre les parties. (...) C. Dépositions orales Les faits de la cause étant controversés, la Cour a mené une enquête avec l'assistance des parties. Dans ce contexte, trois délégués de la Cour ont procédé à l'audition de huit témoins du 18 au 20 novembre 2002. Trois autres témoins avaient été convoqués, mais n'ont pas comparu pour diverses raisons. (...) (...)
0
0
1
0
1
1
1
0
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1959 et réside à Kırşehir. Le requérant était, à l’époque des faits, dirigeant du parti HADEP (Parti de la démocratie du peuple) dans le département de Kırşehir. Conformément à la décision prise lors d’une assemblée générale du HADEP, le requérant reproduisit par photocopie un texte signé par « un groupe d’hommes de religion sympathisants du HADEP » et publié dans le premier bulletin du parti et l’adressa, à l’occasion d’une fête religieuse, à des précepteurs de village et des imams de Kırşehir. Suite à la dénonciation de ces derniers, une instruction fut ouverte contre le requérant. Le 8 septembre 1997, le juge assesseur près la cour de sûreté de l’État d’Ankara (« la cour de sûreté de l’État ») ordonna la détention provisoire par défaut du requérant. Par un acte du 10 septembre 1997, le procureur de la République près la cour de sûreté de l’État d’Ankara, en vertu de l’article 312 § 2 du code pénal, inculpa le requérant d’avoir abusé des sentiments religieux du peuple afin de l’inciter ouvertement à la haine et à l’hostilité, sur la base d’une distinction fondée sur l’appartenance à une race et une région. Les passages du bulletin litigieux auxquels il fit référence sont les suivants : « Lettre ouverte à tous ceux qui se considèrent humains, de la part d’un groupe de religieux [musulmans] sympathisants du parti HADEP : Dans le commentaire de certains versets coraniques, il est indiqué qu’Allah a donné un statut particulier à l’homme et, en particulier, aux musulmans, en leur attribuant le devoir et la responsabilité de faire régner la justice, en supprimant oppressions et injustices. Cette responsabilité se fonde sur le principe que l’honneur et la dignité ne dépendent point de l’appartenance à une race, ni de la couleur de la peau. En effet, aucune race n’est supérieure à une autre. Le déni et l’usurpation des réalités telles que la langue et les us et coutumes sont prohibés par notre religion. Alors que ceci constitue la plus grande, la pire des oppressions, dans notre pays, l’identité de la nation kurde est niée, sa culture est ignorée, sa langue est interdite, des Kurdes sont tués en Turquie au nom de l’islam. Tous ceux qui se considèrent musulmans doivent s’opposer à cette oppression, c’est un commandement d’Allah. C’est la religion qui exige de combattre contre ceux qui ne suivent pas ce commandement et de se rallier pour lutter contre la tyrannie. » Le 17 septembre suivant, le requérant fut arrêté et placé en détention. Le 15 octobre 1997, il fut remis en liberté provisoire. Par un arrêt du 1er décembre 1997, la cour de sûreté de l’État condamna le requérant à deux ans d’emprisonnement et à une amende « lourde » de 1 720 000 livres turques (TRL) en vertu de l’article 312 § 2 du code pénal. Elle décida enfin de surseoir à l’exécution des peines. Dans ses attendus, la cour se référa aux passages cités dans l’acte d’accusation. Elle précisa que « les termes employés dans le texte incriminé ne peuvent être justifiés par les libertés de pensée et d’expression. En effet, même dans les régimes démocratiques, lesdites libertés ne sont jamais absolues ». Le requérant se pourvut en cassation. L’avis du procureur général près la Cour de cassation n’aurait pas été notifié au requérant. Par un arrêt du 23 février 1998, la Cour de cassation débouta le requérant de son pourvoi. Le 3 mars 1998, le requérant forma une demande en rectification de l’arrêt devant la Cour de cassation. Dans les motifs de sa demande, il exposa qu’il n’était pas l’auteur du texte mais qu’il avait pensé que celui-ci avait de l’importance du point de vue de l’idéologie défendue par son parti, c’est pourquoi il l’avait divulgué, en estimant que c’était son droit de le faire. La Cour de cassation déclara la demande du requérant irrecevable. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS Le droit et la pratique internes pertinents en vigueur à l’époque des faits sont décrits dans les arrêts Karkin c. Turquie, no 43928/98, §§ 17 et 19, 23 septembre 2003, Özel c. Turquie no 42739/98, §§ 20-21, 7 novembre 2002, et Gençel c. Turquie, no 53431/99, §§ 11-12, 23 octobre 2003.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. La genèse de l'affaire Le 8 novembre 1995, la société requérante acquit de M. Gonod, journaliste, et du docteur Gubler, médecin personnel du président Mitterrand durant plusieurs années, les droits d'édition d'un livre intitulé « Le Grand Secret ». Cet ouvrage rapporte les relations entre le docteur Gubler et le président Mitterrand et expose la façon dont le premier avait organisé un service médical autour du second, atteint d'un cancer diagnostiqué dès 1981, quelques mois après sa première élection à la présidence de la République française. Il raconte en particulier les difficultés qu'avait posées au docteur Gubler la dissimulation de cette maladie, alors que le président Mitterrand s'était engagé à faire paraître un bulletin de santé tous les six mois. L'ouvrage devait paraître à la mi-janvier 1996, du vivant du président Mitterrand. Mais ce dernier étant décédé le 8 janvier 1996, les auteurs et la société Plon décidèrent dans ces conditions de surseoir à sa diffusion. Le 10 janvier 1996, le quotidien Le Monde publia un article révélant que le président Mitterrand était atteint d'un cancer de la prostate depuis le début de son premier septennat, et rappelant que le public n'avait été officiellement informé de cette maladie qu'en 1992. L'article indiquait en outre que le président Mitterrand avait congédié le docteur Gubler en 1994, choisissant de se faire soigner par des médecines que la société requérante qualifie de « parallèles ». Ces révélations furent amplement commentées dans les médias ; il fut notamment question de la qualité des soins reçus par le président Mitterrand. Un ouvrage rédigé par une ancienne conseillère du président de la République pour la culture, intitulé « L'Année des adieux » et publié en juin 1995 chez Flammarion, avait déjà affirmé que le président Mitterrand avait été mal soigné. Par ailleurs, peu après le décès du président Mitterrand, un frère de celui-ci fit des déclarations dans le même sens. Le chef de cancérologie médicale de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière fit de même, affirmant sur les ondes de la station radiophonique Europe 1 – notamment – que « pendant des années, [le président Mitterrand] n'a[vait] reçu que des poudres de perlimpinpin, des procédés tout à fait inefficaces pour traiter sa maladie ». Le 12 janvier 1996, le quotidien Le Monde publia cependant une déclaration du président du conseil national de l'ordre des médecins, aux termes de laquelle, « selon les informations dont [il] dispos[ait], le président a[vait] été soigné de façon tout à fait correcte ». Par ailleurs, Mme Mitterrand et ses enfants avaient, le 11 janvier 1996, diffusé un communiqué indiquant qu'ils conservaient leur confiance en l'équipe qui avait soigné le président. Le docteur Gubler s'estimant mis en cause, il fut décidé de diffuser Le Grand Secret dès le 17 janvier 1996. La quatrième de couverture est ainsi rédigée : « Le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu président de la République. Le 16 novembre 1981, six mois plus tard, des examens médicaux révèlent au chef de l'Etat qu'il est atteint d'un cancer. Les statistiques lui laissent de trois mois à trois ans de vie. Une poignée de médecins vont engager le combat contre la maladie avec pour obsession de sauver le Président et de respecter son ordre : que les Français n'en sachent rien. C'est un secret d'Etat. Seul Claude Gubler, le médecin personnel de François Mitterrand pendant deux septennats, pouvait nous livrer le récit stupéfiant de ces années gagnées sur la mort et vécues au jour le jour. Ces révélations bouleversent notre vision d'un homme qui dirigea la France durant quatorze années. » B. La procédure en référé Saisi en référé le 17 janvier 1996 par la veuve et les enfants du président Mitterrand – qui dénonçaient une violation du secret médical et une atteinte à l'intimité de la vie privée du président Mitterrand et aux sentiments de ses proches –, le président du tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance du 18 janvier 1996, fit défense à la société requérante et au docteur Gubler de poursuivre la diffusion du livre Le Grand Secret, sous astreinte de 1 000 francs français (FRF) par ouvrage diffusé, et commit un huissier « avec mission de se faire représenter tous documents justifiant de l'importance du tirage et du nombre d'exemplaires mis sur le marché ». Le juge des référés se fonda sur les motifs suivants : « Attendu que toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, ses fonctions, a droit au respect de sa vie privée ; Attendu que cette protection s'étend à celle des proches lorsque ceux-ci sont fondés à invoquer le droit au respect de leur vie privée [et] familiale ; Attendu qu'en l'espèce sont en cause des révélations qui émanent du médecin personnel du Président François Mitterrand l'ayant soigné et accompagné pendant plus de 13 ans, dépositaire de la confiance de son patient et de celle de sa famille ; (...) Attendu qu'elles ont été faites en violation de textes qui imposent un secret professionnel d'autant plus rigoureux qu'il s'agit du secret médical, et qu'elles sont susceptibles de faire encourir à leur auteur les sanctions prévues par l'article 226.13 du code pénal ; Attendu qu'elles constituent par leur nature une intrusion particulièrement grave dans l'intimité de la vie privée familiale du Président François Mitterrand, et dans celle de son épouse et de ses enfants ; Attendu que l'atteinte ainsi portée est d'autant plus intolérable qu'elle survient dans les quelques jours qui ont suivi le décès et l'inhumation du Président Mitterrand ; Attendu que s'agissant d'un abus caractérisé de la liberté d'expression, à l'origine d'un trouble manifestement illicite, il entre dans les pouvoirs du juge des référés d'ordonner les mesures pouvant le faire cesser ou en limiter la portée. » Par un arrêt du 13 mars 1996, la cour d'appel de Paris confirma cette ordonnance ; elle impartit en outre aux demandeurs un délai d'un mois pour saisir les juges du fond, précisant, d'une part, qu'en cas de saisine de ceux-ci la mesure d'interdiction sous astreinte produirait ses effets jusqu'au prononcé de la décision au fond, et, d'autre part, qu'à défaut d'une telle saisine cette mesure cesserait de prendre effet à l'expiration du délai d'un mois. L'arrêt rappelle tout d'abord la définition que donne l'article 4 du code de déontologie médicale du secret médical, et précise que « la mort du malade ne délie pas le médecin du secret auquel il est tenu ». Il cite ensuite le texte figurant sur la quatrième de couverture et identifie une vingtaine de révélations contenues dans le livre – indiquant les pages auxquelles elles se trouvent – relatives à des faits « venus à la connaissance de M. Gubler à l'occasion de l'exercice de sa profession de médecin auprès de François Mitterrand » et « comme tels (...) manifestement couverts par le secret médical », et souligne ce qui suit : « (...) Considérant (...) que la révélation accomplie au moyen de la diffusion du livre « Le Grand Secret » de faits couverts par le secret médical auquel le coauteur de ce livre est tenu revêt un caractère manifestement illicite ; Considérant que Mme Mitterrand et les enfants de François Mitterrand ont été heurtés dans leurs sentiments les plus profonds par cette révélation d'éléments afférents tant à la personnalité et à la vie privée de leur époux et père qu'à leur propre intimité, publiquement faite par le médecin personnel du Président de la République défunt en qui ce dernier avait placé sa confiance sous la protection d'un secret professionnel légalement institué et solennellement rappelé à tout médecin par la lecture du serment d'Hippocrate lors de son entrée dans la profession ; (...) Considérant (...) que l'interdiction de la diffusion d'un livre ne peut revêtir qu'un caractère exceptionnel ; Mais considérant qu'au regard de leur volume rédactionnel les passages précités du livre « Le Grand Secret », révélant des faits couverts par le secret médical auquel le coauteur de ce livre est tenu, ne peuvent être dissociés des autres passages dudit ouvrage, sauf à vider celui-ci de l'essentiel de son contenu et, par voie de conséquence, à le dénaturer ; Qu'ainsi, c'est par une exacte appréciation de la mesure conservatoire propre à faire cesser le trouble manifestement illicite né de cette révélation que le premier juge a fait défense à la société [requérante] et à M. Gubler de poursuivre la diffusion du livre « Le Grand Secret » ; (...) Considérant que si la première édition du livre litigieux a été commercialisée avant le prononcé de l'ordonnance attaquée et si, postérieurement à ce prononcé, des informations contenues dans ce livre ont pu être divulguées par la voie de divers médias, la situation qui en résulte actuellement n'est pas de nature à faire disparaître le trouble manifestement illicite qui renaîtrait nécessairement d'une reprise de la diffusion dudit livre ; Considérant, en conséquence, qu'il convient de maintenir la mesure conservatoire ordonnée par le premier juge ; Considérant, cependant, que le caractère nécessairement provisoire d'une telle mesure commande d'en limiter les effets dans le temps selon des modalités propres à mettre les parties en mesure de débattre du litige qui les oppose, dans un délai raisonnable, devant le juge du fond compétent pour en connaître au principal ; Qu'à cette fin il convient d'impartir aux intimés un délai d'un mois, commençant à courir le jour du prononcé du présent arrêt, pour saisir ce juge dudit litige et de dire, d'une part, qu'en cas de saisine du juge du fond dans ce délai cette mesure conservatoire produira effet, sauf prescription contraire de celui-ci, jusqu'au prononcé de sa décision, d'autre part, qu'en l'absence de saisine du juge du fond dans ce délai cette mesure conservatoire cessera immédiatement de produire effet. » Par un arrêt du 16 juillet 1997, la Cour de cassation rejeta les pourvois formés contre l'arrêt du 13 mars 1996 par la société requérante et le docteur Gubler. La Cour de cassation considéra que la cour d'appel avait caractérisé le trouble manifestement illicite en retenant que l'ouvrage contenait, sur l'évolution de l'état de santé de François Mitterrand, des révélations qui violaient le secret médical, et que la cour d'appel avait souverainement estimé que la mesure conservatoire d'interdiction de poursuivre la diffusion du livre, prise à titre provisoire et dont les effets étaient limités dans le temps, était seule de nature à faire cesser ce trouble, dans l'attente d'une décision sur le fond. C. La procédure pénale Entre-temps, le 19 avril 1996, le procureur de la République de Paris avait fait citer le docteur Gubler devant le tribunal correctionnel de Paris, pour violation du secret professionnel commise courant mai et juin 1995, novembre et décembre 1995 et janvier 1996, pour avoir révélé à M. Gonod et M. Olivier Orban – président-directeur général des Editions Plon – des informations relatives à l'état de santé et aux traitements prescrits au président Mitterrand ; MM. Gonod et Orban avaient également été cités, pour complicité. La veuve du président Mitterrand et les trois enfants de celui-ci s'étaient constitués partie civile mais n'avaient pas formulé de demandes de dommages-intérêts. Par un jugement du 5 juillet 1996, le tribunal correctionnel a déclaré le docteur Gubler coupable du délit de violation du secret professionnel, et M. Gonod ainsi que M. Orban coupables de complicité de ce même délit. Il les a condamnés respectivement à quatre mois d'emprisonnement avec sursis, une amende de 30 000 FRF, et une amende de 60 000 FRF. Le jugement souligne en particulier qu'en signant – le 8 novembre 1995 – un contrat d'édition, puis en livrant son manuscrit et en pourvoyant à sa publication, le docteur Gubler avait révélé au public les secrets dont il était dépositaire, et que « la publication d'un ouvrage tout entier fondé sur une violation du secret médical constitue, à la charge de M. Claude Gubler, un manquement grave aux devoirs de son état, qui doit appeler un ferme rappel de la loi ». A défaut d'appel, ce jugement est devenu définitif le 5 septembre 1996. D. La procédure civile au fond Parallèlement, le 4 avril 1996, la veuve du président Mitterrand et les trois enfants de ce dernier avaient assigné le docteur Gubler et M. Orban (tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de la société requérante) devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir l'interdiction de la reparution du Grand Secret, ou, subsidiairement, la suppression de certaines pages et paragraphes ; ils réclamaient en outre le versement de dommages-intérêts. Ils soutenaient notamment que l'ouvrage contenait des révélations constitutives de violations du secret médical et d'atteintes à la vie privée du président Mitterrand, de nature à porter atteinte aux sentiments et à la vie personnelle de son épouse et de ses enfants ; ils ajoutaient que certaines de ces « indiscrétions » étaient constitutives d'atteintes personnelles et directes à l'intimité de leur propre vie privée. Par un jugement du 23 octobre 1996, le tribunal de grande instance de Paris condamna in solidum le docteur Gubler, M. Orban et la société requérante à verser 100 000 FRF de dommages-intérêts à Mme Mitterrand ainsi que 80 000 FRF à chacun des autres demandeurs, et maintint l'interdiction de diffusion du Grand Secret. Le jugement indique notamment ce qui suit : « (...) Sur le bien-fondé des demandes Attendu que la lecture du livre « Le Grand Secret » révèle que celui-ci contient notamment : – la description de l'« hygiène de vie » du président de la République, au moment où se met en place la « couverture médicale » qui va l'accompagner pendant la durée de ses fonctions (pages (...)), – l'évocation des premiers symptômes de sa maladie (page (...)) et le récit des examens médicaux dont il a fait l'objet au mois de novembre 1981 (page (...)), – les résultats de ces examens et les entretiens qui ont suivi entre François Mitterrand et ses médecins (pages (...)), – la description de l'examen médical effectué sur la personne de François Mitterrand par le professeur [S.], le 16 novembre 1981, ainsi que le compte rendu de l'entretien au cours duquel le professeur [S.] et Claude Gubler ont révélé à François Mitterrand la nature de la maladie qui l'affectait et les modalités du traitement médical que celle-ci appelait (pages (...)), – la description d'un protocole de soins déterminé par le professeur [S.] et Claude Gubler et les modalités d'application de ces soins à François Mitterrand (pages (...)), – l'indication du nom d'emprunt sous lequel ont été réalisés par un laboratoire privé des examens biologiques concernant François Mitterrand (page (...)) ainsi que de la fréquence et de la nature de ces examens (pages (...)), – la description de certains troubles physiques ayant affecté François Mitterrand et l'indication des médicaments administrés à celui-ci pour mettre fin à ces troubles et prévenir leur récidive (pages (...)), – la description de crises d'angoisse subies par François Mitterrand (pages (...)), – la description des effets secondaires du traitement médical suivi par François Mitterrand (page (...)), – des informations relatives à l'évolution de l'état de santé de François Mitterrand et à l'incidence de cette évolution sur le comportement de celui-ci (pages (...)), – la description des conditions dans lesquelles ont été établis certains bulletins relatifs à l'état de santé de François Mitterrand (pages (...)), – la description des interventions d'autres médecins auprès de François Mitterrand et la relation de luttes d'influence qui ont opposé plusieurs praticiens de son entourage médical (pages (...)), – le récit du déroulement de l'opération chirurgicale pratiquée le 16 juillet 1994 sur la personne de François Mitterrand (pages (...)), – la description des modalités du traitement médical suivi par François Mitterrand et des examens médicaux subis par celui-ci à la fin de l'année 1994 (pages (...)) ; (...) Attendu que les événements décrits dans les passages précités de l'ouvrage « Le Grand Secret » ont été portés à la connaissance de Claude Gubler à l'occasion de l'exercice de sa profession de médecin auprès de François Mitterrand ou de membres de l'entourage de celui-ci ; que même s'ils ne se rapportent pas directement à des faits de nature médicale, ils n'ont pu être connus de Claude Gubler que dans le cadre de la pratique de son art et étaient ainsi manifestement couverts par le secret médical auquel il était astreint ; qu'ils ont été illicitement révélés, d'abord lorsque Claude Gubler, désireux de livrer au public une « chronologie » de la maladie du chef de l'Etat, est entré en contact avec le journaliste Michel Gonod et a rédigé avec celui-ci le manuscrit de l'ouvrage, ensuite par la remise de ce manuscrit, courant novembre 1995, à Olivier Orban, en vue de sa publication par les éditions Plon, enfin lors de la mise en vente du livre, quelques jours après le décès de François Mitterrand, l'éditeur mettant l'accent dans le texte de présentation de l'ouvrage sur le fait que seul Claude Gubler, en raison de sa position privilégiée auprès du Chef de l'Etat, pouvait livrer ce « récit stupéfiant » ; Attendu que ni la prétendue volonté de Claude Gubler de rétablir la vérité en informant le public de faits qui lui auraient été dissimulés pendant plusieurs années (...) ni la publication, du vivant de François Mitterrand, de bulletins incomplets relatifs à l'état de santé, que le médecin a pourtant accepté de signer, ne légitiment les révélations incriminées ; qu'en effet le secret médical présente un caractère général et absolu qui n'autorise pas un médecin à se transformer en garant du bon fonctionnement des institutions ou en témoin de l'Histoire ; Attendu en outre qu'aucune circonstance n'affranchit le médecin de son obligation au silence, le secret professionnel étant institué non seulement pour protéger les intérêts de celui qui s'est confié, mais également pour assurer auprès de la communauté de ceux qui sollicitent le secours de la médecine le crédit qui doit nécessairement s'attacher à son exercice ; Attendu que si le professionnel, mis en cause dans sa compétence ou son intégrité, peut être amené à transgresser le secret pour apporter la preuve de la qualité de son intervention ou de sa bonne foi, c'est à la condition que la révélation se limite aux strictes exigences de sa défense, devant une juridiction, et ne prenne pas, comme en l'espèce, la forme d'une divulgation publique délibérée ; (...) Sur la réparation du préjudice Attendu que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; que ce principe implique, lorsqu'il s'agit d'assurer la réparation d'un dommage moral, que les juges puissent non seulement allouer des dommages-intérêts à la victime en compensation du préjudice déjà consommé, mais aussi prévenir le dommage futur en ordonnant la suppression de la cause de ce préjudice ; Attendu que l'outrage subi par les consorts Mitterrand-Pingeot lors de la révélation des manquements délibérés de leur propre médecin à la nécessaire confidentialité des rapports entretenus avec celui-ci depuis de nombreuses années, tant par François Mitterrand que par eux-mêmes, la volonté de l'éditeur d'attirer l'attention de manière spectaculaire sur l'ouvrage, par son impression et sa mise en vente précipitées immédiatement après l'annonce du décès de François Mitterrand sans que l'hypothèse d'une simple coïncidence des événements puisse être sérieusement soutenue, la communication préalable d'extraits du livre à certains organes de presse à des fins évidentes de promotion, l'importance particulière du premier tirage du livre, diffusé et vendu à plus de 40 000 exemplaires dès le 17 janvier 1996, justifient l'allocation aux demandeurs des dommages-intérêts précisés au dispositif de ce jugement (...) et le maintien de l'interdiction de diffusion du livre prononcée par la juridiction des référés ; Attendu qu'à cet égard, (...) l'interdiction de diffusion d'un écrit comportant une atteinte aux droits de la personne (...) constitu[e] au regard des principes de la responsabilité civile [un] mod[e] de réparation légalement admissibl[e] destin[é] à mettre fin au trouble subi par la victime et à prévenir la réapparition du préjudice, qui découlerait nécessairement d'une reprise de la diffusion de l'écrit ; (...) Attendu que, contrairement à ce que soutient Claude Gubler dans ses conclusions, le temps écoulé depuis le décès de François Mitterrand n'a pu avoir pour effet de faire définitivement cesser le trouble constaté lors de la parution de l'ouvrage et de rendre licite la diffusion d'un livre qui serait « un témoignage sur la vérité historique des deux septennats du président auquel les Français doivent avoir accès » (...), alors que le défendeur n'a pas qualité pour traiter en historien de faits dont la connaissance lui a été acquise dans le cadre de fonctions l'astreignant à un secret absolu ; Attendu que si, malgré les décisions d'interdiction de diffusion prononcées les 18 janvier et 13 mars 1996, des informations contenues dans le livre « Le Grand Secret » ont pu être divulguées par la voie de divers médias, la situation qui en résulte n'est pas de nature à faire disparaître le trouble et le dommage qui renaîtraient pour les demandeurs d'une reprise de la diffusion de ce livre, avec l'éclairage particulier que confèrent les propos d'un médecin non seulement aux relations des membres du cercle familial dont il était un proche, mais aussi aux réactions les plus intimes de François Mitterrand à l'égard de sa maladie ; Attendu qu'au regard de leur volume rédactionnel, les passages précités du livre « Le Grand Secret » révélant des faits couverts par le secret médical ne peuvent être dissociés des autres passages de l'ouvrage, sauf à vider celui-ci de l'essentiel de son contenu et, par voie de conséquence, à le dénaturer (...) » Saisie par la société requérante, le docteur Gubler et M. Orban, la cour d'appel de Paris statua par un arrêt du 27 mai 1997. Elle mit M. Orban hors de cause, au motif que la confection et la mise en vente du Grand Secret ne constituaient pas, sur le plan civil, une faute distincte de celle pouvant être reprochée à la société requérante. Elle déclara par ailleurs irrecevable l'action des consorts Mitterrand en ce qu'elle visait à la protection de la vie privée du président Mitterrand, soulignant à cet égard que « la faculté ouverte à chacun d'interdire toute forme de divulgation de [sa vie privée] n'appartient qu'aux vivants ». Sur l'atteinte à la vie privée des consorts Mitterrand eux-mêmes, la cour d'appel constata que certains passages de l'ouvrage litigieux « cont[enaient] des violations de la vie privée des consorts Mitterrand », mais jugea que de telles violations ne pouvaient, « pour regrettables qu'elles [fussent], eu égard notamment à leur caractère ponctuel dans l'ouvrage, justifier l'interdiction de la publication de la totalité de celui-ci ». En revanche, motif pris de ce que le docteur Gubler avait violé le secret professionnel auquel il était tenu, la cour d'appel condamna in solidum ce dernier et la société requérante au paiement des dommages-intérêts fixés par le jugement déféré, et confirma le maintien de l'interdiction de diffusion de l'ouvrage litigieux. L'arrêt du 27 mai 1997 précise en particulier ce qui suit : « (...) Sur l'atteinte au secret médical Considérant qu'il est établi par le jugement [du tribunal correctionnel de Paris] du 5 juillet 1996, devenu irrévocable et s'imposant aux juridictions civiles, que M. Gubler a violé le secret professionnel auquel il est tenu ; Qu'il est à juste titre rappelé par cette décision que le délit de violation du secret professionnel est institué non seulement dans l'intérêt général, mais également dans l'intérêt des particuliers, pour garantir la sécurité des confidences que ceux-ci sont dans la nécessité de faire à certaines personnes du fait de leur état et de leur profession ; que le secret médical trouve son fondement dans la relation de confiance indispensable à l'acte médical qui assure au malade que ce qu'il confie ou laisse voir ou entendre ou comprendre à son médecin, confident nécessaire, ne sera pas révélé par celui-ci ; Considérant que selon l'article 4 alinéa 2 du code de déontologie médicale, le secret médical couvre « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris » ; Considérant que la présence de M. Gubler auprès de M. François Mitterrand n'ayant eu d'autres causes que sa fonction de médecin traitant, tous les éléments qu'il relate dans son livre, appris ou constatés à l'occasion de l'exercice de sa profession, relèvent du secret médical auquel il est tenu envers son patient, même s'ils peuvent également constituer, par ailleurs, une atteinte à la vie privée ou à l'intimité de cel[ui]-ci ; Considérant que les consorts Mitterrand ont recueilli dans la succession de M. François Mitterrand le droit d'agir à l'encontre des appelants ; que si la publication du livre « Le Grand Secret » est intervenue postérieurement au décès, il convient d'observer qu'elle était l'objet même du contrat d'édition du 8 novembre 199[5], antérieur au décès ; Que les consorts Mitterrand trouvent, dès lors, dans la succession de leur auteur, outre le droit à réparation pour les violations du secret médical résultant de la communication de ce secret à M. Gonod, en mai-juin 1995, puis à M. Orban, courant novembre 1995, comme l'a retenu la juridiction pénale, celui d'obtenir indemnisation des conséquences de la publication décidée le 8 novembre 1995, possibilité qui n'est pas exclue par le jugement du 17 juillet 1995 et n'est pas contraire à l'autorité de la chose jugée par cette décision ; Sur les réparations Considérant que l'exercice de la liberté d'expression, principe à valeur constitutionnelle rappelé par l'article 10 de la Convention (...), comporte des devoirs et des responsabilités ; qu'il peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, notamment à la protection de la santé, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ; Qu'en l'espèce, l'interdiction de l'ouvrage litigieux est nécessaire, celle-ci constituant le seul moyen permettant de mettre un terme au préjudice subi et à l'infraction pénale qu'il concrétise (...) » Par un arrêt du 14 décembre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi formé par M. Orban et la société requérante. Au moyen fondé sur l'article 10 de la Convention soulevé par ces derniers, la Cour de cassation répondit comme il suit : « (...) attendu que la cour d'appel a retenu que toutes les informations publiées avaient été recueillies par M. Gubler à l'occasion de son activité de médecin personnel de François Mitterrand, de sorte qu'elles relevaient du secret médical – pussent-elles constituer, en outre, une atteinte au respect dû à la vie privée ; qu'ayant constaté que la violation du secret médical était établie par un jugement pénal, les juges du second degré, qui ont retenu que l'exercice de la liberté d'expression pouvait donner lieu à certaines restrictions, notamment pour la protection des droits d'autrui, ont légalement justifié leur décision en décidant, souverainement, que la cessation de la diffusion de l'ouvrage était seule de nature à mettre fin à l'infraction pénale et au préjudice subi, qu'ils ont souverainement évalué (...) » Accueillant en revanche partiellement le pourvoi formé par les consorts Mitterrand, la haute juridiction cassa et annula l'arrêt du 27 mai 1997 en ce qu'il mettait M. Orban hors de cause et renvoya sur ce point l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée. L'issue de cet aspect de la procédure n'a pas été précisée par les parties. Celles-ci indiquent que la version électronique du texte du Grand Secret est disponible sur Internet. Elles ne précisent ni qui a pris l'initiative de cette diffusion, ni depuis quand elle est effective. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L'obligation des médecins au secret médical est prévue par les articles suivants du code de déontologie médicale : Article 4 « Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. » Article 72 « Le médecin doit veiller à ce que les personnes qui l'assistent dans son exercice soient instruites de leurs obligations en matière de secret professionnel et s'y conforment. Il doit veiller à ce qu'aucune atteinte ne soit portée par son entourage au secret qui s'attache à sa correspondance professionnelle. » Article 73 « Le médecin doit protéger contre toute indiscrétion les documents médicaux concernant les personnes qu'il a soignées ou examinées, quels que soient le contenu et le support de ces documents. Il en va de même des informations médicales dont il peut être le détenteur. Le médecin doit faire en sorte, lorsqu'il utilise son expérience ou ses documents à des fins de publication scientifique ou d'enseignement, que l'identification des personnes ne soit pas possible. A défaut, leur accord doit être obtenu. » La violation du secret professionnel est constitutive d'une infraction prévue et réprimée par l'article 226-13 du code pénal, aux termes duquel : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » Selon la Cour de cassation, « ce que la loi a voulu garantir, c'est la sécurité des confidences qu'un particulier est dans la nécessité de faire à une personne dont l'état ou la profession, dans un intérêt général et d'ordre public, fait d'elle un confident nécessaire » (Cass. crim., 19 novembre 1985, Bulletin criminel (Bull. crim.) no 364). La haute juridiction a précisé que « l'obligation au secret professionnel, établie par l'article 226-13 du code pénal, pour assurer la confiance nécessaire à l'exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s'impose aux médecins, hormis les cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état[, et que], sous cette seule réserve, elle est générale et absolue » (Cass. crim., 8 avril 1998, Bull. crim. no 138), « et [qu']il n'appartient à personne de les en affranchir » (Cass. crim., 5 juin 1985, Bull. crim. no 218). Dans le cadre d'une affaire concernant un avocat, elle a jugé que « l'obligation au secret professionnel établie par l'article 226-13 du code pénal s'impose aux avocats comme un devoir de leur fonction [et que] la connaissance par d'autres personnes de faits couverts par le secret n'est pas de nature à enlever à ces faits leur caractère confidentiel et secret » (Cass. crim., 16 mai 2000, Bull. crim. no 192). L'article 226-14 du code pénal précise pour sa part (dans sa rédaction issue de la loi no 2002-73 du 17 janvier 2002) ce qui suit : « L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable : 1º A celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique ; 2º Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices qu'il a constatés dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences sexuelles de toute nature ont été commises ; 3º Aux professionnels de la santé ou de l'action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu'elles détiennent une arme ou qu'elles ont manifesté leur intention d'en acquérir une. Aucune sanction disciplinaire ne peut être prononcée du fait du signalement de sévices par le médecin aux autorités compétentes dans les conditions prévues au présent article. » Selon la Cour de cassation, si stricte que soit l'obligation du secret professionnel, elle ne saurait interdire à un médecin que l'on a tenté d'associer à une escroquerie en provoquant, de sa part, grâce à une mise en scène trompeuse, la délivrance d'un certificat attestant faussement l'existence de maladies ou d'infirmités, de justifier de sa bonne foi en témoignant, au cours d'une instance judiciaire relative à cette escroquerie, sur les manœuvres qui, faussant son examen et prenant en défaut son jugement, l'ont amené à délivrer ce certificat (Cass. crim., 20 décembre 1967, Bull. crim. no 338). Le Gouvernement souligne que cela n'est cependant possible qu'à la condition que la révélation se limite aux strictes exigences de la défense du médecin devant une juridiction et ne prenne pas la forme d'une divulgation publique délibérée ; il renvoie à cet égard – sans le produire ni en fournir les références de publication – à un arrêt Watelet de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 19 décembre 1885. La société requérante produit quant à elle un arrêt du 22 mai 2002, dans lequel la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que, par l'effet « de l'article 901 du code civil [aux termes duquel « pour faire une donation (...) il faut être sain d'esprit »] qui vaut autorisation au sens de l'article 226-14 du code pénal, le professionnel est déchargé de son obligation au secret relativement aux faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de sa profession ; (...) la finalité du secret professionnel étant la protection du non-professionnel qui les a confiés, leur révélation peut être faite non seulement à ce dernier mais également aux personnes ayant un intérêt légitime à faire valoir cette protection » ; la Cour de cassation en a déduit que les juges du fond pouvaient décider qu'un expert désigné dans une instance tendant à la liquidation et au partage d'une succession ait accès au dossier médical du de cujus, sans que le médecin détenteur de ce dossier puisse lui opposer le secret médical.
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Le requérant est né en 1932 et réside à Héraklion (Crète). En 1962, un nouveau journal quotidien parut à Héraklion, dont le requérant était propriétaire, éditeur et directeur. Le 21 avril 1967, un coup d’Etat militaire se produisit en Grèce. Le requérant fut emprisonné et la publication de son journal cessa. Le 27 mars 1992, le requérant saisit le tribunal administratif de première instance d’Héraklion d’une demande en dommages-intérêts contre l’Etat. Il invoquait à l’appui de sa demande l’article 36 de la loi no 1968/1991 qui prévoyait la possibilité d’indemnisation pour les journaux ayant subi des dommages pendant la dictature militaire. Le 31 décembre 1992, le tribunal rejeta sa demande (décision no 507/1992). Le 28 avril 1993, le requérant interjeta appel de cette décision. Le 27 janvier 1994, la cour administrative d’appel de Chania confirma la décision attaquée (arrêt no 16/1994). Le 15 juillet 1994, le requérant se pourvut en cassation. L’audience de l’affaire eut lieu, suite à plusieurs ajournements, le 16 octobre 2000. Le 22 octobre 2001, le Conseil d’Etat cassa l’arrêt no 16/1994 et renvoya l’affaire devant la cour administrative d’appel de Chania (arrêt no 3623/2001). Le 23 mai 2003, la cour administrative d’appel de Chania rejeta l’appel du requérant (arrêt no 123/2003). Le 30 octobre 2003, le requérant se pourvut à nouveau en cassation. L’affaire est actuellement pendante devant le Conseil d’Etat.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant né en 1955 et résidant à Çanakkale, est ouvrier en construction et membre de l'association des droits de l'Homme. Il était l'un des organisateurs de la fête de « Newroz » (fête traditionnelle kurde), qui allait se dérouler en plein air au centre ville de Çanakkale, située au nord-ouest de la Turquie. Lors de ladite fête qui eut lieu le 21 mars 1997, le requérant tint un discours, dans lequel il critiqua vivement la politique du « régime établi ». Dans son discours, le requérant s'exprima en ces termes : « Aujourd'hui, c'est notre fête. Notre fête pour la liberté, pour l'égalité, pour la paix, la démocratie et la fraternité des peuples. (...) [le colonisateur] usurpe les richesses du pays qu'il a colonisé, ne reconnaît pas la volonté politique du peuple colonisé, il s'évertue à l'exploitation de son travail, de ses cerveaux et de ses capitaux, essaie d'assimiler son histoire à la sienne. Il accapare toutes ses valeurs culturelles, à commencer par la langue, le folklore, la musique. Parmi ces éléments, la langue est particulièrement importante, car il s'agit de la matière essentielle d'une identité et celle-ci ne peut se former en l'absence de libertés linguistiques. Les forces colonisatrices qui sont conscientes de ce fait visent en premier lieu les composants culturels et la langue des peuples qu'ils veulent exterminer. Un peuple qui perd ses valeurs nationales est une masse difforme et faible qui sera anéantie dans le processus en question. C'est dans la mesure où ils obtiennent un tel résultat que les colonisateurs peuvent se considérer parvenus à leur but. A la lumière de ces propos d'ordre général, nous pouvons aisément dire que la République de Turquie est l'un des Etats les plus exterminateurs que l'histoire n'ait jamais connu. Son histoire de soixante-treize ans est une histoire de tyrannie et de génocide blanc [traduction littérale] où les cultures, les langues et les systèmes de pensée des peuples sont altérés. La pierre angulaire de l'idéologie officielle est formée du déni de l'être et de la culture du peuple kurde, sa langue maternelle incluse. Cette idéologie est le fruit d'une conception et d'une politique de nation unique, territoire unique (...). Le ferment du régime est fait de déni, d'extermination, de mensonge, de pillage et de sang. Cette politique fondamentale est toujours en vigueur. A trois années du vingt-et-unième siècle, une atteinte cynique est encore et toujours exercée à l'endroit de la langue et des valeurs nationales du peuple kurde. Le gouvernement de la coalition RP-DYP (parti de la prospérité - parti de la juste voie), qui n'est pas différent des précédents, applique cette même politique (...). (..) Mais vous devez enfin saisir une réalité : la langue, la culture et toutes les valeurs nationales du peuple kurde sont protégées par des veilleurs immortels. Chaque martyr qui est tombé et qui tombera sur nos terres est une sentinelle de ces valeurs (...) Sachez que, tant qu'existeront nos martyrs, qui, à travers la mort, engendrent la vie, tant que notre peuple opprimé accueillera avec enthousiasme le Newroz, dans les montagnes, les plaines et sur les places, comme un nouvel an d'élan, et qu'il attisera les feux du Newroz, les projets traîtres seront anéantis. Nous en sommes certains, et c'est pourquoi nous proclamons : « biji Newroz ! » (vive le Newroz) ». Par un acte du 14 avril 1997, le procureur près la cour de sûreté de l'Etat d'Istanbul inculpa le requérant d'incitation du peuple à la haine et à l'hostilité sur la base d'une distinction fondée sur l'appartenance à une classe sociale, à une race et à une région, infraction prévue à l'article 312 § 2 du code pénal. Dans son acte, le procureur cita les phrases suivantes du discours litigieux : « (...) Le ferment du régime de la République de Turquie est fait de déni, d'extermination, de mensonge, de pillage et de sang. Cette politique fondamentale est certes en vigueur encore de nos jours. Il s'agit là d'une atteinte cynique à la langue et aux valeurs nationales du peuple kurde (...) » Devant la cour de sûreté de l'Etat, le requérant contesta les accusations pesant sur lui ; il précisa qu'il était membre du comité administratif de l'association des droits de l'Homme de Çanakkale et que son allocution ne comportait aucune intention criminelle. Il fit valoir que, dans son discours, il s'était borné à « communiquer ce qui était dit par la presse, dans divers journaux et magazines ». Par un arrêt du 17 septembre 1997, la cour de sûreté de l'Etat déclara le requérant coupable d'infractions à l'article 312 § 2 du code pénal et le condamna à une peine d'amende de 2 216 666 livres turques (TRL). La cour appliqua en faveur du requérant l'article 59 du code pénal qui prévoit une réduction de la peine en cas de bonne conduite lors des audiences. La cour décida enfin de surseoir à l'exécution de ladite peine, en vertu de l'article 6 de la loi no 647, qui prévoit que le juge peut décider pour un sursis s'il estime que ceci aura un effet dissuasif sur l'intéressé. Dans ses attendus, la cour rapporta certains passages du discours litigieux, tel qu'enregistré par des policiers : « (...) en énonçant que la République de Turquie serait l'un des Etats les plus exterminateurs que l'histoire n'ait jamais connu, que son passé de soixante-treize ans serait un passé de tyrannie et de génocide blanc (traduction littérale), où les cultures, les langues et les systèmes de pensée des peuples étaient altérés, que le ferment du régime serait fait de déni, d'extermination, de mensonge, de pillage et de sang, qu'une atteinte cynique serait exercée à l'encontre de la langue et des valeurs nationales du peuple kurde, que la République de Turquie aurait un caractère colonisateur, que les Kurdes seraient des veilleurs immortels de leur langue, leur culture et leur valeurs nationales, que chaque martyr tombé et qui tombera sur leurs terres serait un garde inébranlable de ces valeurs ; en citant à cet égard des terroristes comme Mazlum Doğan et Zekiye Alkan, morts lors d'affrontements entre les forces de l'ordre et l'organisation terroriste PKK, et en affirmant que tant que ces martyrs vivraient et que leur peuple attiserait les feux du Newroz dans les plaines et sur les places, les projets traîtres seraient anéantis (...) » Le même jour, le requérant se pourvut en cassation contre ledit arrêt. Devant la Cour de cassation, il invoqua en substance la liberté d'expression. Par un arrêt du 9 février 1998, la Cour de cassation confirma l'arrêt rendu par la cour de sûreté de l'Etat. Après que la présente requête ait été déclarée recevable par la Cour, le requérant informa celle-ci qu'il avait fait l'objet d'une autre condamnation, cette fois-ci en vertu de l'article 169 du code pénal pour avoir prêté assistance au PKK, interdit comme organisation terroriste en droit turc. Dans son arrêt daté du 26 novembre 1999, la cour de sûreté de l'Etat qui condamna le requérant à trois ans et neuf mois de prison ferme, mentionna parmi les preuves, sa précédente condamnation qui est l'objet de cette requête. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L'article 311 § 2 du code pénal se lit comme suit : « Incitation publique au délit (...) Si l'incitation au délit est pratiquée par des moyens de communication de masse quels qu'ils soient - bandes sonores, disques, journaux, publications ou autres instruments de presse - par la distribution de manuscrits imprimés ou par la pose de panneaux ou affiches dans les lieux publics, les peines d'emprisonnement à infliger au coupable sont doublées (...) » L'article 312 du code pénal dispose : « Incitation non publique au délit Est passible de six mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende lourde de six mille à trente mille livres turques quiconque, expressément, loue ou fait l'apologie d'un acte qualifié de délit par la loi, ou incite la population à désobéir la loi. Est passible d'un à trois ans d'emprisonnement ainsi que d'une amende de neuf mille à trente-six mille livres quiconque, sur la base d'une distinction fondée sur l'appartenance à une classe sociale, à une race, à une religion, à une secte ou à une région, incite le peuple à la haine et à l'hostilité. Si pareille incitation compromet la sécurité publique, la peine est majorée d'une portion pouvant aller d'un tiers à la moitié de la peine de base. Les peines qui s'attachent aux infractions définies au paragraphe précédent sont doublées lorsque celles-ci ont été commises par les moyens énumérés au paragraphe 2 de l'article 311 » La condamnation d'une personne en application de l'article 312 § 2 entraîne d'autres conséquences, notamment quant à l'exercice de certaines activités régies par des lois spéciales. Ainsi, par exemple, les personnes condamnées de la sorte ne peuvent être fondatrices d'associations (loi no 2908, article 4 § 2 b) ou de syndicats, ni membres des bureaux de ces derniers (loi no 2929, article 5). Il leur est également interdit de fonder des partis politiques ou d'y adhérer (loi no 2820, article 11 § 5) ou d'être élus parlementaires (loi no2839, article 11, alinéa f 3). La législation régissant l'organisation judiciaire des cours de sûreté de l'Etat A l'époque des faits, soit avant la réforme du 18 juin 1999, l'article 143 §§ 1-5 de la Constitution était ainsi libellé : « Il est institué des cours de sûreté de l'Etat chargées de connaître des infractions commises contre la République – dont les caractéristiques sont énoncées dans la Constitution –, contre l'intégrité territoriale de l'Etat ou l'unité indivisible de la nation et contre l'ordre libre et démocratique, ainsi que des infractions touchant directement à la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat. Les cours de sûreté de l'Etat se composent d'un président, de deux membres titulaires, de deux membres suppléants, d'un procureur et d'un nombre suffisant de substituts. Le président, un membre titulaire, un membre suppléant et le procureur sont choisis, selon des procédures définies par des lois spéciales, parmi les juges et les procureurs de la République de premier rang, un titulaire et un suppléant parmi les juges militaires de premier rang, et les substituts parmi les procureurs de la République et les juges militaires. Les présidents et les membres titulaires et suppléants (...) des cours de sûreté de l'Etat sont nommés pour une durée de quatre ans renouvelable. La Cour de cassation connaît des appels formés contre les arrêts rendus par les cours de sûreté de l'Etat. (...) » Pour le reste, le droit interne relatif aux règles concernant la composition et le fonctionnement des cours de sûreté de l'Etat applicable à l'époque pertinente est exposé dans Incal c. Turquie, arrêt du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, pp. 1557-1562, §§ 26-33. La loi no 4388 du 18 juin 1999 relative à l'instauration des cours de sûreté de l'Etat a modifié l'article 143 de la Constitution, qui se lit désormais ainsi : « (...) Les cours de sûreté de l'Etat se composent d'un président, de deux membres titulaires, d'un membre suppléant, d'un procureur général de la République et d'un nombre suffisant de procureurs de la République. Le président, deux membres titulaires, un membre suppléant et le procureur général de la République sont nommés parmi les juges et les procureurs de premier rang, les procureurs de la République parmi les procureurs d'autres rangs, pour quatre ans, par le Haut Conseil des juges et des procureurs, selon la procédure définie dans la loi spéciale. Leur mandat est renouvelable (...) » Les modifications nécessaires quant à la nomination des juges et des procureurs de la République furent apportées à la loi no 2845 sur les cours de sûreté de l'Etat par la loi no 4390 du 22 juin 1999. Selon l'article provisoire 1 de la loi no 4390, les mandats des juges militaires et des procureurs militaires en fonction au sein des cours de sûreté de l'Etat devaient prendre fin à la date de la publication de cette loi (le 22 juin 1999). Selon l'article 3 provisoire de la même loi, les procédures pendantes devant les cours de sûreté de l'Etat à la date de publication de cette loi devaient se poursuivre dans l'état où elles se trouvaient à cette date. Par la loi no 5190 du 16 juin 2004, publiée dans le journal officiel le 30 juin 2004, les cours de sûreté de l'Etat ont été définitivement abrogées.
1
0
0
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1949 et réside dans le Surrey. Il est autiste de naissance. Il ne peut pas parler et a un niveau de compréhension limité. Souvent agité, il a des antécédents d’automutilation. Il n’est pas capable d’accepter ou de refuser un traitement médical. Pendant plus de trente ans, il fut soigné à l’hôpital de Bournewood (« l’hôpital »), un établissement qui appartient à la Régie hospitalière du Service national de santé (« la Régie »). Il séjourna dans le service de soins intensifs des troubles du comportement (Intensive Behavioural Unit – « le service IBU ») de l’hôpital depuis sa création vers 1987. Le médecin responsable du requérant (qui s’occupait de lui depuis 1977) était le docteur M. (directrice clinique pour les troubles de l’apprentissage, directrice médicale adjointe et psychiatre consultante en psychiatrie des troubles de l’apprentissage). En mars 1994, il fut confié à titre d’essai aux soins d’un couple rémunéré, M. et Mme E., chez qui il résida avec succès jusqu’au 22 juillet 1997. Il n’avait pas officiellement quitté l’hôpital, qui restait responsable du traitement et des soins qui lui étaient apportés. A partir de 1995, le requérant se rendit chaque semaine dans un centre d’accueil de jour géré par l’autorité locale. A. Admission à l’hôpital – du 22 juillet au 5 décembre 1997 Le 22 juillet 1997, alors qu’il se trouvait au centre de jour, le requérant connut une crise d’extrême agitation, se frappant la tête avec les poings et la cognant contre le mur. Ne parvenant pas à joindre M. et Mme E., le personnel appela un médecin des environs, qui lui administra un calmant. Comme le requérant demeurait agité, il fut conduit au service des urgences de l’hôpital sur la recommandation de A.F., responsable du service de soins de l’autorité locale chargée du dossier du requérant. A l’hôpital, le requérant continua à se montrer agité et anxieux. Le docteur P. (psychiatre consultant par intérim – services des troubles de l’apprentissage) considéra après l’avoir reçu et examiné que l’intéressé devait être hospitalisé et mis sous traitement. Le requérant fut transféré, avec le concours de deux aides-soignants, dans le service IBU de l’hôpital. Il fut noté qu’il ne tenta pas de partir. Après s’être consultés, le docteur P. et le docteur M. estimèrent que l’intérêt supérieur du requérant exigeait qu’il soit hospitalisé et mis sous traitement. Le docteur M. envisagea son internement en application de la loi de 1983 sur la santé mentale (« la loi de 1983 ») mais conclut qu’une telle mesure ne s’imposait pas puisque H.L. se montrait docile et ne s’opposait pas à son admission. Ce dernier fut donc admis en tant que « patient informel ». Le docteur M. confirma plus tard (dans ses observations au cours de la procédure de contrôle juridictionnel évoquée ci-après) que, si le requérant s’était opposé à son admission, elle l’aurait interné d’office en vertu de la loi de 1983 car elle était fermement convaincue qu’il avait besoin d’un traitement avec hospitalisation. Les notes personnelles prises par le docteur M. ce jour-là font état des rapports qu’elle avait reçus au sujet du comportement extrêmement agité de l’intéressé au centre d’accueil le jour même et auparavant, de la suggestion de A.F. selon laquelle il présentait peut-être des troubles cycliques de l’humeur et de la recommandation d’examiner le requérant pour décider de la conduite à tenir, de ses consultations approfondies tout au long de la journée avec le généraliste qui avait été appelé, le docteur P., A.F., le personnel du service et d’autres professionnels de la santé, de la conclusion selon laquelle, vu l’intensification des problèmes comportementaux, le requérant devait être de nouveau admis pour subir « examens approfondis et traitement » mais ne se verrait pas « interner d’office » car il était « tout à fait docile » et « n’avait pas tenté de s’enfuir », des nombreuses tentatives menées en vain pour prendre contact avec M. et Mme E. et, enfin, de la décision de dissuader ceux-ci de rendre visite au requérant car cela risquerait de les peiner, le requérant et eux. Ses notes se rapportant au lendemain, 23 juillet 1997, indiquent que le requérant était calme, s’était prêté docilement à tous les soins et admettait le changement sans difficulté, que M. et Mme E. « acceptaient la suggestion de ne pas lui rendre visite pendant quelques jours », et mentionnent l’avis clinique selon lequel, vu l’aggravation des troubles du comportement et des automutilations et la suggestion de A.F. selon laquelle il pouvait s’agir de troubles cycliques de l’humeur, il fallait du temps pour observer, examiner et traiter convenablement le requérant. Divers tests étaient proposés en vue d’exclure l’éventualité d’une « pathologie organique ». Le requérant devait être adressé au psychologue-orthophoniste pour examen et un programme de soins devait être établi « à des fins de suivi après la sortie de l’hôpital ». Il fallait informer M. et Mme E. que le requérant ne devait pas recevoir de visites tant que l’équipe qui le soignait ne jugeait pas cela possible. Dans sa lettre du 23 juillet 1997 adressée au travailleur social qui suivait le requérant (avec copie au docteur P.), à laquelle était joint un rapport détaillé sur l’incident de la veille, le centre de jour décrivait des aspects sérieux du comportement du requérant qui devaient être examinés par les professionnels de la santé s’occupant de lui avant qu’il ne puisse être autorisé à revenir au centre. La lettre mentionnait que les crises du requérant s’étaient aggravées au cours des mois précédents et que celui-ci avait de plus en plus de difficultés à s’adapter à son environnement et au groupe. Elle comportait aussi un résumé sur le comportement du requérant et les dates de ses visites au centre de jour entre janvier et juillet 1997. Le 18 août 1997, le docteur M. prépara un rapport détaillé sur les antécédents du requérant, les soins reçus et les progrès effectués par lui à l’intention de la personne chargée de son dossier au service de soins de l’autorité locale (troubles du comportement) à la suite de leurs récentes discussions à son sujet. Le docteur M. indiquait que l’hôpital en venait à la conclusion que le requérant était non seulement autiste mais souffrait aussi de troubles de l’humeur et déclarait qu’à ce stade les médecins étaient opposés à sa sortie de l’hôpital. Le 22 août 1997, un psychiatre consultant en troubles de l’apprentissage (le docteur G.) examina le requérant à la demande de M. et Mme E. Dans son rapport, il diagnostiquait chez le requérant de graves troubles de l’apprentissage, des traits caractéristiques de l’autisme et éventuellement des troubles cycliques de l’humeur. Il recommandait que le requérant continue à être suivi dans le service IBU ainsi qu’une meilleure collaboration s’instaure entre l’équipe de l’hôpital, le centre de jour et M. et Mme E. Le 29 octobre 1997, la Cour d’appel indiqua (voir la procédure détaillée ci-dessous) que le recours du requérant serait tranché en sa faveur. En conséquence, l’intéressé fut interné ce jour-là à l’hôpital en vertu de l’article 5 § 2 de la loi de 1983 (à réception de l’avis d’un médecin responsable d’un patient hospitalisé selon lequel il y a lieu de présenter une demande en vue de l’internement de celui-ci aux fins notamment d’un traitement en vertu de l’article 3 de la loi de 1983, le patient peut être détenu pendant soixante-douze heures au maximum pour permettre l’examen de cette demande). Le 31 octobre 1997, le requérant fut interné d’office pour traitement en vertu de l’article 3 de la loi de 1983 (deux médecins ayant examiné le requérant peu de temps auparavant auraient certifié que son internement était nécessaire en vue d’un traitement). Le 2 novembre 1997, le couple s’occupant du requérant lui rendit visite pour la première fois depuis son hospitalisation en juillet 1997. Le 4 novembre 1997, les représentants en justice du requérant sollicitèrent un contrôle de la détention par une commission de contrôle psychiatrique (Mental Health Review Tribunal). L’assistance judiciaire leur fut accordée pour demander une expertise à un psychiatre indépendant. Le rapport d’expertise, daté du 27 novembre 1997, fut établi conjointement par un psychiatre consultant et un interne en psychiatrie des troubles de l’apprentissage, tous deux rattachés au département de psychiatrie de l’université de Cambridge. Les deux spécialistes recommandèrent la libération du requérant, estimant que ses troubles mentaux n’étaient « actuellement ni d’une nature ni d’une intensité demandant une prolongation de l’internement en hôpital, qui n’était pas non plus nécessaire pour sa santé ou sa sécurité ou pour la protection d’autrui ». Le 4 décembre 1997, les représentants du requérant demandèrent à la direction de l’hôpital de libérer leur client (article 23 de la loi de 1983), car il était moins long d’organiser une réunion de la direction que de la commission de contrôle psychiatrique. L’équipe pluridisciplinaire responsable des soins et du traitement du requérant décida que l’état de celui-ci s’était suffisamment stabilisé pour qu’il puisse être suivi à domicile ; le 5 décembre 1997, il fut autorisé à quitter provisoirement l’hôpital (en vertu de l’article 17 de la loi de 1983) et remis aux bons soins de M. et Mme E. Le 9 décembre 1997, le docteur P. prépara un rapport en vue de la réunion de la direction qui devait se tenir peu après. Il nota que la sortie du 5 décembre 1997 en vertu de l’article 17 de la loi de 1983 devait être complétée par des visites psychiatriques hebdomadaires de suivi à l’hôpital, une poursuite des médicaments et une surveillance par une infirmière de secteur. Le docteur P. espérait que l’équipe de secteur et son psychiatre consultant pourraient prendre le requérant en charge afin que sa sortie de l’hôpital devienne définitive. Le 12 décembre 1997, la direction de l’hôpital décida d’autoriser officiellement le requérant à quitter l’hôpital et de le remettre à la garde de M. et Mme E. (article 23 de la loi de 1983). B. Correspondance entre le docteur M. et M. et Mme E. La première lettre adressée par le docteur M. à M. et Mme E. à la suite de l’admission du requérant à l’hôpital était datée du 23 juillet 1997. Après avoir rappelé les tentatives faites pour prendre contact avec eux le 22 juillet 1997, le docteur M. décrivait en détail les événements et les progrès accomplis par le requérant. Elle indiquait que l’objectif était de le faire sortir le plus tôt possible pour qu’il retourne chez eux, mais qu’elle ne pouvait prévoir la durée de son séjour à l’hôpital car cela dépendait du temps nécessaire pour effectuer tous les examens indispensables. Elle précisait que des visites n’étaient pas souhaitables tant que le personnel de l’hôpital ne jugerait pas qu’elles étaient opportunes ; en effet, il ne fallait pas que le requérant croie qu’il pourrait repartir avec M. et Mme E. après chaque visite, alors qu’il n’était pas encore « cliniquement apte à sortir ». Le docteur M. invitait M. et Mme E. à prendre contact avec elle pour qu’ils se rencontrent la semaine suivante. Le docteur M. écrivit une nouvelle fois le 31 juillet 1997 à M. et Mme E. pour faire un point détaillé sur les soins donnés au requérant, les examens pratiqués et les progrès accomplis. Relevant que M. et Mme E. avaient demandé au personnel à rendre visite au requérant, le docteur M. indiquait que les observations et examens approfondis en cours seraient faussés par de telles visites et proposait de revoir la situation la semaine suivante. Elle signalait que l’intéressé n’était pas cliniquement apte à sortir de l’hôpital. Comme M. et Mme E. avaient exprimé leur préoccupation auprès du personnel hospitalier quant aux soins et au traitement réservés au requérant, le docteur M. leur envoya une longue lettre le 6 août 1997 où elle expliquait qu’incombait à l’équipe clinique la responsabilité d’apporter au requérant l’assistance et le savoir-faire clinique dont il avait besoin. Elle notait en particulier : « J’aimerais saisir cette occasion pour souligner, à travers cette correspondance, qu’en tant qu’équipe clinique au sein du [service IBU] nous sommes ici principalement pour apporter un traitement [au requérant] qui a été admis et placé sous notre garde en urgence. Il serait extrêmement irresponsable de notre part de ne pas fournir [au requérant] l’assistance et le savoir-faire clinique qu’il mérite et dont il a besoin. Sa sortie du service dépend (...) de l’avis mûrement réfléchi que l’équipe pluridisciplinaire de cliniciens rendra au vu des examens et du travail qu’elle a l’intention d’accomplir avec [le requérant], notamment quant à son comportement difficile et/ou ses besoins en matière de santé mentale. Comme je l’ai souligné dans mes précédentes lettres, ces choses prennent du temps et il nous faut malheureusement faire preuve d’un peu de patience afin de donner aux professionnels le temps de faire leur travail. (...) [Le requérant] a été admis dans [le service IBU] sur une base « informelle » ; il ne s’agit pas d’une hospitalisation pour une durée limitée. Je me demande si vous n’avez pas mal compris la situation et ne croyez pas qu’il a été admis et interné en vertu de la « loi sur la santé mentale ». Même si tel était le cas, il n’y a pas de limite d’« un mois » car tout dépend de l’aptitude du patient à sortir. (...) Au nom de l’équipe clinique, j’aimerais souligner que [le requérant] est traité au sein du [service IBU] et que, lorsqu’il sera jugé apte à sortir, il retournera à l’adresse où il habitait lors de son admission, muni d’un « programme de traitement » qui couvrira tous les aspects des soins à lui apporter et de la prescription d’un « programme de suivi ». » Compte tenu du traitement et des examens en cours, il n’était pas possible de fixer une date de sortie. Le docteur M. réitéra sa proposition de rencontrer M. et Mme E. en vue de discuter des soins apportés au requérant. Dans une nouvelle lettre du 2 septembre 1997, le docteur M. confirma à M. et Mme E. que, comme les conclusions tirées des examens l’indiquaient et comme la récente réunion de l’équipe clinique l’avait décidé, le requérant devait être « entièrement » confié au service IBU pour ce qui était des soins et du traitement, et que son séjour risquait d’être long. Elle invita M. et Mme E. à participer à une réunion clinique consacrée aux soins et au traitement du requérant qui devait se tenir le 18 septembre 1997 et leur proposa de les rencontrer séparément pour parler notamment de la question des visites. M. et Mme E. répondirent par une lettre du 5 septembre 1997 qu’ils ne pouvaient accepter le programme indiqué et reprendraient contact avec elle avant la réunion en question. Par une lettre du 16 septembre 1997, ils confirmèrent qu’ils ne pourraient se rendre à la réunion du 18 septembre car ils étaient en train de consulter un avocat. Le docteur M. répondit dans une lettre du 19 septembre qu’elle regrettait de constater que M. et Mme E. croyaient que leur présence à la réunion pourrait porter préjudice au requérant. Par une autre lettre datée du même jour, le docteur M. faisait part des résultats de la réunion, où il avait notamment été recommandé que M. et Mme E. rendent visite au requérant une fois par semaine, et leur demandait de prendre contact avec elle pour organiser ces visites. Le 20 octobre 1997, le docteur M. confirma à M. et Mme E. que la question de leurs visites au requérant avait été discutée à l’hôpital assez longuement et les incita à la rencontrer pour parler des besoins de l’intéressé. Le 27 novembre 1997, le service de psychologie de l’hôpital émit des directives détaillées en matière de gestion du comportement à l’intention notamment du docteur M., de M. et Mme E., du travailleur social s’occupant du requérant et des autres services thérapeutiques devant participer à l’avenir aux soins de ce dernier. L’annexe 1 contenait une description clinique précise de l’état mental du requérant (autisme et troubles cycliques de l’humeur) et de ses besoins et réactions, préparée à partir d’observations et examens comportementaux et psychiatriques approfondis, et ce afin de contribuer à une appréciation globale de son état, de son traitement et des soins nécessaires. L’annexe 2 renfermait un « dictionnaire de communication » extrêmement fouillé, conçu pour améliorer la communication avec le requérant par le biais de la voix, de l’action et de routines. Quant à l’annexe 3, elle contenait des tableaux. Par une lettre du 2 décembre 1997 adressée aux représentants en justice du requérant, le docteur M. accusa réception des directives du 27 novembre 1997 et expliqua les plans préparés par l’équipe clinique en vue d’une sortie provisoire du requérant dans un proche avenir avant une éventuelle sortie définitive par la suite. C. Procédure interne concernant le requérant Aux alentours de septembre 1997, le requérant, représenté par son cousin, qui était également son curateur ad litem, sollicita l’autorisation de demander le contrôle juridictionnel de la décision prise par l’hôpital de l’interner le 22 juillet 1997, une ordonnance d’habeas corpus et une indemnisation pour détention arbitraire et voies de fait (voies de fait « techniques » lors de l’admission). Décision de la High Court du 9 octobre 1997 La High Court rejeta la demande. Elle considéra que, si la loi de 1983 prévoyait un régime légal détaillé pour les personnes formellement admises dans un service psychiatrique, l’article 131 § 1 de la loi de 1983 maintenait l’application de la common law s’agissant des patients informels. Etant donné que le requérant n’avait pas été « détenu » mais admis de manière informelle et que les exigences posées par le principe de nécessité prévu par la common law avaient été respectées, il y avait lieu de débouter l’intéressé. Décision de la Cour d’appel du 2 décembre 1997 (R. v. Bournewood Community and Mental Health NHS Trust, ex parte L., Weekly Law Reports 1998, vol. 2, p. 764) Lord Woolf, Master of the Rolls, rendit l’arrêt principal. A la question de savoir si le requérant était « détenu », il nota qu’il était généralement admis qu’il s’agissait d’un fait objectif indépendant de l’existence ou non d’un consentement ou d’une connaissance. Il estima qu’une personne était détenue au regard de la loi si ceux qui contrôlaient les locaux où elle se trouvait avaient l’intention de ne pas la laisser partir et avaient les moyens de l’empêcher de le faire. Il ajouta : « Nous ne pensons pas que le juge [de la High Court] a eu raison de conclure que [le requérant] était « libre de partir ». Il nous paraît évident que, si celui-ci avait tenté de quitter l’hôpital, les personnes responsables de lui ne lui auraient pas permis de le faire. (...) M. et Mme E. se sont occupés [du requérant] comme de l’un des membres de leur famille pendant plus de trois ans. Ils ont fait clairement savoir qu’ils voulaient le reprendre sous leur garde. Or il est patent que l’hôpital n’était pas prêt à accepter cela. Si l’hôpital n’était pas prêt à remettre [le requérant] à la garde des personnes qui s’occupaient de lui, c’est qu’il n’était pas prêt à le laisser quitter l’hôpital du tout. [Le requérant] y était et y est donc toujours détenu. » Lord Woolf constata également que le droit d’interner un patient afin de le soigner pour troubles mentaux ne se trouvait que dans la loi de 1983, dont l’application excluait celle du principe de nécessité prévu dans la common law. L’article 131 de la loi de 1983, qui garantissait le droit d’admettre un patient de manière informelle, ne s’appliquait qu’aux patients qui sont capables de consentir à leur admission et y ont effectivement consenti. Le requérant ayant été admis pour traitement sans son consentement et sans que soient accomplies les autres formalités requises par la loi de 1983, sa détention était donc irrégulière : « Il découle de notre raisonnement que toute la démarche suivie par [les médecins de l’hôpital] en cette affaire reposait sur une prémisse erronée. Elle partait de la conviction qu’ils avaient le droit de traiter [le requérant] comme un patient hospitalisé sans son consentement tant qu’il n’exprimait pas son désaccord. Or cette attitude n’était pas juste. En effet, ils n’étaient autorisés à l’interner pour traitement que s’ils respectaient les exigences légales. (...) Dans les cas prévus par [la loi de 1983], il ne peut y avoir aucune nécessité d’agir en dehors du cadre de la loi. Le pouvoir de [l’hôpital] d’agir en vertu du principe de nécessité prévu dans la common law ne peut entrer en jeu que dans les situations non décrites dans [la loi de 1983]. » La Cour d’appel alloua une indemnité symbolique et accorda l’autorisation de saisir la Chambre des lords. Arrêt de la Chambre des lords du 25 juin 1998 (R. v. Bournewood Community and Mental Health NHS Trust, ex parte L., Appeal Cases 1999, p. 458) La Chambre des lords autorisa entre autres la commission de la loi sur la santé mentale (Mental Health Act Commission) à intervenir dans la procédure. Dans les arguments qu’elle présenta à la Chambre des lords, cette commission souligna les conséquences bénéfiques qui découlaient pour les patients de la conclusion formulée par la Cour d’appel selon laquelle les personnes se trouvant dans la situation du requérant étaient « détenues » au sens de la loi de 1983 et notamment du fait que les garanties matérielles et procédurales de cette loi s’appliquaient à ces personnes. La commission décrivit aussi l’étude qu’elle avait menée depuis le prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel en adressant un questionnaire à tous les hôpitaux de la Régie (et centres de soins enregistrés). A partir des réponses fournies par 62 % de ces établissements, la commission put indiquer que, si l’arrêt de la Cour d’appel était appliqué aux patients tels que le requérant, il y aurait 22 000 personnes de plus dans ces établissements par jour, quel que soit le jour considéré, et 48 000 internements d’office supplémentaires au titre de la loi de 1983 par an. La Chambre des lords rendit son arrêt le 25 juin 1998 et accueillit le recours à l’unanimité. Lord Goff (auquel Lord Lloyd et Lord Hope se joignirent) prononça l’arrêt principal. Lord Nolan et Lord Steyn estimèrent eux aussi qu’il y avait lieu d’accueillir le recours, mais pour des raisons différentes. S’appuyant sur la genèse de l’article 131 de la loi de 1983, Lord Goff exprima son désaccord avec la Cour d’appel et conclut que cette disposition s’appliquait non seulement aux patients consentants mais aussi à ceux qui étaient dociles tout en étant incapables de donner leur consentement. Il souligna toutefois que l’historique de l’article, qui tranchait la question avec une totale certitude, ne semblait pas avoir été porté à l’attention de la Cour d’appel et que celle-ci, contrairement à la Chambre des lords, n’avait pas bénéficié de l’assistance du conseil représentant le ministre. Quant au fondement à partir duquel un hôpital était autorisé à traiter et soigner les patients admis de manière informelle au titre de l’article 131 § 1 mais incapables de manifester leur consentement, Lord Goff déclara ce qui suit : « Il était à l’évidence dans l’intention du législateur que ces patients soient pris en charge et reçoivent le traitement qui leur serait prescrit dans leur intérêt supérieur. De plus, les médecins responsables devaient naturellement être tenus par un devoir de vigilance envers les patients qui leur seraient ainsi confiés. Pareil traitement peut selon moi se justifier en se fondant sur la théorie de la nécessité prévue dans la common law (...) (Re F. (Mental Patient: Sterilisation) [1990] 2 AC 1). Il n’y a donc pas lieu de rechercher cette justification dans la [loi de 1983], qui ne dit rien à ce sujet. On pourrait, je suppose, déduire de la loi une justification similaire ; mais même à supposer que cela soit juste, il est difficile d’imaginer que pareille déduction aboutirait à un résultat différent. Aux fins de la présente affaire, dès lors, je pense qu’il convient de fonder la justification du traitement de ces patients sur la théorie de la common law. » Lord Goff rechercha ensuite si le requérant avait été « détenu illégalement » comme celui-ci l’alléguait et comme la Cour d’appel en avait conclu. Il indiqua que, pour que le délit de détention arbitraire soit constitué, il fallait qu’il y ait concrètement une privation totale de liberté ou une restriction à la liberté et non une simple privation potentielle de liberté. Lord Goff en vint ensuite aux faits et cita un large extrait de la déclaration sous serment du docteur M. (datée du 3 octobre 1997) : « Le 22 juillet 1997 à 11 heures, [le] travailleur social et la personne chargée du dossier [du requérant] (...) prirent contact avec moi. Celle-ci me signala qu’un incident s’était produit au centre d’accueil de jour de Cranstock, que [le requérant] fréquentait depuis 1995, au cours duquel celui-ci avait eu un comportement autodestructeur et s’était montré extrêmement perturbé. Elle déclara qu’il avait fallu l’envoyer au service des urgences et qu’elle avait besoin de l’aide du service de psychiatrie pour examiner [le requérant] en vue si nécessaire de l’hospitaliser. Un membre de mon équipe, [le docteur P.], psychiatre, se rendit à cet effet aux urgences. D’après ses notes, il s’enquit des antécédents [du requérant] auprès de [...], chef de l’équipe du centre de Cranstock, qui lui indiqua que depuis mars 1997 [le requérant] avait connu des épisodes de comportement autodestructeur d’une gravité croissante. Le 22 juillet 1997, alors qu’il se trouvait au centre, il s’était montré agité, en hyperventilation, marchant en long et en large et se frappant la tête avec les poings. Il se cogna aussi la tête contre le mur. Il avait fallu évacuer toute la zone pour éviter de gêner les autres personnes et assurer leur sécurité. On lui administra 4 mg de Diazepam afin de tenter de le calmer mais cela ne fut d’aucun effet. Le médecin généraliste qui fut alors appelé lui administra 5 mg de Zimovane. Toutefois, aux urgences, il était toujours agité. Il y fut examiné et soigné. Le [docteur P.] l’examina plus tard et le trouva agité et très angoissé. Il constata que [le requérant] avait des rougeurs aux tempes, qu’il se tapait par moments la tête avec les deux poings et était en hyperventilation. Le [docteur P.] trouva que [le requérant] devait être hospitalisé et le transféra au service IBU. Il nota que [le requérant] ne « cherchait pas à partir ». J’ai consigné que nous nous sommes demandé s’il était nécessaire de détenir [le requérant] en vertu de la loi de 1983 sur la santé mentale, mais il a été décidé qu’il n’y avait pas lieu de le faire car il était, comme je l’ai noté à l’époque, « tout à fait docile » et n’avait « pas tenté de s’enfuir ». Il fut donc admis en tant que patient informel. Si [le requérant] avait opposé de la résistance, je l’aurais sans nul doute interné en vertu de la loi [de 1983] car j’étais fermement convaincue qu’il avait besoin d’un traitement à l’hôpital. Cet avis a été mûrement réfléchi et constitue l’aboutissement de discussions avec le [docteur P.], le personnel du service, d’autres professionnels et la responsable des services de soins. Un programme approprié de soins et de traitement a été mis en place. » Lord Goff nota comment le docteur M. avait ensuite « (...) décrit la manière dont M. et Mme E. avaient été informés le 22 juillet de l’admission [du requérant], de même que ses proches. Tout d’abord, avec l’accord de M. et Mme E., il fut convenu que ceux-ci s’abstiendraient de rendre visite [au requérant] pendant quelques jours, conformément à la pratique clinique habituelle. Le 23 juillet, le docteur M. écrivit à M. et Mme E. une lettre où elle les invitait à venir la rencontrer la semaine suivante car elle avait l’intention de parler avec eux de la possibilité de mettre en place progressivement des visites, mais ils déclinèrent son invitation. Le même jour, un représentant fut désigné pour le compte [du requérant]. Celui-ci fut de nouveau examiné. Un programme de tests et d’observations démarra alors ». Lord Goff continua à citer des passages de la déclaration sous serment du docteur M. : « Etant donné que [le requérant] est un patient informel, nul n’a jamais tenté de l’interner contre sa volonté ou de pratiquer des tests, observations ou examens pour lesquels il aurait manifesté de l’aversion ou refusé de coopérer. [Le requérant] a toujours accepté de prendre ses médicaments, qui lui ont toujours été administrés par voie orale. Il s’est aussi montré parfaitement docile lorsqu’il s’est agi de lui faire des prises de sang. Toutefois, il ne s’est pas montré coopératif lorsque l’on a tenté les 5 et 6 août 1997 de lui faire passer une scanographie et un électro-encéphalogramme, jugés nécessaires eu égard à ses antécédents de crises et à son anomalie du lobe temporal ; on a donc renoncé à ces tests. [Le requérant] a à peu près accepté l’examen d’orthophonie pratiqué le 15 septembre 1997 et celui d’ergothérapie. Toutefois, dès qu’il montrait des signes de détresse, les examens étaient interrompus et revus. [Le requérant] se trouve dans un service qui n’est pas fermé à clé ; il n’a jamais tenté de quitter l’hôpital mais a très bien accepté son changement de milieu et ne s’en montre pas affecté. (...) De mon point de vue de médecin, il était dans l’intérêt supérieur [du requérant] d’être interné le 22 juillet 1997 et il est également dans son intérêt supérieur qu’il reste hospitalisé afin de prévenir toute aggravation de sa santé mentale. A ce stade, sa sortie se ferait donc contre l’avis médical. Au moment de son admission et depuis lors, [le requérant] s’est toujours prêté au traitement avec une totale docilité et n’a jamais fait mine de vouloir quitter l’hôpital. C’est pourquoi il n’a pas été nécessaire de l’interner en application de la loi. (...) Si [le requérant] cessait de coopérer ou indiquait son intention de partir, je devrais à ce moment-là déterminer si son état exige un internement en vertu de l’article 3 de la loi. Ce cas de figure ne s’étant pas encore produit, il n’a pas été nécessaire de recourir à l’internement. » Lord Goff considéra que le récit du docteur M. qu’il venait de rapporter permettait de dégager les conclusions suivantes : « Premièrement, comme je l’ai déjà indiqué, bien que [le requérant] soit sorti de l’hôpital pour reprendre sa place dans la société à titre d’essai, ce pourquoi il est allé vivre chez M. et Mme E., rémunérés pour s’occuper de lui, sa sortie définitive n’a pas été décidée. Il s’ensuit que la Régie appelante reste responsable de son traitement, et que c’est à ce titre qu’ont été prises les mesures que le docteur M. a décrites. Deuxièmement, lorsque, le 22 juillet, [le requérant] s’est montré agité et violent, cela a créé une urgence qui a rendu une intervention nécessaire dans son intérêt supérieur et, au moins au début, pour éviter tout danger pour autrui. Dans ces conditions, il était à l’évidence tout à fait indiqué que la Régie appelante, et le docteur M. en particulier, interviennent ; M. et Mme E., le couple s’occupant [du requérant], ne pouvaient certainement pas invoquer une quelconque supériorité. Troisièmement, je ne doute nullement que toutes les mesures prises, telles que le docteur M. les a décrites, l’ont été en fait dans l’intérêt supérieur [du requérant] et, pour autant qu’elles pourraient dans le cas contraire avoir constitué une atteinte à ses droits civils, étaient justifiées par le principe de nécessité prévu dans la common law. J’aimerais ajouter que cette dernière affirmation vaut non seulement pour toute restriction qui a été apportée à sa liberté de mouvement mais aussi pour tout contact physique avec lui. Il y a eu des moments pendant cet épisode où l’on pourrait dire que [le requérant] a été « détenu » au sens où, en l’absence de justification, il y aurait eu détention arbitraire. Je pense notamment au transport en ambulance entre le centre de jour et le service des urgences. Or ce transport se justifiait pleinement par la nécessité, comme cela est forcément souvent le cas lorsqu’il faut emmener en ambulance à l’hôpital des personnes tombées malades ou blessées et donc incapables d’exprimer leur consentement. Je souhaite encore dire que je ne saurais considérer que la déclaration du docteur M. selon laquelle elle aurait si nécessaire fait interner [le requérant] d’office au titre de la loi de 1983 a une quelconque influence sur les conclusions précédentes. Les personnes chargées du traitement de personnes aliénées doivent toujours avoir cette possibilité présente à l’esprit même si, à l’instar du docteur M., elles savent que ce pouvoir ne doit être exercé qu’en dernier ressort et peuvent espérer que, comme en l’espèce, il ne sera pas nécessaire d’y recourir. Pareil pouvoir, s’il est exercé conformément à la loi, est bien entendu légal. En l’occurrence, toutes les mesures prises par le docteur M. étaient selon moi légales parce que justifiées en vertu de la théorie de la nécessité prévue dans la common law ; le fait que le docteur M. se soit rendu compte qu’elle pourrait être amenée à recourir au pouvoir d’internement d’office prévu par la loi ne change rien à cette conclusion. Enfin, la nouvelle admission [du requérant] à l’hôpital en tant que patient informel en vertu de l’article 131 § 1 de la loi de 1983 ne saurait, à mon avis, constituer un internement arbitraire. Son hospitalisation en elle-même ne représentait pas une privation de liberté. Ainsi que le docteur M. l’a indiqué au paragraphe 9 de sa déclaration sous serment, l’intéressé n’a pas séjourné dans un service fermé à clé après son admission. Et ce n’est pas parce que, comme c’eût été le cas de tout autre médecin placé dans une situation comparable, elle a eu présente à l’esprit la possibilité de le faire ultérieurement interner d’office en vertu de la loi qu’il doit passer pour avoir été effectivement détenu à quelque moment antérieur que ce soit. De plus, son traitement pendant qu’il était à l’hôpital se justifiait manifestement en vertu de la théorie de la nécessité prévue dans la common law. Il s’ensuit qu’aucune de ces actions n’a porté préjudice au [requérant]. » Tels sont les motifs qui conduisirent Lord Goff à accueillir le recours. Celui-ci formula deux « arguments subsidiaires », le second étant le suivant : « (...) la théorie de la nécessité prévue dans la common law [sert à] justifier des actions qui seraient autrement délictueuses et peut donc être invoquée comme moyen de défense en cas d’action en responsabilité délictuelle. L’importance de cela est apparue, je crois, pour la première fois dans les arrêts rendus en l’affaire Re F. (Mental Patient: Sterilisation) [1990] 2 AC 1. Je souhaite toutefois exprimer ma gratitude envers le conseil des appelants (...) pour avoir attiré notre attention sur trois affaires antérieures où cette théorie a été invoquée, à savoir Rex v. Coate (1772) Lofft 73, notamment l’intervention de Lord Mansfield 75 ; Scott v. Wakem (1862) 3 F. et F. 328, intervention de Bramwell B., p. 333 ; et Symm v. Fraser (1863) 3 F. et F., p. 859, intervention du juge Cockburn, p. 883, qui toutes viennent étayer la thèse selon laquelle la common law autorise à interner les personnes qui constituent un danger réel ou potentiel pour elles-mêmes ou pour autrui, pour autant que cela se révèle nécessaire. Je dois avouer que je ne connaissais pas ces précédents bien que, maintenant qu’ils ont été portés à mon attention, je ne sois pas surpris qu’ils existent. La théorie de la nécessité a un rôle à jouer dans tous les aspects de notre droit des obligations – en matière de responsabilité contractuelle (voir les affaires relatives au mandat tacite par nécessité), de responsabilité délictuelle (Re F. (Mental Patient: Sterilisation) [1990] 2 AC 1) et dans les restitutions (voir les passages sur la nécessité dans les ouvrages classiques sur le sujet) – ainsi que dans notre droit pénal. Il s’agit donc d’un concept de grande importance. Il est peut-être surprenant, toutefois, que le rôle significatif qu’il a à jouer en matière de responsabilité délictuelle n’ait été reconnu qu’à un stade aussi tardif de l’évolution de notre droit. » Lord Nolan, pour sa part, considéra comme la Cour d’appel que le requérant avait été détenu, s’appuyant pour cela sur la teneur de la longue lettre du docteur M. du 6 août 1997 et sur les éléments supplémentaires invoqués par la Cour d’appel à cet égard (et cités ci-dessus). Cependant, il accueillit le recours car il avait la conviction que : « la Régie et son personnel médical ont agi tout du long non seulement en fonction de ce qu’ils ont jugé être l’intérêt supérieur du [requérant] mais aussi dans le strict respect du devoir de vigilance que leur impose la common law et du principe de nécessité prévu par celle-ci. » Lord Steyn accueillit lui aussi le recours. Il reconnut que confirmer la décision de la Cour d’appel reviendrait à assurer qu’un certain nombre de protections importantes s’appliquaient au requérant et qu’accueillir le recours conduirait à une lacune indéfendable dans le droit de la santé mentale. Toutefois, il lui parut possible d’accueillir l’appel en recourant à une interprétation contextuelle de la loi de 1983. En premier lieu, il trouva que le requérant avait été détenu : « Il n’y a pas lieu de chercher à donner une définition exhaustive de la détention. A mon avis, cette affaire tombe du mauvais côté de la ligne de démarcation raisonnable que l’on peut tracer entre ce qui est ou ce qui n’est pas emprisonnement ou détention. Les faits décisifs sont les suivants : 1) Lorsque, le 22 juillet 1997 au centre de jour, [le requérant] se montra agité et commença à se cogner la tête, on lui administra des calmants puis il fut conduit à l’hôpital soutenu physiquement par deux personnes. Même avant de prendre des calmants, il n’était pas en mesure d’exprimer son désaccord avec son transfert à l’hôpital. 2) Les professionnels de la santé ont exercé un pouvoir réel sur [le requérant]. S’il avait opposé de la résistance, la psychiatre aurait immédiatement pris les mesures nécessaires pour l’interner d’office. 3) A l’hôpital, on lui administra régulièrement des calmants, ce afin qu’il reste traitable. Cette situation contraste avec celle qu’il connaissait chez ses gardiens, qui ne recouraient que rarement aux médicaments, ou alors à des doses très faibles. 4) La psychiatre interdit toute visite des gardiens au [requérant]. Elle leur expliqua qu’elle agissait ainsi afin d’assurer que [le requérant] ne tente pas de partir avec eux. Elle leur déclara que [le requérant] ne serait libéré que lorsqu’elle-même et les autres professionnels de la santé le jugeraient possible. 5) [Le requérant] ne se trouvait certes pas dans un service fermé à clé, mais les infirmières surveillaient de près ses réactions. Elles avaient pour instructions de le surveiller en permanence, ce qu’elles faisaient. Le conseil de la Régie et du ministre a fait valoir que [le requérant] avait en réalité toujours été libre de ne pas aller à l’hôpital et par la suite de le quitter. Cet argument est totalement tiré par les cheveux. La vérité est que, pour des raisons de parfaite bonne foi conçues dans l’intérêt supérieur du [requérant], toute résistance éventuelle de sa part avait été réduite à néant par les calmants, par son transfert à l’hôpital et par une étroite surveillance à l’hôpital. Et si [le requérant] avait montré la moindre intention de partir, il en aurait été fermement dissuadé par le personnel et, si nécessaire, empêché physiquement de le faire. L’idée que [le requérant] était libre de partir est une pure fable. (...) Selon moi, [le requérant] a été détenu au sens où les professionnels de la santé contrôlaient sciemment ses faits et gestes à un point tel qu’il était privé de toute liberté. » En second lieu, Lord Steyn estima que la détention était justifiée en vertu du principe de nécessité prévu dans la common law : « Il faut maintenant rechercher s’il existait une base légale justifiant la détention et le traitement appliqué au [requérant]. C’est une question d’interprétation de la loi. Toutefois, il importe d’aborder la législation en matière de santé mentale à la lumière des règles de la common law. Celle-ci part du principe que lorsqu’une personne est incapable de prendre des décisions au sujet de son traitement médical, quelle qu’en soit la raison, il faut que d’autres personnes dotées des qualifications appropriées prennent ces décisions pour elle (Re F. (Mental Patient: Sterilisation) [1990] 2 AC 1, p. 55H, Lord Brandon of Oakbrook). Le principe de nécessité peut trouver à s’appliquer. Aux fins de la présente affaire, tous les conseils ont pris pour hypothèse que ce principe exige simplement que : 1) il doit y avoir « nécessité d’agir lorsqu’il n’est pas possible de communiquer avec la personne assistée » et 2) « l’action accomplie doit être ce qu’une personne raisonnable ferait en toutes circonstances dans l’intérêt supérieur de la personne assistée » (Re F., op.cit., Lord Goff of Chieveley, p. 75H). Il n’y a pas eu unanimité sur ce point dans l’affaire Re F., mais je me satisfais d’aborder ce point comme les conseils l’ont fait. (...) Dans ce contexte de common law, le rapport Percy a recommandé de passer d’une approche « légaliste », où les patients hospitalisés faisaient l’objet d’une « certification » au moyen de procédures spéciales, à une situation où la plupart des patients seraient admis à l’hôpital « de manière informelle », cette expression signifiant « sans aucune formalité légale ». On devait y parvenir en remplaçant le système existant « par une offre de soins, sans privation de liberté, à ceux qui en ont besoin et ne s’opposent pas à ces soins » (voir le rapport de la commission royale sur la loi relative à la maladie mentale et à la déficience mentale, 1954-1957) (...). L’objectif recherché était d’éviter de stigmatiser les patients ainsi que, dans les cas où cela était possible, les effets négatifs de l’internement d’office des patients. Lorsque l’hospitalisation était nécessaire, la contrainte ne devait être utilisée qu’en dernier recours. La loi de 1959 sur la santé mentale a introduit les changements recommandés. L’article 5 § 1 en était la disposition clé. (...) Le représentant [du requérant] a admis que l’article 5 n’a pas touché au principe de nécessité prévu par la common law qui pouvait être invoqué pour justifier l’admission informelle à l’hôpital ou dans un centre de soins psychiatriques de patients incapables et dociles. En 1982, le Parlement remania profondément la loi de 1959. En 1983, il adopta une loi regroupant les textes en vigueur en y apportant des amendements, à savoir la loi de 1983 sur la santé mentale. L’article 131 § 1 de la loi de 1983 a repris mot pour mot l’article 5 § 1 de la loi de 1959. (...) A première vue, l’article 131 § 1 doit se voir accorder le même sens que l’article 5 § 1. De ce fait, l’article 131 § 1 conserve aussi le principe de nécessité prévu par la common law afin de permettre d’hospitaliser des individus incapables et dociles. Mais le conseil [du requérant] a fait valoir que l’article 131 § 1, contrairement à la disposition qu’il a abrogée, ne s’applique qu’aux patients capables et consentants. Il a soutenu que les différences de contexte entre les lois de 1959 et de 1983 obligaient le tribunal à interpréter l’article 131 § 1 de la loi de 1983 de manière plus étroite que l’article 5 § 1 de la loi de 1959. (...) En appliquant les principes orthodoxes d’interprétation des lois, force est de conclure que l’article 131 § 1 permet l’admission de patients incapables et dociles lorsque les exigences posées par le principe de nécessité sont respectées. Ayant bénéficié de l’argumentation très complète produite lors de l’intervention du ministre, je dois admettre qu’il n’est pas possible de confirmer le point de vue de la Cour d’appel quant à la signification de l’article 131 § 1. » Lord Steyn estima dès lors que le principe de nécessité consacré par la common law avait été maintenu dans l’article 131 § 1 de la loi de 1983 et justifiait la détention et le traitement du requérant. Il ajouta que l’arrêt de la Chambre des lords emportait la conséquence que les patients incapables et dociles ne bénéficiaient pas des garanties prévues par la loi de 1983 : « Il s’agit là d’un résultat regrettable. Le principe de nécessité prévu dans la common law est un concept utile, mais qui ne comporte aucune des garanties de la loi de 1983. Il investit d’un contrôle effectif et illimité les psychiatres hospitaliers et les autres professionnels de la santé. Il est vrai, bien entendu, que ces professionnels sont tenus par un devoir de vigilance envers les patients et qu’ils agissent quasiment toujours dans ce qu’ils considèrent être l’intérêt supérieur du patient. Toutefois, ni la procédure d’habeas corpus ni le contrôle juridictionnel ne constituent des garanties suffisantes contre les erreurs de jugement et les fautes professionnelles dans le cas de patients incapables et dociles. Etant donné que, du point de vue du diagnostic, ces patients sont impossibles à distinguer des patients internés d’office, il n’y a aucune raison de soustraire aux protections spécifiques et effectives de [la loi de 1983] une catégorie importante d’incapables mentaux vulnérables. Leur droit moral d’être traités avec dignité n’exige rien moins que cela. Le seul réconfort est que le conseil du ministre a assuré la Chambre qu’une réforme de la loi était activement à l’étude. » D. Le commissaire à la santé (« le commissaire ») En mars 2000, M. et Mme E. se plaignirent auprès du commissaire de la ré-hospitalisation du requérant. Ils soumirent à son examen les griefs suivants : a) la décision clinique d’hospitaliser le requérant le 22 juillet 1997 était déraisonnable, et b) la manière dont son hospitalisation s’était effectuée cliniquement n’était pas adéquate. Des inspecteurs indépendants enquêtèrent. Dans leur rapport, ils indiquèrent que l’admission du requérant dans le service IBU le 22 juillet 1997 était « probablement inévitable ». L’intéressé avait une bien meilleure qualité de vie chez ses gardiens et on aurait dû envisager plus sérieusement de le renvoyer chez eux le jour où on avait réussi à les joindre ou, au plus tard, le lendemain. Les inspecteurs eurent du mal à comprendre pourquoi, même s’il était nécessaire de garder le requérant pour la nuit, il n’avait pas été autorisé à sortir le lendemain et pourquoi les examens ultérieurs n’avaient pas pu être menés sans hospitalisation. Le processus d’examen du requérant avait été trop long et des ressources auraient dû être mises à disposition pour l’accélérer. A cet égard, les inspecteurs ne pensaient pas que l’un quelconque des médecins ait agi de manière irresponsable ou dans l’intention de nuire ; ils recommandaient principalement qu’à l’avenir les hospitalisations dans le service IBU soient « strictement limitées dans le temps » et que des ressources adéquates soient mises à disposition afin que les examens pluridisciplinaires soient menés dans la mesure du possible sans hospitalisation et, en tout cas, le plus rapidement possible. Dans son rapport du 15 novembre 2001, le commissaire approuva les conclusions des inspecteurs, entérina leurs recommandations et transmit à M. et Mme E. les excuses de hôpital pour les carences constatées. L’hôpital avait également informé le commissaire que les recommandations des inspecteurs concernant le traitement sans hospitalisation avaient été mises en œuvre par l’intermédiaire du service d’examen et de traitement intensifs. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Les dispositions légales pertinentes La loi de 1983 sur la santé mentale (Mental Health Act 1983 – « la loi de 1983 ») La plupart des personnes hospitalisées pour recevoir des soins psychiatriques sont traitées sans recourir aux pouvoirs coercitifs prévus à la partie II de la loi de 1983 ; ce sont des « patients informels ». Il s’agit soit de « patients volontaires », c’est-à-dire de personnes capables de donner leur consentement et ayant accepté leur admission pour traitement, soit de personnes qui n’ont pas cette capacité mais sont admises pour traitement sur une « base informelle » car elles ne s’opposent pas à leur admission (on dit qu’elles sont incapables mais dociles). L’article 131 § 1 de la loi de 1983 est ainsi libellé : « Aucune des clauses de la présente loi ne peut être interprétée comme empêchant l’admission d’un patient dont l’état nécessite un traitement pour troubles mentaux dans un hôpital ou centre de soins psychiatriques conformément aux dispositions prises en ce sens et en l’absence de demande, d’ordonnance ou de directive qui le rendrait susceptible d’être détenu au sens de la présente loi, ou comme empêchant la prolongation de son séjour dans un hôpital ou centre de soins psychiatriques conformément à ces dispositions après qu’il a cessé d’être susceptible d’être ainsi détenu. » La loi de 1983 contient un certain nombre de garanties matérielles et procédurales applicables aux personnes « détenues » en vertu de ses dispositions. a) Les patients ne peuvent être détenus pour examen (article 2) ou pour traitement (article 3) que lorsque les critères stricts énoncés à la partie II de la loi ont été respectés. En général (et mis à part les admissions d’urgence), la détention implique que l’institution concernée ait accepté une demande présentée en bonne et due forme par une personne qualifiée. Cette demande doit être fondée sur des recommandations médicales dûment rédigées par deux médecins, qui doivent tous deux avoir examiné récemment le patient et être dénués de tout intérêt personnel ; en outre, l’un d’eux doit avoir une expérience particulière en matière de diagnostic ou de traitement des troubles mentaux. b) La partie IV de la loi de 1983 expose les règles relatives à la nécessité d’obtenir le consentement du patient ou un second avis médical pour certaines formes de traitement médical. c) La partie V prévoit la possibilité de saisir la commission de contrôle psychiatrique ou d’être automatiquement renvoyé devant celle-ci afin qu’elle vérifie la nécessité d’un maintien en détention. d) Le parent le plus proche d’un détenu a notamment le pouvoir de s’opposer à une demande d’internement d’office au titre de l’article 3 de la loi de 1983, d’exiger la libération d’un patient subissant une telle détention et de saisir la commission de contrôle psychiatrique (dans certains cas) pour obtenir la libération d’un patient (articles 26 à 32). e) Un ancien détenu a accès à des services de suivi après sa sortie (article 117). f) Le ministre doit élaborer un code de pratiques (article 118) afin de guider les personnes qui s’occupent du traitement de personnes internées dans les services psychiatriques. L’article 120 charge le ministre de surveiller l’exercice des pouvoirs et obligations prévus par la loi de 1983, et lui octroie des pouvoirs connexes en matière de visites, d’interrogatoires et d’enquêtes. L’article 121 crée la commission de la loi sur la santé mentale, qui exerce les fonctions dévolues au ministre en vertu des articles 118 et 120 de la loi de 1983. g) Les détenus ont le droit de recevoir des informations relatives à leur détention de la part des directeurs d’hôpitaux (article 132 de la loi de 1983). La loi de 1993 sur les commissaires à la santé (Health Service Commissioners Act 1993 – « la loi de 1993 ») L’article 3 de la loi de 1993 est intitulé « Mandat général des commissaires » et dispose dans ses parties pertinentes : « 1) Lorsqu’il est dûment saisi par une personne ou pour le compte d’une personne d’une plainte indiquant que celle-ci a subi une injustice ou des difficultés à la suite a) d’un manquement dans un service fourni par un organisme de santé, b) de la non-fourniture par un tel organisme d’un service qu’il avait pour fonction de fournir, ou c) d’un dysfonctionnement dans le cadre de toute autre action entreprise par ou pour le compte d’un tel organisme, le commissaire peut, sous réserve des dispositions de la présente loi, enquêter sur le manquement ou tout autre acte dénoncé. (...) 4) Rien dans la présente loi n’autorise un commissaire à mettre en cause le bien-fondé d’une décision prise sans qu’il y ait dysfonctionnement de la part d’un organisme de santé dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à cet organisme, ni n’exige cela de lui. » L’article 5 de la loi de 1993 s’intitule « Exercice du jugement clinique » et dispose : « 1) Un commissaire ne peut mener une enquête au sujet d’une action entreprise à propos a) du diagnostic d’une maladie, ou b) des soins ou du traitement d’un patient, et qui, de l’avis du commissaire, ne l’a été qu’en conséquence de l’exercice du jugement clinique (...) 2) Au paragraphe 1) ci-dessus, le terme « maladie » recouvre un trouble mental au sens de la loi de 1983 sur la santé mentale (...) » B. La jurisprudence pertinente Généralités La théorie de la nécessité prévue dans la common law a été invoquée dès le XVIIIe siècle avec les affaires Rex v. Coate, Lofft 1772, p. 73, puis Scott v. Wakem, Foster and Finalson’s Nisi Prius Reports 1862, vol. 3, pp. 328, 333, et Symm v. Fraser, Foster and Finalson’s Nisi Prius Reports 1863, vol. 3, pp. 859, 883 (voir la décision de Lord Goff au paragraphe 43 ci-dessus). Ces précédents étayent la thèse selon laquelle la common law permet la détention des personnes qui constituent un danger réel ou potentiel pour elles-mêmes ou pour autrui, dès lors qu’il est prouvé que cette mesure est nécessaire. Cette compétence a également été exercée dans le cadre de diverses questions relatives à des traitements médicaux et, en particulier, à propos d’opérations de stérilisation (Re F. (Mental Patient: Sterilisation), Appeal Cases 1990, vol. 2, p. 1) et de la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles (Airedale NHS Trust v. Bland, Appeal Cases 1993, pp. 789, 869). La High Court jouit d’une certaine compétence qui lui permet de formuler des déclarations quant à l’intérêt supérieur d’un adulte incapable de prendre des décisions. Elle exerce cette compétence lorsque se pose une question grave relevant des tribunaux et appelant une décision de justice. Re F. (Adult: Court’s Jurisdiction) (Family Division Reports 2001, p. 38) En juin 2000, la Cour d’appel jugea que, lorsqu’un adulte incapable en raison de son état mental risquait de se trouver en danger, la High Court avait le pouvoir, en vertu de sa compétence propre et dans l’intérêt supérieur de cette personne, d’entendre la cause et de prononcer les jugements déclaratoires nécessaires. Elle rejeta donc un appel contestant la compétence de la High Court pour prononcer la déclaration sollicitée par une autorité locale quant à la résidence et aux contacts d’un adulte incapable se trouvant en danger. Lady Justice Butler-Sloss releva que l’autorité locale cherchait à invoquer la compétence du tribunal en vertu de la théorie de la nécessité afin qu’il ordonne où T. devait vivre et limite et contrôle les contacts de celle-ci avec sa famille naturelle. L’autorité locale, avec l’appui de l’Official Solicitor, soutint que cette théorie était appliquée quotidiennement afin de prendre des décisions courantes pour les soins et la protection d’adultes incapables tels que celui dont il était question dans cette affaire (R. v. Bournewood Community and Mental Health NHS Trust, ex parte L., Appeal Cases 1999, p. 458). La mère de T. fit valoir que les tribunaux n’étaient pas en mesure de combler la lacune provoquée par les amendements de la loi : il existait certes une compétence limitée permettant de formuler des déclarations dans les affaires médicales quant à des questions susceptibles d’être résolues au moment de l’audience, mais cela ne valait pas pour les affaires où les effets devaient être coercitifs sans qu’il y ait une limite de temps et que l’on ait une idée claire des exigences futures en ce qui concernait cette personne. Lady Justice Butler-Sloss ne doutait aucunement qu’il s’agît là d’une question relevant de la compétence des tribunaux et demandant une décision de justice. La législation sur la santé mentale ne couvrait pas les affaires quotidiennes des adultes incapables et, dans l’affaire Re F. (Mental Patient: Sterilisation) comme dans l’affaire Bournewood précitée, les tribunaux avaient reconnu que la théorie de la nécessité pouvait à juste titre être invoquée à côté du régime légal. La loi de 1983 n’excluait donc pas la compétence de la High Court en matière de redressement déclaratoire. Quant à la question de savoir si le problème (lieu de résidence et contacts) soulevé en l’espèce entrait dans le cadre des principes établis de sorte que les tribunaux aient compétence pour connaître de l’intérêt supérieur de T. et émettre des jugements déclaratoires, elle répondit par l’affirmative, déclarant : « Il existe une lacune évidente dans le cadre de soins prévus pour les adultes incapables. Si le tribunal ne peut intervenir et que l’argumentation de l’autorité locale est juste, cette jeune femme vulnérable continuera à se trouver en grand danger sans bénéficier d’aucune protection autre que l’éventuelle application future de la loi pénale. Cela constitue une grave injustice envers T., qui jouit de droits qu’elle n’est pas en mesure de protéger par elle-même. (...) Bien que la décision du présent tribunal dans l’affaire Re S. (Hospital Patient: Court’s Jurisdiction) ([1996] Fam 1) traite principalement de la qualité pour agir du demandeur, la question sous-jacente était l’intérêt supérieur de S., comme le conseil et le tribunal l’ont reconnu. Lorsque l’affaire a été transmise à la juge Hale pour qu’elle prenne une décision, elle a tranché la question de la future résidence de S. (Re S. (Hospital Patient: Foreign Curator) ([1996] 1 FLR167). Lord Goff, dans l’affaire Bournewood, a reconnu (...) que la théorie de la nécessité avait un rôle à jouer dans tous les domaines du droit où existent des obligations et qu’il s’agissait donc d’un concept de grande importance. Dans Re S., le Master of the Rolls a évoqué le pouvoir de la High Court, établi de longue date, en vertu duquel elle émet des jugements déclaratoires dans un très large éventail de situations et exerce sa compétence lorsqu’il n’existe pas d’autre solution pratique. Se référant aux précédents en matière médicale et autre, il déclara, page 18 (...) : « Prises collectivement, il apparaît que ces affaires donnent lieu à l’émergence d’une nouvelle compétence déclaratoire consultative. » Dans l’affaire Re C. (Mental Patient: Contact) ([1993] 1 FLR 940), l’une de celles déférées par Sir Thomas Bingham, Master of the Rolls, il existait un conflit entre les parents d’une jeune fille adulte incapable au sujet des contacts entre celle-ci et sa mère. Le juge Eastham estima (...) que : « dans un cas approprié, si les éléments de preuve étayent la thèse selon laquelle un droit de visite serait bénéfique à la patiente, en l’espèce, S., je ne vois pas la moindre raison pour que le tribunal n’accorde pas un droit de visite par le biais d’un jugement déclaratoire. » Tant dans l’affaire Re C. que dans l’affaire Re S., les déclarations étaient sollicitées afin de définir quel était l’intérêt supérieur d’un adulte incapable lorsque des personnes de son entourage étaient en conflit au sujet de son bien-être futur. La demande de redressement déclaratoire oppose dans le présent recours une autorité locale et une mère mais (...) il n’y a pas de différence entre une autorité locale et un individu. Une déclaration est à beaucoup d’égards un remède souple apte à être utilisé dans des situations variées. Dans le présent conflit, où des interrogations graves pèsent sur les soins qui seront accordés à l’avenir à T. si elle retourne chez sa mère, il n’existe pas d’autre solution pratique que l’intervention du tribunal. Les déclarations sollicitées par l’autorité locale peuvent connaître des modifications selon les faits établis par le juge, mais celui-ci a compétence pour procéder à des ajustements afin de répondre aux exigences de la situation une fois qu’il aura établi les faits. Il se peut que le jugement lui-même résolve la question. Si ce n’est pas le cas et s’il faut émettre des déclarations fixant le lieu de résidence de T., rien en principe n’interdit d’adopter une déclaration indiquant qu’il est dans l’intérêt supérieur de T. de vivre dans un foyer de l’autorité locale et nulle part ailleurs ou fixant les dispositions à prendre quant aux soins à lui prodiguer et aux personnes avec qui elle peut avoir des contacts pendant qu’elle vit dans ce foyer. Telles sont les conséquences découlant de la seconde phase de l’affaire Re S. devant la juge Hale et de l’affaire Re C. (ci-dessus). Il me paraît clair qu’il est indispensable que la High Court se penche sur l’intérêt supérieur de T. et que rien n’empêche le juge de connaître des questions de fond soulevées par l’affaire. Le postulat selon lequel la High Court a compétence au cas par cas ne diminue toutefois en rien la nécessité évidente, soulignée par la Law Commission et par le Gouvernement, d’adopter un cadre structuré et clair pour la protection des adultes incapables et vulnérables, en particulier eu égard au fait que les déclarations émises en vertu de la compétence inhérente à la High Court visent par essence à répondre à des problèmes particuliers et non à fournir des directives générales pour les adultes incapables. Tant que le Parlement n’aura pas mis en place un tel cadre, la High Court devra continuer à apporter sa contribution lorsqu’il n’existe pas d’autre solution. » R.-B. (A Patient) v. Official Solicitor, sub nom Re A. (Male Patient: Sterilisation) (Family Court Reports 2000, vol. 1, p. 193) Lady Justice Butler-Sloss s’exprima en ces termes dans un arrêt rendu en décembre 1999 : « La décision rendue dans l’affaire Re F. soulève une autre question, celle de la relation entre l’intérêt supérieur et le critère « Bolam » (Bolam v. Friern Hospital Management Committee [1957] 1 WLR 582). Les médecins chargés de choisir le traitement futur des malades et de déterminer si ce traitement, dans le cas de personnes incapables de décider par elles-mêmes, serait dans leur intérêt supérieur, doivent agir en permanence conformément à un corpus d’avis professionnels pertinents émanant de personnes responsables et qualifiées. Telle est la norme professionnelle fixée pour ceux qui prennent pareilles décisions. Le médecin qui se conforme à cette exigence a selon moi un second devoir, celui d’agir dans l’intérêt supérieur d’un patient incapable. Je ne pense pas que ces deux devoirs se fondent en une seule exigence. A cet égard, je ne souscris pas au rapport de la Law Commission sur l’incapacité (paragraphe 3.26 (...)) et préfère l’autre solution suggérée dans [la] note de bas de page (...) » R. (Wilkinson) v. the Responsible (Court of Appeal, Civil Division (England and Wales), 2001, p. 1545) M. Wilkinson, patient interné d’office dans un service psychiatrique, demanda le contrôle juridictionnel des décisions passées et à venir relatives à son traitement. Il fit valoir que le tribunal interne devait examiner les différents avis médicaux qui lui avaient été soumis afin d’être en mesure de contrôler correctement la légalité du traitement médical imposé dans son cas. Les défendeurs arguèrent que le degré d’approfondissement de l’examen lors d’un contrôle juridictionnel, même en appliquant le critère « super-Wednesbury », ne permettait pas aux tribunaux de substituer leur point de vue à celui du médecin qui avait pris la décision initiale et s’opposèrent à l’interrogatoire des professionnels de la santé concernés. La High Court refusa de convoquer ces derniers à un contre-interrogatoire au sujet de leur avis médical. Lorsque l’affaire vint devant la Cour d’appel, la loi de 1998 sur les droits de l’homme (incorporant la Convention dans le droit interne) était entrée en vigueur (cela fut fait en octobre 2000). Le requérant affirma dès lors que les dispositions des articles 2, 3, 6, 8 et 14 de la Convention en particulier renforçaient son argumentation quant au degré d’approfondissement de l’examen des divers avis médicaux qui devait être effectué tandis que les défendeurs soutinrent que la loi de 1998 ne signifiait pas que les tribunaux devaient en pareilles circonstances établir les faits tout comme un tribunal de première instance. Concernant tout traitement médical proposé à l’avenir (après l’entrée en vigueur de la loi de 1998), la Cour d’appel considéra que les articles 2, 3 et 8 de la Convention exigeaient que le contrôle juridictionnel porte sur le bien-fondé des décisions médicales pertinentes et qu’un examen selon le critère « super-Wednesbury » n’aurait pas été suffisamment approfondi pour satisfaire à cette exigence. A cet égard, la Cour d’appel fit référence à l’arrêt rendu par la Cour européenne dans l’affaire Smith et Grady c. Royaume-Uni (nos 33985/96 et 33986/96, §§ 135-139, CEDH 1999-VI). C. Le rapport de la Law Commission sur l’« incapacité mentale », février 1995 Au début des années 90, la Law Commission émit une série de documents de consultation intitulés « Adultes incapables et prise de décision » qui débouchèrent sur le rapport cité en titre, dont l’introduction relevait : « 1.1. Il est largement admis que (...) la loi telle qu’elle est actuellement libellée n’est pas systématique et contient nombre de lacunes criantes. Elle ne repose pas sur des fondations de principe claires et modernes. Elle n’a pas suivi les changements sociaux et démographiques. Elle n’a pas non plus suivi l’évolution de notre compréhension des droits et besoins des personnes atteintes d’instabilité mentale. » Quant à la signification de l’intérêt supérieur, le rapport indiquait : « 3.26. Notre recommandation selon laquelle le critère de « l’intérêt supérieur » doit s’appliquer dans l’ensemble de notre dispositif ne peut être dissociée de celle voulant que la loi fournisse à tout décideur des indications quant à ce que ce critère exige. Aucune loi ne saurait donner des indications exhaustives de ce qui est dans l’intérêt supérieur d’une personne, car l’objectif est que cette personne et les circonstances particulières où elle se trouve doivent toujours commander le résultat. Dans nos documents de consultation de 1993, toutefois, nous avons suggéré que certains principes d’application générale resteraient toujours pertinents. S’agissant au moins des décisions de santé, les principes que nous avons suggérés impliquent probablement de s’écarter de manière importante de la législation en vigueur. Celle-ci, comme énoncé dans l’affaire [Re F. (Mental Patient: Sterilisation) ([1990] 2 AC 1)], semble disposer qu’un médecin qui se conforme à un corpus d’avis médicaux autorisés agit à la fois 1) sans commettre de négligence, et 2) dans l’intérêt supérieur d’un patient incapable. » La note de bas de page située à cet endroit du rapport (et citée par Lady Justice Butler-Sloss dans l’affaire précitée R.-B. (A Patient) v. Official Solicitor) indiquait ce qui suit : « Il se peut que tout ce que [les juges dans l’affaire Re F.] aient voulu dire était qu’un médecin doit à la fois 1) respecter le critère de vigilance exigé afin d’éviter d’être poursuivi pour négligence, et 2) agir dans l’intérêt supérieur d’un patient incapable. Toutefois, comme ils n’ont donné aucune indication sur la manière d’identifier cet « intérêt supérieur », certains exégètes ont conclu que ces deux exigences n’en formaient en réalité qu’une seule. Les déclarations des Law Lords dans l’affaire Airedale NHS Trust v. Bland ([1993] AC 789) ne peuvent passer pour avoir résolu ce point important, et Lord Goff a de nouveau cité le critère de négligence professionnelle lorsqu’il a débattu de ce qui était dans l’intérêt supérieur du patient. » Le rapport poursuivait : « Cette apparente fusion du critère servant à évaluer les plaintes pour négligence professionnelle et du critère applicable au traitement des personnes incapables de donner leur consentement a fait l’objet de critiques virulentes. Aucun des organes médicaux professionnels ayant répondu au document de consultation no 129 ne s’est exprimé en faveur de cette définition de « l’intérêt supérieur ». Nombre d’entre eux se sont montrés très désireux de voir élaborer des indications claires et fondées sur des principes quant à ce que « l’intérêt supérieur » peut représenter. (...) 27. Il faut dire tout à fait clairement, sans que cela puisse faire l’ombre d’un doute, qu’agir dans l’intérêt supérieur d’une personne ne signifie pas seulement s’abstenir de la traiter avec négligence. Les décisions prises au nom d’une personne incapable exigent de prendre en considération de manière attentive et approfondie les caractéristiques individuelles de cette personne. Un jugement sur le point de savoir si un professionnel a fait preuve de négligence, en revanche, exige de prendre en compte de manière attentive et approfondie la façon dont ce professionnel a agi pour la comparer avec celle dont des professionnels compétents et raisonnables se seraient comportés. (...) » La Law Commission a recommandé de déterminer en quoi consistait l’intérêt supérieur d’une personne en tenant compte : « 1) des souhaits et sentiments passés et présents que l’on peut déceler chez la personne concernée et des facteurs que celle-ci prendrait en considération si elle était en mesure de le faire ; 2) de la nécessité d’autoriser et d’inciter la personne à participer ou à améliorer sa capacité à participer le plus complètement possible à tout ce qui est fait pour elle et à toute décision la touchant ; 3) de l’avis des autres personnes qu’il convient et qu’il est possible de consulter au sujet des souhaits ou sentiments de la personne et de ce qui serait dans son intérêt supérieur ; 4) du point de savoir si le but visé par toute action ou décision peut être atteint tout aussi efficacement en recourant à une méthode limitant moins la liberté d’action de la personne. » D. Le code de pratiques de 1999 relatif à la loi sur la santé mentale Un code de pratiques révisé, rédigé en vertu de l’article 118 de la loi de 1983, est entré en vigueur le 1er avril 1999. La loi de 1983 ne fait pas obligation de respecter le code mais, comme ce dernier est un document prévu par celle-ci, son inobservation peut être invoquée lors de procédures en justice. Sous le titre « Patients informels », le code déclare : « 2.7. Si une hospitalisation est jugée nécessaire et que le patient accepte d’être admis de manière informelle, il faut en règle générale procéder ainsi. Il ne faut recourir à l’internement d’office qu’en dernière extrémité. Il convient habituellement de procéder à une admission informelle lorsqu’un patient capable consent à son admission, mais non si l’internement est nécessaire en raison du danger que le patient représente pour lui-même ou pour autrui. Il faut envisager l’internement d’office lorsque l’état médical actuel d’un patient capable, joint à des preuves fiables à propos d’expériences passées, indique qu’il y a de grandes chances qu’il change d’avis quant à son admission informelle avant même cette admission, ce qui entraîne des risques pour sa santé ou sa sécurité ou la sécurité d’autrui. 8. Si, lors de son admission, le patient est incapable de donner son consentement en raison de son état mental mais ne s’oppose pas à son hospitalisation pour être soigné et traité, l’admission doit être informelle (R. v. Bournewood Community and Mental Health NHS Trust, ex parte L. [1998] 3 ALL ER 289 ; (...). La décision d’hospitaliser de manière informelle un patient incapable doit être prise par le médecin responsable du traitement de ce patient en fonction de l’intérêt supérieur de celui-ci et de ce qui se justifie selon le principe de nécessité prévu dans la common law (...). Si un patient est incapable au moment d’un examen ou contrôle, il est particulièrement important de prendre en considération les exigences de soin tant cliniques que sociales et de tenir compte des souhaits et sentiments que l’on peut déceler chez le patient ainsi que de l’avis des plus proches parents et des gardiens de celui-ci quant à ce qui serait dans son intérêt supérieur. » Le paragraphe 15.21 est ainsi libellé, dans ses passages pertinents : « Les médecins doivent tenir compte de considérations particulières lorsqu’ils s’acquittent de leur devoir de vigilance envers les personnes incapables de donner leur consentement. Le traitement apte à les soigner peut leur être prescrit dans leur intérêt supérieur en vertu du principe de nécessité prévu par la common law (voir les décisions de la Chambre des lords dans les affaires Re F. [1990] 2 AC 1, et R. v. Bournewood Community and Mental Health NHS Trust, ex parte L. [1998] 3 ALL ER 289). D’après la décision rendue dans Re F., si un traitement est prescrit à un patient incapable de donner son consentement, « dans l’intérêt supérieur du patient », ce traitement doit être : – nécessaire pour sauver la vie du patient ou prévenir une aggravation ou assurer une amélioration de sa santé physique ou mentale, et – conforme à une pratique admise à l’époque par un corpus raisonnable d’avis médicaux spécialisés dans la forme de traitement en question (critère élaboré initialement dans [l’affaire Bolam]). » E. Note et instruction pratiques, 2001 Le 1er mai 2001, l’Official Solicitor émit une note pratique intitulée « Procédures déclaratoires : décisions médicales et d’assistance pour les adultes incapables » (Declaratory proceedings: medical and welfare decisions for adults who lack capacity). Cette note combinait les indications figurant dans de précédentes notes au sujet des opérations de stérilisation sur des sujets frappés d’incapacité et la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles pour les sujets en état végétatif et s’étendait à une plus large gamme de conflits en matière médicale et d’assistance concernant des adultes incapables. Ses passages pertinents disposaient : « 2. La High Court a compétence pour émettre des déclarations quant à ce qui est dans l’intérêt supérieur d’un adulte incapable de prendre des décisions. Cette compétence s’exerce lorsque se pose une question grave relevant des tribunaux et appelant une décision de justice. Elle a été mise en œuvre à propos d’une série de questions médicales, en particulier les opérations de stérilisation et la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation artificielles. Elle l’a également été pour les questions de résidence et de visite. Elle a été examinée et analysée en profondeur dans l’affaire Re F. (Adult: Court’s Jurisdiction) [2000] 2 FLR 512. LA NÉCESSITÉ D’UNE INTERVENTION DES TRIBUNAUX La jurisprudence établit deux catégories d’affaires pour lesquelles il faudra dans pratiquement tous les cas obtenir l’autorisation préalable d’un juge de la High Court. La première est la stérilisation d’une personne (qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un adulte) incapable de donner son consentement à l’opération : Re B. (A Minor) (Wardship: Sterilisation) [1988] AC 199, et Re F. (Mental Patient: Sterilisation) [1990] 2 AC 1. La seconde est l’interruption de l’alimentation et de l’hydratation artificielles d’un patient en état végétatif : Airedale NHS Trust v. Bland [1993] AC 789, 805. On trouvera ci-dessous des indications complémentaires concernant les cas de stérilisation et d’état végétatif. Dans tous les autres cas, les médecins et gardiens doivent solliciter l’avis de leurs propres avocats quant à la nécessité de saisir la justice. Selon l’Official Solicitor, il faut la saisir en cas de conflit ou de difficultés concernant la capacité du patient ou quant à son intérêt supérieur. Des directives ont été transmises par la Cour d’appel dans l’affaire St George’s Healthcare NHS Trust v. S. ; R. v. Collins and Others, ex parte S. [1998] 2 FLR 728, 758-760. Il a été souligné dans cette affaire qu’une déclaration formulée unilatéralement serait dépourvue d’efficacité et qu’il ne convenait donc pas d’en émettre une. (...) LES ÉLÉMENTS DE PREUVE Le demandeur doit présenter des éléments de preuve concernant tant la capacité que l’intérêt supérieur. i. Capacité Le tribunal n’a pas compétence sauf s’il est établi que le patient est incapable de prendre une décision sur la question en cause. Le critère permettant de déterminer s’il y a capacité d’accepter ou de refuser un traitement est énoncé dans l’affaire Re M.B. (Medical Treatment) [1997] 2 FLR 426, 437. (...) ii. Intérêt supérieur Dans toute affaire médicale, le demandeur doit présenter la preuve émanant d’un médecin responsable non seulement 1) de ce que l’opération en cause ne constituerait pas une négligence mais aussi 2) qu’elle est nécessaire dans l’intérêt supérieur du patient (affaire Re A. (Male Sterilisation) [2000] 1 FLR 549, 555). Le tribunal a pour compétence de déclarer où réside l’intérêt supérieur du patient en appliquant un critère d’assistance analogue à celui utilisé dans les affaires de tutelle : Re S. (Sterilisation: Patient’s Best Interests) [2000] 2 FLR 389, 403. La décision de justice renfermera des considérations assez larges d’ordre éthique, social, moral et en matière d’assistance (ibidem, p. 401). Les avantages émotionnels, psychologiques et sociaux pour le patient seront pris en compte : Re Y. (Mental Patient: Bone Marrow Transplant) [1997] Fam 110. Le tribunal préparera une liste des avantages et inconvénients respectifs de la procédure pour le patient. Si des avantages et inconvénients potentiels entrent en ligne de compte, le tribunal évaluera au moyen d’un pourcentage la probabilité qu’ils se produisent réellement : Re A. (Male Sterilisation) [2000] 1 FLR 549, 560. » Une instruction pratique (émise par la High Court avec l’approbation du Lord Chief Justice et du Lord Chancellor le 14 décembre 2001 et intitulée « Procédure déclaratoire : adultes incapables » – Declaratory proceedings: incapacitated adults) signale que les procédures mettant en jeu sa compétence déclaratoire dans le domaine de l’intérêt supérieur d’adultes incapables sont plus adaptées à la Family Division de la High Court. La note présentée au paragraphe précédent est décrite comme fournissant des indications précieuses au sujet de ces procédures et « devant être suivie ». F. Réforme législative proposée A la suite de la parution (en décembre 2000) d’un Livre blanc sur la réforme de la législation en matière de santé mentale, un projet de loi sur la santé mentale et un document de consultation furent publiés en juin 2002. Ce document décrivait le double objectif du projet de loi : offrir un cadre légal pour amener les personnes souffrant de troubles mentaux à se soumettre à un traitement obligatoire sans nécessairement les hospitaliser et mettre la loi plus en conformité avec le droit moderne des droits de l’homme (notamment la jurisprudence afférente à la Convention européenne des Droits de l’Homme). La partie 5 du projet de loi (articles 121 à 139) est intitulée « Traitement informel des patients incapables de donner leur consentement » et fournit des garanties spécifiques pour déterminer quels patients relèvent de cette partie. Des mesures ont également été prises pour étoffer la législation sur la question plus vaste de l’incapacité. Après avoir émis en décembre 1997 un document de consultation intitulé « Prise de décisions pour le compte d’adultes incapables », le gouvernement a publié ses propositions en octobre 1999. Il y était suggéré que la législation confère une autorisation générale permettant à quelqu’un de prendre des décisions pour le compte d’une personne incapable en agissant de manière raisonnable et dans l’intérêt supérieur de cette personne. Cette autorisation couvrirait les décisions portant sur les soins et l’assistance, y compris les décisions médicales. Ultérieurement, un projet de loi sur la capacité mentale fut soumis à la Chambre des communes le 17 juin 2004. Partant du principe que des garanties supplémentaires pour les soins aux patients incapables sont mieux à leur place dans la législation sur la capacité que dans celle sur la santé mentale, ce projet de loi fournit un cadre légal détaillé conférant des pouvoirs et une protection aux personnes vulnérables qui ne sont pas en mesure de décider par elles-mêmes et contient des garanties qui ne se trouvent pas actuellement dans la common law. En particulier, le projet de loi sur la capacité mentale présente sous la forme législative un certain nombre de principes de la common law, notamment le fait que toute action entreprise doit l’être dans l’intérêt supérieur des patients et de la manière la moins restrictive possible pour leurs droits. Il énonce des critères précis pour évaluer la capacité et l’intérêt supérieur. Il instaure de nouveaux mécanismes pour la désignation, quand il y a lieu, d’un décideur chargé d’agir pour le compte d’un patient incapable et devant être consulté pour toute décision ; ce peut être une procuration de longue durée (qui permet de désigner une personne qui agira pour le compte d’une autre personne au cas où celle-ci viendrait à perdre sa capacité) ou un représentant désigné par le tribunal (qui peut prendre des décisions sur des questions d’assistance, de soins de santé et financières telles que déterminées par le tribunal). Le projet de loi propose aussi la création de deux nouveaux organes publics pour renforcer le cadre légal : un nouveau tribunal de protection (pour la résolution de litiges concernant des questions telles que la capacité et l’intérêt supérieur) et un superviseur (public guardian) (autorité enregistrée dotée de responsabilités de surveillance à l’égard des décideurs décrits plus haut). Le projet de loi prévoit également de fournir un consultant indépendant (pour les individus incapables qui n’ont personne à consulter s’agissant de leur intérêt supérieur), permet aux individus de « décider par avance » de refuser un traitement pour le cas où ils viendraient par la suite à perdre leur capacité, et crée une nouvelle infraction pénale, celle de « mauvais traitements ou négligence à l’égard d’une personne incapable ».
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1948 et réside à Istanbul. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. Le requérant, M. Kürkçü, traduisit en turc le rapport intitulé « Les transferts d’armes et les violations des lois de guerre en Turquie » établi par l’organisation internationale non-gouvernementale « Human Rights Watch - Arms Project », œuvrant dans le domaine des droits de l’homme. Il s’agissait d’un rapport rédigé à la suite des recherches sur le terrain, effectuées par l’un des conseillers de l’organisation, M. J.R. Le travail de recherche consistait en un recueil de témoignages, notamment d’anciens militaires turcs et américains ayant participé à des missions au sud-est de la Turquie, et une analyse de vingt-neuf faits de « violations de droits de l’Homme » par rapport à des « systèmes internationaux d’armement ». La traduction litigieuse fut publiée en mai 1996 à Istanbul, aux éditions « Belge », sous forme d’un livre de 200 pages. Les chapitres du rapport étaient ainsi disposés : Le résumé ; l’arrière-plan ; les transferts d’armes et l’aide militaire à la Turquie ; les forces de l’ordre turques : leur structure, leurs armes et leur responsabilité dans les violations; les recherches de faits ; les violations perpétrées par le PKK ; le gouvernement américain et la guerre ; annexe A : les lois de guerre et le conflit Turquie/PKK ; annexe B : inventaire de l’armement turc. En préambule du livre, il est précisé : « nous publions ce travail d’une grande importance dans le cadre des dispositions de divers documents, textes et conventions internationaux des droits de l’Homme et en soulignant en particulier le droit des citoyens à être informés ». Par acte d’accusation du 2 septembre 1996, le procureur près la deuxième chambre de la cour d’assises d’Istanbul, en vertu de l’article 159 du code pénal et l’article 16 § 4 de la loi no 5680 sur la presse, inculpa le requérant en tant que traducteur et A.Z., en tant que propriétaire de la maison d’éditions « Belge » ayant publié l’ouvrage litigieux, pour avoir outragé et vilipendé les forces militaires de l’État. Dans son acte d’accusation, le procureur fit référence aux extraits suivants : « Le deuxième chapitre de ce rapport expose l’évolution historique du conflit avec le PKK. Se concentrant sur le système des gardes de village ainsi que sur la stratégie de l’évacuation et de l’incendie des villages, le rapport analyse la nature et les conséquences de la répression de l’insurrection, poursuivie par la Turquie. (...) Dans le quatrième chapitre du rapport, Human Rights Watch examine les diverses unités (de sécurité) turques. Les premiers violeurs [des droits de l’Homme] sont les compagnies de gendarmerie et celles spécialisées dans la répression des insurrections, qui sont rattachées à la fois à la police et à la gendarmerie. Contrairement à ce qu’affirment les autorités américaines, toutes les unités des forces de l’ordre turques, y compris les unités régulières des Forces Aériennes et Terrestres, sont impliquées dans les violations. Les Forces Aériennes [...] soutiennent la gendarmerie et autres forces spéciales dans les opérations d’incendie des villages et contribuent aux autres opérations agressives. (...) Les Forces Aériennes équipées d’avions dont la plupart sont de fabrication américaine effectuent souvent des bombardements aux endroits étant suspectés d’être le siège du PKK et au cours desquels plusieurs civils perdent la vie. (...) Les bombes lancées par ces avions sur les habitations entraînent la mort des civils et détruisent les villages. Les bombardements de ces lieux civils sont parfois effectués par manque de vigilance mais parfois de manière intentionnelle (...) Toutes les personnes contactées dans le cadre de ce rapport sont d’accord pour affirmer que les plus grands violeurs des droits de l’Homme parmi les forces de l’ordre dans le sud-est, sont les forces de police spéciales. Selon un haut fonctionnaire de l’Ambassade des Etats-Unis à Ankara, « les forces de police spécialisées ne sont que des chiens meurtriers ». V.A., officier retraité, a affirmé que les membres des équipes spécialisées étaient des sujets anormaux, responsables d’une grande partie des tortures, exécutions sommaires et autres violations des droits de l’Homme dans le sud-est. (...) Dans la plupart des cas d’émigration forcée étudiés dans ce rapport, les forces de l’ordre turques avaient manifesté une grande agressivité contre l’honneur et la santé physique de la population civile. Contrairement aux allégations officielles turques selon lesquelles les villages étaient évacués pour le bien-être de la population, on constate que la pratique de tortures ou d’autres formes de mauvais traitements n’est que chose courante lors des émigrations forcées. (...) Dans un des cas examinés dans ce rapport (cas 11), les enfants séparés de force de leurs parents sont morts lors de l’incendie de leur village. Les forces de l’ordre avaient rejeté les demandes insistantes de recherche exprimées par les parents ; on avait découvert par la suite que leurs enfants avaient été brûlés vifs. » 8 Le procureur souligna que le rapport litigieux était « dépourvu de l’objectivité indispensable dans un ouvrage scientifique et dépass[ait] même les limites d’une critique, en ne mettant l’accent que sur les aspects négatifs des forces de l’ordre, et se basant uniquement sur des témoignages à charge de ces dernières ». Le 18 octobre 1996, le requérant contesta les accusations pesant sur lui devant la deuxième chambre de la cour d’assises d’Istanbul ; il précisa que le rapport traduit par lui concernait l’examen de divers cas dans la région en question ainsi qu’une recherche sur les violations des droits de l’Homme en Turquie. Il avança en outre que le but dudit rapport n’était nullement d’outrager et de vilipender les forces militaires de l’État et que la traduction ne comportait aucun commentaire supplémentaire par rapport au texte original. Il fit valoir enfin qu’il n’encourait aucune responsabilité juridique du fait de la seule traduction. Par arrêt du 14 mars 1997, la cour d’assises d’Istanbul déclara le requérant et A.Z. coupables d’infractions à l’article 159 § 1 du code pénal et les condamna chacun à dix mois d’emprisonnement. En outre, elle convertit en amende la peine de A.Z et décida de surseoir à l’exécution de la peine en ce qui concerne le requérant. Enfin elle décida de saisir tous les exemplaires du livre litigieux. Dans les attendus de son arrêt, la cour d’assises invoqua en premier lieu l’article 26 de la constitution turque et l’article 10 de la Convention qui concernent la liberté d’expression. La cour considéra que : « La liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de recevoir ou de communiquer des informations constituent l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Malgré toute son importance, cette liberté n’est pas illimitée et elle est soumise à certaines restrictions dans une société démocratique. La légitimité de ces restrictions est liée à leur conformité aux mesures prévues dans l’article 26 de la constitution turque et l’article 10 § 2 de la Convention. » Dans son arrêt, la cour se référa aux extraits cités dans l’acte d’accusation du 2 septembre 1996 et en particulier à la qualification de « chien meurtrier » employée dans l’un des témoignages relatés dans le rapport, au sujet des membres des équipes spécialisées : « A la page 71 du livre, on emploie la qualification de ‘chien meurtrier’ pour l’équipe spécialisée qui constitue l’une des unités des forces de sécurité turques. Dans la doctrine, les termes d’outrage et de vilipende sont définis comme une humiliation des valeurs sociales d’un individu ou d’un établissement, (...) mettant en danger l’honneur de cet individu ou de cet établissement à l’égard des autres. La qualification de « chien meurtrier » pour la globalité des membres des équipes spécialisées sans aucune distinction, n’a sans doute pas de rapport avec la liberté de pensée et se qualifie d’outrage et de vilipende. Il est évident qu’elle constitue une humiliation dans chaque société et à chaque époque. » D’ailleurs, en faisant référence à l’acte d’accusation, la cour considéra que l’examen des cas se basait uniquement sur des témoignages de personnes inconnues et qu’il s’agissait d’une absence totale de preuve et de pièces à l’appui. Elle estima enfin que les violations des droits de l’Homme dans la région en cause n’étaient pas présentées comme des cas particuliers mais comme une pratique générale mise en œuvre par les forces de l’ordre. Deux lettres furent adressées à la cour d’assises, la première de J.R.H., directeur de Human Rights Watch et la seconde de J.R, auteur du rapport litigieux, confirmant que ledit rapport avait été rédigé par J.R. et traduit par M. Kürkçü, suite à la présentation dudit rapport à la presse turque en novembre 1995. Le requérant se pourvut en cassation contre la décision de la cour d’assises. Par un arrêt du 17 février 1998, la Cour de cassation confirma l’arrêt du 14 mars 1997. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS L’article 159 § 1 du code pénal disposait à l’époque des faits : « Quiconque insulte ou vilipende publiquement la nation, la République, la Grande Assemblée nationale, la personnalité morale du gouvernement, les ministères, les forces militaires, ou bien de la défense ou de la sûreté de l’État, ou la personnalité morale du pouvoir judiciaire, sera puni d’un à six ans de réclusion. » L’article 16 § 4 de la loi no 5680 sur la presse précise : « La responsabilité pénale au sujet des publications autres que les périodiques incombe à l’éditeur de l’ouvrage litigieux en même temps qu’à son auteur ou son traducteur [selon les cas] (...) » L’article 26 § 1 de la Constitution dispose : « Toute personne a droit à la liberté d’exprimer et de divulguer individuellement ou collectivement ses idées et opinions par la parole, l’écrit, l’image ou d’autres moyens. Ce droit comprend la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques. (...) » L’article 28 § 5 de la Constitution stipule : Quiconque écrit, imprime, fait imprimer ou communiquer tout type d’information ou d’article menaçant la sécurité interne ou externe et l’intégrité indivisible de l’État avec son territoire et sa nation ou incitant à la perpétration d’infractions, à la rébellion ou à l’insurrection ou concernant les renseignements secrets relatifs à l’État est tenu responsable en vertu de la législation relative à ces infractions. La diffusion peut être empêchée à titre préventif par une décision rendue par le juge ou, s’il y a péril en la demeure, sur un ordre de l’autorité expressément habilitée par la loi. L’autorité informe le juge compétent de sa décision dans les vingt-quatre heures. Lorsque le juge compétent ne confirme pas ladite décision dans les quarante-huit heures, elle est considérée comme nulle. »
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
Le requérant est né en 1979 et réside à Nouméa . Le 14 janvier 1997, à 11 h 50, le requérant, à l'époque âgé de 17 ans, mesurant 1 m 66 et pesant cinquante kilos, fut interpellé dans le cadre d'une enquête sur un vol avec effraction. Le jeune homme avait déjà eu affaire à la police pour des petits délits, vols et autres. A 14 h 10, le lieutenant W., de l'unité des flagrants délits du Commissariat central de Nouméa, commença l'audition de l'intéressé. A 14 h 30, ce policier informa le responsable de son groupe, le capitaine H. (d'une taille de 1 m 61 et d'un poids de 61 kilos), que [le requérant] « niait l'évidence ». Le capitaine H. décida alors d'emmener le jeune homme dans son bureau, afin de le « raisonner ». Quelques instants plus tard, le fonctionnaire de police lui porta un coup qui l'atteignit aux parties génitales. Selon les déclarations du requérant, le capitaine H. lui donna, au moment de pénétrer dans le bureau, un coup de poing dans le dos, pour le pousser à l'intérieur. Sous la violence du choc, il aurait fait quelques pas dans le bureau, puis se serait retourné pour parer d'autres coups éventuels. C'est à ce moment que le policier lui aurait porté un violent coup l'atteignant au niveau des testicules. Selon la version du capitaine H., le requérant serait normalement entré dans son bureau, et se serait assis sur le siège qui lui était indiqué. Lui-même se serait assis à son bureau et aurait tenté de raisonner le mineur. Ce dernier se serait alors énervé, se serait levé et dirigé vers la porte. Le policier aurait rapidement contourné le bureau et attrapé le jeune homme par l'épaule, qui se serait retourné et aurait levé son bras dans la direction du policier. Se sentant menacé, il aurait riposté, en parant le bras du jeune homme avec le sien, et en donnant un coup de genou au niveau des parties génitales. Dans le procès-verbal de compte rendu établi le 14 janvier 1997, le capitaine H. précisa ceci : « (...) Nous informons [le requérant] que sa garde à vue serait maintenue s'il persistait à nier les faits. [Le requérant] élève alors le ton, s'agite, vitupère et tape des pieds. Il se lève alors et se tourne vers la porte avec l'intention manifeste de partir en criant qu'il n'avait rien fait. Nous nous levons rapidement et nous précipitons vers lui pour le saisir par le bras gauche. Ainsi empêché, Rivas se retourne vers nous et se met en garde un poing levé. Parons le coup et ripostons en lui donnant un coup de genou qui le touche au bas-ventre ». Le 15 janvier 1997, interrogé alors qu'il était hospitalisé, le requérant déclara ce qui suit au lieutenant de police W. : « (...) Le capitaine H. m'a emmené dans son bureau et lorsque l'on y est rentré, il m'a donné un coup dans le dos pour me pousser à l'intérieur. Il n'y avait personne à l'intérieur et il a refermé la porte derrière nous. A ce moment là, je me suis retourné vers lui et il m'a donné un coup de pied droit dans les testicules. Je suis tombé à terre et il m'a dit de me relever mais je ne pouvais pas car j'avais mal. Au bout d'un petit moment, j'ai réussi à me lever et à m'asseoir sur une chaise et là le capitaine m'a donné un verre d'eau. Ensuite le téléphone a sonné dans le bureau et le capitaine H. m'a raccompagné dans votre bureau où j'étais auparavant. J'ai fini d'être entendu par vous mais je n'étais pas bien. Quand on m'a redescendu en cellule de garde à vue, la douleur est devenue de plus en plus forte et me voyant très mal, les policiers m'ont conduit à l'hôpital. On m'y a examiné et on m'a dit que j'avais une fracture testiculaire. J'ai été opéré dans la nuit et maintenant cela va mieux. Je n'ai rien d'autre à ajouter sinon que je verrai avec ma mère pour la suite de cette affaire (...) ». Dans un procès-verbal d'audition du capitaine H. en date du 16 janvier 1997, ce dernier déclara : « Je prends acte du motif de mon audition. Effectivement mon groupe a traité sous mon contrôle à partir du 10 janvier 1997 une affaire de recel de vol. Cette enquête devait amener l'interpellation le 14 janvier [du requérant] suspecté en fait d'être l'auteur principal du cambriolage. Le 14 janvier en début d'après-midi, le lieutenant W. m'indiquait que [le requérant] malgré les témoignages et les preuves recueillies, ne reconnaissait pas les faits. Je décidais donc de prendre quelques instants en aparté dans mon bureau [le requérant] pour le raisonner. J'expliquais donc au requérant qu'il n'obtiendrait certainement pas une mansuétude du tribunal en niant bêtement les faits alors qu'il y avait des preuves formelles contre lui. J'informais encore [le requérant] que son attitude rendrait l'enquête un peu plus longue et que durant ce temps, nous devrions le maintenir en garde à vue. A ces mots, [le requérant] est alors entré en crise ; criant fort qu'il n'avait rien fait, que c'était une affaire montée et que ses copains qui le dénonçaient étaient tous des menteurs. Soudain [le requérant] s'est levé et s'est dirigé vers la porte de mon bureau. Je me suis précité derrière lui et l'ai saisi par le bras. [Le requérant] s'est alors retourné et s'est mis en garde en levant un poing. Il a alors porté dans ma direction un coup de poing que j'ai évité et j'ai riposté en lui portant un coup de genou. Il a alors porté ses mains à son bas ventre et s'est assis en faisant une grimace de douleur. J'ai pensé qu'il jouait la comédie et je lui ai ordonné de se lever. Il s'est donc levé mais restait plié. Je lui ai proposé de se rasseoir et il a accepté le verre d'eau que je lui ai proposé. (...) [Le requérant] est connu de notre service pour de multiples affaires, dans certaines, il avait tenté d'échapper aux forces de police lors de son interpellation. A l'agression physique du [requérant], j'ai réagi d'une manière conforme à ce qui nous est enseigné en self défense. Je n'ai rien d'autre à ajouter ». Le requérant fut transporté à l'hôpital vers 16 h 15. Le certificat médical du praticien du service des urgences ayant vu le requérant dès son arrivée à l'hôpital fut ainsi établi : « Je soussigné (...) avoir examiné le requérant qui déclare avoir été victime d'un coup de pied au niveau du testicule gauche. A l'examen constate une importante augmentation de volume du testicule gauche. A l'échographie, il y a fracture testiculaire avec volumineux hématome nécessitant une intervention chirurgicale ». Le requérant sortit de l'hôpital le 17 janvier 1997. Le certificat médical établi la veille prévoyait une incapacité temporaire de travail (ITT) de sept jours pour le traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule et réservait la détermination ultérieure d'une éventuelle incapacité permanente partielle. Le 6 mars 1997, la mère de l'intéressé se présenta au commissariat central de Nouméa, munie d'un certificat médical constatant un « traumatisme testiculaire gauche avec fracture du testicule » qui prévoyait une ITT de sept jours, et déposa une plainte avec constitution de partie civile contre le capitaine H. en tant que représentante légale de son fils mineur. A la suite d'un réquisitoire introductif du 18 avril 1997 contre le capitaine H. et le requérant, visant des faits de violences volontaires commises par une personne dépositaire de l'autorité publique d'une part, et de rébellion d'autre part, une information fut ouverte de ces chefs. Le requérant subit un examen échographique le 19 juin 1997 qui fit état de : « - Nette asymétrie des dimensions des testicules avec - à droite un testicule normal de 40 mm de longueur 24 mm de large - à gauche un testicule de moindre volume mesurant 25 mm de long 15 mm de large (...) ». Dans un autre procès-verbal daté du 27 août 1997, le capitaine H. s'exprima ainsi : « Je maintiens aujourd'hui mes déclarations dont vous avez donné lecture. Cet évènement est déjà loin, mais la façon de procéder utilisée par moi avec [le requérant] est habituelle : quand les affaires sont traitées par le groupe, comme je ne peux traiter moi-même chaque affaire, je les supervise. Quand je vois que les choses traînent, c'est-à-dire que les suspects nient l'évidence, je les prends en aparté dans mon bureau pour les raisonner. C'est ce que j'ai fait avec le [le requérant]. (...) Je n'ai pas donné de coup de poing dans le dos au requérant pour le faire rentrer dans mon bureau, il est passé devant moi, et il s'est assis sur la chaise. J'ai fermé la porte derrière lui, et j'ai fait le tour pour m'asseoir derrière mon bureau. J'ai repris l'affaire, en lui disant que cela ne servait à rien de nier l'évidence, que ses copains l'avaient balancé, et qu'il resterait en garde à vue, en faisant perdre du temps à tout le monde. Il a commencé à s'agiter, il tapait du pied, il a fini par se lever en disant qu'il ne voulait pas rester ici, et à se diriger vers la porte. (...) Voyant qu'il se dirigeait vers la porte, je l'ai attrapé par l'épaule pour le retenir en lui disant : tu vas où ? Il s'est retourné vers moi, et en faisant cela il a esquissé un coup de poing, en tout cas j'ai eu l'impression qu'il esquissait un coup de poing. Je me suis senti menacé et j'ai immédiatement riposté ; avant de riposter j'ai paré le coup et j'ai porté un coup de genou. C'est une riposte globale instinctive. Rivas s'est plié en deux mais il n'est pas tombé parterre, il s'est assis sur une chaise (...) Il est vrai que les choses se sont passées très vite quand j'étais dans mon bureau avec [le requérant], je n'ai pas eu le temps de le raisonner, puisqu'il s'est énervé tout de suite. (...) Expliquez moi pourquoi j'aurais eu ce comportement à son égard, pourquoi l'aurais-je frappé sans qu'il ait rien fait ? Si c'était le cas, il vaudrait mieux que je quitte la police. Mon intention était bien de le raisonner. (...) Je tiens d'abord à dire que je n'ai pas visé les testicules, je n'ai rien visé du tout cela a été une riposte. Vous me demandez pourquoi je n'ai pas riposté différemment, par exemple en le repoussant contre la porte ou en lui donnant une claque, une riposte ne se raisonne pas, c'est quelque chose qui part comme ça, un réflexe. [Le requérant] a déclaré que chaque fois que vous le voyez, vous le prenez à part pour le questionner, et quand il ment, vous lui tapez sur les genoux avec une matraque et vous lui donner des claques sur la tête. Est-ce exact ? Bien sûr que non ce n'est pas vrai. [Le requérant] dit également que plusieurs de ses copains ont également été frappés par vous. Ce sont toujours les mêmes qui disent ça, ils n'ont d'ailleurs que ce moyen de défense, c'est pour cela qu'ils nous mettent en cause en disant qu'on les frappe, ou par exemple en nous insultant par des inscriptions dans les cellules des geôles, ou même ailleurs . (...) » Le 25 novembre 1997, le juge d'instruction en charge de l'affaire entendit deux témoins. Les procès-verbaux établis à cette occasion relatèrent l'interrogatoire du premier témoin comme suit : « Le juge : [le requérant a déposé plainte contre le capitaine H. pour un coup qui a entraîné des séquelles pour lui. Il a déclaré que ses copains lui avaient dit qu'ils avaient également été tapés par H. Notamment vous auriez été obligé sur ordre de H. de taper L.C. sur la tête avec une petite masse en caoutchouc. Pouvez-vous nous expliquer quel a été le comportement du capitaine H. à votre égard ? Le témoin : il est arrivé plusieurs fois que le capitaine H. me frappe sur le corps, aussi bien sur les cuisses que dans le dos, les bras, avec une petit matraque, ou avec une masse en caoutchouc. C'est vrai qu'une fois, H. m'a obligé à frapper L.C. avec sa petite masse en caoutchouc, parce qu'on ne voulait pas dire la vérité. Et L.C. devait frapper un autre mec qui était avec nous. (...) L. C. a été obligé de le faire pour ne pas être bombardé par H. avec la masse. Quand il nous frappe c'est toujours dans le cadre des interrogatoires pour nous faire avouer ; ça se passait souvent quand il était seul dans le bureau, ou avec un autre inspecteur dont je ne connais pas le nom. Il n'y a que H. qui m'ait astiqué. Mais il n'a pas fait seulement à nous, il fait ça à tout le monde. Il y a des gars en prison avec moi actuellement qui m'ont dit qu'ils avaient été frappés par H. Actuellement je suis en prison pour vol, j'ai pris huit mois, je sors bientôt (...) ». Quant au deuxième interrogatoire, il est relaté dans les termes suivants : « Le juge : [le requérant] a déposé plainte contre le capitaine de police H. (...) Il a déclaré que ses copains lui avaient dit qu'ils avaient également été tapés par H. Notamment vous auriez été obligé sur ordre de H. de taper L.C. sur la tête avec une petite masse en caoutchouc. Pouvez vous nous expliquer quel a été le comportement du capitaine H. à votre égard ? Le témoin : Il est exact que les interrogatoires avec H. se passaient mal. Souvent pour nous faire avouer, il me frappe avec ses poings ou ses pieds sur le corps ou sur la figure. Il aime bien aussi nous tirer les cheveux, c'est vrai qu'on a souvent les cheveux longs. Je me souviens d'une fois où j'avais été interpellé pour une affaire de canabis, il m'a demandé avec quelle main j'avais fumé, je lui ai dit la main droite, il m'a demandé de la mettre sur le bureau, il m'a donné un coup sur la main avec un genre de petit maillet en plastique. Quand H. nous frappait, c'était pour nous faire avouer des trucs. A chaque fois que j'étais interpellé il y avait des problèmes avec H. C'est comme ça avec lui c'est pas bon. Il est arrivé aussi qu'il me fasse mettre à genoux sur un manche à balai, avec les mains attachées dans le dos. Il nous laisse comme cela longtemps, et ça fait mal aux genoux. Il est arrivé aussi qu'il nous frappe la tête avec un annuaire. J'ai souvent pris des coups d'autres personnes au Commissariat. J'ai pris trois mois pour vol de voiture, je dois sortir au début de l'année prochaine sauf si j'ai un sursis révoqué en plus (...) ». Le 24 juin 1998, le Procureur de la République requit un non-lieu pour le capitaine H. et le renvoi du requérant devant le tribunal pour enfants pour rébellion. Ces réquisitions ne furent pas suivies par le juge d'instruction. Par une ordonnance du 20 juillet 1998, le juge d'instruction ordonna le renvoi du fonctionnaire de police devant le tribunal correctionnel, du chef de violences volontaires ayant entraîné une I.T.T. inférieure à 8 jours, par personne dépositaire de l'autorité publique. Il releva : - que le fonctionnaire de police avait été plusieurs fois mis en cause par de jeunes délinquants comme donnant facilement des coups au cours des interrogatoires, ce qui résultait de deux auditions de témoins et d'autres procédures ; - que le requérant était connu pour des vols, mais non pour des actes de violence ; - qu'il était établi qu'à aucun moment le mineur n'avait frappé le capitaine de police ; - que le requérant était encore mineur au moment des faits et que sa taille paraît sensiblement la même que celle du capitaine H et sa carrure beaucoup moins solide ; il en déduisait que la taille et la complexion du requérant n'étaient pas telles qu'elles avaient pu empêcher le policier de le maîtriser après l'avoir neutralisé en parant le coup, si besoin s'était fait sentir ; - que ce dernier avait déjà paré l'éventuel coup du requérant en lui opposant son bras, et que le coup de genou porté par la suite ne revêtait aucun caractère nécessaire et proportionné au comportement du jeune homme, de sorte que la légitime défense ne pouvait être invoquée. Il concluait qu'il apparaissait qu'il y avait eu en l'espèce disproportion entre le comportement du requérant et la riposte du capitaine de police, laquelle avait entraîné pour le mineur une atteinte à sa personne. Le fonctionnaire de police comparut devant le tribunal correctionnel de Nouméa où le Procureur de la République requit la relaxe du prévenu qui invoquait le fait justificatif de la légitime défense. Par un jugement du 9 octobre 1998, le tribunal déclara le capitaine H. coupable d'avoir commis le délit de violences ayant entraîné une incapacité inférieure à 8 jours avec cette circonstance que lesdites violences ont été commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions et le condamna à une amende de 80 000 francs de la Communauté financière du Pacifique (CFP). Il considéra que le caractère volontaire de la riposte était avéré et observa surabondamment que le capitaine H. invoquait la légitime défense, laquelle était inconciliable selon la cour de cassation avec le caractère involontaire de l'infraction poursuivie. Il ajouta que : « si le premier geste de défense accompli par le capitaine H. était nécessaire et mesuré, parfaitement adapté à la situation, il n'en est pas de même du second. (...) Nécessité de la riposte s'agissant du coup de genou Attendu que compte tenu : - d'une part de l'expérience professionnelle du capitaine H., de sa formation, du lieu de la rébellion, permettant une intervention immédiate des policiers présents, de la fouille préalable du requérant et de la morphologie plus athlétique du policier ; - d'autre part de la nature de l'agression (ou considéré comme tel) imputée au requérant ; Le coup de genou au demeurant assez violent donné par le Capitaine H. dans les parties génitales du jeune Rivas n'était pas rendu strictement nécessaire à la riposte ». Caractère mesuré (ou non) de la riposte Attendu que le moyen de défense employé par le capitaine H. s'est révélé en outre disproportionné s'agissant du coup de genou qu'il a donné au requérant eu égard à la nature et au degré de gravité de l'agression imputé au requérant. Attendu que la disproportion de la riposte utilisée est également confortée par la violence du coup donné, celui-ci ayant : Provoqué une fracture fermée du testicule gauche (...) Nécessité l'hospitalisation de l'intéressé et une intervention chirurgicale en urgence, Entraîné une ITT fixée à sept jours selon le certificat médical joint à la constitution de partie civile et à cinq jours selon le rapport du médecin expert requis par le juge d'instruction et une diminution de moitié à la palpation de la taille du testicule gauche par rapport au droit. » Le capitaine H. et le ministère public relevèrent appel de cette décision. Par un arrêt du 2 mars 1999, la cour d'appel de Nouméa infirma le jugement et relaxa le fonctionnaire de police. Elle précisa notamment que le requérant faisait l'objet de très mauvais renseignements, puisque son casier judiciaire comportait deux condamnations pour vol prononcées par le tribunal pour enfants et qu'il avait en outre fait l'objet de multiples procédures, interpellations et conduites au poste de police depuis l'âge de treize ans, et que monsieur H. était un officier de police judiciaire excellemment noté tant par ses supérieurs que par le Procureur de la République. Elle rappela les conclusions du rapport d'expertise médicale effectuée par le Docteur G. le 20 janvier 1998 : « - que Rivas présentait des séquelles morphologiques palpables d'une fracture du testicule gauche (diminution de volume glandulaire) ; - que le faible quota de parenchyme testiculaire n'était pas de nature à entraîner des risques d'infertilité liée à ce traumatisme pour le sujet ; - le retentissement psychologique est peu important. Monsieur Rivas a rapidement repris une vie relationnelle normale ; - que l'ITT avait été de 5 jours ; - qu'il n'y avait pas d'IPP à prévoir ; - que le préjudice esthétique était nul et le préjudice d'agrément faible et difficilement évaluable en ce qui concerne le domaine de la sexualité dont l'aspect ludique était actuellement prédominant pour monsieur Rivas. » La cour d'appel motiva sa décision comme suit : « Attendu qu'il n'est pas contesté que les blessures subies par le requérant résultent d'un coup porté par le capitaine H. ; qu'il paraît cependant peu vraisemblable que ce coup ait pu être porté ainsi que le soutient la victime dès son entrée dans le bureau du capitaine alors que la porte de celui-ci devait nécessairement être encore ouverte et que des personnes circulaient dans le couloir ; qu'aucun élément du dossier ne permet par ailleurs de confirmer la relation des faits donnés par la victime dont l'attitude ne peut s'expliquer que par les nombreuses interpellations et conduites au poste de police dont elle a régulièrement fait l'objet depuis l'âge de 13 ans ; Attendu que les explications fournies par le capitaine H. compte tenu du contexte présentent quant à elles une certaine apparence de vérité ; qu'en effet, ayant de par son expérience, son grade et les fonctions de chef de l'unité des flagrants délits, l'habitude de traiter ce type de procédure et ayant par ailleurs déjà eu affaire [au requérant] bien connu des services de police, il peut paraître vraisemblable que le requérant après avoir été invité, devant l'évidence des charges établies contre lui, à reconnaître les faits, se soit soudainement levé de sa chaise et ait voulu quitter le bureau du capitaine H. que ce dernier pour l'en empêcher se soit précité sur lui, l'ai saisi d'une main par l'épaule, le faisant ainsi pivoter, que [le requérant] dans ce mouvement tournant se soit retrouvé face au policier la main droite levée afin de le repousser et que ce geste ait pu être perçu par le capitaine H comme une menace voir l'esquisse d'un coup que [le requérant] voulait lui porter ; Attendu qu'il s'en suit que le capitaine H. se trouvait dans la nécessité de réagir pour d'une part parer le coup qui allait lui être porté et d'autre part prévenir d'autres coups que [le requérant] empêché dans sa tentative de fuite n'aurait pas manqué de lui porter ; Attendu qu'il n'est pas établi que le capitaine H. ait eu l'intention en portant un coup de genou [au requérant] de l'atteindre au niveau des parties sexuelles et encore moins de lui causer de tels dommages ; que ce coup de genou donné dans un mouvement réflexe visait plutôt l'abdomen que les parties génitales, qu'il apparaît dès lors proportionné à la menace réelle que l'attitude [du requérant] faisait peser sur le capitaine H. dans l'instant précis où se retournant subitement il apparaissait face à lui le bras levé prêt à frapper ; (...) » Par un arrêt du 1er février 2000, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant au motif que la cour d'appel avait justifié sa décision au regard de l'article 122-5 du code pénal (irresponsabilité pénale en cas de légitime défense).
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1976, 1960 et 1959. Le 14 avril 1995, dans le cadre d'une opération menée contre l'organisation illégale du DHKP/C (le Parti révolutionnaire de la libération du peuple/Front), Necdet Dinçel et Nevzat Kalaycı furent arrêtés et placés en garde à vue par des policiers de la direction de la sûreté d'Izmir, section de la lutte contre le terrorisme (« la direction de la sûreté »). Le procès-verbal d'arrestation établi le même jour par les policiers précisa que, dans le cadre d'une opération menée contre le DHPK/C, ils s'étaient rendus dans une maison située à Karşıyaka (Izmir) à 4 h 30 et avaient arrêté Necdet Dinçel et son épouse, Nevzat Kalaycı, U.A. et G.Ö. nom de code Olcay. Les policiers saisirent notamment au domicile des prévenus une pochette contenant deux bouteilles de bière transformées en bombes artisanales prêtes à l'emploi, un sac de sport bleu marine contenant de la poudre noire, de la poudre d'aluminium, de l'engrais artificiel et des allumettes, treize brochettes métalliques avec une poignée en bois pour l'utilisation d'explosif, un appareil photographique de marque Kodak, une pochette de sérum utilisée et une bouteille de bière vide. Les policiers saisirent dans la poche arrière du pantalon de Nevzat Kalaycı, entre autres, une pièce d'identité établie au nom de Celal Çelik, un permis de conduire établi au nom d'İdris Sağlam, une lettre avec le titre « Salut camarade » et signée Ali Rıza, ainsi qu'un numéro de compte bancaire au nom de H.D. Le 15 avril 1995, Yavuz Mamaç, présumé appartenir, aider et assister l'organisation illégale DHKP/C, fut également arrêté à Izmir par la direction de la sûreté. Le 16 avril 1995, Necdet Dinçel fut interrogé par les policiers de la direction de la sûreté. Il déclara qu'il connaissait Olcay et était marié avec Nevzat Kalaycı, ces derniers avaient passé dix jours chez lui ; ils étaient venus par la suite avec un sac de sport bleu marine. Le 14 avril 1995 à 21 heures, Nevzat Dinçel et Olcay étaient venus chez lui. Il déclara qu'il ne savait pas qu'ils étaient membres d'une organisation illégale. Le 18 avril 1995, Yavuz Mamaç fut entendu par les policiers de la direction de la sûreté. Il déclara notamment qu'il avait participé à l'attaque au cocktail Molotov des locaux de l'Association de la culture et de soutien des Tercanlar. Il avait préparé les cocktails Molotov pour l'attaque des locaux du parti DYP. Le même jour, ayant appris son arrestation, son frère engagea un conseil pour défendre ses intérêts. Le procès-verbal du 19 avril 1995, établi par les policiers de la direction de la sûreté, mentionna que Nevzat Kalaycı avait refusé de faire une déposition et qu'il était en grève de la faim. Ce dernier signa le document en précisant qu'il émettait des réserves. Le procès-verbal mentionna en outre que le requérant avait été arrêté à son domicile en possession, notamment, de deux bombes à main artisanales, de poudre et d'aluminium en poudre. Il avait sur lui des documents codés appartenant à une organisation. Il apparaissait comme le dirigeant de la région d'Egée du Front de libération du parti du peuple. Le procès-verbal du 19 avril 1995 à 15 h 40, signé par Yavuz Mamaç et son avocate ainsi que deux policiers, mentionna que celui-ci s'était entretenu, lors de sa garde à vue, avec son avocate, en présence de deux policiers de la direction de la sûreté. Le procès-verbal mentionna que la représentante du requérant avait informé son client de ses droits légaux et des raisons de son arrestation, et lui avait demandé s'il avait besoin de quelque chose. Il lui avait déclaré qu'il avait été placé en garde à vue dans le cadre d'une opération menée contre une organisation illégale et qu'il avait besoin d'argent. Son conseil lui donna 250 000 livres turques (TRL) et demanda qu'il soit examiné par un médecin. Le procès-verbal du 19 avril 1995 à 15 h 50, signé par Necdet Dinçel et son avocate ainsi que deux policiers, mentionna que celui-ci s'était entretenu, lors de sa garde à vue, avec son avocate, en la présence de deux policiers de la direction de la sûreté. Le procès-verbal mentionna que la représentante du requérant avait informé son client de ses droits légaux et des raisons de son arrestation, et lui avait demandé s'il avait besoin de quelque chose. Il lui avait déclaré qu'il avait été placé en garde à vue le 14 avril 1995 dans le cadre d'une opération menée contre une organisation illégale, qu'il était en bonne santé et avait besoin d'argent et de sous-vêtements de rechange ainsi que de chaussures. Le procès-verbal de reconstitution des faits établi le 21 avril 1995 par les policiers de la direction de la sûreté et signé par Yavuz Mamaç, mentionna que ce dernier avait indiqué les lieux où il avait jeté un cocktail Molotov et ouvert le drapeau du DHKP/C. Le 26 avril 1995, Necdet Dinçel fut entendu par le procureur de la République. Il déclara qu'il connaissait Nevzat Kalaycı et que, la veille, ce dernier avait apporté les affaires saisies, et notamment le sac. Le même jour, les requérants furent traduits devant le juge assesseur près la cour de sûreté de l'Etat d'Izmir (« la cour de sûreté de l'Etat ») qui ordonna leur mise en détention provisoire. Nevzat Kalaycı réitéra sa déposition faite devant le parquet et ne fit pas de déclaration au sujet de sa déposition obtenue lors de sa garde à vue ni au sujet des autres éléments de preuve. Yavuz Mamaç contesta les faits qui lui étaient reprochés ; il réitéra sa déposition faite devant le parquet et contesta sa déposition obtenue lors de sa garde à vue. Necdet Dinçel réitéra sa déposition faite lors de sa garde à vue et devant le parquet. Le 23 juin 1995, le parquet d'Izmir intenta une action pénale, en application de l'article 146 du code pénal, contre Nevzat Kalaycı ; en application des articles 168 § 2 du code pénal et 5 de la loi no 3713 relative à la lutte contre le terrorisme, contre Yavuz Mamaç ; et, en application des articles 169 du code pénal et 5 de la loi no 3713, contre Necdet Dinçel. Le 15 août 1995, la cour de sûreté de l'Etat ordonna la mise en liberté provisoire de Necdet Dinçel. Lors de la procédure, les requérants présentèrent leur mémoire en défense sur le fond. Par un arrêt du 7 octobre 1997, en application des articles 168 § 2 et 264 § 2 du code pénal, la cour de sûreté de l'Etat condamna Yavuz Mamaç à une peine d'emprisonnement de quatorze ans et quatre mois ainsi qu'à une amende de 311 110 TRL. Pour établir la culpabilité de Yavuz Mamaç, elle tint compte, entre autres, des déclarations de R.D., un témoin à charge, qui avait déclaré lors de l'enquête préliminaire que le requérant avait donné l'ordre de jeter un cocktail Molotov dans les locaux de l'Association de la culture et de soutien des Tercanlar et un autre dans les locaux du DYP, et avait affiché une pancarte sur les volets d'un magasin. Devant la cour, le requérant contesta sa déposition obtenue lors de sa garde à vue en confirmant celle qu'il avait faite devant le parquet. Il contesta par ailleurs le rapport d'expertise mentionnant que les empreintes digitales sur la pancarte étaient les siennes. En application de l'article 169 du code pénal, la cour de sûreté de l'Etat condamna Necdet Dinçel à une peine d'emprisonnement de trois ans et neuf mois. Elle se fonda sur le fait qu'il avait été arrêté à son domicile avec d'autres personnes et que la police y avait saisi une pochette contenant un explosif ainsi qu'un sac de sport bleu marine contenant notamment de la poudre noire, de la poudre d'aluminium et de l'engrais artificiel. En application de l'article 168 § 1 du code pénal, la cour de sûreté de l'Etat condamna Nevzat Kalaycı à une peine d'emprisonnement de trente ans. Elle se fonda notamment sur les éléments de preuve, tels que la saisie de 28 grammes d'ammonium de sulfate et de 15 grammes d'aluminium pouvant servir à l'utilisation d'explosifs, ainsi que sur la déposition de B.Y., un témoin à charge, qui avait déclaré que le requérant l'avait chargé de recruter des membres pour le Parti de la libération du peuple. La cour prit également en considération le procès-verbal d'arrestation du 14 avril 1995, d'après lequel la police avait saisi, dans la maison dans laquelle le requérant et Necdet Dinçel furent arrêtés, une pochette en plastique contenant des produits chimiques et du matériel pour la fabrication d'une bombe artisanale, des documents dans la poche arrière de Nevzat Kalaycı, une pièce d'identité sans photographie établie au nom de C.Ç. et un permis de conduire établi au nom d'İ.S. Elle tint également compte de la déposition d'U.S., un témoin à charge, d'après lequel le requérant était présenté comme un haut responsable de l'organisation et était le donneur d'ordre des événements incriminés. La cour rappela que, lors de l'enquête préliminaire, le requérant avait utilisé son droit de garder le silence. Dans sa défense exposée oralement devant elle, il confirma qu'il approuvait les dépositions faites par les autres accusés à son encontre. Après avertissement, la cour refusa qu'il lise son mémoire en défense de 450 pages au motif que ce mémoire outrepassait sa défense. A l'audience du 4 septembre 1997, conformément à l'article 23 de loi no 2845, la cour de sûreté de l'Etat expulsa le requérant qui, par la suite, sans avancer de justification, refusa de participer aux audiences. Par un arrêt du 1er juillet 1998, prononcé le 13 juillet 1998, la Cour de cassation confirma l'arrêt attaqué. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A l'époque des faits, l'article 30 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992 prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l'Etat, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours. Dans les provinces où l'état d'urgence avait été décrété, ces délais étaient susceptibles d'être prolongés jusqu'à quatre et trente jours respectivement.
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants sont nés respectivement en 1936 et 1957 et résident à Athènes. Les requérants sont journalistes. Le premier est l’éditeur et le directeur de la publication du quotidien Adesmeftos Typos. Le second est le rédacteur en chef du journal. Les 7 et 8 septembre 1995, le quotidien Eleftherotypia révéla des plaintes émanant d’habitants de la ville d’Arta (chef-lieu de la région d’Epire à l’ouest de la Grèce) contre certains magistrats et procureurs, dont I.M., pour comportement contraire à la déontologie judiciaire. Suite à ces plaintes, une enquête judiciaire fut ordonnée, à l’issue de laquelle le procureur de la Cour de cassation demanda la mutation de I.M. En 2001, ce dernier fut suspendu de ses fonctions et renvoyé en jugement pour abus de pouvoir pour des faits commis dans une autre ville entre le 15 décembre 1999 et le 1er février 2000. Le 19 septembre 1995, Adesmeftos Typos fit paraître un article signé par le second requérant, intitulé « Il y a certains procureurs en Epire ». Dans une première partie, l’article relatait le comportement illicite d’un procureur de la ville de Préveza et l’enquête judiciaire ordonnée à cet égard. On pouvait y lire notamment : « Faites attention maintenant à un cercle de personnes. Dans la ville de Préveza, le procureur T. participa à un scandale où tout y était. De faux diplômes et même une plainte-choc pour des pots-de-vin versés au procureur. La justice intervint. Un autre procureur serait impliqué dans un scandale : monsieur K. Et encore un autre : I.M. dans la ville d’Arta (...). Dans une seconde partie, l’article concluait en ces termes : « L’ami commun des trois procureurs est le bâtonnier d’Arta. La caractéristique commune est qu’en réalité aucune sanction n’est infligée et que certains cadres du parti politique au pouvoir vouent une adoration à ces personnes-là. » Le 10 octobre 1997, I.M. saisit le tribunal de grande instance de Salonique d’une action en dommages-intérêts contre les requérants et le journal pour diffamation et injure. S’agissant d’un délit commis par voie de presse, la procédure spéciale prévue par l’article 681Δ du Code de procédure civile dut être suivie en l’espèce. Selon cette procédure plus rapide que la procédure ordinaire, l’audience doit être fixée dans un délai de trente jours maximum après la saisine du tribunal et ne peut être ajournée qu’une seule fois, l’ajournement ne devant pas dépasser les trente jours (voir paragraphe 20 ci-dessous). Toutefois, l’audience fut fixée au 9 décembre 1997, puis reportée au 23 mars 1998. Lors de l’audience, les requérants produisirent un témoignage écrit en leur faveur. Le 3 juillet 1998, le tribunal rendit son jugement (no 17312/1998). Après citation de l’article litigieux, le tribunal s’exprima ainsi : « Cet article était précédé par des longs articles du quotidien Elefhterotypia des 7 et 8 septembre 1995, lesquels avaient été rédigés suite à des plaintes émanant d’habitants de la ville d’Arta contre certains magistrats et procureurs, dont I.M., pour comportement contraire à la déontologie judiciaire. En particulier, dans lesdits articles, il était rapporté que le procureur près la Cour de cassation de l’époque avait ordonné le déroulement d’une enquête afin de déterminer si le comportement des magistrats et procureurs visés, dont I.M., était contraire à la déontologie judiciaire. En outre, les articles relataient expressément que le procureur adjoint de la Cour de cassation avait inclu le nom de I.M. dans un rapport de contrôle qu’il avait rédigé et avait demandé sa mutation. La gravité de l’affaire eut pour résultat des déclarations par le président de l’Union des procureurs de l’époque à une station télévisée, ainsi que des déclarations par le président de l’Union des magistrats et procureurs de l’époque audit journal, Eleftherotypia, qui avait publié pour la première fois, le 7 septembre 1995, un article sur les plaintes susmentionnées contre I.M. Au vu de ce qui précède, les faits relatés dans la première partie de l’article étaient véridiques et se fondaient sur une série d’articles et de témoignages sous serment et n’étaient pas le fruit de l’imagination de leur auteur dans le but de nuire à la réputation et à l’honneur de I.M. En raison de la médiatisation de l’affaire, [les requérants], motivés par un intérêt légitime, à savoir l’information du public, procédèrent à la publication de cette information, qui se référait aux articles précédemment parus dans le journal Eleftherotypia ; dès lors, la première partie de l’article « Un autre procureur serait impliqué dans un scandale ... monsieur I.M. », correspond à la réalité, n’est pas diffamatoire ni injurieux pour le demandeur et ne justifie pas le versement d’une indemnisation. En revanche, en ce qui concerne la seconde partie de l’article, qui se réfère à deux faits, à savoir a) l’amitié des personnes impliquées dans le scandale et mentionnées dans la première partie de l’article avec le bâtonnier de la ville d’Arta et b) au fait qu’aucune sanction n’est infligée (manifestement par les organes compétents) et à l’adoration que vouent certains cadres du parti politique au pouvoir à ces personnes ainsi qu’au bâtonnier, l’article est dénué de vérité, puisque ces allégations ne sont aucunement étayées. Ainsi rédigée, cette partie de l’article porte atteinte à l’honneur et à la réputation du demandeur, car elle laisse entendre que les procureurs susmentionnés, dont I.M., qui seraient « impliqués dans un scandale », demeurent impunis grâce à leur amitié avec le bâtonnier de la ville d’Arta, mais aussi grâce à leur relation avec les cadres du parti politique au pouvoir. Or, il n’a aucunement été prouvé que le demandeur (ou les autres) fut un ami proche du bâtonnier de la ville d’Arta ou de cadres du parti politique au pouvoir. Dès lors, l’article donne la fausse impression que, même si ces personnes sont impliquées dans des scandales, elles demeurent impunies pour les raisons susmentionnées. Au vu de l’administration des preuves produites, il s’ensuit que [les requérants] connaissaient l’inexactitude des faits susmentionnés et étaient en mesure de se rendre compte, de par leur éducation (journalistes) et leur expérience sociale, que leurs allégations pouvaient nuire à l’honneur et à la réputation de I.M. Tout le contenu de l’article laisse apparaître l’intention [des requérants] de porter atteinte à l’honneur et à la réputation du demandeur ; en outre, l’intention d’injure contenue dans l’article est établie. Il n’est dès lors pas possible d’appliquer l’article 367 § 1 du Code pénal, selon lequel les opinions défavorables ne constituent pas une infraction si elles sont motivées par un intérêt légitime, puisque [le second requérant] a dépassé la mesure nécessaire, car si le but de l’article était d’informer le public, il aurait pu utiliser d’autres expressions et accomplir son devoir journalistique sans pour autant nuire à la personnalité du demandeur. La publication dudit article eut lieu alors que la procédure disciplinaire engagée à l’encontre de I.M. était encore pendante, sans que son résultat ne soit encore connu, stade qui est couvert par le principe de la présomption d’innocence de la personne qui fait l’objet du contrôle. Par conséquent, même si pendant ce stade, la personnalité du demandeur devait l’emporter sur le droit d’information du public, le [second requérant] a rédigé et [le premier requérant] publié l’information inexacte contenue dans la seconde partie de l’article litigieux, préjugeant ainsi de la culpabilité du demandeur et en même temps de son impunité. » Dès lors, le tribunal fit droit au recours de I.M. et ordonna aux requérants de lui verser dix millions de drachmes au titre de dommages-intérêts (29 347 euros). En vertu de l’article 4 de la loi no 2243/1994, cette somme est le minimum prévu pour des infractions semblables commises par voie de presse (voir paragraphe 19 ci-dessous). En vertu de l’article 681Δ § 5 du Code de procédure civile (voir paragraphe 20 ci-dessous), les requérants disposaient d’un délai de quinze jours pour interjeter appel. Le 8 juillet 1998, les requérants interjetèrent appel dudit jugement, avant même que celui-ci ne leur soit officiellement notifié. Ils soutinrent que leur condamnation portait atteinte à la liberté de la presse et invoquèrent les articles 6 et 10 de la Convention. Le 3 février 1999, la cour d’appel de Salonique confirma le jugement attaqué. Elle considéra que si la première partie de l’article correspondait aux faits de l’affaire et ne contenait ni de critique diffamatoire ni d’injure contre I.M., la seconde n’était pas véridique et était formulée de façon à porter atteinte à l’honneur et la réputation de celui-ci (arrêt no 354/1999). Le 7 mai 1999, les requérants se pourvurent en cassation. Dans leur long mémoire, ils insistaient sur l’importance capitale de la liberté d’expression pour les journalistes. Pour eux, leur condamnation ne se justifiait nullement sous l’angle de l’article 10 de la Convention. L’article litigieux visait à critiquer le comportement de certains magistrats, dont I.M., et ne contenait aucune insulte personnelle. La cour d’appel aurait dû tenir compte des « enseignements tirés de la pratique usuelle » (διδάγματα της κοινής πείρας) et des conditions afférentes à la liberté de la presse et ne pas les sanctionner. De toute façon, l’arrêt attaqué comportait une contradiction : en effet, il estimait que les requérants n’avaient pas eu l’intention d’injurier I.M. dans la première partie de l’article, mais que, par contre, la seconde partie constituait une injure vis-à-vis de celui-ci. Parallèlement, les requérants critiquaient la procédure menée contre eux. Celle-ci, propre aux délits de presse, dans la mesure où la nécessité de juger l’affaire rapidement prévaut, les aurait privés des garanties procédurales liées aux procédures ordinaires (délais plus longs, possibilité d’entendre plusieurs témoins, etc.) ; elle serait donc contraire aux exigences posées par l’article 6 de la Convention. Les requérants se plaignirent en outre de l’existence d’un seuil minimum d’indemnisation ; selon eux, l’impossibilité de prouver que le préjudice moral subi par le plaignant était inférieur à dix millions de drachmes violait le principe de l’égalité des armes. Le 31 octobre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. S’agissant notamment des griefs tirés de la procédure spéciale suivie pour les délits commis par voie de presse et de l’existence d’un seuil minimum d’indemnisation, elle estima que les requérants n’avaient pas mentionné dans leurs moyens les circonstances de fait sur lesquelles la cour d’appel avait fondé son jugement ; dès lors, elle ne pouvait pas vérifier si les erreurs de droit invoquées par les requérants avaient conduit la cour d’appel à une décision erronée. La haute juridiction considéra en outre que les requérants n’avaient pas précisé quels étaient les enseignements tirés de la pratique usuelle que la cour d’appel aurait ignorés. Elle réfuta également l’argument des requérants sur le caractère contradictoire des considérations de la cour d’appel (arrêt no 1313/2000). II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article unique de la loi no 1178/1981, relative à la responsabilité civile de la presse, telle qu’amendée par l’article unique, paragraphe 4, de la loi no 2243/1994, dispose : « 1. Le propriétaire de toute publication est obligé d’indemniser intégralement le dommage matériel illégal ainsi qu’à réparer pécuniairement le dommage moral, causés par un article qui porte atteinte à l’honneur ou la réputation de toute personne, même si l’imputabilité prévue à l’article 914 du code civil, ou l’intention prévue à l’article 919 du code civil, ou la connaissance et l’ignorance imputable à une faute prévues à l’article 920 du code civil s’appliquent au rédacteur de cet article ou, si celui-ci est inconnu, à l’éditeur ou au rédacteur en chef de la publication. Le montant minimum des dommages-intérêts pour préjudice moral, conformément à l’article 932 du code civil est de dix millions de drachmes (...) » L’article 681Δ du Code de procédure civile consacre une procédure spéciale, propre aux délits de presse. Le paragraphe 4 de cet article prévoit ce qui suit : « L’audience est obligatoirement fixée trente jours au plus tard après la saisine du tribunal. Elle se complète dans une seule séance et le tribunal doit rendre sa décision dans un délai d’un mois à partir de la date d’audience. Les parties doivent déposer leurs éléments de preuve jusqu’à la fin de l’audience. Il n’est pas possible de rendre une décision avant dire droit ordonnant des preuves. L’audience peut être ajournée une seule fois en raison d’un empêchement majeur probable. L’ajournement ne peut pas dépasser trente jours. » Aux termes du paragraphe 5 du même article, les parties disposent d’un délai de quinze jours pour interjeter appel. Les dispositions pertinentes du code civil disposent : Article 57 « Celui qui, d’une manière illicite, est atteint dans sa personnalité, a le droit d’exiger la suppression de l’atteinte et, en outre, l’abstention de toute atteinte à l’avenir (...). En outre, la prétention à des dommages-intérêts, suivant les dispositions relatives aux actes illicites, n’est pas exclue. » Article 59 « Dans les cas prévus par les deux articles précédents le tribunal peut, par son jugement rendu à la requête de celui qui a été atteint et compte tenu de la nature de l’atteinte, condamner en outre la personne en faute à réparer le préjudice moral de celui qui a été atteint. Cette réparation consiste dans le paiement d’une somme d’argent, dans une mesure de publicité, et aussi dans tout ce qui est indiqué par les circonstances. » Article 914 « Celui qui, contrairement à la loi, cause par sa faute un dommage à autrui, est tenu à réparation. » Article 919 « Celui qui a causé intentionnellement un dommage à autrui en agissant contrairement aux bonnes moeurs, est tenu à réparation. » Article 920 « Celui qui soutient ou propage en connaissance de cause, ou par suite d’ignorance imputable à sa faute, des nouvelles inexactes qui mettent en péril le crédit, la profession ou l’avenir d’autrui, est tenu de l’en dédommager. » Article 932 « Indépendamment de l’indemnité due en raison du préjudice patrimonial causé par un acte illicite, le tribunal peut allouer une réparation pécuniaire raisonnable, suivant son appréciation, pour cause de préjudice moral. Ceci est notamment applicable à l’égard de celui qui a subi une atteinte à sa santé, à son honneur ou à sa chasteté, ou qui a été privé de sa liberté. En cas de mort d’homme, cette réparation peut être allouée à la famille de la victime à titre de pretium doloris. »
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1952 et est actuellement détenu à la prison de Korydallos (Pirée). Le 3 août 1998, des poursuites pénales furent engagées à l’encontre du requérant, des chefs d’instigation au vol d’antiquités et de recel. Le 7 mai 1999, le juge d’instruction spécial d’Athènes ordonna l’arrestation du requérant. Ce dernier demeurant à l’époque en Allemagne, le juge d’instruction demanda par ailleurs aux autorités allemandes l’extradition de celui-ci vers la Grèce. Le 22 juillet 1999, le requérant fut arrêté et conduit devant le tribunal pénal de première instance de Saarbrücken qui le plaça en détention provisoire en vue de son extradition. Le requérant fut détenu jusqu’au 5 octobre 1999, jour de son extradition. Le 8 octobre 1999, le juge d’instruction spécial d’Athènes ordonna la mise en détention provisoire du requérant à partir du 5 octobre 1999. L’instruction prit fin le 6 décembre 1999. A. La procédure devant les chambres d’accusation Le 22 décembre 1999, le requérant demanda sa libération conditionnelle. Cette demande fut rejetée le 9 mars 2000, au motif que le requérant était soupçonné d’appartenir à un réseau international de trafiquants d’antiquités et qu’il existait en outre un risque de fuite compte tenu du fait que celui-ci résidait en permanence à l’étranger (ordonnance no 506/2000). Entre-temps, le 20 janvier 2000, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes décida de ne pas poursuivre le requérant du chef d’instigation au vol d’antiquités, mais de le renvoyer devant la cour d’assises d’Athènes afin d’être jugé du chef de recel d’antiquités et d’exportation illicite d’antiquités vers l’Allemagne. L’audience fut fixée au 19 mars 2001. Par ailleurs, la chambre d’accusation décida le maintien de la détention provisoire du requérant (arrêt no 151/2000). Le 11 février 2000, le requérant se pourvut en cassation contre son renvoi en jugement. Le 20 mars 2000, le procureur général près la cour d’appel invita la chambre d’accusation, qui devait se réunir le 20 avril 2000 pour décider du maintien en détention provisoire du requérant, à prolonger la détention de celui-ci pour une période supplémentaire de six mois. Le 17 avril 2000, le requérant demanda à la chambre d’accusation de l’autoriser à comparaître devant elle afin de défendre sa cause. En effet, il estimait que sa détention provisoire avait débuté non pas le 5 octobre 1999 en Grèce, mais le 22 juillet 1999 en Allemagne ; dès lors, sa détention aurait déjà dépassé la durée maximale autorisée par la Constitution (voir paragraphe 24 ci-dessous). Le 18 avril 2000, le procureur invita la chambre d’accusation à rejeter la demande de comparution du requérant au motif que celui-ci avait déjà suffisamment développé et étayé ses arguments par écrit. Par un arrêt du 20 avril 2000, la chambre d’accusation entérina les conclusions du procureur – qu’elle entendit en l’absence de l’accusé – et confirma le maintien en détention provisoire du requérant, afin de prévenir le renouvellement de ses agissements criminels et de s’assurer de sa représentation en justice (arrêt no 988/2000). Le 5 mai 2000, le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Le 7 septembre 2000, le requérant demanda sa libération conditionnelle. Le 16 septembre 2000, la chambre d’accusation rejeta la demande du requérant et prolongea sa détention provisoire pour une période supplémentaire de six mois (ordonnance no 2170/2000). Le 30 janvier 2001, la Cour de cassation déclara irrecevables les pourvois du requérant contre les arrêts nos151/2000 et 988/2000, au motif que ceux-ci n’étaient pas susceptibles d’un tel recours de la part de l’accusé. La Cour de cassation rejeta comme mal fondé l’argument du requérant qu’une telle limitation porterait atteinte à ses droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. B. La procédure de jugement Le 20 mars 2001, la cour d’assises d’Athènes déclara le requérant coupable et le condamna à dix ans et demi de réclusion criminelle (jugement no 736/01). Le 29 mars 2001, le requérant interjeta appel. Conformément au jugement attaqué, son appel n’a pas eu d’effet suspensif. L’audience fut fixée au 2 avril 2004. Les parties n’ont pas informé la Cour de l’issue de la procédure. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT L’article 6 § 4 de la Constitution est ainsi libellé : « La loi fixe la durée maximale de la détention provisoire, qui ne doit pas excéder un an pour les crimes et six mois pour les délits. Dans des cas tout à fait exceptionnels, ces durées maximales peuvent être prolongées de six et trois mois respectivement par décision de la chambre d’accusation compétente. » Conformément à l’article 306 du Code procédure pénale, les délibérations de la chambre d’accusation ne sont pas publiques ; les décisions sont prises à la majorité, après que le procureur a été entendu et se fut retiré (article 138).
0
0
0
0
0
0
1
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE A. Déroulement de la procédure pénale Le 5 mars 1995, V.F. porta plainte contre X pour escroquerie, à la suite de l'utilisation, qu'elle estimait frauduleuse, de la carte bancaire de sa mère, R.C., disparue depuis le 26 février 1995. Le 2 avril 1996, le requérant fut arrêté et placé en garde à vue dans le cadre de cette enquête. Le 4 avril, il fut mis en examen par le juge d'instruction de Montbrison des chefs d'escroquerie, tentative d'escroquerie et recel. A cette même date, il fut placé en détention provisoire. Le 5 juin 1996, un corps de femme, ultérieurement identifié comme étant celui de R.C., fut retrouvé dans la Loire. Le 9 juin 1996, le requérant fit l'objet d'une nouvelle garde à vue dans le cadre de l'enquête sur la mort de cette femme. Le lendemain, le juge d'instruction le mit en examen du chef d'assassinat, l'interrogea et le plaça sous mandat de dépôt criminel. Une partie de la procédure correctionnelle fut jointe à la procédure criminelle par ordonnance du 5 juillet 1996. Le juge ordonna plusieurs expertises, dont neuf portant sur le fond (autopsie, reconstitution, etc.) et deux sur la personnalité du requérant (expertises médico-psychologique et psychiatrique). Il interrogea le requérant les 25 juillet et 25 octoe 1996. Une reconstitution eut lieu le 13 octoe 1997, à laquelle le requérant ne participa que partiellement. En noveme 1997, le juge d'instruction procéda à un interrogatoire de curriculum du requérant. Les rapports d'expertise furent notifiés au requérant le 14 décembre 1998. Le 21 décembre 1998, le juge fit droit à la demande de contre-expertises du requérant sur sa personnalité. Il l'entendit le 30 décembre 1998. Le 8 janvier 1999, le juge rejeta ses autres demandes de contre-expertise et, le 21 janvier 1999, sa demande de jonction du dossier criminel avec le dossier correctionnel. Le 12 février 1999, le président de la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon dit n'y avoir lieu de saisir la chambre d'accusation de ses appels contre ces deux ordonnances. Le 12 février 1999, le juge déclara recevable la constitution de partie civile de C.G., amie du requérant, chez qui il vivait au moment de son arrestation, en rejetant la contestation de ce dernier. Le 30 mars 1999, son appel fut déclaré irrecevable pour non-respect du délai d'appel. Entre-temps, le 17 décembre 1998, le requérant avait formé devant la chambre d'accusation une requête en nullité portant sur des irrégularités affectant selon lui la reconstitution des faits, ainsi que ses gardes à vue des 2 avril et 9 juin 1996, et le mandat de dépôt criminel décerné à son encontre le 5 juillet 1996. Par arrêt du 19 février 1999, la chambre d'accusation rejeta sa requête ; elle releva notamment que, lors de ses gardes à vue, il avait renoncé volontairement à l'assistance d'un avocat et c'était à juste titre que le juge d'instruction avait retenu comme point de départ de la détention criminelle du requérant le mandat de dépôt du 5 juillet 1996, sans la faire rétroagir au jour du mandat de dépôt correctionnel, dans la mesure où le dossier correctionnel restait distinct du dossier criminel. Le 19 avril 1999, le juge d'instruction délivra un avis de fin d'information et, le 26 mai suivant, il adopta une ordonnance de transmission du dossier au procureur général, de requalification et de nonlieu partiel des chefs d'enlèvement et de tentative d'escroquerie. Dans le cadre de la procédure correctionnelle (pour vols aggravés, falsification de chèques et de documents administratifs, détentions d'armes et de munitions prohibées), le requérant fut condamné le 1er juillet 1999 à trois mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Montbrison. Le 16 septembre 1999, saisie d'un appel formé par le ministère public, la cour d'appel de Lyon porta la peine à 18 mois d'emprisonnement. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Le pourvoi fut rejeté par arrêt du 10 octobre 2000. Par arrêt du 16 juillet 1999, la chambre d'accusation renvoya le requérant devant la cour d'assises pour y être jugé des chefs d'assassinat, vol et escroquerie, et ordonna que le requérant soit pris de corps et conduit ou retenu à la maison d'arrêt établie près la cour d'assises. La Cour de cassation cassa cet arrêt de mise en accusation et prise de corps le 26 janvier 2000 et renvoya l'affaire devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble. Le 9 mai 2000, cette dernière juridiction renvoya le requérant devant la cour d'assises de la Drôme pour y répondre des chefs de meurtre, vol et escroquerie et ordonna sa prise de corps. Le pourvoi en cassation du requérant contre cet arrêt fut rejeté le 26 juillet 2000. Par arrêt du 17 mai 2001, la cour d'assises de la Drôme condamna le requérant à une peine de quinze ans de réclusion criminelle. Cet arrêt ne fit l'objet d'aucun recours. B. La détention provisoire Le requérant fut placé en détention provisoire dans le cadre de la procédure correctionnelle par ordonnance du 4 avril 1996. Il déposa une demande de mise en liberté le 10 mai 1996, qui fut rejetée par ordonnance du 10 mai 1996. Statuant sur l'appel subséquent du requérant, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon confirma, par arrêt du 24 mai 1996, l'ordonnance déférée. Le 10 juin 1996, le requérant fut placé en détention provisoire dans le cadre de la procédure criminelle. Les 9 juin 1997, 9 déceme 1997 et 9 juin 1998, la détention provisoire fut prolongée pour trois fois six mois, le contrôle judiciaire étant insuffisant en ce que le requérant n'offrait aucune garantie de représentation, et la prolongation de la détention provisoire étant l'unique moyen de garantir le maintien du requérant à la disposition de la justice, de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant provoqué à l'ordre public au regard de la gravité de l'infraction, de l'importance du préjudice causé et des circonstances de sa commission. Le 23 novembre 1998, le requérant forma devant la chambre d'accusation une demande directe de mise en liberté que cette juridiction rejeta par arrêt du 11 décembre 1998, dans les termes suivants : « Attendu que la question du délai raisonnable risque de se poser à brève échéance si, dans les semaines à venir, les résultats des expertises longues et nombreuses accumulées dans ce dossier n'étaient pas notifiés et soumis à l'examen des parties concernées, aux fins de clore promptement une information fort longue, qui exige désormais l'audition méthodique de Eddy Blondet sur le fond du dossier ; Attendu que si cette condition désormais impérative est respectée, le maintien en détention de Eddy Blondet reste nécessaire tant en raison du trouble important et non apaisé apporté par cette affaire hors du commun à la paix publique, que du risque majeur de le voir disparaître pour échapper à la sanction (mettant en cela à exécution le projet de partir en Guyane qu'il nourrissait avant son interpellation) ; Attendu, en outre, qu'au-delà de cette absence de garanties de représentation, même en l'état de l'hébergement proposé, il y a lieu de prévenir, eu égard aux investigations à effectuer rapidement, toute pression sur les témoins (...) ». L'ordonnance du 7 déceme 1998 prolongea entre-temps la détention provisoire du requérant pour six mois. Elle reprenait les mêmes motifs que les précédentes ordonnances de prolongation de la détention et y ajoutait le fait que l'instruction était achevée. Statuant sur l'appel subséquent du requérant, le 5 janvier 1999, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon confirma l'ordonnance du 7 décembre 1998 dans les mêmes termes que dans son arrêt du 11 décembre 1998. Le 14 avril 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi subséquent du requérant, en retenant notamment que l'avis de fin d'information allait être prochainement notifié aux parties et que le requérant ne justifiait pas avoir soulevé devant la chambre d'accusation le non-respect du délai raisonnable de sa détention. Le 10 mars 1999, le requérant forma une demande de mise en liberté. Par ordonnance du 12 mars 1999, le juge d'instruction rejeta cette demande. Statuant sur l'appel subséquent du requérant, la chambre d'accusation confirma l'ordonnance déférée le 30 mars 1999, aux motifs suivants : « Attendu qu'il résulte des pièces du dossier qu'Eddy BLONDET est bien susceptible d'avoir commis les faits criminels qui lui sont reprochés et qu'il a reconnus, même si aujourd'hui il les conteste et ne reconnaît plus qu'un recel de cadavre ; Attendu qu'au moment de son interpellation, à l'origine pour des faits d'escroquerie, l'intéressé n'avait ni domicile, ni activité professionnelle fixes ; Attendu qu'à supposer même que soit fondée la thèse d'Eddy Blondet selon laquelle il serait pourchassé par une équipe de mafieux en voulant à sa vie, cette menace serait elle aussi particulièrement de nature à l'inciter à prendre la fuite pour leur échapper ; qu'ainsi les garanties de représentation de l'intéressé devant la justice s'avèrent en l'état totalement inexistantes compte tenu de la lourdeur de la peine encourue et, le cas échéant, des risques extérieurs auxquels le mis en examen dit être exposé, si bien que le maintien de l'intéressé en détention s'avère indispensable de ce chef, un contrôle judiciaire, aussi strict soit-il, ne pouvant à l'évidence permettre de remédier à ce risque particulièrement sérieux de noncomparution d'Eddy BLONDET devant ses juges ; (...) » Le requérant se pourvut en cassation par l'intermédiaire du greffe de la maison d'arrêt contre l'arrêt du 30 mars 1999. Par arrêt du 19 octobre 1999, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant. Dans son arrêt de mise en accusation du requérant du 16 juillet 1999, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Lyon ordonna la prise de corps du requérant. Cet arrêt ayant été cassé et l'affaire renvoyée devant la chambre d'accusation de la cour d'appel de Grenoble, cette dernière rendit le 9 mai 2000 un nouvel arrêt de mise en accusation du requérant et décerna une ordonnance de prise de corps. Entre novembre 2000 et janvier 2001, le requérant forma trois demandes de mise en liberté. Les 14 décembre 2000, 19 décembre 2000 et 1er février 2001, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Grenoble rejeta ces demandes en relevant l'atteinte exceptionnelle et durable causée à l'ordre public, le passage du requérant devant une cour d'assises prévu pour le premier semestre 2001 et le risque de fuite du requérant au regard de la lourde peine encourue et de sa négation des faits. Par arrêts des 4 avril et 3 mai 2001, la Cour de cassation rejeta les pourvois subséquents formés par le requérant contre les arrêts des 19 décembre 2000 et 1er février 2001. C. La correspondance entre le requérant détenu et le greffe de la Cour Deux lettres du greffe de la Cour, datées des 9 juillet et 9 août 1999, furent ouvertes par le vaguemestre de la maison d'arrêt, qui apposa sur les enveloppes la mention « ouverte par erreur », suivie de sa signature. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale, telles qu'en vigueur au moment des faits sont ainsi rédigées : Article D. 262 « Les détenus peuvent, à tout moment, adresser des lettres aux autorités administratives ou judiciaires françaises dont la liste est fixée par le ministre de la Justice. Ces lettres peuvent être remises sous pli fermé et échappent dès lors à tout contrôle : aucun retard ne peut être apporté à leur envoi. Les détenus qui mettraient à profit la faculté qui leur est ainsi accordée soit pour formuler des outrages, des menaces ou des imputations calomnieuses, soit pour multiplier des réclamations injustifiées ayant déjà fait l'objet d'une décision de rejet, encourent une sanction disciplinaire, sans préjudice des sanctions pénales éventuelles. » Article A40 « La liste des autorités administratives et judiciaires avec lesquelles les détenus peuvent correspondre sous pli fermé, en application de l'article D. 262, est fixée comme suit : (...) Le greffe de la Cour européenne des droits de l'homme ; (...) »
0
0
0
0
0
0
1
0
1
0
La requérante est née en 1951 et réside à Lyon. Du 13 novembre 1990 au 5 janvier 1991, elle fut hospitalisée au centre hospitalier spécialisé (CHS) « Le Vinatier » de Bron, sous le régime de l’hospitalisation à la demande d’un tiers. Le 5 janvier 1991 elle bénéficia d’une sortie d’essai et fut astreinte, jusqu’au 6 février 1992, à une obligation de soins. Le 6 février 1992, l’hospitalisation fut levée. 7. Estimant avoir subi un préjudice du fait de l’illégalité de son internement, la requérante adressa le 21 décembre 1994 une demande préalable d’indemnisation au CHS, qui lui fit connaître son refus le 6 mars 1995. Le 9 mai 1995, elle saisit le tribunal administratif de Lyon d’un recours visant, d’une part, l’annulation de la décision d’hospitalisation du 13 novembre 1990, ainsi que des décisions maintenant son hospitalisation jusqu’au 6 février 1992, et d’autre part, l’indemnisation du préjudice subi. Le CHS déposa le 23 avril 1997 son mémoire en défense, auquel elle répliqua le 24 novembre 1998. Le CHS produisit un nouveau mémoire le 7 janvier 1999. La clôture de l’instruction fut fixée au 3 septembre 1999. Par lettre du 11 septembre 2000, les parties furent informées de ce que le tribunal était susceptible de soulever d’office le moyen tiré de l’incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur les conclusions à fin d’indemnité. L’audience eut lieu le 20 février 2001. Par jugement du 6 mars 2001, le tribunal annula la décision de maintien de l’hospitalisation de la requérante à compter du 6 janvier 1991, rejeta le surplus de ses demandes d’annulation et se déclara incompétent pour connaître de ses demandes d’indemnisation. Le 10 mai 2001, la requérante fit appel devant la cour administrative d’appel de Lyon. Le 17 septembre 2001, le CHS déposa un mémoire en défense. Les parties échangèrent de nouveaux mémoires en octobre et novembre 2001. Selon les informations données par le Gouvernement, l’affaire est toujours pendante devant la cour administrative d’appel.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1944 et réside à Viareggio (Lucques). Il est magistrat. Lors de l'introduction de la requête, il exerçait les fonctions de président par intérim du tribunal de La Spezia. Le 23 novembre 1993, à la suite d'une enquête de l'inspection générale du ministère de la Justice, le ministre de la Justice engagea contre le requérant une procédure disciplinaire en raison de son affiliation à une loge maçonnique du Grande Oriente d'Italia di Palazzo Giustiniani. Le ministre lui reprochait d'avoir appartenu à la maçonnerie de 1981 à mars 1993, et soutenait qu'il avait ainsi enfreint l'article 18 du décret législatif royal no 511 du 31 mai 1946 (paragraphe 18 ci-dessous). Par une décision du 10 octobre 1995, la section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature estima que le requérant était responsable des faits qui lui étaient reprochés et le sanctionna par un avertissement (censura). Elle indiqua qu'à partir de 1982 il devait être possible de « percevoir clairement la dévalorisation résultant de l'appartenance à la maçonnerie », et ce « à cause de la déchéance qu'engendre le fait de rassembler un certain nombre de personnes au sein de la loge P2, avec des programmes de prise de contrôle des pouvoirs publics et de subversion des institutions démocratiques, ainsi qu'en raison de la collusion de certaines loges maçonniques avec la mafia et le crime organisé ». La section disciplinaire ajouta que les directives du Conseil supérieur de la magistrature des 22 mars 1990 et 14 juillet 1993 (paragraphes 21 et 22 ci-dessous), qui mettaient en exergue (surtout la seconde) le grand conflit existant entre l'adhésion à la francmaçonnerie et l'appartenance à la magistrature, se situaient dans le contexte de cette évolution. D'autre part, selon la décision en question, l'adhésion d'un magistrat à la maçonnerie était illicite du point de vue disciplinaire pour les raisons suivantes : l'incompatibilité entre le serment du franc-maçon et celui du magistrat, l'existence d'un lien de subordination entre les francs-maçons, le « rejet » de la justice de l'Etat au profit de la « justice » maçonnique et, enfin, l'indissolubilité du lien maçonnique, même dans l'hypothèse d'un adhérent souhaitant quitter la franc-maçonnerie. La section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature affirma enfin que l'ignorance alléguée par le requérant quant au débat institutionnel sur la maçonnerie ne faisait que confirmer l'existence d'un comportement pouvant être sanctionné par l'article 18 du décret législatif de 1946. Selon la section disciplinaire, ce comportement se caractérisait par un manque de diligence, de prudence et de sagacité vis-à-vis d'une situation présentant un risque pour les valeurs garanties par l'article 18 susmentionné. Le 5 janvier 1996, le requérant se pourvut en cassation. Par trois moyens, il alléguait la violation de l'article 18 de la Constitution, contestait les arguments employés pour conclure à l'incompatibilité entre la fonction de magistrat et l'adhésion à la maçonnerie, et se plaignait du défaut de motivation du raisonnement relatif à la déconsidération dans laquelle tombe un magistrat du fait de son appartenance à la maçonnerie. Le 2 février 1996, le ministère de la Justice forma un pourvoi incident. La Cour de cassation examina l'affaire en chambres réunies le 19 septembre 1996 et, par un arrêt du 20 décembre 1996, rejeta le pourvoi du requérant. La haute juridiction déclara en premier lieu que l'application de l'article 18 de la Constitution est limitée par les principes constitutionnels d'impartialité et d'indépendance de la fonction juridictionnelle, principes qu'il faut considérer comme primant le droit à la liberté d'association. La Cour de cassation fit valoir en outre que la section disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature avait fondé sa décision essentiellement sur la directive du 14 juillet 1993, par laquelle le Conseil affirmait l'incompatibilité entre la fonction de magistrat et l'appartenance à la franc-maçonnerie. Le requérant prétend que sa carrière est bloquée depuis la décision de la section disciplinaire : il n'a pas été déclaré apte à exercer les fonctions de conseiller à la Cour de cassation ; d'autre part, le conseil judiciaire de son ressort a indiqué qu'en raison de l'avertissement litigieux il ne pouvait s'exprimer sur la capacité de l'intéressé à exercer les fonctions de président de tribunal. Enfin, le requérant affirme avoir été muté d'office en Sicile ; cependant, il ne fournit pas d'éléments permettant de conclure que cette décision était liée à la sanction litigieuse. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution italienne Les dispositions pertinentes de la Constitution sont les suivantes : Article 18 « Les citoyens ont le droit de s'associer librement, sans autorisation, à des fins que la loi pénale n'interdit pas aux individus. Sont interdites les associations secrètes et celles qui poursuivent, même indirectement, des buts politiques au moyen d'organisations de caractère militaire. » Article 25 « Nul ne peut être soustrait au juge naturel prévu par la loi. Nul ne peut être puni si ce n'est en vertu d'une loi entrée en vigueur avant la commission du fait. Nul ne peut être soumis à des mesures de sûreté, excepté dans les cas prévus par la loi. » Article 54 « Tous les citoyens ont le devoir d'être fidèles à la République et de respecter la Constitution et les lois. Les citoyens titulaires de charges publiques ont le devoir de s'en acquitter avec discipline et honneur, en prêtant serment dans les cas établis par la loi. » Article 98 « Les fonctionnaires sont au service exclusif de la nation. S'ils sont membres du Parlement, ils ne peuvent obtenir de promotions que par ancienneté. Des limitations au droit de s'inscrire à un parti politique peuvent être établies par la loi pour les magistrats, les militaires de carrière en service actif, les fonctionnaires et agents de police, les représentants diplomatiques et consulaires à l'étranger. » Article 101 « La justice est administrée au nom du peuple. Les juges ne sont soumis qu'à la loi. » Article 111 (texte applicable à l'espèce et antérieur à la loi constitutionnelle no 2 du 23 novembre 1999) « Toutes les mesures juridictionnelles doivent être motivées. Un pourvoi en cassation pour violation de la loi est toujours admis contre les arrêts et contre les mesures concernant la liberté de la personne, prononcés par les organes juridictionnels ordinaires ou spéciaux. Il ne peut être dérogé à cette règle que pour les jugements des tribunaux militaires en temps de guerre. Le pourvoi en cassation contre les décisions du Conseil d'Etat et de la Cour des comptes n'est admis que pour les motifs inhérents à la compétence juridictionnelle. » B. L'article 18 du décret législatif royal no 511 du 31 mai 1946 Le décret législatif royal no 511 du 31 mai 1946 (« le décret de 1946 ») porte sur les garanties accordées aux magistrats de l'Etat (guarentigie della magistratura). Aux termes de l'article 18 de ce décret, le magistrat qui « manque à ses devoirs ou a, dans le cadre de ses fonctions ou en dehors de celles-ci, un comportement qui le rend indigne de la confiance et de la considération dont il doit jouir, ou qui porte atteinte au prestige de l'ordre judiciaire » fait l'objet d'une sanction disciplinaire. Appelée à se prononcer sur la conformité de l'article 18 du décret de 1946 avec l'article 25 § 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a décidé qu'en matière de procédure disciplinaire contre les magistrats, le principe de légalité trouve à s'appliquer comme exigence fondamentale de l'Etat de droit et représente une conséquence nécessaire du rôle que la Constitution attribue à la magistrature (arrêt no 100 du 8 juin 1981, § 4). Toutefois, s'agissant du fait que l'article 18 n'énumère pas les comportements pouvant être considérés comme illicites, la Cour constitutionnelle a observé qu'il n'est pas possible d'indiquer tous les agissements qui peuvent porter préjudice aux valeurs – la confiance et la considération dont un magistrat doit jouir ainsi que le prestige de l'ordre judiciaire – garanties par ladite disposition. En effet, selon la juridiction constitutionnelle, ces valeurs sont des principes déontologiques qui ne peuvent être incorporés dans des « schémas préétablis, car il n'est pas possible d'identifier et de classer tous les comportements répréhensibles pouvant susciter une réaction négative de la société » (arrêt précité, § 5). La Cour constitutionnelle a par la suite rappelé que, dans les lois antérieures régissant la même matière, il y avait une disposition au contenu général en marge des dispositions sanctionnant des comportements spécifiques, que les projets de réforme dans ce domaine maintenaient toujours des formules de caractère général et, enfin, qu'il en allait de même pour d'autres catégories professionnelles. La Cour constitutionnelle a conclu que « les dispositions en la matière ne peuvent pas ne pas avoir un contenu général, parce que des indications précises auraient pour conséquence de légitimer des comportements non mentionnés et cependant réprouvés par la conscience sociale ». Elle a ajouté que ces considérations justifiaient la latitude de la norme et la grande marge d'appréciation accordée à un organe qui, agissant avec les garanties propres à une procédure judiciaire, était en raison de sa structure particulièrement qualifié pour apprécier si le comportement examiné dans chaque cas portait ou non préjudice aux valeurs protégées (arrêt précité, § 5). La Cour constitutionnelle a enfin considéré que pareille interprétation était conforme à sa jurisprudence en matière de légalité (arrêt précité, § 6). Elle a indiqué que, selon sa jurisprudence, « le principe de légalité s'applique non seulement par le biais d'une description rigoureuse et limitative du cas d'espèce, mais parfois aussi au moyen d'expressions suffisant à déterminer avec certitude la règle et à juger si un comportement donné a violé celle-ci ou non ». En outre, « les dispositions sanctionnant des comportements illicites qui sont dites « de forme libre » et se réfèrent à des concepts d'expérience commune ou à des valeurs éthico-sociales objectivement compréhensibles, sont pleinement compatibles avec le principe de légalité ». La Cour constitutionnelle a ajouté qu'en ce qui concerne les dispositions précitées de tels critères d'interprétation paraissent davantage valables en matière disciplinaire, en raison de la réaction sociale moindre que suscite l'infraction disciplinaire par rapport à l'infraction pénale et de l'incidence moindre sur la position subjective de l'intéressé, et également parce que la possibilité de comportements portant atteinte aux valeurs protégées est plus grande que les hypothèses de délit. Elle a affirmé que la référence de l'article 18 à la confiance et à la considération dont le magistrat doit jouir, ainsi qu'au prestige de l'ordre judiciaire, n'est d'ailleurs pas critiquable, car il s'agit de concepts que l'on peut déterminer selon l'opinion commune. Partant, la Cour constitutionnelle a écarté la violation des dispositions constitutionnelles invoquées, le principe de légalité et celui d'indépendance du magistrat n'étant pas violés. C. La loi no 17 du 25 janvier 1982 La loi no 17 du 25 janvier 1982 est consacrée aux dispositions d'application de l'article 18 de la Constitution (droit d'association) en matière d'associations secrètes et de dissolution de la loge nommée P2. Aux termes de son article 2, la participation à une association secrète constitue une infraction pénale. En ce qui concerne les fonctionnaires, l'article 4 dispose qu'une procédure disciplinaire doit également être ouverte à leur encontre devant une commission spéciale composée selon des règles bien précises. Toutefois, s'agissant des magistrats des juridictions judiciaires, administratives et militaires, ce sont les organes disciplinaires respectifs qui sont compétents. D. Les directives du Conseil supérieur de la magistrature La directive du 22 mars 1990 Le 22 mars 1990, le Conseil supérieur de la magistrature adopta une directive après avoir délibéré à la suite d'un message du chef de l'Etat – qui le préside – sur l'incompatibilité entre l'exercice d'une fonction judiciaire et l'adhésion à la franc-maçonnerie. Le procès-verbal (débat et texte de la directive) de la réunion tenue à cette occasion a été publié dans « Verbali consiliari » (pp. 89-129) ; il est intitulé « Dossier sur l'incompatibilité entre l'exercice de la fonction judiciaire et l'adhésion de magistrats à la maçonnerie ». Au début du procès-verbal, il est indiqué que ce dossier a été traité par la commission pour la réforme du système judiciaire. Le procès-verbal a été communiqué aux présidents de la République, du Sénat et de la Chambre des députés. Selon cette directive, « la participation de magistrats à des associations comportant un lien hiérarchique et solidaire particulièrement fort, au moyen de l'établissement, par des voies solennelles, de liens comme ceux requis par les loges maçonniques, pose des problèmes délicats de respect des valeurs de la Constitution italienne ». Le Conseil supérieur de la magistrature a ajouté qu'il entrait « sûrement [dans ses] compétences de contrôler le respect du principe de base de l'article 101 de la Constitution selon lequel « les juges ne sont soumis qu'à la loi ». Pour le conseil, « cette tutelle implique (...) de veiller attentivement à ce que tout magistrat respecte – et apparaisse comme respectant – le principe de soumission à la loi seule dans l'exercice de ses fonctions ». Le Conseil supérieur de la magistrature a par la suite rappelé l'arrêt no 100 (8 juin 1981) de la Cour constitutionnelle, qui mettait en balance la liberté de pensée des magistrats et leur obligation d'être impartiaux et indépendants (paragraphe 19 ci-dessus). Il a ajouté qu'« il fallait souligner que parmi les comportements du magistrat à prendre en considération, notamment pour les besoins de l'exercice de l'activité administrative propre au Conseil, il y [avait] également, au-delà de la limite fixée par la loi no 17 de 1982 [paragraphe 20 ci-dessus], l'acceptation de liens qui a) se superposent à l'obligation de fidélité à la Constitution, d'exercice impartial et indépendant de l'activité juridictionnelle, b) portent préjudice à la confiance des citoyens envers la fonction judiciaire en lui faisant perdre sa crédibilité ». Enfin, le Conseil supérieur de la magistrature a estimé « devoir signaler au ministre de la Justice qu'il y [avait] lieu d'étudier l'opportunité de proposer d'éventuelles limitations au droit d'association des magistrats qui fassent référence à toutes les associations qui – par leur organisation et leurs fins – impliquent pour leurs membres des liens de hiérarchie et de solidarité particulièrement contraignants ». La directive du 14 juillet 1993 Le 14 juillet 1993, le Conseil supérieur de la magistrature prit une autre directive. Il affirma à cette occasion que la question de la compatibilité entre l'adhésion à la franc-maçonnerie et l'appartenance à la fonction judiciaire avait jusqu'alors donné lieu exclusivement à des considérations relatives à l'avancement des magistrats et à l'attribution de fonctions de direction. A la suite de réactions polémiques de certaines personnalités politiques – parmi lesquelles le président de la République – invoquant l'inconstitutionnalité d'une telle approche, une mise au point juridique du problème s'était avérée nécessaire. Se référant aux devoirs de fidélité et d'obédience des magistrats et après avoir souligné que le droit de s'associer pour professer les idées maçonniques n'était pas remis en cause de façon générale, le Conseil supérieur de la magistrature a toutefois affirmé l'incompatibilité entre l'exercice des fonctions de magistrat et l'appartenance à la francmaçonnerie en Italie, en raison du caractère secret de cette association, des moyens d'action et des buts poursuivis par les loges maçonniques dans ce pays.
0
1
0
0
0
0
0
0
0
0
I. LES REQUÉRANTS Les requérants, ressortissants moldaves au moment de l'introduction de la requête, sont nés respectivement en 1952, 1955, 1961 et 1963. Lors de l'introduction de leur requête, ils étaient détenus dans la partie transnistrienne de la Moldova. Bien que détenu, M. Ilaşcu a été élu deux fois au Parlement moldave, de 1994 à 2000. En tant que parlementaire, il a été désigné pour faire partie de la délégation moldave à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Le 4 octobre 2000, M. Ilaşcu a acquis la nationalité roumaine. En décembre 2000, il a été élu sénateur au Parlement roumain et nommé à la délégation roumaine à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. MM. Leşco et Ivanţoc ont acquis la nationalité roumaine en 2001. M. Ilaşcu a été libéré le 5 mai 2001 ; il réside depuis lors à Bucarest (Roumanie). Les deuxième et troisième requérants sont domiciliés à Chişinău (Moldova), tandis que le quatrième requérant réside à Tiraspol (Transnistrie, Moldova). Actuellement, ils sont tous les trois détenus à Tiraspol. Compte tenu de l'impossibilité où les requérants prétendaient se trouver de s'adresser directement à la Cour, la requête a été déposée par leurs épouses respectives, Mmes Nina Ilaşcu, Tatiana Leşco et Eudochia Ivanţoc, et par la sœur du quatrième requérant, Mme Raïssa Petrov-Popa. Le deuxième requérant est représenté devant la Cour par Me A. Tănase, avocat au barreau de Chişinău. Les autres requérants étaient représentés par Me C. Dinu, du barreau de Bucarest, jusqu'à son décès en décembre 2002. Depuis janvier 2003, ils sont représentés par Me V. Gribincea, du barreau de Chişinău. II. L'éTABLISSEMENT DES FAITS Afin d'établir les faits, la Cour s'est fondée sur des preuves documentaires, sur les observations des parties et sur les dépositions des témoins entendus sur place, à Chişinău et à Tiraspol. Dans l'appréciation des preuves aux fins de l'établissement des faits, la Cour considère comme pertinents les éléments suivants : i. Pour apprécier les preuves tant écrites qu'orales, la Cour a généralement adopté jusqu'ici le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Une telle preuve peut résulter d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants ; de surcroît, le comportement des parties dans le cadre des efforts entrepris par la Cour pour obtenir des preuves peut constituer un élément à prendre en compte (voir, mutatis mutandis, les arrêts Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, pp. 64-65, § 161 ; Salman c. Turquie [GC], no 21986/93, § 100, CEDH 2000-VII). ii. Pour ce qui est des dépositions recueillies par les délégués, la Cour est consciente des difficultés pouvant surgir lors de l'appréciation de telles dépositions obtenues par l'intermédiaire d'interprètes : elle a, en conséquence, prêté une attention particulière au sens et au poids devant être attribués aux déclarations formulées par les témoins devant les délégués. La Cour est aussi consciente que bon nombre de faits pertinents concernent des événements qui se sont produits il y a plus de dix ans dans un contexte trouble et singulièrement complexe, ce qui rend inévitable une certaine imprécision quant aux dates et autres détails. Elle ne considère pas que cela puisse en soi jeter un doute sur la crédibilité des dépositions. iii. Dans une affaire où coexistent des récits contradictoires et conflictuels, la Cour se trouve inévitablement confrontée à des difficultés propres à toute juridiction de première instance dans l'établissement des faits, compte tenu, par exemple, de l'absence de connaissance directe et détaillée des conditions existant dans la région. En outre, la Cour n'a pas de pouvoirs de contrainte quant à la présence des témoins. En l'occurrence, sur cinquante et un témoins appelés à comparaître, sept d'entre eux ne se sont pas présentés devant les délégués. Par conséquent, la Cour s'est trouvée confrontée à la difficile tâche d'établir les faits en l'absence de dépositions potentiellement importantes. Avec l'assistance des parties, la Cour a mené une enquête sur place, lors de laquelle elle a entendu quarante-trois témoins : a) sur les circonstances particulières de l'arrestation, de la condamnation et de la détention des requérants : les requérants, Mmes Tatiana Leşco et Eudochia Ivanţoc, épouses des deuxième et troisième requérants, Mme Raïssa Petrov-Popa, sœur du quatrième requérant, M. Ştefan Urîtu, détenu en 1992 avec les requérants, M. Constantin Ţîbîrnă, médecin ayant examiné en 1995-1998 les requérants lors de leur détention à Tiraspol et Hlinaia, M. Nicolae Leşanu, médecin ayant examiné en 1995-1997 les requérants lors de leur détention à Tiraspol et Hlinaia, M. Vladimir Golovatchev, directeur de la prison de Tiraspol no 2, M. Stepan Tcherbebchi, directeur de la prison de Hlinaia de 1992 à 2001, M. Sergueï Kotovoï, directeur de la prison de Hlinaia, M. Yefim Samsonov, « directeur du Département médical des établissements pénitentiaires de la RMT », et M. Vassili Sementchouk, médecin à la prison de Hlinaia depuis 1995 ; b) sur les mesures prises par la Moldova afin d'obtenir la libération des requérants et sur les relations entre la Moldova, la Fédération de Russie et la Transnistrie, différents responsables et hommes politiques moldaves : M. Dumitru Postovan, procureur général de la Moldova de 1990 jusqu'en juillet 1998, M. Valeriu Catană, procureur général de la Moldova du 31 juillet 1998 au 29 juillet 1999, M. Vasile Rusu, procureur général de la Moldova depuis le 18 mai 2001, M. Vasile Sturza, adjoint au procureur général de la Moldova de 1990 à 1994 et ministre de la Justice de 1994 à 1998, Z, ancien ministre de la Moldova ; M. Victor Vieru, vice-ministre de la Justice depuis 2001, X, ancien haut fonctionnaire moldave, M. Snegur, président de la Moldova de 1990 à 1996, M. Alexandru Moşanu, président du Parlement moldave de 1990 à 1992, Y, ancien diplomate, M. Andrei Sangheli, premier ministre de la Moldova de 1992 à 1997, M. Anatol Plugaru, ministre de la Sécurité de la Moldova en 1991-1992, M. Nicolai Petrică, général dans l'armée moldave de 1992 à 1993, M. Andrei Stratan, ancien directeur du Département des douanes, M. Vladimir Molojen, directeur du Département des technologies de l'information, M. Ion Costaş, ministre de la Défense en 1991-1992, M. Valentin Sereda, directeur du Département des établissements pénitentiaires de la Moldova, M. Victor Berlinschi, député au Parlement moldave de 1990 à 1994, M. Constantin Obroc, premier ministre adjoint en 1991-1992 et conseiller du président de la Moldova de 1993 à 1996, M. Mikhaïl Sidorov, député au Parlement moldave, et M. Pavel Creangă, ministre de la Défense moldave de 1992 à 1997 ; c) sur la présence du GOR et du contingent militaire de maintien de la paix de la Fédération de Russie dans la région transnistrienne de Moldova, des militaires de ces unités : le général Boris Sergueïev, commandant du GOR, le colonel Alexandre Verguz, officier au commandement du GOR, le lieutenant-colonel Vitalius Radzaevichus, ancien membre du commandement du GOR, le colonel Anatoli Zverev, commandant du contingent militaire de maintien de la paix de la Fédération de Russie dans la région transnistrienne de Moldova, le lieutenant-colonel Boris Levitski, président du tribunal militaire auprès du GOR, le lieutenant-colonel Valeri Chamaïev, procureur militaire auprès du GOR, et M. Vassili Timochenko, ancien procureur militaire auprès de la 14e armée et du GOR. III. LE CONTEXTE GÉNÉRAL DE L'AFFAIRE A. La dissolution de l'URSS et le conflit moldo-transnistrien relatif à la séparation de la Transnistrie La dissolution de l'URSS, la séparation de la Transnistrie et l'indépendance de la Moldova Créée par une décision du Soviet suprême de l'URSS le 2 août 1940, la République socialiste soviétique de Moldavie se composait d'une partie de la Bessarabie enlevée à la Roumanie le 28 juin 1940 à la suite du pacte Molotov-Ribbentrop conclu entre l'URSS et l'Allemagne, habitée majoritairement par une population de langue roumaine, et d'une bande de terre située sur la rive gauche du Dniestr en Ukraine (URSS), la Transnistrie, qui lui a été transférée en 1940 et qui est habitée par une population dont la composition linguistique était en 1989, selon des données publiques, de 40 % moldaves, 28 % ukrainiens, 24 % russes et 8 % autres. Le russe devint la langue officielle de la nouvelle république soviétique. Dans la vie publique, les autorités soviétiques imposèrent l'écriture du roumain avec des caractères cyrilliques, qui devint ainsi « le moldave », et qui prit la deuxième place après le russe. En août et septembre 1989, le Soviet suprême moldave adopta deux lois introduisant l'alphabet latin pour l'écriture du roumain (moldave) et instituant cette langue comme première langue officielle du pays, à la place du russe. Le 27 avril 1990, le Soviet suprême adopta un nouveau drapeau tricolore (rouge, jaune, bleu) avec le blason moldave et un hymne national, qui, à l'époque, était le même que celui de la Roumanie. En juin 1990, avec en toile de fond les mouvements autonomistes et indépendantistes au sein de l'Union soviétique, la République socialiste soviétique de Moldavie prit le nom de République socialiste soviétique de Moldova. Elle proclama sa souveraineté le 23 juin 1990 (document d'information de l'OSCE du 10 juin 1994, voir la note du paragraphe 28 ci-dessus). Le 23 mai 1991, la République socialiste soviétique de Moldova prit le nom de République de Moldova. Le 2 septembre 1990 fut proclamée la « République moldave de Transnistrie » (la « RMT »). Le 25 août 1991, le « Conseil suprême de la RMT » adopta la déclaration d'indépendance de la « RMT ». A ce jour, la « RMT » n'est pas reconnue par la communauté internationale. Le 27 août 1991, le Parlement moldave adopta la Déclaration d'indépendance de la République de Moldova, qui englobait la Transnistrie. A cette époque, la République de Moldova n'avait pas d'armée propre et les premières tentatives pour en créer une eurent lieu quelques mois plus tard. Le Parlement moldave demanda au gouvernement de l'URSS « d'entamer des négociations avec le gouvernement moldave pour mettre fin à l'occupation illégale de la République de Moldova et retirer les troupes militaires soviétiques du territoire moldave ». Après la déclaration d'indépendance de la République de Moldova, la 14e armée du district militaire d'Odessa du ministère de la Défense de l'URSS (« la 14e armée »), dont le quartier général se trouvait à Chişinău depuis 1956, resta sur le territoire moldave. Des mouvements importants de matériel furent néanmoins signalés à partir de 1990 : entre autres, de grandes quantités de matériel commencèrent à être retirées du territoire moldave. Au courant de l'année 1991, la 14e armée se composait de plusieurs milliers de soldats, d'unités d'infanterie, d'artillerie (avec notamment un système de missiles antiaériens), de blindés et d'aviation (y compris avions et hélicoptères de combat) et était dotée de plusieurs dépôts de munitions, dont un des plus grands dépôts de munitions d'Europe, situé à Kolbasna, en Transnistrie. Outre l'armement de la 14e armée, la DOSAAF, « l'Association d'aide à l'armée de terre, de l'air et à la marine » (ДОСААФ –Добровольное Общество Содействия Армии Авиации и Флоту), située sur le territoire moldave, à savoir une organisation étatique créée en 1951 pour préparer la population civile en cas de combat, disposait surtout de munitions. Après la proclamation d'indépendance de la Moldova, le matériel de la DOSAAF situé dans la partie du territoire contrôlée par le gouvernement passa aux mains du gouvernement moldave et le restant du matériel situé en Transnistrie à celles des séparatistes transnistriens. Le 6 septembre 1991, le « Soviet suprême de la République moldave de Transnistrie » adopta une ordonnance plaçant sous la juridiction de la « République de Transnistrie » tous les établissements, entreprises, organisations, et services de la milice, de la Prokuratura, de la justice, du KGB et autres situés en Transnistrie, à l'exception des unités militaires des forces armées soviétiques. Les hommes du rang, les officiers et les sous-officiers des unités militaires stationnées en Transnistrie furent invités à « faire preuve de solidarité civique et à se mobiliser pour défendre la République de Transnistrie aux côtés de représentants des salariés des entreprises en cas d'invasion des forces depuis la Moldova ». Le 18 septembre 1991, le « président du Soviet suprême de la République socialiste soviétique moldave de Transnistrie » décida de placer les unités des forces armées soviétiques déployées en Transnistrie sous la juridiction de cette « République ». Par le décret no 234 du 14 novembre 1991, le président de la Moldova, M. Snegur, déclara propriété de la République de Moldova les munitions, armements, moyens de transport militaires, bases militaires et autres biens appartenant aux unités militaires des forces armées soviétiques stationnées sur le territoire moldave. Le 8 décembre 1991, la Biélorussie, la Fédération de Russie et l'Ukraine signèrent l'accord de Minsk, constatant la fin de l'existence de l'URSS et constituant la Communauté d'Etats indépendants (la « CEI » – paragraphe 290 ci-dessous). Le 21 décembre 1991, onze Etats membres de l'URSS dont la Moldova et l'Ukraine signèrent la déclaration d'Alma-Ata, qui confirmait et développait l'accord de Minsk créant la CEI. La déclaration d'Alma-Ata confirma aussi qu'en vertu de la création de la CEI, l'URSS avait cessé d'exister et que la CEI n'était ni un Etat ni une entité supra-étatique. Fut également créé un Conseil des chefs des gouvernements de la CEI, qui décida de soutenir la Russie en tant que continuatrice de l'URSS aux Nations unies, y compris au Conseil de sécurité de l'ONU, et dans d'autres organisations internationales. Le 30 janvier 1992, la République de Moldova devint membre de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe. Le 2 mars 1992, elle fut admise au sein de l'Organisation des Nations unies. Le 8 avril 1994, le Parlement moldave ratifia, avec certaines réserves, le traité d'adhésion de la Moldova à la CEI, signé par le président moldave à Alma-Ata le 21 décembre 1991 (paragraphe 293 ci-dessous). Le conflit armé (1991-1992) Les dépositions recueillies sur place par les délégués de la Cour ont confirmé l'existence d'opérations militaires au cours du conflit (annexe, M. Urîtu, §§ 64-66 et 69-71, X, §§ 216, 218 et 220, M. Snegur, §§ 230 et 238, M. Moşanu, §§ 243-245, Y, § 254, Z, §§ 271 et 277-281, général Petrică, §§ 296-297 et 299, M. Costaş, §§ 401, 405-407 et 409, M. Creangă, §§ 457-460) ; elles sont aussi attestées par d'autres documents déposés au dossier. Les gouvernements défendeurs n'ont pas contesté la véracité des informations détaillées fournies ci-dessous, tout en donnant aux faits des interprétations différentes (paragraphes 50, 56-57, 60, 62-64). A partir de 1989, commencèrent à s'organiser dans le sud (Gagaouzie) et dans l'est du pays (Transnistrie) des mouvements de résistance à l'indépendance moldave. Des affrontements armés d'importance limitée entre les séparatistes transnistriens et la police moldave éclatèrent dès novembre 1990 à l'est du pays, à Dubăsari, sur la rive gauche du Dniestr. Les mois suivants, les autorités transnistriennes mirent sur pied des détachements paramilitaires appelés « détachements ouvriers », sur la base desquels fut créée en 1991 une garde républicaine professionnelle et entièrement équipée (document précité de l'OSCE du 10 juin 1994, note au paragraphe 28 ci-dessus). Les requérants allèguent que, le 19 mai 1991, le ministre de la Défense de l'URSS avait ordonné au commandant de la 14e armée, le général Netkatchev, d'appeler des réservistes pour compléter les effectifs des troupes de la 14e armée déployée en Transnistrie et de mettre ces troupes et le matériel militaire en état de combat. Il aurait justifié cet ordre ainsi : « Compte tenu de ce que la Transnistrie est un territoire russe et que la situation s'y est détériorée, nous devons la défendre par tous les moyens. » Le 1er décembre 1991, une élection présidentielle fut organisée dans les départements (raioane) situés sur la rive gauche du Dniestr (Transnistrie), élection déclarée illégale par les autorités moldaves. M. Igor Smirnov fut élu « président de la RMT ». Par un décret du 5 décembre 1991, M. Smirnov décida de placer « les unités militaires rattachées notamment à la circonscription militaire d'Odessa, déployées en République moldave de Transnistrie, sous le commandement du Chef de la Direction nationale de la défense et de la sécurité de la République moldave de Transnistrie ». Le chef de cette direction, M. Guennadi I. Iakovlev, par ailleurs commandant de la 14e armée (paragraphe 53 ci-dessous), fut invité à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la cession et à la remise d'armements, de matériel et de biens de l'armée soviétique relevant des unités militaires déployées en Transnistrie. Le but déclaré de cette mesure était de conserver, au bénéfice du régime séparatiste de Transnistrie, l'armement, le matériel et le patrimoine de l'armée soviétique se trouvant en Transnistrie. En décembre 1991, les autorités moldaves arrêtèrent le lieutenant général Iakovlev sur le territoire ukrainien, l'accusant d'avoir aidé les séparatistes transnistriens à s'armer grâce à l'arsenal de la 14e armée. Il fut conduit sur le territoire moldave aux fins de l'enquête. Selon les requérants, le lieutenant général Iakovlev fut arrêté par les autorités moldaves et accusé d'avoir armé les séparatistes. Après son arrestation, il aurait fait des déclarations confirmant l'intervention de la Fédération de Russie dans le conflit et le soutien accordé à la Transnistrie, déclarations enregistrées sur une dizaine de cassettes. Toutefois, le lieutenant général Iakovlev fut relâché, toujours selon les requérants, à la suite de l'intervention auprès des autorités moldaves du général russe Nicolaï Stolearov, venu de Moscou à Chişinău dans ce but. Le gouvernement moldave n'a pas fait de commentaires à ce sujet. Bien que plusieurs témoins en fassent état (annexe, M. Urîtu, § 66, M. Postovan, § 182, Z, § 272, M. Plugaru, § 286), la Cour ne peut tenir pour établie au-delà de tout doute raisonnable la libération du lieutenant général Iakovlev en échange de plusieurs policiers moldaves, prisonniers des forces transnistriennes. La Cour a recueilli des récits différents quant aux motifs exacts de la libération du lieutenant général Iakovlev et, en l'absence de toute preuve documentaire sur le déroulement de l'instruction et sur sa libération, la Cour ne saurait ni écarter ni accepter les récits des témoins, qui étaient, pour la plupart d'entre eux, généralement crédibles aux yeux des délégués. En revanche, la Cour note que tous les témoins interrogés à ce sujet s'accordent à dire qu'un général russe est venu de Moscou à Chişinău pour obtenir la libération du lieutenant général Iakovlev. Dès lors, la Cour considère comme établi au-delà de tout doute raisonnable que les autorités de la Fédération de Russie sont intervenues auprès des autorités moldaves pour obtenir la libération du lieutenant général Iakovlev. Fin 1991 et début 1992, de violents affrontements éclatèrent entre les forces séparatistes transnistriennes et les forces de l'ordre moldaves, qui se soldèrent par plusieurs centaines de morts. Les requérants invoquent un certain nombre de faits qui précisent le déroulement des combats. Ces faits n'ont été contestés ni par les gouvernements défendeurs ni par les témoignages recueillis sur place par les délégués. Dans un appel lancé le 6 décembre 1991 à la communauté internationale et au Conseil de sécurité de l'ONU, le président de la République de Moldova, Snegur, le président du Parlement moldave, Alexandru Moşanu, et le premier ministre, Valeriu Muravschi, protestèrent contre l'occupation, le 3 décembre 1991, des localités moldaves de Grigoriopol, Dubăsari, Slobozia, Tiraspol et Rîbniţa, situées sur la rive gauche du Dniestr, par la 14e armée placée sous le commandement du lieutenant général Iakovlev, depuis une date qui n'a pas été précisée. Ils accusèrent les autorités de l'URSS, en particulier le ministère de la Défense, d'être à l'origine de ces actes. Les militaires de la 14e armée furent accusés d'avoir distribué du matériel militaire aux séparatistes de Transnistrie et d'avoir organisé les séparatistes en détachements militaires qui terrorisaient la population civile. Par un décret du 26 décembre 1991, M. Smirnov, « président de la RMT », créa les « Forces armées de la RMT » à partir des troupes et autres formations dispersées sur le territoire de la « RMT », à l'exception des forces armées constituant les « Forces stratégiques de maintien de la paix ». En janvier 1992, le lieutenant général Iakovlev fut relevé de ses fonctions de commandant de la 14e armée par le commandement des forces armées unies de la CEI. Par une décision du 29 janvier 1992 du commandant en chef des forces armées unies de la CEI, le lieutenant général Iakovlev fut mis à la disposition du Bureau militaire d'enregistrement du district de Primorski de la ville d'Odessa (Ukraine). En 1991-1992, à l'occasion d'affrontements avec les forces de l'ordre moldaves, plusieurs unités militaires appartenant à l'URSS, puis à la Fédération de Russie, passèrent avec leurs munitions du côté des séparatistes transnistriens, tandis que de nombreux équipements militaires de la 14e armée tombèrent entre les mains des séparatistes. Les parties ne s'accordent pas sur la manière dont ces armes sont parvenues en la possession des transnistriens. Les requérants soutiennent que la 14e armée a armé les séparatistes de deux manières : d'une part, des dépôts de munitions appartenant à la 14e armée ont été ouverts aux séparatistes et, d'autre part, les militaires de la 14e armée n'ont opposé aucune résistance lorsque les miliciens et les civils séparatistes ont tenté de s'emparer de matériel militaire et de munitions. Par exemple, aucune force n'a été opposée au Comité des femmes transnistriennes dirigé par Galina Andreeva. La Cour note l'explication fournie par un militaire du GOR (annexe, colonel Verguz, § 359) sur la saisie d'armes par la force par des femmes et des enfants et observe ensuite qu'elle est démentie par tous les témoins moldaves interrogés à ce sujet. La Cour considère comme hautement improbable que des femmes et des enfants aient pu s'emparer d'armes et de munitions gardées par des militaires armés dans des entrepôts fermés, sans l'accord de ces militaires. En somme, la Cour juge établi au-delà de tout doute raisonnable que des séparatistes transnistriens ont pu s'armer grâce à l'arsenal de la 14e armée stationnée en Transnistrie. Les militaires de la 14e armée ont choisi de ne pas s'opposer aux séparatistes venus se servir dans les dépôts de cette armée ; au contraire, dans de nombreux cas, ils ont aidé les séparatistes à s'équiper, en leur livrant des armes et en leur ouvrant l'accès à ces dépôts (annexe, MM. Urîtu, § 65, Petrov-Popa, § 130, Postovan, §§ 182 et 201, Costaş, § 407, Creangă, § 457). Les requérants font valoir que des militaires appartenant à la 14e armée ont rejoint le camp des séparatistes sous l'œil bienveillant de leurs supérieurs. Le bataillon du génie de Parcani de la 14e armée, sous les ordres du général Boutkevitch, est passé du côté séparatiste. Cette information est confirmée par le gouvernement russe. Les requérants ajoutent que, lors de ce « transfert », les militaires du bataillon disposaient d'un nombre important de kalachnikovs, de balles, de pistolets TT et Makarov, de grenades et lance-grenades, ainsi que de lance-roquettes air-sol. C'est ce bataillon qui a détruit les ponts de Dubăsari, Gura Bâcului-Bâcioc et Coşniţa. Les requérants affirment aussi que, le 20 juillet 1992, ont été transférés des unités de la 14e armée aux séparatistes des véhicules de combat blindés, des lance-mines, des chars de combat et des véhicules de transport blindés. En outre, pendant les combats, huit hélicoptères de la 14e armée ont participé au transport des munitions et des blessés du côté séparatiste. Dans une déclaration écrite adressée à la Cour par le représentant de M. Leşco le 19 novembre 2001, Mme Olga Căpăţînă, ancienne volontaire rattachée au ministère de la Sécurité nationale moldave du 15 mars au 15 août 1992, indique que pendant cette période, ainsi qu'il ressort d'une attestation délivrée par ce ministère, elle avait travaillé au sein de l'état-major de l'armée russe, au centre de commandement et d'espionnage de la 14e armée, sous le nom d'Olga Suslina. A cette occasion, elle avait transmis au ministère moldave de la Sécurité nationale des centaines de documents confirmant la participation de troupes russes aux actions armées et l'apport massif d'armement de leur part. Elle avait aussi recueilli des informations prouvant que les actions militaires des séparatistes étaient dirigées par la 14e armée, qui coordonnait toutes ses actions avec le ministère de la Défense de la Fédération de Russie. Les requérants font valoir que des Cosaques russes sont venus par milliers de Russie afin de combattre aux côtés des séparatistes et que l'Union des Cosaques, association russe, a été reconnue par les autorités russes. Ils allèguent que l'arrivée des Cosaques de Russie n'a été nullement empêchée par les autorités russes, en dépit de l'appel lancé à leur intention par le président moldave, M. Snegur. Au contraire, des officiers de la 14e armée ont accueilli début mars 1992 près de huit cents Cosaques et les ont armés. Les requérants observent à ce sujet que, alors qu'en 1988 aucun Cosaque ne se trouvait sur le territoire moldave, près de dix mille Cosaques arrivés de la Fédération de Russie vivent actuellement sur le territoire transnistrien. Le gouvernement russe souligne, d'une part, que l'on peut trouver des Cosaques dans d'autres parties du monde et, d'autre part, que chacun a le droit de circuler librement. La Cour note que plusieurs documents au dossier ainsi que des dépositions recueillies par les délégués font état d'une arrivée massive de Cosaques et d'autres ressortissants russes en Transnistrie pour combattre aux côtés des séparatistes. Elle note aussi que le gouvernement russe n'a pas nié ces faits. Dès lors, la Cour tient pour établi au-delà de tout doute raisonnable que des ressortissants russes sont arrivés massivement en Transnistrie en vue de combattre dans les rangs des séparatistes transnistriens contre les forces moldaves. Dans un livre édité en 1996 par la maison Vneshtorgizdat, et intitulé « Le général Lebed – l'énigme de la Russie », l'auteur, Vladimir Polouchine, décrit, sur la base d'amples informations étayées par des documents, le soutien accordé par la Fédération de Russie aux séparatistes transnistriens. Ainsi, sont mentionnées la création par le général Lebed du Quartier général de défense commun russo-transnistrien et la participation de la 14e armée aux opérations militaires menées par les forces transnistriennes contre l'« ennemi » moldave. Se référant à ce livre, les requérants mentionnent à titre d'exemple la destruction, le 30 juin 1992, d'une unité moldave à Chiţcani par cette armée et le bombardement par la 14e armée de plusieurs positions moldaves à Coşniţa, Dubăsari, Slobozia et Hârbovăţ entre le 1er juin et le 3 juillet 1992. Les autres parties n'ont pas formulé de commentaires au sujet des informations contenues dans ce livre. Les requérants soutiennent en outre que les têtes des ponts situées sur la rive gauche du Dniestr ont été minées par les militaires de la 14e armée. La Cour note qu'un témoin impliqué directement et au plus haut niveau dans les opérations militaires pendant le conflit, a affirmé qu'une partie du territoire situé sur la rive gauche du Dniestr avait été minée, que ce travail avait été effectué par des spécialistes et que l'armée moldave avait dû, à la fin du conflit, avoir recours à des spécialistes étrangers afin de procéder au déminage (annexe, M. Costaş, § 406). Ces informations n'ont pas été contestées par les autres parties. Compte tenu également de la crédibilité de ce témoin, la Cour peut considérer comme établi qu'une partie du territoire moldave situé sur la rive gauche du Dniestr avait été minée par les forces opposées à l'armée moldave. En revanche, elle note que ce témoin n'a pu affirmer catégoriquement que les mines avaient été posées par les militaires de la 14e armée, mais a simplement soutenu qu'en toute logique un travail d'un tel niveau technique ne pouvait avoir été effectué que par des professionnels, en l'occurrence des militaires de la 14e armée. Elle note aussi que ce témoin a affirmé que les séparatistes s'étaient emparés de mines antipersonnel se trouvant auparavant dans l'arsenal de la 14e armée. Dans ces circonstances, la Cour estime que cette affirmation n'est pas sûre au-delà de tout doute raisonnable et ne peut donc pas tenir pour établi que ce sont les militaires de la 14e armée ou du GOR qui ont posé des mines sur la rive gauche du Dniestr. Pour sa part, le gouvernement moldave affirme qu'il n'a jamais prétendu que l'armée de la Fédération de Russie avait été dispersée légalement sur le territoire moldave, ni que la 14e armée ne s'était pas impliquée dans le conflit transnistrien. Au contraire, il fait valoir que, ainsi qu'il ressort des témoignages recueillis par les délégués de la Cour, la 14e armée s'est engagée activement, directement et indirectement, dans le conflit transnistrien, contre les forces armées de la Moldova. Les séparatistes transnistriens ont pu s'armer grâce à l'arsenal de la 14e armée et avec la complicité de celle-ci. Le gouvernement moldave considère que l'on ne saurait ajouter foi à des affirmations selon lesquelles des femmes se seraient emparées par la force des armes et des munitions de l'arsenal de la 14e armée. De surcroît, aucun militaire russe n'a été par la suite sanctionné pour négligence ou complicité dans la saisie du matériel de l'arsenal de la 14e armée. Le gouvernement russe fait valoir que la 14e armée se trouvait en Moldova lorsque le conflit de Transnistrie a éclaté. Les forces militaires russes en tant que telles n'ont aucunement pris part à ce conflit et n'ont pas été impliquées dans les faits dénoncés. Cependant, lorsque des actions armées illégales ont été menées à l'encontre des soldats de la 14e armée, des mesures appropriées ont été prises conformément au droit international. D'une manière générale, le gouvernement russe est prêt à concevoir que des individus se réclamant de la 14e armée russe aient pu participer aux faits dénoncés, mais souligne que, si tel était le cas, ces agissements auraient constitué une violation grossière de la législation russe et auraient valu aux individus responsables d'être sanctionnés. Le gouvernement russe ajoute que la Fédération de Russie est restée neutre dans ce conflit. En particulier, elle n'a soutenu d'aucune manière, militairement ou financièrement, les parties au conflit. La Cour relève que tous les témoins moldaves interrogés ont catégoriquement confirmé l'implication active, directe ou indirecte, de la 14e armée, et par la suite du GOR, dans le transfert d'armes aux séparatistes transnistriens. Ils ont également confirmé la participation des militaires russes au conflit, notamment l'implication dans le conflit de chars d'assaut portant le drapeau de la Fédération de Russie, les tirs en direction des positions moldaves en provenance d'unités de la 14e armée et le versement d'un grand nombre de militaires de la 14e armée dans l'armée de réserve afin de leur permettre de combattre aux côtés des Transnistriens ou de former ces combattants (annexe, MM. Costaş, § 406, Creangă, § 457). Ces affirmations se trouvent corroborées par les informations contenues dans le rapport de l'OSCE no 7 du 29 juillet 1993, versé au dossier par le gouvernement roumain et par d'autres sources (annexe, M. Moşanu, § 244). A cet égard, la Cour relève tant l'abondance que le caractère détaillé des informations dont elle dispose à ce sujet. La Cour ne voit aucun motif de mettre en doute la crédibilité des témoins moldaves entendus et constate que leurs affirmations sont corroborées par le gouvernement moldave, qui a confirmé les faits dans l'ensemble des observations déposées tout au long de la procédure. Quant à la prétendue appartenance des témoins aux cercles politiques opposés à la Fédération de Russie, invoquée par le gouvernement russe, la Cour note qu'elle n'a pas été étayée. Par ailleurs, les dépositions recueillies ne permettent pas à la Cour d'évaluer précisément le rapport de forces entre les parties au conflit. Cependant, eu égard au soutien manifesté par les troupes de la 14e armée aux forces séparatistes, et au transfert massif d'armes et de munitions de l'arsenal de la 14e armée aux séparatistes, il est certain que l'armée moldave se trouvait dans une situation d'infériorité l'empêchant de reprendre le contrôle de la Transnistrie (annexe, Z, § 271, M. Costaş, § 401). Le 5 mars 1992, le Parlement moldave protesta contre le silence, qu'il qualifia de complice, des autorités russes quant à l'appui qu'auraient fourni aux séparatistes de Transnistrie des groupes armés de Cosaques venant de Russie, appartenant à l'Union des Cosaques, association reconnue par les autorités russes. Le Parlement moldave demanda au Soviet suprême de la Fédération de Russie d'intervenir en vue du retrait immédiat des Cosaques de Russie du territoire moldave. Le 23 mars 1992, les ministres des Affaires étrangères de Moldova, de la Fédération de Russie, de Roumanie et d'Ukraine se réunirent à Helsinki, où ils adoptèrent une déclaration posant un certain nombre de principes pour le règlement politique pacifique du conflit. Dans des réunions ultérieures tenues en avril et mai 1992 à Chişinău, les quatre ministres décidèrent d'établir une commission quadripartite et un groupe d'observateurs militaires afin de surveiller l'application d'un éventuel cessez-le-feu. Le 24 mars 1992, le Parlement moldave s'éleva contre l'ingérence de la Fédération de Russie dans les affaires moldaves, la présidence du Soviet suprême de la Fédération de Russie ayant fait le 20 mars 1992 une déclaration indiquant à la Moldova des solutions pour le règlement du conflit de Transnistrie dans le respect des droits du « peuple transnistrien ». Le 28 mars 1992, le président de la République de Moldova, M. Snegur, décréta l'état d'urgence. Il constata que des « aventuriers » avaient créé sur la rive gauche du Dniestr, « non sans aide venue de l'extérieur », un « pseudo-Etat » et que, « armés jusqu'aux dents du matériel le plus performant de l'armée soviétique », ils avaient déclenché un conflit armé, essayant tout pour faire intervenir dans ce conflit la 14e armée des forces armées unies de la CEI. En vertu de l'état d'urgence, les ministères moldaves de la Sécurité nationale et de l'Intérieur, et les autres organes compétents, agissant de concert avec les unités de l'armée nationale, furent chargés par le président de prendre toutes les mesures nécessaires pour dissoudre et désarmer les formations armées illégalement et pour rechercher et déférer à la justice tous les auteurs de crimes contre les organes de l'Etat et la population de la République. Les initiateurs de « la soi-disant république moldave nistréenne » et les complices de ceux-ci furent sommés de dissoudre les formations armées illégales et de se livrer aux organes de la République. Par le décret no 320 du 1er avril 1992, le président de la Fédération de Russie plaça les formations militaires de l'URSS stationnées sur le territoire moldave, y compris sur la rive gauche du Dniestr, sous la juridiction de la Fédération de Russie, la 14e armée devenant ainsi le Groupement opérationnel des forces russes dans la région transnistrienne de la Moldova (« le GOR » ou « la 14e armée »). Par le décret no 84 du 1er avril 1992, le « président de la RMT », M. Smirnov, releva le lieutenant général Iakovlev de ses fonctions de chef du « département de la défense et de la sécurité de la RMT ». Le 2 avril 1992, le général Netkatchev, commandant du GOR (14e armée), ordonna aux forces moldaves qui avaient encerclé la ville de Tighina (Bender), tenue par les séparatistes, de se retirer immédiatement, faute de quoi l'armée russe riposterait. Les requérants allèguent qu'après cet ultimatum adressé par le général Netkatchev, ont commencé sur le polygone de Tiraspol de la 14e armée des exercices militaires conjoints entre les militaires de la 14e armée et les séparatistes. Le 4 avril 1992, le président moldave, M. Snegur, envoya un télégramme aux chefs d'Etat des pays membres de la CEI, au commandement des forces armées unies de la CEI et au commandant de la 14e armée, pour porter à leur attention le fait que la 14e armée ne respectait pas sa neutralité. Le 5 avril 1992, Alexandre Routskoï, vice-président de la Fédération de Russie, se rendit à Tiraspol. Ainsi qu'il ressort des articles de presse présentés par les requérants à la Cour, et non contestés par les autres parties, M. Routskoï visita d'abord une unité militaire de la 14e armée, puis se rendit sur la place centrale de Tiraspol en compagnie de M. Smirnov. Dans un discours adressé aux cinq mille personnes présentes, M. Routskoï déclara que M. Snegur ne voulait pas dialoguer et que la meilleure solution serait une confédération dans laquelle les Moldaves et les Russes vivraient unis, sur un pied d'égalité. Il affirma enfin que la 14e armée devait être un tampon entre les forces participant au conflit, afin que le peuple nistréen puisse obtenir son indépendance et sa souveraineté et travailler en paix. Par l'ordre no 026 du 8 avril 1992 du commandant en chef des forces armées unies de la CEI, il fut décidé que seules les troupes et unités de la 14e armée stationnées sur le territoire de la République socialiste soviétique de Moldova pouvaient constituer la base de la création des forces armées de la République de Moldova. Trois unités militaires ayant appartenu à la 14e armée décidèrent de se joindre à la nouvelle armée de la République de Moldova : l'unité militaire de Floreşti (dépôt de munitions no 5381), le régiment d'artillerie no 4 de Ungheni et le régiment d'artillerie de roquettes no 803 de Ungheni. Les militaires du bataillon indépendant no 115 du génie et sapeurs pompiers de la 14e armée refusèrent de s'engager dans les forces armées de la Moldova et « se placèrent sous la juridiction de la région transnistrienne », selon les termes employés par le gouvernement russe. Dans un message adressé en avril 1992 au commandant en chef des forces armées unies de la CEI, le président de la Moldova, M. Snegur, déclara que les événements en Transnistrie étaient inspirés et soutenus par « les structures impériales et procommunistes de l'URSS et leurs successeurs en droit » et que la 14e armée n'avait pas fait preuve de neutralité dans le conflit. A cet égard, il souligna que les formations militaires transnistriennes étaient dotées d'un armement moderne ayant appartenu à l'ex-armée soviétique et que de très nombreux citoyens russes avaient pris part au conflit du côté des séparatistes en tant que mercenaires. Dans une lettre adressée en avril 1992 aux dirigeants des pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies, de l'OSCE et de la CEI, M. Snegur accusa le commandement de la 14e armée d'avoir armé en décembre 1991 les formations transnistriennes et dénonça l'attitude du 6e congrès des députés de la Fédération de Russie, qui avait demandé le maintien en Moldova des unités de l'armée de la Fédération de Russie comme « forces pacificatrices ». Enfin, M. Snegur souligna qu'une condition essentielle pour le règlement pacifique du conflit transnistrien était le retrait le plus rapide de l'armée de la Fédération de Russie du territoire moldave, et demanda à la communauté internationale de soutenir le jeune Etat moldave dans sa lutte pour la liberté et la démocratie. Le 20 mai 1992, la présidence du Parlement moldave protesta contre l'occupation, le 19 mai 1992, d'autres régions de Transnistrie par les forces de la 14e armée appuyées par des mercenaires cosaques et russes et par des forces paramilitaires de Transnistrie. Selon la présidence du Parlement, cette agression militaire de la part de la Fédération de Russie violait la souveraineté de la Moldova et toutes les règles du droit international, rendant illusoires les négociations alors en cours pour trouver une solution au conflit en Transnistrie. Accusant la Fédération de Russie d'avoir armé les séparatistes de Transnistrie, la présidence du Parlement moldave demanda au Soviet suprême de la Fédération de Russie de faire cesser cette agression et de retirer les forces militaires russes du territoire moldave. Cette protestation était également dirigée contre les allocutions jugées « pleines d'agressivité » à l'égard de la Moldova prononcées à Tiraspol et Moscou par M. Routskoï, vice-président de la Fédération de Russie, et contre une déclaration faite le 19 mai 1992 par le Conseil militaire du GOR. Le 26 mai 1992, le Parlement moldave adressa une lettre au Soviet suprême d'Ukraine, exprimant la reconnaissance du Parlement moldave à l'égard des autorités ukrainiennes, qui n'avaient pas voulu se joindre à l'occupation du 19 mai 1992. Le 22 juin 1992, le Parlement moldave lança un appel à la communauté internationale et s'opposa à « la nouvelle agression perpétrée en Transnistrie le 21 juin 1992 par les forces de la 14e armée » qui, par ses actions de destruction et de pillage, avait poussé bon nombre de civils à fuir leurs foyers. La communauté internationale fut exhortée à envoyer des experts sur place pour faire cesser le « génocide » entrepris contre la population locale. Le 23 juin 1992, le président de la Moldova, M. Snegur, demanda au Secrétaire général de l'ONU, M. Boutros Boutros-Ghali, d'informer les membres du Conseil de sécurité des Nations unies de « l'attaque menée contre la ville [de Tighina] par la 14e armée », qui représentait, à ses yeux, une intervention « directe et brutale dans les affaires internes de la République [de Moldova] ». Il exprima aussi son inquiétude à l'égard des déclarations du président de la Fédération de Russie, M. Eltsine, et de son vice-président, M. Routskoï, « dont il ressort avec clarté que la Fédération de Russie n'est pas disposée à renoncer aux « droits » qu'elle ne possède plus, ni de jure ni de facto, sur un territoire qui ne lui appartient plus à la suite du démembrement de l'empire soviétique ». Enfin, selon M. Snegur, « les menaces récemment renouvelées à l'égard des dirigeants légaux de la République de Moldova, Etat indépendant et souverain, par l'administration russe, constituent un motif d'inquiétude pour l'opinion publique moldave, car elles semblent préfigurer d'autres moyens d'intervention dans nos affaires internes, moyens et méthodes spécifiques au système impérialiste communiste soviétique (...) ». Dans la première moitié du mois de juillet 1992, des discussions intenses eurent lieu dans le cadre de la CEI au sujet d'un possible déploiement en Moldova d'une force de paix de la CEI. Fut mentionné à cet égard un accord signé à Minsk en mars 1992 sur les groupes d'observateurs militaires et les forces stratégiques de maintien de la paix de la CEI. Lors d'une réunion de la CEI tenue à Moscou le 6 juillet 1992, il fut décidé, à titre préliminaire, de déployer en Moldova une force de maintien de la paix de la CEI formée de troupes russes, ukrainiennes, biélorusses, roumaines et bulgares, à condition que la Moldova en fasse la demande. En dépit d'une telle demande déposée le lendemain par le Parlement moldave, la force ne fut jamais déployée, certains pays étant revenus sur leur consentement à participer à une force de la CEI. Le 10 juillet 1992, à l'occasion du sommet d'Helsinki de la CSCE, le président de la Moldova, M. Snegur, demanda que soit prise en considération la possibilité d'appliquer à la situation moldave le mécanisme de maintien de la paix de la CSCE. Ce mécanisme ne fut pas appliqué en l'absence d'un cessez-le-feu effectif et durable (document d'information précité de l'OSCE du 10 juin 1994, note au paragraphe 28 ci-dessus). Le 21 juillet 1992, le président de la République de Moldova, M. Snegur, et le président de la Fédération de Russie, M. Eltsine, signèrent un accord sur les principes du règlement amiable du conflit armé dans la région transnistrienne de la République de Moldova (« accord de cessez-le-feu » ci-après – paragraphe 292 ci-dessous). Sur l'exemplaire soumis à la Cour par le gouvernement moldave figurent uniquement les signatures de MM. Snegur et Eltsine. De son côté, le gouvernement russe a présenté à la Cour un exemplaire sur lequel figurent les signatures de MM. Snegur et Eltsine, en tant que présidents de la Moldova et de la Fédération de Russie respectivement. Sur cet exemplaire, en dessous de la signature de M. Snegur, se trouve aussi apposée la signature de M. Smirnov, sans indication de sa qualité. La signature de M. Smirnov ne figure pas sur l'exemplaire soumis par le gouvernement moldave. Dans sa déposition devant les délégués de la Cour, M. Snegur a confirmé que le document officiel établi en deux exemplaires avait été signé uniquement par lui-même et par M. Eltsine (annexe, M. Snegur, § 228). Ainsi qu'il ressort des témoignages recueillis par la Cour, l'accord fut rédigé dans ses grandes lignes par la partie russe, qui le présenta à la signature à la partie moldave (annexe, Z, § 281). Le gouvernement russe allègue qu'aux termes de l'article 4 de l'accord du 21 juillet 1992 la Fédération de Russie a été signataire de cet accord non pas en tant que partie au conflit, mais en tant qu'artisan de la paix. Par cet accord fut posé le principe d'une zone de sécurité, créée par le retrait des armées des « parties au conflit » (article 1 § 2). En application de l'article 2 de cet accord, fut créée une commission de contrôle unifiée (la « CCU »), composée de représentants de la Moldova, de la Fédération de Russie et de la Transnistrie, et siégeant à Tighina (Bender). L'accord mit en place également des forces de maintien de la paix chargées de veiller au respect du cessez-le-feu et à la sécurité, consistant en cinq bataillons russes, trois bataillons moldaves et deux bataillons transnistriens, subordonnés à un commandement militaire unifié, lui-même subordonné à la CCU. Selon l'article 3 de l'accord, la ville de Tighina fut déclarée région à régime de sécurité, et son administration fut octroyée aux « organes de l'auto-administration locale, le cas échéant de concert avec la commission de contrôle ». La CCU se vit chargée d'assurer le maintien de l'ordre public à Tighina, conjointement avec la police. L'article 4 prévoit que la 14e armée de la Fédération de Russie, stationnée sur le territoire de la République de Moldova, observe rigoureusement la neutralité, tandis que l'article 5 interdit l'application de toute sanction ou blocus et fixe comme objectif la suppression de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises, des services et des personnes. Enfin, les mesures prévues dans cet accord furent définies comme « une partie très importante du règlement du conflit par des moyens politiques » (article 7). 3. Evénements postérieurs au conflit armé Le 29 juillet 1994, la Moldova se dota d'une nouvelle Constitution. Celle-ci pose, entre autres, la neutralité du pays, l'interdiction de stationnement sur son territoire de troupes appartenant à d'autres Etats et la possibilité d'octroyer une forme d'autonomie aux localités se situant, notamment, sur la rive gauche du Dniestr (paragraphe 294 ci-dessous). Le 21 octobre 1994, la Moldova et la Fédération de Russie signèrent un accord concernant le statut juridique, le mode et les délais de retrait des formations militaires de la Fédération de Russie se trouvant provisoirement sur le territoire de la République de Moldova (paragraphe 296 ci-dessous). L'article 2 de cet accord prévoit la synchronisation du retrait de l'armée russe du territoire moldave avec le règlement politique du conflit transnistrien et l'établissement d'un statut spécial pour la « région transnistrienne de la République de Moldova ». N'ayant pas été ratifié par les autorités de la Fédération de Russie, cet accord n'est jamais entré en vigueur (paragraphe 115 ci-dessous). Les requérants soutiennent que les forces russes de maintien de la paix n'observent pas une stricte neutralité, mais favorisent les Transnistriens en leur permettant de modifier l'équilibre des forces existant entre les parties au moment de la signature du cessez-le-feu le 21 juillet 1992. Le 28 décembre 1995, la délégation moldave à la CCU adressa une lettre au chef de la délégation russe à la CCU pour protester contre une proposition du commandant adjoint des Forces terrestres de la Fédération de Russie visant à transférer les pouvoirs des unités russes de maintien de la paix aux unités du GOR, proposition considérée par la délégation comme contraire à l'article 4 de l'accord du 21 juillet 1992. La proposition était aussi jugée inacceptable compte tenu « d'un certain niveau de politisation des hommes du GOR et de leur absence d'impartialité par rapport aux parties au conflit ». La délégation moldave mit en évidence plusieurs violations du principe de neutralité énoncé dans l'accord du 21 juillet 1992 : le transfert par la 14e armée aux autorités anticonstitutionnelles de Tiraspol de certains équipements militaires et munitions ; des entraînements des troupes de la « RMT » par l'armée russe ; et des transferts d'unités militaires de la 14e armée au camp de la « RMT » – par exemple, le bataillon d'ingénieurs de Parcani, devenu une unité d'artillerie de la « RMT », le transfert de la forteresse de Tighina/Bender à la deuxième brigade d'infanterie de la « RMT », ou bien le transfert à la « RMT » du cantonnement de Slobozia, comprenant un bataillon de communication de la 14e armée. La délégation moldave attira l'attention sur le fait que des unités militaires de la « RMT » avaient été amenées dans la zone de sécurité avec la connivence des troupes russes de la CCU, que de nouvelles unités paramilitaires avaient été créées dans la ville de Tighina/Bender, déclarée zone de sécurité et se trouvant sous la responsabilité des forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie, et que des entreprises situées à Tighina/Bender et Tiraspol fabriquaient des armes et des munitions. La délégation moldave demanda à son gouvernement d'envisager la possibilité de remplacer les forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie en Transnistrie par une force multinationale sous l'égide des Nations unies ou de l'OSCE. Enfin, la délégation moldave exprima l'espoir d'une mise en application rapide de l'accord du 21 octobre 1994 sur le retrait des forces armées de la Fédération de Russie du territoire moldave. Dans une lettre datée du 17 janvier 1996, le chef de la délégation russe à la CCU estima que les exemples de prétendue absence d'impartialité de la part des militaires de la 14e armée, fournis par la délégation moldave dans sa lettre du 28 décembre 1995, procédaient de « déformations » et qu'ils étaient contraires à la réalité. La délégation russe estima que l'accord du 21 juillet 1992 permettait sans aucun doute à la Fédération de Russie de transférer au GOR des fonctions dévolues aux forces de maintien de la paix, et demanda à la délégation moldave de revoir son point de vue et de reconsidérer les propositions faites en ce sens par le ministère russe de la Défense. Le 8 mai 1997, M. Lucinschi, président de la Moldova, et M. Smirnov, « président de la RMT », signèrent à Moscou un mémorandum posant les bases de la normalisation des relations entre la République de Moldova et la Transnistrie, où ils s'engageaient à régler tout conflit qu'ils pourraient avoir par des négociations, avec l'assistance, le cas échéant, de la Fédération de Russie et de l'Ukraine, en tant qu'Etats garants du respect des accords conclus, ainsi que celle de l'OSCE et de la CEI. Ledit mémorandum fut contresigné par les présidents de la Fédération de Russie, M. Eltsine, et de l'Ukraine, M. Koutchma. Il fut également signé par M. H. Petersen, président de l'OSCE, présent lors de la signature par les parties et les Etats garants. Aux termes de ce mémorandum, le statut de la Transnistrie doit se fonder sur plusieurs principes : décisions prises d'un commun accord, division et délégation des compétences et garanties assurées réciproquement. La Transnistrie doit participer à la conduite de la politique extérieure de la République de Moldova pour les questions touchant à ses intérêts propres, la définition de ces questions devant être établie d'un commun accord. La Transnistrie aurait le droit d'instaurer et d'entretenir unilatéralement des contacts internationaux dans les domaines économique, scientifique et technique, culturel et autres, à déterminer d'un commun accord. Le mémorandum accueille favorablement la disponibilité montrée par la Fédération de Russie et par l'Ukraine pour agir en tant qu'Etats garants du respect des dispositions contenues dans les documents définissant le statut de la Transnistrie et dans le mémorandum. Les parties confirment également la nécessité de poursuivre les activités menées conjointement par les Forces communes de maintien de la paix dans la zone de sécurité, conformément à l'accord du 21 juillet 1992. Le mémorandum prévoit aussi le droit pour les parties, en cas de violation de ces accords, de solliciter des consultations auprès des Etats garants en vue de prendre des mesures pour normaliser la situation. Enfin, les deux parties s'engagent à établir leurs relations dans le cadre d'un Etat commun à l'intérieur des frontières de la RSS moldave telle qu'elle existait au 1er janvier 1990. Le 20 mars 1998, des représentants de la Moldova, de la Transnistrie, de la Fédération de Russie et de l'Ukraine signèrent à Odessa (Ukraine) plusieurs documents visant à assurer le règlement du conflit transnistrien (paragraphe 123 ci-dessous). Dans des observations de 1999 sur un projet de rapport sur la Moldova rédigé par la Commission de l'Assemblée parlementaire pour le respect des obligations et engagements des Etats membres du Conseil de l'Europe, le gouvernement moldave indiqua que les autorités séparatistes procédaient, « avec l'accord tacite des autorités de la Fédération de Russie dont les forces de maintien de la paix sont déployées dans la zone de sécurité de la région transnistrienne moldave », à la sortie illégale d'armes des dépôts du GOR. 100. Dans une lettre du 6 février 2001, la délégation moldave à la CCU adressa une lettre aux chefs des délégations russe et transnistrienne à la CCU, pour protester contre l'absence d'impartialité des commandants des forces de maintien de la paix. Ceux-ci furent accusés de permettre l'introduction d'équipements militaires et de munitions dans la zone de sécurité, et la création d'unités militaires armées de la Transnistrie. La délégation moldave souligna que ces faits avaient été notés par les observateurs militaires sur le terrain et dénonça l'attitude du commandant des forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie, qui n'avait ni contrôlé ni empêché la militarisation de la zone de sécurité, enfreignant ainsi le statut de forces de maintien de la paix. La délégation moldave souligna enfin qu'une telle attitude de la part des forces russes de maintien de la paix représentait un encouragement pour les Transnistriens. Le gouvernement russe affirme que les forces de maintien de la paix observent la neutralité exigée par l'accord du 21 juillet 1992. La Cour note le témoignage du commandant des forces russes de maintien de la paix, le colonel Zverev (annexe, § 368), selon lequel les forces russes de maintien de la paix assurent le respect de cet accord. Ce témoin déclare en outre ne pas être au courant des agissements illégaux des Transnistriens dans la zone contrôlée par les forces russes. La Cour observe toutefois que le témoignage en question est contredit par les documents officiels de la CCU, dont il ressort, avec une abondance de détails, que dans différentes zones de Transnistrie situées sous le contrôle des forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie, par exemple la zone de Tighina/Bender, les forces séparatistes transnistriennes ont agi en violation de l'accord de cessez-le-feu. Compte tenu du caractère officiel des documents de la CCU et de la cohérence des informations qu'ils contiennent, la Cour tient pour établi avec un degré suffisant de certitude que, dans la zone se trouvant sous la responsabilité des forces russes de maintien de la paix, la partie transnistrienne n'a pas respecté les engagements qui découlent pour elle de l'accord du 21 juillet 1992. 101. Le 16 avril 2001, les présidents de la République de Moldova, M. Voronine, et de la Fédération de Russie, M. Poutine, signèrent une déclaration commune, dont le point 5 indique : « Les Présidents se sont prononcés en faveur d'un règlement rapide et équitable du conflit transnistrien par des moyens exclusivement pacifiques, reposant sur le respect des principes de souveraineté et d'intégrité territoriale de la République de Moldova, ainsi que des normes internationales en matière de droits de l'homme. » 102. Dans un document daté du 4 septembre 2001 analysant la mise en application de l'accord moldo-russe du 20 mars 1998 sur les principes pour un règlement pacifique du conflit armé dans la région de Transnistrie de la République de Moldova, la délégation moldave à la CCU mit en évidence le non-respect, par la partie transnistrienne, de ses obligations, en ce sens qu'elle avait créé de nouvelles unités militaires, introduit des armes dans la zone de sécurité et a installé des postes douaniers. La délégation moldave exprima sa préoccupation quant au fait que le commandement militaire uni n'avait pris aucune mesure adéquate pour mettre fin à cette situation, mais s'était borné à constater les faits. La délégation moldave proposa que des mesures concrètes pour assurer le respect des obligations incombant aux parties soient discutées au niveau des ministères des Affaires étrangères de la Moldova et de la Fédération de Russie. Enfin, elle proposa de mettre sous le patronage de l'OSCE la fonction d'observateur militaire dans la zone de sécurité. 103. En mars 2003, les forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie en Transnistrie comptaient 294 militaires, 17 véhicules blindés, 29 véhicules et 264 armes à feu. A ce jour, selon les témoignages recueillis par la Cour (annexe, colonel Zverev, § 367), aucun militaire de la 14e armée ou du GOR n'a été employé dans les forces russes de maintien de la paix. 104. Des contacts des autorités moldaves avec la partie transnistrienne continuent d'avoir lieu au sujet de différents aspects du possible règlement de la situation en Transnistrie. 105. Lors de ces négociations, la partie moldave a obtenu la création, par la partie transnistrienne, d'une commission chargée d'examiner la possibilité d'accorder la grâce à toutes les personnes condamnées et détenues en Transnistrie à la suite de jugements prononcés par les tribunaux transnistriens (annexe, M. Sturza, §§ 309, 312 et 318). 106. Un des sujets régulièrement inscrits à l'ordre du jour des négociations est celui de l'impunité demandée par la partie transnistrienne pour les fonctionnaires et responsables de cette administration (annexe, MM. Sturza, § 314, Sidorov, § 446). 107. Depuis 2002, plusieurs plans pour la fédéralisation de la Moldova furent proposés par l'OSCE, la Fédération de Russie ou bien le président moldave. 108. Les dernières négociations menées avec l'aide de l'OSCE se fondèrent sur des propositions visant à créer un Etat fédéral accordant l'autonomie à la Transnistrie. 109. Le 4 avril 2003, dans le cadre des négociations avec la Transnistrie, le Parlement moldave adopta un protocole concernant la création d'un mécanisme d'élaboration d'une constitution fédérale pour la République de Moldova. 110. Selon un communiqué de presse de la mission de l'OSCE en Moldova, la première réunion de la Commission unifiée eut lieu le 24 avril 2003 au siège de la mission de l'OSCE en Moldova. Lors de cette réunion, il fut décidé qu'un texte final devait être prêt pour le mois d'octobre 2003 afin que la nouvelle Constitution puisse être présentée à l'ensemble du peuple moldave pour adoption lors d'un référendum organisé en février 2004. B. La présence de l'armée de la Fédération de Russie et de ses militaires en Transnistrie après l'accord du 21 juillet 1992 Les troupes et le matériel du GOR présents en Transnistrie a) Avant la ratification de la Convention par la Fédération de Russie 111. Ainsi que prévu par l'article 4 de l'accord de cessez-le-feu du 21 juillet 1992, la Moldova et la Fédération de Russie entamèrent des négociations au sujet du retrait du GOR du territoire moldave et de son statut en attendant ce retrait. La partie russe proposa en 1994 de synchroniser le retrait du GOR du territoire moldave avec la solution du conflit transnistrien (paragraphe 93 ci-dessus). La partie moldave, qui considérait cette proposition comme contre-productive, l'accepta sur l'insistance de la partie russe et seulement après avoir obtenu que celle-ci se déclarât en faveur d'une libération rapide des membres du groupe Ilaşcu (annexe, Y, § 254). Dans un communiqué de presse du 12 février 2004, le ministère des Affaires étrangères de la Moldova indiqua que les autorités moldaves s'opposaient catégoriquement à toute synchronisation entre le règlement politique du conflit transnistrien et le retrait des forces armées russes du territoire de la Moldova, et qu'elles attendaient un retrait complet et sans condition des forces armées russes, conformément aux décisions de l'OSCE (paragraphe 124 ci-dessous), d'autant plus que les Etats membres de l'OSCE avaient créé un fonds volontaire destiné à financer le retrait en question. 112. L'article 2 de l'accord du 21 octobre 1994 (« le premier accord ») prévoit le retrait par la partie russe de ses formations militaires dans un délai de trois ans à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, la synchronisation de la mise en œuvre du retrait dans le délai imparti avec le règlement politique du conflit transnistrien, et l'établissement d'un statut spécial pour la « région transnistrienne de la République de Moldova » (paragraphe 296 ci-dessous). Quant aux étapes et dates du retrait définitif de ces formations, le même article prévoit qu'elles doivent être arrêtées dans un protocole à part devant être conclu entre les ministères de la Défense des parties. 113. Selon l'article 5 dudit accord, la commercialisation de tout type de technique militaire, d'armement et de munitions appartenant aux forces militaires de la Fédération de Russie stationnées sur le territoire de la République de Moldova ne peut se faire qu'au titre d'un accord spécialement conclu entre les gouvernements de ces pays. 114. Selon l'article 7 dudit accord, l'aéroport militaire de Tiraspol est utilisé en commun par l'aviation du GOR et par « l'aviation civile de la région de Transnistrie de la République de Moldova ». Un deuxième accord conclu également le 21 octobre 1994 (« le deuxième accord ») entre les ministères de la Défense moldave et russe régit l'utilisation de l'aéroport de Tiraspol. Ainsi, il prévoit que les vols vers l'aéroport de Tiraspol sont effectués selon le « Règlement provisoire sur l'aviation déplacée en commun des formations militaires de la Fédération de Russie et de l'aviation civile de la région de Transnistrie de la République de Moldova », en coordination avec l'administration d'Etat de l'aviation civile de la Moldova et le ministère de la Défense de la Fédération de Russie (paragraphe 297 ci-dessous). 115. Le 9 novembre 1994, le gouvernement moldave adopta la décision de mise en application de l'accord concernant le retrait de l'armée russe du territoire moldave. A une date non précisée, le gouvernement de la Fédération de Russie décida de soumettre cet accord à la ratification de la Douma. Le 17 novembre 1998, le premier accord du 21 octobre 1994 n'ayant toujours pas été ratifié par la Douma, le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie demanda à la Douma de le retirer de son ordre du jour, au motif qu'« une éventuelle décision du ministère de revenir sur cette question sera fonction de l'évolution des relations avec la République de Moldova et la région transnistrienne et du règlement politique dans la région ». En janvier 1999, l'accord fut retiré de l'ordre du jour de la Douma. Il n'est toujours pas entré en vigueur. Le deuxième accord fut approuvé uniquement par le gouvernement moldave, le 9 novembre 1994. 116. Le gouvernement moldave souligne que les termes « aviation civile de la région de Transnistrie de la République de Moldova », contenus dans les accords avec la Fédération de Russie, doivent être interprétés comme se référant aux autorités locales constitutionnelles moldaves subordonnées aux autorités centrales, ce qui n'est pas le cas du régime séparatiste transnistrien. Le gouvernement russe estime que, par ces termes, il faut entendre les autorités locales actuelles, qui sont considérées comme un simple partenaire d'affaires. Cela n'équivaut en rien à une reconnaissance officielle ou politique de la « RMT ». 117. La Cour note d'abord qu'aucun des accords du 21 octobre 1994 n'est entré en vigueur, faute de ratification par la partie russe. Elle relève en outre que, selon la déposition de M. Sergueïev, commandant du GOR, l'aérodrome de Tiraspol est utilisé, en tant qu'espace libre, tant par les forces militaires russes que par les séparatistes transnistriens. L'espace aérien est surveillé par les contrôleurs aériens moldaves ou ukrainiens selon que le territoire survolé est ukrainien ou moldave. Il apparaît aussi que les appareils russes ne peuvent décoller ou atterrir sur l'aéroport de Tiraspol sans l'autorisation des autorités compétentes de la République de Moldova. La sécurité des vols sur cet aéroport est contrôlée par les forces russes pour autant qu'il s'agit du décollage, de l'atterrissage et du stationnement au sol d'appareils russes, et par les séparatistes transnistriens pour ce qui est de leurs appareils. Ni les autorités du GOR ni les forces russes de maintien de la paix n'interfèrent avec la manière dont la partie transnistrienne utilise cet aérodrome. De leur côté, les séparatistes transnistriens n'interfèrent pas avec la manière dont les forces russes utilisent l'aéroport (annexe, général Sergueïev, § 340). 118. Ainsi qu'il ressort d'une étude de M. Iurie Pintea, « L'aspect militaire de la solution du conflit dans la région Est de la République de Moldova » (publiée par l'Institut moldave de politiques publiques en août 2001 et présentée à la Cour par les requérants), des formations militaires de la « RMT » ont pris les commandes du poste de contrôle et des installations techniques de l'aérodrome de Tiraspol, en violation de l'accord du 21 octobre 1994, tandis que la partie de l'aérodrome utilisée par le GOR servirait aussi à d'autres buts que ceux mentionnés dans l'accord, par exemple pour les visites en Transnistrie d'hommes politiques russes ainsi que pour les opérations de vente d'armes. Les autres parties n'ont pas commenté ces informations. 119. L'article 13 du premier accord dispose que tous les locaux d'habitation et de casernement, les parcs, les polygones de tir et l'outillage fixe, les dépôts et l'outillage qu'ils contiennent, qui se trouveraient désaffectés par suite du retrait des formations militaires de la Fédération de Russie, sont à transférer pour gestion « aux organes de l'administration publique locale de la République de Moldova » dans la quantité existant de facto. L'article prévoit aussi que le mode de cession ou de vente du patrimoine immobilier des formations militaires de la Fédération de Russie est à déterminer dans un accord spécialement conclu entre les gouvernements des parties. 120. D'après l'article 17 de cet accord, en vue d'assurer le retrait des formations militaires de la Fédération de Russie du territoire de la République de Moldova dans le délai imparti et leur bon fonctionnement sur leur nouvel emplacement sur le territoire de la Fédération de Russie, la République de Moldova devrait contribuer selon des quotes-parts à la construction sur le territoire de la Fédération de Russie des locaux nécessaires à l'installation de ces formations militaires. 121. Dans son avis no 193 de 1996 sur l'adhésion de la Fédération de Russie au Conseil de l'Europe, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe prit note de l'intention exprimée par la Fédération de Russie « de ratifier, dans un délai de six mois après son adhésion, l'accord intervenu le 21 octobre 1994 entre les gouvernements russe et moldave, et de poursuivre le retrait de la 14e armée et de son matériel du territoire de la Moldova dans un délai de trois ans à compter de la date de signature de l'accord ». 122. Dans un rapport daté du 30 août 1996, le procureur militaire principal du parquet général de la Fédération de Russie, le lieutenant général G.N. Nossov, constata que des irrégularités et illégalités avaient été commises au sein du GOR dans la gestion du matériel militaire. En particulier, il releva l'absence de contrôle, ce qui favorise les abus et le vol, le non-respect des décisions concernant la remise à titre gracieux aux dirigeants de la Transnistrie de plusieurs véhicules automobiles réformés, la communication à ces dirigeants de l'inventaire des stocks de matériel du génie militaire se trouvant dans les dépôts du GOR, amenant ces derniers à émettre des exigences tendant à l'augmentation des quantités de biens transférés, et le transfert sans autorisation à la « RMT » de plusieurs centaines de pièces d'équipement technique et de plusieurs milliers de tonnes de matériel. Par conséquent, le procureur militaire demanda au ministre de la Défense de la Fédération de Russie de prendre des mesures complémentaires pour mettre fin aux violations de la loi constatées au sein du GOR, d'étudier l'opportunité d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre du lieutenant général E. et du major général D. pour défaut de contrôle et manquements dans l'exécution des obligations de service, et de lui communiquer les résultats. 123. Le 20 mars 1998 fut signé à Odessa (Ukraine), parmi d'autres documents concernant le règlement de la situation en Transnistrie, un protocole d'accord sur les questions touchant aux biens militaires de la 14e armée (paragraphe 299 ci-dessous). Les signataires de cet accord étaient M. Tchernomyrdine, au nom de la Fédération de Russie, et M. Smirnov, « président de la RMT ». Selon le calendrier figurant en annexe audit protocole, le retrait et la mise au rebut de certains éléments, en les éliminant par explosion ou autre procédé mécanique, devaient être achevés pour le 31 décembre 2001, à condition, entre autres, d'obtenir l'autorisation des autorités de la République de Moldova, « notamment de la région de Transnistrie ». Le retrait (cession et mise au rebut) des surplus de munitions et autres matériels du GOR était prévu pour le 31 décembre 2002 au plus tard. Le retrait du matériel militaire réglementaire et des effectifs du GOR ne faisant pas partie des forces de maintien de la paix devait être terminé pour le 31 décembre 2002, à certaines conditions : achèvement du processus de retrait en Russie des munitions et autres matériels, cession ou mise au rebut d'autres matériels, et respect par la Moldova de ses obligations découlant de l'article 17 de l'accord du 21 octobre 1994. b) Après la ratification de la Convention par la Fédération de Russie 124. Dans leur déclaration au sommet d'Istanbul du 19 novembre 1999, les chefs d'Etat et de gouvernement des Etats de l'OSCE indiquèrent attendre « un retrait rapide, en bon ordre et complet, des troupes russes de la Moldova » et se félicitèrent de l'engagement pris par la Fédération de Russie d'achever avant fin 2002 le retrait de ses forces du territoire moldave. Enfin, ils rappelèrent qu'une mission internationale d'évaluation était prête à partir sans délai pour examiner le retrait et la destruction des munitions et armements russes. 125. Dans des observations adressées en 1999 à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, le gouvernement moldave fit valoir qu'à cette date le chiffre officiel avancé par les autorités russes quant à la quantité d'armes et de munitions du GOR stockées en Transnistrie était de 42 000 tonnes, mais que ce chiffre n'avait pu être vérifié, car tant les autorités russes que les séparatistes transnistriens avaient refusé toute mission d'évaluation internationale. Les autorités moldaves attirèrent l'attention sur le fait qu'un éventuel retrait du personnel du GOR non accompagné d'une évacuation de l'énorme arsenal du GOR augmenterait le risque que les séparatistes transnistriens s'emparent de ces armes. 126. Plusieurs trains chargés d'équipement appartenant au GOR furent évacués entre 1999 et 2002. 127. Le 15 juin 2001, la Fédération de Russie et la Transnistrie signèrent un protocole concernant la réalisation en commun de travaux en vue d'utiliser l'armement, la technique militaire et les munitions. 128. Le 19 novembre 2001, le gouvernement russe présenta à la Cour un document dont il ressort qu'en octobre 2001 la Fédération de Russie et la « RMT » conclurent un accord relatif au retrait des forces russes. En vertu de celui-ci, la « RMT » obtint, en compensation du retrait d'une partie de l'équipement militaire russe stationné en Transnistrie, une réduction de cent millions de dollars américains sur la dette contractée concernant le gaz importé de la Fédération de Russie ainsi que la cession par le GOR, dans le cadre dudit retrait, d'une partie de l'équipement à usage civil. 129. Selon un document présenté à la Cour en novembre 2002 par le gouvernement moldave, le volume (de technique militaire) de munitions et d'équipement militaire appartenant au GOR et retiré jusqu'en novembre 2002 du territoire de la République de Moldova en vertu de l'accord du 21 octobre 1994 représentait seulement 15 % du volume total déclaré en 1994 comme étant stationné sur le territoire moldave. 130. Ainsi qu'il ressort d'un communiqué de presse de l'OSCE, le 24 décembre 2002 furent évacués 29 wagons transportant du matériel de construction de ponts et autres matériels (cuisines de campagne). Le même communiqué de presse reprit aussi la déclaration du commandant du GOR, le général Boris Sergueïev, selon laquelle les derniers retraits avaient été possibles grâce à un accord, conclu avec les Transnistriens, prévoyant que les autorités transnistriennes recevraient la moitié de l'équipement et des fournitures non militaires retirés. Le général Sergueïev donna pour exemple le retrait, le 16 décembre 2002, de 77 camions, qui avait été suivi d'un transfert de 77 camions du GOR au profit des Transnistriens. 131. En juin 2001, selon les informations fournies à la Cour par le gouvernement russe, le GOR comptait encore quelque 2 200 militaires en Transnistrie. Dans sa déposition, le général Sergueïev affirmait qu'en 2002, le GOR ne comptait plus que près de 1 500 militaires (annexe, § 338). La Cour n'a reçu aucune information précise quant à la quantité d'armes et de munitions stockée par le GOR en Transnistrie. Selon les affirmations des requérants et les dépositions recueillies par les délégués de la Cour (annexe, M. Snegur, § 235), en 2003 le GOR y disposait d'au moins 200 000 tonnes de matériel militaire et de munitions se trouvant principalement au dépôt de Kolbasna. Selon une information fournie par le gouvernement russe en juin 2001 et non contestée par les autres parties, le GOR disposait en outre du matériel suivant : 106 chars de combat, 42 véhicules blindés de combat, 109 véhicules blindés de transport de troupes, 54 véhicules blindés de reconnaissance, 123 canons et mortiers, 206 armes antichars, 226 armes antiaériennes, 9 hélicoptères et 1 648 véhicules divers. Dans sa déposition, le général Sergueïev affirmait que 108 chars de combat avaient été détruits au cours de l'année 2002 et que des systèmes de défense antiaérienne étaient en cours de destruction (annexe, § 341). Les relations entre le GOR et la « RMT » 132. Les militaires du GOR, les procureurs et les juges militaires détachés au GOR n'ont pas reçu d'instructions spécifiques quant à leurs relations avec les autorités transnistriennes (annexe, lieutenant-colonel Chamaïev, § 374). 133. Les militaires du GOR peuvent se déplacer librement sur le territoire transnistrien. Pour ce qui est des mouvements de troupes ou de matériel, le GOR en informe au préalable les autorités transnistriennes. Occasionnellement, des incidents éclatent à ce sujet, comme ce fut le cas pour la saisie par les Transnistriens de trois véhicules appartenant au GOR (annexe, lieutenant-colonel Radzaevichus, § 363, lieutenant-colonel Chamaïev, § 376). En pareil cas, et en l'absence d'instructions, les autorités du GOR essayent de négocier directement avec les autorités transnistriennes. Selon les dispositions légales en vigueur en Fédération de Russie, les autorités de poursuite du GOR ne sont pas compétentes pour saisir directement les autorités moldaves, le territoire transnistrien relevant de leur juridiction. Tout vol ou autre activité criminelle commis par un civil transnistrien en relation avec le GOR doit être rapporté par les autorités du GOR auprès des autorités compétentes de la Fédération de Russie, ces dernières étant les seules à pouvoir saisir les autorités moldaves. En réalité, l'enquête dans ce type d'actes criminels est menée par les autorités transnistriennes. 134. Pour les actes criminels commis par un militaire du GOR ou avec sa participation, les organes d'enquête du GOR ont compétence pour mener l'enquête, mais uniquement en ce qui concerne le militaire en question. Toutefois, aucun cas de ce type n'a été rapporté jusqu'à présent (annexe, lieutenant-colonel Levitski, § 371, M. Timochenko, § 379). 135. Ainsi qu'il ressort des documents soumis à la Cour par le gouvernement russe, du matériel et des installations à usage civil appartenant au GOR ont été transférés à la « RMT ». Par exemple, le bâtiment dans lequel les requérants ont été détenus en 1992 par la 14e armée a été transféré en 1998 aux séparatistes transnistriens. D'après les déclarations du témoin Timochenko, ce bâtiment est utilisé actuellement par le « parquet de la RMT » (annexe, § 380). 136. Selon l'étude de M. Iurie Pintea (paragraphe 118 ci-dessus), le dépôt militaire de Kolbasna fut divisé en 1994 en deux parties, dont une fut attribuée à la « RMT », qui y installa un dépôt de munitions pour son armée. D'après l'auteur, la sécurité du dépôt de la « RMT » était assurée, à l'époque de la publication de l'étude en 2001, par une brigade d'infanterie motorisée de l'armée de la « RMT », forte de trois cents personnes et dotée de véhicules de transport blindés, de canons antichars et de lance-mines, ainsi que d'une batterie antiaérienne, qui était chargée en même temps de contrôler les sorties de l'ensemble du dépôt. La sécurité du dépôt du GOR était assurée par des militaires du GOR. Pour ce qui concerne les sorties de la partie du dépôt appartenant au GOR, un poste de douaniers transnistriens a spécialement été installé. La sécurité et les mouvements à l'intérieur de l'ensemble du dépôt ne pouvaient être contrôlés de l'extérieur. C. Les relations économiques, politiques et autres entre la Fédération de Russie et la Transnistrie Avant la ratification de la Convention par la Fédération de Russie, le 5 mai 1998 137. Il ressort de déclarations non datées faites à la presse, présentées à la Cour par les requérants et non contestées par les autres parties, que le vice-président de la Fédération de Russie de l'époque, M. Routskoï, a reconnu la « légitimité de l'entité créée sur la rive gauche du Dniestr ». 138. Dans une intervention télévisée non datée reprise par la presse écrite, soumise à la Cour par les requérants et non contestée par les autres parties, le président en titre de la Fédération de Russie, M. Eltsine, a affirmé que « la Russie a accordé, accorde et va accorder son soutien économique et politique à la région transnistrienne ». 139. Après la fin du conflit, des officiers supérieurs de la 14e armée ont participé à la vie publique en Transnistrie. En particulier, des militaires de la 14e armée ont participé aux élections en Transnistrie, aux défilés militaires des forces transnistriennes et à d'autres manifestations publiques. Ainsi qu'il ressort des documents au dossier et de plusieurs témoignages concordants et non contestés par les autres parties, le 11 septembre 1993, le général Lebed, chef du GOR, fut élu député au « Soviet suprême de la RMT » (annexe, MM. Ilaşcu, § 26, Urîtu, § 72, X, § 220). 140. Les requérants allèguent qu'un consulat de la Fédération de Russie aurait été ouvert en territoire transnistrien, sur le territoire du GOR, sans l'accord des autorités moldaves et que diverses opérations, y compris de vote, s'y dérouleraient. Le gouvernement russe nie l'existence d'un consulat russe sur le territoire transnistrien. Le 27 février 2004, le ministère des Affaires étrangères moldave adressa à l'ambassade de la Fédération de Russie à Chişinău une note dans laquelle les autorités moldaves exprimaient leur regret quant à l'ouverture sur le territoire transnistrien, par les autorités de la Fédération de Russie, de dix-sept bureaux de vote fixes en vue des élections présidentielles du 17 mars 2004, sans l'accord des autorités moldaves et indiquaient qu'en agissant ainsi, les autorités russes les avaient mises devant le fait accompli, créant un précédent non souhaité. Les autorités moldaves ajoutaient dans cette note que seule l'ouverture de bureaux de vote au quartier général du GOR à Tiraspol, au quartier général des forces de maintien de la paix à Tighina/Bender, au sein de l'ambassade russe à Chişinău et à des postes mobiles de vote, était souhaitable. 141. La Cour note qu'en dehors des affirmations des requérants aucun élément de preuve ne vient étayer l'existence d'un consulat russe à Tiraspol effectuant des opérations consulaires habituelles, ouvert à tous les Transnistriens ayant la nationalité russe ou désirant acquérir la nationalité russe. De surcroît, aucun témoin entendu en Moldova n'a pu confirmer de telles allégations. Compte tenu de l'absence d'autres moyens de preuve, la Cour ne saurait tenir pour établi au-delà de tout doute raisonnable qu'un consulat russe est ouvert d'une manière permanente à Tiraspol à tous les Transnistriens de nationalité russe ou désirant acquérir cette nationalité. En revanche, la Cour tient pour établi que des postes consulaires fixes, faisant fonction de bureaux de vote, ont été ouverts par les autorités russes sur le territoire transnistrien, en l'absence d'accord des autorités moldaves. Quant aux articles de presse présentés par les requérants faisant état de l'existence d'un bureau consulaire de la Fédération de Russie sur le territoire du GOR, la Cour relève qu'ils ne sont pas non plus corroborés par une quelconque autre preuve. Cependant, le gouvernement russe n'a pas nié l'existence d'un tel bureau. La Cour estime que, compte tenu de la situation particulière du GOR, stationné sur le territoire transnistrien, il est plausible que, pour des raisons d'ordre pratique, un bureau consulaire soit ouvert sur le territoire du GOR pour permettre aux militaires russes de régler différents problèmes relevant normalement de la compétence d'un consulat. 142. Les requérants affirment que, le 12 mars 1992, la Banque centrale russe procéda à l'ouverture de comptes pour la Banque transnistrienne. Les autres parties n'ont pas contesté la véracité de cette information. 143. Dans une résolution no 1334 IGD du 17 novembre 1995, la Douma d'Etat de la Fédération de Russie déclara la Transnistrie « zone d'intérêt stratégique spécial pour la Russie ». 144. Des personnalités politiques et des représentants de la Fédération de Russie ont confirmé, à diverses occasions, le soutien accordé par la Fédération de Russie à la Transnistrie. Des représentants de la Douma et d'autres personnalités de la Fédération de Russie se sont rendus en Transnistrie et y ont participé à des manifestations officielles. De leur côté, des représentants du régime de la « RMT » se sont rendus à Moscou, à l'occasion de visites officielles, notamment à la Douma. 145. Les requérants soulignent aussi que, plusieurs années après le conflit, le soutien apporté par les autorités russes à la création du régime transnistrien a été confirmé publiquement dans un entretien télévisé diffusé à une date non précisée sur la chaîne russe TV-Centre, auquel participaient MM. Voronine, Smirnov et Khasboulatov. Au cours de cet entretien, M. Khasboulatov, ancien président du Parlement russe de 1991 à 1993, a déclaré que, lorsqu'il était devenu clair que la Moldova allait sortir de la sphère d'influence russe, une « enclave territoriale administrative » y avait été créée. Lors de la même émission, M. Voronine, président de la Moldova, avait affirmé que l'ex-président russe, M. Eltsine, avait soutenu M. Smirnov afin de l'utiliser contre le régime démocratique de Chişinău. Les autres parties n'ont pas contesté ces faits. 146. Le 19 mai 1994, le lieutenant général Iakovlev, ex-commandant de la 14e armée et ancien chef du « département de la défense et de la sécurité de la RMT », devint citoyen de la Fédération de Russie. 147. En 1997, M. Mărăcuţă, « président du Soviet suprême de la RMT », se vit accorder la nationalité russe. Après la ratification de la Convention par la Fédération de Russie 148. En 1999, M. Caraman, un des dirigeants de la « RMT », acquit également la nationalité russe. 149. M. Smirnov se vit accorder la nationalité russe, en 1997 selon le gouvernement russe, et en 1999 selon les requérants. 150. Ainsi qu'il ressort des affirmations des requérants, non contredites par les autres parties, l'industrie de l'armement représente l'un des piliers de l'économie transnistrienne. Celle-ci est directement soutenue par des entreprises russes impliquées dans la fabrication d'armes en Transnistrie. Selon l'étude de M. Iurie Pintea (paragraphe 118 ci-dessus), à partir de 1993, les entreprises d'armement transnistriennes se sont spécialisées dans la production d'armement de haute technologie, grâce aux fonds et aux commandes de différentes entreprises russes, dont le groupe russe de production et de vente d'armes Росвооружение (Rosvooroujenïe). Des entreprises russes fournissent aux entreprises transnistriennes la technologie et l'équipement nécessaires à la fabrication d'armement moderne, ainsi que des matériels à usage militaire. D'autre part, des entreprises transnistriennes produisent également des pièces détachées destinées aux fabricants d'armes russes. Par exemple, l'entreprise Elektrommash reçoit de la Fédération de Russie les pièces détachées pour les pistolets silencieux qu'elle produit et livre des pièces détachées pour des systèmes d'armements variés qui sont assemblés en Fédération de Russie. 151. Se fondant sur l'étude de M. Pintea, les requérants soutiennent que, sous couvert de « retrait », le GOR fournit aux entreprises transnistriennes des pièces et outils à usage militaire. L'usine métallurgique de Râbniţa, qui produit des mortiers de 82 mm, recevrait régulièrement des camions chargés de mortiers et obusiers en provenance du dépôt du GOR de Kolbasna, sous couvert de « destruction de munitions intransportables ». 152. De surcroît, il existe une interdépendance entre les intérêts transnistriens, économiques ou autres, et le GOR, du fait de l'emploi massif par le GOR d'habitants de la Transnistrie. Ainsi, selon la même étude de M. Pintea, près de 70 % du commandement de l'unité militaire du GOR stationnée à Kolbasna (y compris le dépôt de munitions) est constitué d'habitants de Râbniţa et de Kolbasna, tandis que 100 % du personnel technique du dépôt de Kolbasna (chefs de dépôts, techniciens, mécaniciens) est constitué d'habitants de la région. En tout, 50 % des officiers du GOR et 80 % des sous-officiers sont des habitants de la « RMT ». Les autres parties n'ont pas contesté ces informations. 153. Il existe une coopération judiciaire en matière de transfert de détenus entre la Fédération de Russie et la Transnistrie, sans passer par les autorités moldaves. En effet, des prisonniers russes détenus en Transnistrie ont pu être transférés dans le cadre de cette coopération dans une prison en Fédération de Russie (annexe, colonel Golovatchev, § 136, M. Sereda, § 423). 154. Ainsi qu'il ressort des affirmations des requérants étayées par des articles de presse, des visites entre des officiels de la Fédération de Russie et de la « RMT » continuent d'avoir lieu. Le journal Transnistrie du 16 février 1999 faisait état de la visite effectuée par une délégation du « Soviet suprême de la RMT » incluant MM. Mărăcuţă, Caraman et Antioufeïev, à la Douma de la Fédération de Russie. Par exemple, le 1er juin 2001, une délégation de la Douma composée de huit personnes s'est rendue à Tiraspol, où elle est restée jusqu'au 4 juin 2001. En outre, entre le 28 août et le 2 septembre 2001, des membres de la Douma d'Etat ont participé aux festivités organisées à l'occasion du 10e anniversaire de la déclaration d'indépendance de la « RMT ». 155. Des dirigeants de la « RMT » se sont vu remettre des distinctions officielles par différentes institutions de la Fédération de Russie et ont été reçus par des organes d'Etat de la Fédération de Russie avec tous les honneurs. Ainsi qu'il ressort des documents déposés par les requérants, M. Smirnov a été invité à Moscou par l'Université d'Etat de Moscou. 156. La Fédération de Russie a des relations directes avec la « RMT » pour ce qui est de ses exportations de gaz. Ainsi qu'il ressort d'un télégramme adressé le 17 février 2000 par le président du groupe russe Gazprom au vice-premier ministre moldave, les contrats de livraison de gaz à la Moldova ne concernent pas la Transnistrie, à laquelle le gaz est livré séparément dans des conditions financières plus avantageuses que celles accordées au reste de la République de Moldova (annexe, Y, § 261, M. Sangheli, § 268). 157. La Transnistrie reçoit de l'électricité directement de la Fédération de Russie. 158. Des produits fabriqués en Transnistrie sont exportés sur le marché russe, dont certains sont présentés comme des produits originaires de la Fédération de Russie (annexe, M. Stratan, § 333). 159. Le GOR achète certains produits nécessaires à l'approvisionnement des troupes directement sur le marché transnistrien (annexe, général Sergueïev, § 347). 160. Des entreprises russes ont participé à des privatisations en Transnistrie. Ainsi qu'il ressort des documents soumis par les requérants, l'entreprise russe Iterra a acheté la plus grande entreprise de Transnistrie, l'usine de métallurgie de Râbniţa, malgré l'opposition à cette opération des autorités moldaves. 161. Par ailleurs, en janvier 2002, le gouvernement moldave soumit à la Cour une cassette vidéo contenant l'enregistrement d'une émission de la télévision russe portant sur les relations russo-moldaves et le régime transnistrien. Le commentateur russe mentionnait en premier lieu le traité d'amitié conclu depuis peu entre la Fédération de Russie et la République de Moldova, dans lequel Moscou et Chişinău condamnaient « le séparatisme sous toutes ses formes » et s'engageaient « à n'accorder aucun soutien aux mouvements séparatistes ». Selon le journaliste, ce traité confirmait sans ambiguïté le soutien apporté par la Fédération de Russie à la Moldova dans le conflit transnistrien. Le reste du reportage était consacré aux différents aspects de l'économie transnistrienne, présentée comme entièrement contrôlée par la famille Smirnov, et dont la principale ressource serait la fabrication et l'exportation d'armes vers des destinations telles que l'Afghanistan, le Pakistan, l'Irak ou la Tchétchénie. L'émission s'achevait sur l'information selon laquelle les autorités transnistriennes avaient interrompu la diffusion du programme sur le territoire de la « RMT », en prétextant de mauvaises conditions météorologiques. D. Les relations moldo-transnistriennes Avant la ratification de la Convention par la Moldova le 12 septembre 1997 162. Les autorités moldaves n'ont jamais reconnu officiellement les organes de la « RMT » en tant qu'entité étatique. 163. A la suite de l'accord du 21 juillet 1992, les deux parties instaurèrent des relations aux fins de régler le conflit. Etablis et maintenus principalement à travers les commissions de négociations, les contacts portaient, d'une part, sur la question politique du statut de la Transnistrie et, d'autre part, sur le règlement de différents aspects de la vie courante (économiques, sociaux, etc.). 164. Ainsi qu'il ressort des dépositions concordantes de plusieurs témoins (annexe, M. Urîtu, § 66, M. Postovan, § 182, Z, § 272, M. Plugaru, § 286, M. Obroc, § 430), les premiers contacts établis entre la Moldova et la Transnistrie visaient les échanges de prisonniers capturés de part et d'autre pendant le conflit de 1992. Généralement, ces échanges concernaient des groupes de prisonniers. 165. Selon les dépositions concordantes de plusieurs témoins (annexe, MM. Urîtu, § 67, Snegur, § 239, Sturza, § 311), à partir du cessez-le-feu du 21 juillet 1992, les particuliers et les délégations officielles impliquées dans les négociations ont pu se rendre en Transnistrie. Des incidents se sont parfois produits, lorsque des gardes transnistriens n'ont pas permis l'accès en Transnistrie. 166. En tant que particuliers, les médecins peuvent circuler assez librement vers la Transnistrie, que ce soit pour des consultations ou pour des congrès professionnels (annexe, MM. Ţîbîrnă, § 84, Leşanu, § 85). 167. A partir de 1993, les autorités moldaves ont commencé à ouvrir des procédures pénales à l'encontre de certains responsables transnistriens accusés d'avoir usurpé des titres de fonctions officielles de l'Etat (paragraphes 221 et 230 ci-dessous). 168. Néanmoins, des personnes ayant agi en qualité de dignitaires de la « RMT » ont pu retourner en Moldova et occuper par la suite des responsabilités élevées. Par exemple, M. Sidorov, ancien « ministre de la Justice de la RMT » en 1991, a occupé plusieurs hautes fonctions d'Etat après son retour de Transnistrie : membre du Parlement moldave de 1994 à 1998, ombudsman de la Moldova de 1998 à 2001, membre du Parlement moldave et président du Comité pour les droits de l'homme et les minorités à partir de 2001 (annexe, M. Sidorov, §§ 437-438). 169. Le 7 février 1996, en présence de médiateurs de l'OSCE, de la Russie et de l'Ukraine, les autorités moldaves adoptèrent un protocole prévoyant la suppression des postes de douane appartenant à la Transnistrie. Après la ratification de la Convention par la Moldova 170. La circulation des personnes entre la Transnistrie et le reste de la Moldova après 1997 s'est déroulée dans les mêmes conditions qu'auparavant, les autorités transnistriennes décidant du passage d'une manière discrétionnaire. Lorsqu'il s'agit de délégations officielles ou de personnalités moldaves qui souhaitent se rendre en Transnistrie, un contact préalable aux fins d'autorisation devient alors nécessaire, bien qu'une telle autorisation puisse, elle aussi, être révoquée à tout moment (annexe, M. Sereda, § 418). Par exemple, le gouvernement moldave indique qu'en 2003, en guise de représailles contre une décision prise en février 2003 par le Conseil de l'Union européenne interdisant pendant un an à Igor Smirnov et seize autres dirigeants transnistriens de voyager dans l'Union européenne, les autorités transnistriennes ont déclaré persona non grata certains hauts dirigeants moldaves, dont le président de la Moldova, le président du Parlement, le premier ministre, le ministre de la Justice et le ministre des Affaires étrangères. 171. Les requérants allèguent que des dirigeants transnistriens, dont MM. Smirnov, Mărăcuţă et Caraman, auraient aussi la nationalité moldave et seraient en possession de passeports diplomatiques moldaves. En outre, le gouvernement moldave leur aurait accordé des distinctions officielles. Le gouvernement moldave affirme que les dirigeants transnistriens ne possèdent pas la nationalité moldave, car ils n'ont jamais demandé à avoir des papiers d'identité moldaves. La Cour relève que le témoin interrogé par les délégués à ce sujet a nié l'octroi d'un quelconque document d'identité moldave à MM. Smirnov, Mărăcuţă et Caraman (annexe, M. Molojen, § 396). En l'absence d'autre preuve corroborant les allégations des requérants, la Cour considère qu'il n'a pas été établi au-delà de tout doute raisonnable que les autorités moldaves ont octroyé des passeports à des dirigeants transnistriens. 172. Plusieurs dignitaires moldaves, dont M. Sturza, ministre de la Justice de la Moldova, procureur général adjoint et, depuis 2000, président de la Commission pour les négociations avec la Transnistrie, ont continué à se rendre à Tiraspol pour rencontrer des responsables transnistriens, dont MM. Smirnov, Mărăcuţă, le « procureur général de la RMT » et le « président de la Cour suprême de la RMT ». Parmi les sujets abordés à l'occasion de ces rencontres ont figuré surtout la situation des requérants, leur libération et les négociations sur le statut futur de la Transnistrie, y compris des actes adoptés par les organes locaux transnistriens (annexe, M. Sturza, § 312). 173. Le président du Parlement moldave, M. Diacov, a rendu visite le 16 mai 2000 à M. Ilaşcu dans sa cellule à Tiraspol. Le même jour, le président moldave, M. Lucinschi, s'est rendu à Tiraspol. 174. Le 16 mai 2001, le président de la Moldova, M. Voronine, et le dirigeant transnistrien, M. Smirnov, signèrent deux accords, l'un concernant la reconnaissance mutuelle des documents délivrés par les autorités moldaves et transnistriennes, l'autre prévoyant des mesures destinées à attirer et protéger les investissements étrangers. 175. Pour ce qui est de la coopération économique, les requérants allèguent que les autorités moldaves délivrent des certificats d'origine aux produits en provenance de Transnistrie. Le gouvernement moldave n'a pas fait de commentaires en réponse à ces allégations. 176. En ce qui concerne la prétendue délivrance par les autorités moldaves de certificats d'origine aux biens exportés de Transnistrie, invoquée par les requérants ainsi que par le gouvernement russe, la Cour relève que cette allégation n'a été confirmée par aucun témoin. Bien au contraire, M. Stratan, directeur du département des Douanes, a nié l'existence d'une telle pratique (annexe, § 327). Dans ces circonstances, en l'absence d'autres moyens de preuve étayant les allégations des requérants, la Cour ne saurait tenir pour établi au-delà de tout doute raisonnable que les autorités moldaves mènent une politique de soutien de l'économie transnistrienne par le biais de tels certificats d'exportation. 177. Outre la collaboration instituée en vertu de l'accord conclu par le président de la Moldova et le « président de la RMT », ainsi qu'il ressort des dépositions recueillies par les délégués de la Cour, il existe des relations plus ou moins de facto entre les autorités moldaves et transnistriennes dans d'autres domaines. Ainsi, il y a des contacts entre le ministère de la Justice transnistrien, en particulier le département des pénitenciers, et le ministère de la Justice moldave (annexe, lieutenant-colonel Samsonov, § 172). Des relations non officielles existent aussi entre les autorités moldaves et transnistriennes en matière judiciaire et de sécurité, en vue de prévenir la criminalité. Bien qu'il n'y ait aucun accord de coopération, il arrive que des procureurs ou des officiers moldaves chargés d'enquête dans des affaires pénales téléphonent à des « collègues » en Transnistrie, notamment pour obtenir des renseignements et faire venir des témoins (annexe, MM. Postovan, § 190, Catană, § 206). 178. Le système de téléphonie est unique pour l'ensemble de la Moldova, y compris la Transnistrie. Une communication téléphonique entre Chişinău et Tiraspol est considérée comme une communication nationale (annexe, MM. Molojen, § 398, Sidorov, § 454). 179. Le Département d'informatique rattaché au gouvernement moldave délivre des documents d'identité (carte d'identité) à toute personne résidant en Moldova, y compris en Transnistrie (annexe, M. Molojen, § 399). 180. En 2001, dans le cadre des accords conclus avec l'Organisation mondiale du commerce, les autorités moldaves installèrent le long de la frontière avec l'Ukraine des postes douaniers mixtes moldo-ukrainiens et introduisirent de nouveaux tampons douaniers inaccessibles aux autorités transnistriennes. Il n'a pas été précisé si les postes douaniers moldo-ukrainiens fonctionnent toujours. 181. En réponse aux mesures mentionnées dans le paragraphe précédent, les autorités transnistriennes informèrent les autorités moldaves, par une lettre du 18 septembre 2001, de la suspension unilatérale des négociations sur le statut de la Transnistrie et les menacèrent de couper les livraisons de gaz et d'électricité à destination de la Moldova transitant par la Transnistrie. 182. Le gouvernement moldave affirme que, lors d'un incident survenu en 2001, les autorités transnistriennes ont immobilisé au nœud ferroviaire de Tighina/Bender cinq cents wagons contenant des dons humanitaires pour des enfants et personnes âgées moldaves, ainsi que des livraisons de pétrole et autres marchandises en provenance de l'Union européenne destinées aux entreprises moldaves. 183. Dans une déclaration rendue publique le 6 février 2002, la mission de l'OSCE en Moldova dénonça les actions des autorités transnistriennes qui, à partir du 16 janvier 2002, avaient interdit aux représentants de l'OSCE d'entrer sur le territoire contrôlé par la « RMT », en violation de l'accord intervenu le 26 août 1993 entre l'OSCE et M. Smirnov. 184. Ainsi qu'il ressort d'un document soumis à la Cour par le gouvernement moldave le 15 mars 2002, par l'ordonnance no 40 du 7 mars 2002, « le ministre de la Sécurité de la RMT » refusa de laisser entrer sur le territoire de la « RMT » les représentants des ministères de la Défense, des Affaires intérieures, du Service de renseignements et de la Sécurité et d'autres structures militaires moldaves. 185. Enfin, le championnat national de football inclut également des équipes de Transnistrie, et des matchs de l'équipe nationale moldave de football, y compris internationaux, se déroulent parfois à Tiraspol, comme cela a été le cas pour un match disputé avec l'équipe nationale des Pays-Bas, en avril 2003 (annexe, M. Sidorov, § 454). IV. LES CIRCONSTANCES PARTICULIÈRES DE L'AFFAIRE 186. La Cour résume ci-dessous les faits liés à l'arrestation, à la détention provisoire, à la condamnation et aux conditions de détention des requérants, tels qu'allégués par ces derniers et confirmés par les preuves documentaires et les dépositions des témoins. Par ailleurs, la Cour note que, dans ses observations écrites du 24 octobre 2000, le gouvernement moldave a exprimé son accord sur la version présentée par les requérants quant aux circonstances dans lesquelles ils ont été arrêtés, condamnés et détenus. Dans ces mêmes observations, il a indiqué que les requérants avaient été certainement arrêtés sans mandat, qu'ils étaient restés deux mois dans les locaux de la 14e armée et que les perquisitions et saisies avaient, elles aussi, été effectuées sans mandat. Le gouvernement moldave a estimé que les allégations des requérants au sujet de leurs conditions de détention étaient très vraisemblables. 187. Pour sa part, le gouvernement russe a indiqué ne pas avoir eu connaissance des circonstances de l'arrestation et de la condamnation et des conditions de détention des requérants. A. L'arrestation, la détention provisoire et la condamnation des requérants Arrestation des requérants 188. Ainsi qu'il ressort des dépositions des requérants, de leurs épouses et de M. Urîtu, corroborées d'une manière générale par la déposition de M. Timochenko, les requérants ont été arrêtés à leur domicile, à Tiraspol, entre le 2 juin et le 4 juin 1992, dans les premières heures de la matinée. Ils ont été appréhendés par plusieurs personnes, dont certaines étaient vêtues d'uniformes portant l'insigne de la 14e armée de l'URSS, tandis que d'autres portaient des uniformes de camouflage sans signe distinctif. Ci-dessous se trouvent les détails de leur arrestation. 189. Le deuxième requérant, Alexandru Leşco, fut arrêté le 2 juin 1992, à 2 h 45 du matin. Le lendemain, une perquisition fut effectuée à son domicile en présence de ses voisins. 190. Le premier requérant, Ilie Ilaşcu, qui était à l'époque des faits le dirigeant local du Front populaire (parti représenté au Parlement moldave) et militait pour l'unification de la Moldova avec la Roumanie, fut arrêté le 2 juin 1992, vers 4 h 30, par dix ou douze individus armés de pistolets automatiques qui avaient pénétré de force dans son domicile à Tiraspol. Ils y effectuèrent une perquisition et saisirent certains objets. Parmi ceux-ci figurait un pistolet, qui, selon le requérant, avait été placé dans sa maison par les personnes ayant effectué la perquisition. Le requérant allègue que son arrestation et la perquisition furent faites sans mandat. Il fut informé qu'il était arrêté parce qu'en sa qualité de membre du Front populaire il était dangereux pour la stabilité de la « RMT », laquelle était en état de guerre avec la Moldova. 191. Le troisième requérant, Andrei Ivanţoc, fut arrêté à son domicile le 2 juin 1992, à 8 heures, par plusieurs personnes armées, qui le frappèrent à coups de crosse et à coups de pied. Selon le requérant, lors de la perquisition qui s'ensuivit, plusieurs tapis, 50 000 roubles et une « belle » montre furent confisqués. 192. Le quatrième requérant, Tudor Petrov-Popa, fut arrêté le 4 juin 1992 à 6 h 45 par deux personnes, dont un agent de police, Victor Gusan. Vers 11 heures, deux procureurs, MM. Starojouk et Glazyrine, procédèrent à une perquisition à son domicile en l'absence du requérant. 193. Dans un réquisitoire de 140 pages dressé, entre autres, par le procureur Starojouk, les requérants furent accusés d'avoir mené des activités antisoviétiques et combattu, par des moyens illégaux, contre l'Etat légitime de Transnistrie, sous la direction du Front populaire de Moldova et de la Roumanie. Ils furent aussi accusés d'avoir commis un certain nombre d'infractions punies, selon le réquisitoire, tantôt par le code pénal de la République de Moldova, tantôt par celui de la République socialiste soviétique de Moldova. Parmi les faits reprochés aux requérants figurait l'assassinat de deux Transnistriens, MM. Goussar et Ostapenko (voir également le paragraphe 225 ci-dessous). 194. Ainsi qu'il ressort des dépositions concordantes des requérants et d'autres témoins (annexe, M. Urîtu, §§ 55-56 et 60-61, Mmes Leşco, §§ 30-31, Ivanţoc, §§ 38 et 41), les requérants ont d'abord été conduits au siège de la police de Tiraspol, qui était probablement aussi le siège du « ministère de la Sécurité de la RMT », où ils ont été interrogés et soumis à des mauvais traitements pendant quelques jours. Parmi ceux qui les ont interrogés se trouvaient Vladimir Gorbov, « vice-ministre » dudit ministère, Vladimir Antioufeïev (ou Chevtsov), « ministre », et une personne nommée Gouchane. Certains gardes et enquêteurs étaient vêtus d'uniformes similaires, sinon identiques à ceux utilisés par les militaires soviétiques de la 14e armée. Pendant les premiers jours de leur détention dans les locaux de la police, les requérants ont été battus régulièrement et sévèrement, et n'ont presque rien reçu à manger ou à boire. Les interrogatoires avaient souvent lieu la nuit et, pendant la journée, il ne leur était pas permis de se reposer. 195. Selon le premier requérant, il fut conduit aussitôt après son arrestation, dans le bureau du « ministre de la Sécurité de la RMT », où se trouvaient également cinq autres personnes, qui lui furent présentées comme étant des colonels du service de contre-espionnage russe. Ceux-ci lui demandèrent, en échange de sa libération, de mettre au service de la Transnistrie les compétences qu'il avait acquises pendant son service militaire auprès des troupes spéciales de l'URSS, et de se faire passer pour un agent travaillant pour les services secrets roumains. Le requérant allègue que, lorsqu'il refusa cette proposition, il fut menacé de n'avoir d'autre choix que le cimetière. Détention des trois premiers requérants dans les locaux de la 14e armée 196. Quelques jours après leur arrestation, les trois premiers requérants ont été amenés, séparément, à la garnison (komendatura) de la 14e armée à Tiraspol, rue Souvorov, dans des véhicules portant des insignes russes. Les requérants soutiennent que, lors de leur détention sur le territoire de la 14e armée, ils ont été gardés par des soldats de cette armée et que, pendant cette période, des policiers transnistriens sont venus les voir dans leur cellule. Les requérants allèguent aussi que, pendant cette période, ils ont été torturés par des militaires de la 14e armée. Le gouvernement moldave souligne pour sa part qu'à la lumière des dépositions faites par les témoins moldaves et par M. Timochenko devant les délégués de la Cour, il ressort clairement que des militaires de la 14e armée ont participé à l'arrestation et à l'interrogatoire des requérants. Dans ses observations du 1er septembre 2003, le gouvernement russe réitère sa position initiale, à savoir que la Cour n'a pas compétence ratione temporis pour examiner des événements qui ont eu lieu en 1992. Sur le fond, il admet néanmoins que les requérants ont été détenus dans les locaux de la 14e armée, mais affirme que cette détention a été de très courte durée et qu'en tout état de cause elle était illégale. Le gouvernement fait valoir que le procureur militaire Timochenko a mis fin à l'illégalité dès qu'il a été informé de cette détention. Le gouvernement russe ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si des militaires russes ont participé à l'arrestation initiale des requérants. Il soutient qu'en dehors d'avoir fourni des cellules pour la détention des requérants les militaires de la 14e armée n'ont commis aucune illégalité. En particulier, ils n'ont pas gardé les cellules où étaient détenus les requérants. A cet égard, le gouvernement souligne que les requérants n'auraient pu voir des insignes « Russie » sur les uniformes des gardiens, car le nouvel insigne de la Russie remplaçant celui de l'URSS n'a été introduit que par l'ordre no 2555, émis le 28 juillet 1994 par le ministre de la Défense de la Fédération de Russie. Le gouvernement russe soutient en outre que le colonel Gousarov (paragraphe 270 ci-dessous) n'a pas servi dans les formations militaires russes stationnées sur le territoire de la Transnistrie, mais a fait son service au « ministère de l'Intérieur de la RMT ». 197. La Cour note que les trois premiers requérants prétendent avoir été détenus pendant deux mois dans la garnison de la 14e armée (annexe, MM. Ilaşcu, §§ 2, 4 et 11, Urîtu, §§ 55-56, Ivanţoc, §§ 94-95, Leşco, §§ 114 et 117, Petrov-Popa, § 124, Mmes Leşco, §§ 33-34, Ivanţoc, § 39, Petrov-Popa, § 48). A ce sujet, la Cour note que M. Timochenko a affirmé dans sa déposition (annexe, § 381) que les requérants étaient restés dans les locaux de la 14e armée un laps de temps très court, sans pour autant être capable d'en préciser la durée. Sans mettre en doute d'une manière générale la déposition de M. Timochenko, qu'elle considère comme crédible, la Cour estime que celle-ci contient un certain nombre de détails, dont ceux concernant la durée du séjour des requérants dans les locaux de la 14e armée, qui sont confus et de surcroît infirmés par d'autres dépositions. 198. La garnison de Tiraspol était commandée par Mikhaïl Bergman. Les requérants y ont été détenus chacun seul dans une cellule. Un certain M. Godiac, arrêté en même temps que les requérants, était aussi détenu dans ce bâtiment. Les requérants ont aperçu, lors des interrogatoires ou à l'occasion de visites dans les cellules, M. Gorbov et des officiers, dont certains portaient l'uniforme de la 14e armée. Ils étaient interrogés surtout la nuit, les interrogatoires s'accompagnant de mauvais traitements. Ils ont aussi été battus en dehors des interrogatoires. Les requérants ont été frappés régulièrement et sévèrement par des soldats en uniforme de la 14e armée. Des policiers transnistriens ont parfois participé aux mauvais traitements infligés aux requérants. Ilie Ilaşcu a été soumis à quatre reprises à des simulacres d'exécution : la première fois, on lui a lu sa condamnation à la peine capitale, tandis que les autres fois il a été conduit les yeux bandés dans un champ où les gardiens lui ont tiré dessus à blanc jusqu'à ce qu'il s'évanouisse. Le deuxième requérant a été menacé de viol. Au bout d'un mois, à la suite des coups reçus, le troisième requérant a été hospitalisé dans un hôpital psychiatrique, où il est resté un mois (annexe, M. Ivanţoc, § 97). 199. Les cellules ne disposaient pas de toilettes, d'eau ni de lumière naturelle. Une ampoule était en permanence allumée dans la cellule. Le lit, fixé au mur et pliant, était descendu à minuit et relevé à cinq heures du matin. Les requérants ne disposaient que de quinze minutes par jour pour la promenade, qui se déroulait dans un espace clos. Durant leur détention à la garnison de la 14e armée, ils n'ont pu ni se laver ni changer de vêtements. Les toilettes se trouvaient dans le couloir et les détenus y étaient amenés une seule fois par jour par des gardes accompagnés d'un berger allemand. Ils étaient obligés de satisfaire leurs besoins en quarante-cinq secondes, faute de quoi le chien était lancé sur eux. Puisqu'ils n'étaient conduits aux toilettes qu'une fois par jour dans les conditions décrites ci-dessus, les requérants devaient satisfaire leurs besoins dans la cellule (annexe, MM. Ivanţoc, § 95, Leşco, § 115, Mmes Leşco, § 33, Ivanţoc, § 40). Ils ont été coupés du monde extérieur. Leurs familles n'ont pas pu entrer en contact avec eux ni leur envoyer des colis. Ils n'ont pas pu envoyer ou recevoir du courrier ; de même, ils n'ont eu aucun accès à un avocat. 200. Le 23 août 1992, lorsque le général Lebed a pris le commandement de la 14e armée, les personnes détenues dans la garnison de Tiraspol de cette armée, y compris les trois requérants, ont été transférées dans les locaux de la police de Tiraspol. Le transfert a été effectué par des militaires de la 14e armée, dans ses véhicules (annexe, MM. Ilaşcu, § 11, Urîtu, § 55, Mme Ivanţoc, § 39). Détention au centre de détention provisoire des locaux de la police de Tiraspol et transfert en prison pendant le procès 201. Les circonstances de la détention des requérants, telles qu'elles ressortent de leurs déclarations écrites et dépositions, ainsi que des dépositions d'autres témoins corroborant les informations fournies par eux (annexe, M. Urîtu, §§ 56 et 60-61, Mmes Ivanţoc, § 41, Leşco, §§ 30-31), se résument ainsi. 202. Le premier requérant est resté dans une cellule située au siège de la police de Tiraspol pendant près de six mois, jusqu'en avril 1993, où son procès a commencé. 203. Le deuxième requérant a été transféré de la garnison de la 14e armée dans les locaux de la police de Tiraspol, où il est resté jusqu'au mois d'avril 1993, date d'ouverture de son procès. 204. Le troisième requérant est resté un mois dans la garnison de la 14e armée. Il a ensuite été interné dans un hôpital psychiatrique, où il est resté à peu près un mois. A son retour de l'hôpital, il a été reconduit à la garnison de la 14e armée et immédiatement détenu dans les locaux de la police de Tiraspol, où il est resté jusqu'au mois d'avril 1993. 205. Le quatrième requérant a été détenu jusqu'au début du procès dans les locaux de la police de Tiraspol. 206. Dans le centre de détention provisoire des locaux de la police de Tiraspol, les interrogatoires se déroulaient la nuit. Les requérants y ont été régulièrement battus, surtout pendant le mois qui a suivi leur retour de la garnison de la 14e armée. 207. Les cellules n'avaient pas d'éclairage naturel. Pendant les premières semaines, ils n'ont pas pu recevoir les visites de leurs familles ou de leurs avocats. Ils ont ensuite pu recevoir la visite de leurs proches, d'une manière discrétionnaire, et des colis de leurs familles à un rythme irrégulier. Souvent, ils n'ont pu profiter de la nourriture envoyée par la famille, car elle s'était abîmée au cours des fouilles effectuées pour des motifs de sécurité. Les requérants n'ont pu ni recevoir de courrier ni en envoyer et n'ont pas pu s'entretenir avec leurs avocats. 208. Pendant cette période, les requérants n'ont pu voir un médecin que rarement et, lorsqu'ils avaient été soumis à des mauvais traitements, la visite du médecin avait lieu bien après. M. Alexandru Ivanţoc s'est vu administrer des produits hallucinogènes qui lui ont provoqué des migraines chroniques. Pendant cette période, il n'a pas été traité pour ses maux de tête, et sa femme n'a pas eu la permission de lui envoyer des médicaments. 209. Ilie Ilaşcu a pu voir son avocat pour la première fois en septembre 1992, soit plusieurs mois après son arrestation. 210. A une date non précisée, les requérants furent transférés à la prison de Tiraspol en vue du procès. Pendant leur détention provisoire, ils furent soumis à divers traitements inhumains et dégradants : ils furent battus sauvagement, des bergers allemands furent lancés contre eux ; ils furent mis en isolement et se virent communiquer de faux renseignements sur la situation politique et sur l'état de santé de leurs familles pour ensuite se voir promettre une libération à condition de signer des aveux ; enfin, on menaça de les exécuter. 211. Andrei Ivanţoc et Tudor Petrov-Popa furent soumis à des traitements avec des substances psychotropes à la suite de quoi M. Ivanţoc connut des troubles psychiatriques. Le procès et la condamnation des requérants 212. Les requérants furent traduits devant le « Tribunal suprême de la République moldave de Transnistrie », qui siégea successivement dans la salle des fêtes de l'entreprise d'Etat Kirov et dans la salle de l'espace culturel à Tiraspol. Pendant les débats, qui débutèrent le 21 avril 1993 et prirent fin le 9 décembre 1993, seuls furent autorisés à entrer dans la salle les ressortissants moldaves munis d'un visa de résidence en Transnistrie. Des policiers et des militaires armés étaient présents dans la salle et sur l'estrade où se trouvaient les juges. Les requérants assistèrent à leur procès enfermés dans des cages métalliques. Les témoins entendus purent assister librement au procès, sans être obligés de quitter la salle pendant les dépositions des autres témoins. A de nombreuses occasions durant les débats, les requérants ne purent s'entretenir avec leurs avocats qu'en présence de policiers armés. Les audiences se déroulèrent dans une atmosphère lourde, le public arborant des prtes hostiles aux accusés. Comme le montre une photo soumise au greffe par les requérants, prise dans la salle d'audience et parue dans un journal moldave, une de ces prtes indiquait : « Les terroristes doivent répondre ! » (« Teрpopиcтoв – к oтвeту ! »). 213. Les requérants furent jugés par un collège de trois juges composé de Mme Ivanova, ancienne juge à la Cour suprême de Moldova, qui présidait, de M. Myazine, âgé de vingt-huit ans au moment du procès, qui avait travaillé pendant un an au parquet général de Moldova, avant sa nomination au « Tribunal suprême de la RMT », et de M. Zenine. 214. Ainsi qu'il ressort du texte du jugement, le commandant Mikhaïl Bergman, officier du GOR, comparut comme témoin devant ce « tribunal ». Il déclara que les requérants n'avaient pas été maltraités par ses subordonnés pendant leur détention dans les locaux de la 14e armée, et que les intéressés ne s'étaient d'ailleurs pas plaints. 215. Le tribunal rendit son jugement le 9 décembre 1993. 216. Il reconnut le premier requérant coupable de plusieurs infractions prévues par le code pénal de la République socialiste soviétique de Moldova, dont instigation au crime contre la sûreté de l'Etat (article 67), organisation d'activités dans le but de commettre des infractions extrêmement dangereuses à l'encontre de l'Etat (article 69), assassinat d'un représentant de l'Etat dans le but de semer la terreur (article 63), meurtre avec préméditation (article 88), réquisition illégale de moyens de transport (article 182), destruction délibérée des biens d'autrui (article 127) et utilisation illégale ou sans autorisation de munitions ou de matières explosives (article 227). Le tribunal le condamna à la peine capitale et à la confiscation de ses biens. 217. Le tribunal reconnut le deuxième requérant coupable de l'assassinat d'un représentant de l'Etat dans le but de semer la terreur (article 63), de destruction délibérée des biens d'autrui (article 127) et d'utilisation sans autorisation de munitions ou de matières explosives (article 227 § 2). Il le condamna à une peine privative de liberté de douze ans, à exécuter dans un camp de travail à régime sévère, et à la confiscation de ses biens. 218. Le troisième requérant fut reconnu coupable de l'assassinat d'un représentant de l'Etat dans le but de semer la terreur (article 63), d'utilisation sans autorisation et de vol de munitions ou de matières explosives (articles 227 et 227-1 § 2), de réquisition illégale de moyens de transport à traction animale (article 182 § 3), de destruction délibérée des biens d'autrui (article 127) et de coups et blessures (article 96 § 2). Il fut condamné à une peine privative de liberté de quinze ans, à exécuter dans un camp de travail à régime sévère, et à la confiscation de ses biens. 219. Le quatrième requérant fut reconnu coupable d'assassinat d'un représentant de l'Etat dans le but de semer la terreur (article 63), de coups et blessures (article 96 § 2), de réquisition illégale de moyens de transport à traction animale (article 182 § 3), de destruction délibérée des biens d'autrui (article 127), et d'utilisation sans autorisation et de vol de munitions ou de matières explosives (articles 227 et 227-1 § 2). Il fut condamné à une peine privative de liberté de quinze ans et à la confiscation de ses biens. B. Evénements postérieurs à la condamnation des requérants ; libération de M. Ilaşcu 220. Le 9 décembre 1993, le président de la République de Moldova décréta que la condamnation des requérants était illégale, au motif qu'elle avait été prononcée par un tribunal anticonstitutionnel. 221. Le 28 décembre 1993, le procureur général adjoint de Moldova ordonna l'ouverture d'une enquête pénale à l'encontre des « juges », « procureurs » et autres personnes impliquées dans la poursuite et la condamnation des requérants en Transnistrie, les accusant en vertu des articles 190 et 192 du code pénal de la République de Moldova d'arrestation illégale. 222. Le 3 février 1994, le Tribunal suprême de la République de Moldova examina d'office le jugement du 9 décembre 1993 du « Tribunal suprême de la RMT », le cassa au motif que le tribunal qui l'avait rendu était anticonstitutionnel, et ordonna le renvoi du dossier au procureur de la République de Moldova pour une nouvelle instruction en vertu de l'article 93 du code de procédure pénale. Il ressort des dépositions, des informations fournies par le gouvernement moldave et des témoins entendus par la Cour à Chişinău en mars 2003, que l'instruction ordonnée par le jugement du 3 février 1994 n'a pas eu de suite (annexe, MM. Postovan, § 184, Rusu, § 302). 223. En outre, le Tribunal suprême de la République de Moldova révoqua le mandat de détention des requérants, ordonna leur libération et demanda au procureur de la République d'examiner l'opportunité de poursuivre les juges du « soi-disant » Tribunal suprême de Transnistrie pour avoir délibérément rendu une décision illégale, infraction punie par les articles 190-192 du code pénal. 224. Les autorités de la « RMT » ne donnèrent aucune suite au jugement du 3 février 1994. 225. Les autorités moldaves ayant ouvert respectivement en avril et en mai 1992 une enquête au sujet de la mort de MM. Goussar et Ostapenko, le parquet la suspendit le 6 juin 1994, en vertu de l'article 172 § 3 du code de procédure pénale moldave, en l'absence de toute coopération de la part des autorités judiciaires et policières transnistriennes. Cette enquête fut rouverte le 9 septembre 2000. Par conséquent, plusieurs demandes de coopération (transmission de documents) furent adressées au « procureur de la RMT », V.P. Zaharov. Faute de toute réponse, le parquet moldave suspendit à nouveau l'enquête le 9 décembre 2000. Celle-ci n'a pas été rouverte depuis. 226. Par un décret du 4 août 1995, le président de la République de Moldova promulgua une loi d'amnistie à l'occasion du premier anniversaire de l'adoption de la Constitution moldave. Cette loi amnistia notamment les condamnations pour les infractions prévues aux articles 227, 227-1 et 227-2 du code pénal commises à partir du 1er janvier 1990 dans plusieurs départements de la rive gauche du Dniestr. 227. Le 3 octobre 1995, le Parlement moldave demanda, d'une part, au gouvernement moldave de traiter en priorité le problème de la détention des requérants, en tant que détenus politiques, et de l'informer régulièrement de l'évolution de la situation comme des actions entreprises à ce sujet et, d'autre part, au ministère des Affaires étrangères de rechercher un appui ferme auprès des pays dans lesquels la Moldova avait des missions diplomatiques en vue de la libération des requérants (« groupe Ilaşcu »). 228. Le premier requérant, bien que détenu, fut élu député au Parlement moldave successivement les 25 février 1994 et 22 mars 1998, mais, étant privé de liberté, il n'y siégea jamais. 229. Le 16 août 2000, le procureur de la République annula l'ordonnance du 28 décembre 1993 à l'encontre des « juges » et « procureurs » de la « RMT » (paragraphe 221 ci-dessus) au motif qu'il n'y avait privation illégale de liberté au sens des articles 190 et 192 du code pénal que lorsque la mesure était prise par des juges et procureurs désignés conformément à la législation de la République de Moldova, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Il considéra aussi comme inopportune l'ouverture d'une enquête pour privation illégale de liberté ou pour usurpation des pouvoirs ou du titre correspondant à une fonction officielle, infractions prévues aux articles 116 et 207 respectivement du code pénal, au motif qu'il y avait prescription et que les personnes en question se soustrayaient aux poursuites. 230. Le même jour, le procureur de la République ordonna l'ouverture d'une enquête pénale à l'encontre du directeur de la prison de Hlinaia, accusé de privation illégale de liberté et d'usurpation des pouvoirs ou du titre correspondant à une fonction officielle, en vertu des articles 116 et 207 du code pénal. Il ressort des informations fournies par le gouvernement moldave et des dépositions des témoins entendus par la Cour à Chişinău en mars 2003 que cette enquête pénale n'a pas eu de suite (annexe, MM. Rusu, § 302, Sturza, § 314). 231. Le 4 octobre 2000, à la demande de M. Ilaşcu, les autorités roumaines lui accordèrent la nationalité roumaine en vertu de la loi no 21/1991. 232. Le 26 novembre 2000, M. Ilaşcu fut élu sénateur au Parlement roumain. Ayant renoncé à la nationalité moldave et à son mandat de député au Parlement moldave, ce dernier a par conséquent mis fin à son mandat le 4 décembre 2000. 233. En 2001, à leur demande, MM. Ivanţoc et Leşco se virent également accorder la nationalité roumaine. 234. Le 5 mai 2001, M. Ilaşcu fut mis en liberté. Les circonstances de sa libération, qui sont controversées, sont résumées ci-dessous (paragraphes 279-282). C. La détention des requérants après leur condamnation 235. Le premier requérant, Ilie Ilaşcu, a été détenu à la prison no 2 de Tiraspol jusqu'à sa condamnation, le 9 décembre 1993. Il a ensuite été transféré à la prison de Hlinaia, au quartier des condamnés à mort, où il est resté jusqu'au mois de juillet 1998. A cette date, il a été à nouveau transféré à la prison no 2 de Tiraspol, où il est resté jusqu'à sa libération en mai 2001. 236. M. Alexandru Leşco a été transféré après son procès à la prison no 2 de Tiraspol, où il est toujours détenu. 237. Andrei Ivanţoc a été transféré après sa condamnation à la prison de Hlinaia, où il n'est probablement resté que quelques semaines. En effet, compte tenu de sa maladie, il a d'abord été hospitalisé puis transféré à la prison no 2 de Tiraspol, où il se trouve toujours. 238. M. Tudor Petrov-Popa a été transféré peu avant le début de son procès à la prison no 2 de Tiraspol. Depuis la libération de M. Ilaşcu en mai 2001, M. Petrov-Popa a été transféré à la prison de Hlinaia, où il est resté jusqu'au 4 juin 2003, date à laquelle il a été transféré à la prison n o3 de Tiraspol, « afin de faciliter ses contacts avec son avocat », selon les dires de l'administration pénitentiaire. 239. Dès les premiers mois de l'arrestation des requérants, le gouvernement moldave accorda une aide financière à leurs familles. En outre, les autorités trouvèrent des logements aux familles des requérants qui avaient été obligées de quitter la Transnistrie et leur fournirent occasionnellement de l'aide, d'une part, pour voir les requérants, en mettant à leur disposition des moyens de transport et, d'autre part, pour améliorer les conditions de détention des requérants, en envoyant des médecins et en leur fournissant des journaux (annexe, MM. Snegur, § 240, Moşanu, § 248, Sangheli, § 267). Les conditions de détention 240. Les requérants ont été détenus, sauf pendant quelques périodes très courtes, seuls, chacun dans leur cellule, à l'exception de M. Leşco, qui n'a été détenu seul que pendant les premières années. M. Ilaşcu a toujours été détenu en isolement. Il n'a pas eu le droit de correspondre, mais a néanmoins réussi à envoyer quelques lettres à l'extérieur. 241. Dans la prison de Hlinaia, M. Ilaşcu a été détenu dans le quartier des condamnés à mort. Ses conditions de détention étaient plus strictes que celles des autres requérants. A l'intérieur de sa cellule était aménagée une cage métallique de même dimension que la cellule. A l'intérieur de la cage se trouvait le lit et une table, en métal également. M. Ilaşcu n'avait pas le droit de parler aux autres détenus ou aux gardiens. Par conséquent, il était conduit seul à sa promenade journalière, qui avait lieu le soir, dans une pièce couverte. La nourriture de M. Ilaşcu se composait de cent grammes de pain de seigle trois fois par jour et d'un verre de thé sans sucre deux fois par jour. Le soir, il recevait aussi un mélange à base de restes de maïs appelé « balanda ». 242. Les cellules des requérants ne bénéficiaient pas d'un éclairage naturel : les seuls rayons de lumière provenant d'une ampoule accrochée dans le couloir filtraient à travers un regard pratiqué dans la porte de chaque cellule. 243. Les requérants ne pouvaient se doucher que très rarement. Ils ont dû rester plusieurs mois sans se laver. 244. Aucune des cellules occupées par M. Ilaşcu pendant sa détention n'était chauffée, y compris pendant l'hiver. 245. Tant à Hlinaia qu'à Tiraspol, les requérants disposaient d'eau froide dans leurs cellules, qui étaient dotées de toilettes non séparées du reste de la cellule. 246. Les requérants ont pu recevoir des colis et des visites de leurs familles, bien que l'autorisation à cet effet ne leur ait pas été octroyée systématiquement par le directeur de la prison. A certaines reprises, l'autorisation de recevoir des visites ou des colis leur a été refusée sur ordre d'Igor Smirnov ou de Vladimir Antioufeïev/Chevtsov. 247. Les colis étant contrôlés, la nourriture qui s'y trouvait devenait parfois impropre à la consommation. Pour protester contre la quantité insuffisante de nourriture qui leur était servie en prison, contre le fait que les « autorités » de la prison reefusaient parfois de leur distribuer la nourriture apportée par la famille, et contre la détérioration de cette nourriture lors des contrôles, les requérants ont entamé à plusieurs reprises une grève de la faim. 248. En 1999, M. Ilaşcu a pu recevoir la visite de Mme Josette Durrieu, membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, et aussi celle de Vasile Sturza, président de la Commission pour les négociations avec la Transnistrie. 249. Dans une lettre adressée en mars 1999 au Parlement moldave au sujet de la crise gouvernementale à laquelle la Moldova était confrontée, M. Ilaşcu affirma son soutien à Ion Sturza, candidat au poste de premier ministre. Lue à la tribune par le président du Parlement, la lettre permit au Parlement de dégager la majorité nécessaire pour désigner M. Ion Sturza comme premier ministre. En 1999, à la suite de son vote pour le gouvernement Sturza et pendant les neuf mois de ce gouvernement, M. Ilaşcu n'a pu recevoir aucune visite de sa famille, ni aucun colis. Les autres requérants, en particulier M. Ivanţoc, ont subi des restrictions similaires. 250. Dans une lettre adressée à la Cour datée du 14 mai 1999, Andrei Ivanţoc indiqua que, depuis que M. Ilaşcu avait écrit au Parlement moldave, les conditions de détention des requérants, en particulier celles de M. Ilaşcu, s'étaient dégradées. 251. Dans une lettre du 17 juillet 1999, Andrei Ivanţoc informa le public qu'il avait entamé une grève de la faim pour protester contre les conditions sévères dans lesquelles lui et ses compagnons étaient détenus. Ainsi, il indiqua qu'il ne pouvait pas prendre contact avec un avocat et qu'il lui était interdit de recevoir la visite de médecins ou de représentants de la Croix-Rouge. Selon lui, la passivité des autorités moldaves face à la situation en Transnistrie, et notamment à celle du groupe Ilaşcu, équivalait à accorder un soutien tacite aux autorités transnistriennes. 252. Dans une déclaration écrite datant du 29 juillet 1999, Andrei Ivanţoc, qui se trouvait au soixante-dix-septième jour de sa grève de la faim, accusa les dirigeants de Chişinău de ne rien faire pour protéger les droits de l'homme en Moldova et de « faire la fête » avec les dirigeants séparatistes de Transnistrie. Il se plaignit aussi du refus des autorités de la prison de Tiraspol de permettre, à lui-même et à Ilie Ilaşcu, l'accès à un médecin et indiqua que Ilie Ilaşcu, tenu en isolement cellulaire depuis quelque temps, était maltraité. En effet, tous les meubles avaient été enlevés de sa cellule, ses vêtements lui avaient été retirés, à l'exception d'un maillot de corps, et il était battu par des personnes des « forces spéciales », qui lui suggéraient de se suicider. 253. Dans une lettre du 10 mai 2000 adressée à la Cour, M. Ilaşcu fit valoir qu'il n'avait pu consulter un médecin depuis 1997. Des médecins venus de Chişinău l'avaient alors examiné et avaient dressé un bilan de son état de santé, le qualifiant de grave. Dans la même lettre, il accusa les autorités de la République de Moldova d'hypocrisie, alléguant qu'en dépit de leurs déclarations favorables à la libération des requérants, elles faisaient « tout » pour les empêcher de recouvrer leur liberté. 254. Le 14 janvier 2002, le représentant des requérants, M. Dinu, informa la Cour que les conditions de détention des trois requérants encore incarcérés s'étaient détériorées à partir du mois de juin 2001. M. Ivanţoc s'était vu refuser la visite de son épouse, sans aucune explication. M. Ivanţoc et M. Leşco commencèrent à ne recevoir que du pain en guise de nourriture. Quant à M. Petrov-Popa, il fut transféré à la prison de Hlinaia où, dans des conditions d'isolement total, on lui signifia qu'il ne pourrait recevoir aucune visite pendant six mois. 255. A l'exception de M. Ilaşcu, les requérants ont pu correspondre en russe, le roumain leur étant interdit. Leur courrier était censuré. Ils ne pouvaient pas en général recevoir de journaux en roumain. 256. M. Ivanţoc se vit refuser une visite de sa femme le 15 février 2003. Cette visite put avoir lieu une semaine plus tard. 257. Lors des auditions de témoins devant les délégués de la Cour à Tiraspol en mars 2003, l'administration pénitentiaire transnistrienne s'est engagée à permettre aux avocats des requérants de rencontrer leurs clients détenus en Transnistrie. Me Tănase a pu voir pour la première fois son client, M. Leşco, à une date non précisée, en mai ou juin 2003. Me Gribincea a pu rencontrer ses clients pour la première fois depuis leur incarcération le 20 juin 2003. 258. Les conditions dans lesquelles se sont déroulés les examens médicaux des requérants ont été établies par la Cour sur la base des dépositions des témoins et d'autres documents en sa possession, y compris les registres de consultations médicales, conservés sur les lieux de détention des requérants. 259. D'une manière générale, la Cour note que l'état de santé des requérants s'est détérioré pendant leur détention. Les requérants ont pu être vus, sur demande, par le médecin de la prison, qui s'est limité dans la plupart des cas à des palpations et auscultations. 260. Alexandru Leşco, bien que souffrant d'une arthrite aiguë, d'une pancréatite et d'un abcès dentaire, se vit refuser la visite d'un médecin. Sa vue aussi se détériora. 261. En 1995, M. Leşco a néanmoins été conduit dans un hôpital de Tiraspol où il a subi une intervention chirurgicale pour soigner sa pancréatite. 262. Sauf exception, les maladies des requérants n'ont pas été soignées. Les seuls médicaments qui leur ont été administrés étaient envoyés par leurs familles. Invoquant des raisons de sécurité, les « autorités » pénitentiaires n'ont pas permis aux requérants de recevoir les notices accompagnant ces médicaments. 263. Après des négociations avec les autorités moldaves, et surtout à la suite de l'intervention du président Snegur, les autorités pénitentiaires de Transnistrie ont permis à des spécialistes de Chişinău d'examiner les requérants. Ainsi, à plusieurs reprises, les requérants ont été examinés par une commission composée de médecins venus de Moldova entre 1995 et 1999, dont MM. Leşan et Ţîbîrnă. En 1999, les visites ont eu lieu de janvier à mars et, à nouveau, en novembre. A une occasion, M. Ilaşcu a pu subir un électrocardiogramme ; M. Ivanţoc a été opéré d'une maladie du foie ; M. Petrov-Popa a eu une piqûre pour sa tuberculose et s'est vu prescrire un traitement. Les examens ont eu lieu en présence de médecins de la prison et de gardiens. Les ordonnances des médecins moldaves, inscrites sur les registres médicaux de la prison, n'ont pas été exécutées, les seuls médicaments reçus par les requérants étant ceux apportés par leurs familles. A deux reprises, M. Ilaşcu a pu être examiné par des médecins de la Croix-Rouge internationale. 264. M. Petrov-Popa, atteint de tuberculose, a été traité pendant environ six mois, jusqu'en mars 1999. Toutefois, la plupart des médicaments ont été fournis par sa famille. 265. Aucun requérant n'a pu bénéficier de repas diététiques, bien que prescrits médicalement : M. Ilaşcu pour sa maladie de l'appareil digestif, M. Ivanţoc pour sa maladie du foie, M. Leşco pour les conséquences de sa pancréatite et M. Petrov-Popa pour sa tuberculose. MM. Leşco, Ivanţoc et Petrov-Popa affirment souffrir d'une pancréatite, d'une maladie du foie et de tuberculose, respectivement, et ne pas recevoir les soins appropriés. 266. M. Petrov-Popa occupe à ce jour à Hlinaia la même cellule que celle où se trouvait M. Ilaşcu avant sa libération, bien qu'un quartier spécial soit réservé dans cette prison aux tuberculeux. Depuis l'entrée en vigueur en 2002 du nouveau code de procédure pénale transnistrien, les conditions de détention à Hlinaia de M. Petrov-Popa se sont améliorées, puisqu'il peut recevoir trois colis et trois visites supplémentaires par an. Cette amélioration a été décidée par le directeur de la prison de Hlinaia eu égard à la bonne conduite du requérant. Les mauvais traitements 267. Pendant les premiers mois de sa détention à Hlinaia, Ilie Ilaşcu a été plusieurs fois maltraité. Sous le moindre prétexte, M. Ilaşcu était puni de détention au cachot. 268. Après le transfert de M. Ilaşcu à la prison no 2 de Tiraspol, sa situation s'est quelque peu améliorée : les punitions n'étaient plus aussi nombreuses qu'à Hlinaia, les mauvais traitements ne survenant qu'à la suite de certains événements. Ainsi, après la parution dans les journaux d'un article sur les requérants, des gardiens de prison sont entrés dans les cellules de MM. Ilaşcu et Ivanţoc et ont confisqué ou détruit tous les objets qui s'y trouvaient. Ils ont frappé durement les requérants et les ont mis au cachot pendant vingt-quatre heures. 269. Les cellules de MM. Ilaşcu et Ivanţoc ont été saccagées après le vote de M. Ilaşcu pour le gouvernement Sturza, en 1999, et après le dépôt de leur requête devant la Cour. Entre autres, ont été détruits des effets personnels, par exemple des photos des enfants des requérants, et des icônes. Ils ont aussi été sauvagement battus. Après l'introduction de sa requête devant la Cour, M. Ilaşcu a été battu par des militaires, à coups de pied et de fusil. On lui a ensuite mis un pistolet dans la bouche et on l'a menacé de mort s'il essayait à l'avenir d'envoyer des lettres en dehors de la prison. A cette occasion, il a perdu une dent. 270. Dans la lettre susmentionnée du 14 mai 1999, Andrei Ivanţoc indiqua que, le 13 mai 1999, des civils portant des cagoules pénétrèrent dans sa cellule, le frappèrent avec un bâton à la tête, au dos et au niveau du foie et lui assenèrent des coups de poing au niveau du cœur. Ils le traînèrent ensuite dans le couloir, où il vit un certain colonel Gousarov en train de frapper la tête de Ilie Ilaşcu contre un mur et lui donner des coups de pied. Le colonel Gousarov mit ensuite un pistolet dans la bouche de M. Ilaşcu et le menaça de mort. Le colonel Gousarov indiqua aux requérants que le motif de cette agression était leur requête adressée à la Cour européenne des Droits de l'Homme. Dans la même lettre, Andrei Ivanţoc exhorta le Parlement et le gouvernement moldaves, les médias internationaux et les organisations de défense des droits de l'homme à intervenir pour faire cesser les tortures auxquelles lui-même et les trois autres requérants étaient soumis. 271. A la suite de ces événements, ainsi qu'il ressort d'une lettre du 1er septembre 1999 adressée à la Cour par le représentant de M. Leşco, les requérants furent privés de nourriture pendant deux jours et de lumière pendant trois jours. 272. La cellule de M. Ivanţoc dans la prison de Tiraspol a été dévastée à d'autres reprises : en novembre 2002 et aux alentours du 15 février 2003. D. Démarches entreprises jusqu'en mai 2001 pour la libération des requérants 273. Les négociations entre la République de Moldova et la Fédération de Russie au sujet du retrait des forces russes de Transnistrie, au cours desquelles a également été mentionné le règlement de la question transnistrienne, n'ont jamais porté sur la situation des requérants. Toutefois, lors des discussions entre le président moldave et le président de la Fédération de Russie, la partie moldave a soulevé régulièrement la question de la libération des requérants (annexe, Y, § 254). 274. Dans le cadre de la création par la partie transnistrienne d'une commission compétente pour examiner la possibilité de gracier toutes les personnes condamnées et détenues en Transnistrie à la suite de jugements prononcés par les tribunaux transnistriens (annexe, M. Sturza, §§ 309 et 311), les autorités moldaves ont obtenu une promesse de libération des requérants. Dans ce contexte, l'adjoint au procureur moldave, M. Vasile Sturza, s'est rendu à plusieurs reprises à Tiraspol pour négocier la libération des requérants, rencontrant même en 1996 M. Ilaşcu détenu à la prison de Hlinaia. M. Sturza s'est déplacé une dernière fois à Tiraspol le 16 avril 2001 afin de ramener les requérants à Chişinău, mais sans résultat. Ce n'est que le 5 mai 2001 que M. Ilaşcu a été libéré (paragraphe 279 ci-dessous). 275. Dans une lettre du 23 février 2001, le président de la Moldova, M. Lucinschi, et le chef de la mission de l'OSCE en Moldova, M. Hill, demandèrent à M. Smirnov de libérer les requérants pour des raisons humanitaires. 276. Le 12 avril 2001, le nouveau président de la Moldova, M. Voronine, présenta à M. Smirnov une nouvelle demande de libération des requérants fondée sur des raisons humanitaires. 277. Dès le début des négociations avec la partie transnistrienne, la situation des requérants a été régulièrement soulevée par les autorités moldaves. Des discussions ont notamment eu lieu dans ce contexte avec des représentants du « parquet de la RMT », de la « Cour suprême de la RMT », avec le « ministre de la Justice de la RMT » et avec Igor Smirnov. 278. Les requérants ont présenté à la Cour une note verbale datée du 19 avril 2001 adressée à l'ambassade de Moldova à Moscou, dans laquelle le ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie attirait l'attention du gouvernement moldave sur le fait que le mémoire déposé par ce dernier à la Cour européenne des Droits de l'Homme en octobre 2000 donnait une évaluation subjective du rôle de la Russie dans l'affaire du groupe Ilaşcu et ne reflétait « nullement le caractère amical des relations entre la République de Moldova et la Fédération de Russie ». La note se poursuivait ainsi : « L'examen dudit mémoire par la Grande Chambre de la Cour européenne, fixé au 1er mai de cette année, peut porter un grave préjudice aux intérêts de la Fédération de Russie et de la Moldova. Dans ce contexte, la partie russe, s'appuyant sur l'accord auquel étaient parvenus les chefs des services des Affaires étrangères des deux pays en ce qui concerne la nécessité du retrait dudit mémoire, prie instamment le gouvernement de la Moldova de prendre toutes mesures pour assurer le retrait de ce document avant le 30 avril et d'en informer officiellement la Cour européenne ainsi que le représentant de la Russie auprès de cet organe. » E. Libération de M. Ilaşcu le 5 mai 2001 279. M. Ilaşcu affirme que le 5 mai 2001 au matin, vers 5 h 30, Vladimir Chevtsov, également connu sous le nom d'Antioufeïev, « ministre de la Sécurité de Transnistrie », entra dans sa cellule et lui dit de s'habiller rapidement, car il allait être présenté au « président de la RMT ». Le requérant laissa toutes ses affaires dans la cellule et fut mis dans une voiture, attaché par des menottes à deux soldats. Vladimir Chevtsov prit aussi place dans la voiture. Le requérant fut ainsi conduit à Chişinău et, à quelque cent mètres du palais présidentiel, il fut remis entre les mains du chef des services secrets de la Moldova, M. Păsat. Le requérant prétend que M. Chevtsov aurait lu devant M. Păsat son acte de transfert, rédigé en ces termes : « Le détenu Ilaşcu, condamné à la peine capitale, est transféré aux organes compétents de la République de Moldova. » Après la remise du document, M. Chevtsov aurait déclaré que la condamnation restait valable et qu'elle serait exécutée si M. Ilaşcu retournait en Transnistrie. Des forces spéciales moldaves emmenèrent ensuite le requérant au ministère de la Sécurité, où il fut interrogé brièvement puis remis en liberté. 280. Le 22 juin 2001, le gouvernement moldave informa la Cour que le président de la République de Moldova, M. Voronine, avait appris la libération de M. Ilaşcu par une lettre que lui avait adressée M. Smirnov le 5 mai 2001. Dans cette lettre, M. Smirnov demandait en contrepartie du geste favorable des autorités transnistriennes que la République de Moldova condamnât « l'agression de 1992 dirigée par elle contre le peuple transnistrien », réparât intégralement le préjudice matériel subi par la « RMT » à la suite de l'agression et présentât « des excuses au peuple transnistrien pour la douleur et les souffrances causées ». 281. Dans une lettre du 16 novembre 2001, le gouvernement moldave soumit à la Cour copie de plusieurs décrets signés par M. Smirnov, « président de la RMT ». Le décret no 263, signé le 6 juillet 1999, prévoit l'introduction d'un moratoire sur l'application de la peine capitale sur le territoire de la « RMT » à partir du 1er septembre 1999. Ce moratoire serait aussi applicable aux jugements rendus avant cette date, mais non exécutés lors de l'entrée en vigueur du décret, qui intervient au moment de sa signature et de sa publication au Journal officiel. Le décret no 198, signé par M. Smirnov le 5 mai 2001, accorda la grâce à M. Ilaşcu et ordonna sa mise en liberté. Le décret entra en vigueur le jour de sa signature. Le gouvernement moldave n'a fait aucun commentaire au sujet du prétendu transfert de M. Ilaşcu, se contentant de soumettre à la Cour le décret de M. Smirnov concernant le requérant. Il n'a pas non plus formulé de commentaires au sujet de la véridicité dudit décret. Il a néanmoins ajouté qu'il avait entendu des rumeurs selon lesquelles, avant de signer le décret en question, M. Smirnov aurait commué la peine de mort prononcée à l'encontre de M. Ilaşcu en prison à vie. Pour sa part, M. Ilaşcu affirme que le décret de M. Smirnov est un faux qui a été créé après sa libération. Selon lui, malgré sa mise en liberté, sa condamnation reste valable et, s'il retournait en Transnistrie, il serait passible de la peine de mort. 282. La Cour ne dispose que des allégations de M. Ilaşcu, d'une copie du « décret » du 5 mai 2001 émanant de M. Smirnov, et des allégations du gouvernement moldave faisant état d'une commutation de peine. Aucun de ces différents récits n'est confirmé par d'autres preuves, et la Cour n'aperçoit aucun élément objectif de nature à la faire trancher en faveur d'une thèse ou d'une autre. Par conséquent, la Cour estime qu'il ne lui est pas possible, en l'état actuel des preuves devant elle, de tirer une conclusion quant aux motifs et à la base légale de la libération de M. Ilaşcu. F. Démarches entreprises pour la libération des autres requérants après mai 2001 283. Après la libération de M. Ilaşcu, le représentant de M. Leşco affirma dans une lettre parvenue à la Cour le 1er juin 2001 que cette libération serait due à l'intervention des autorités russes auprès des autorités transnistriennes. Il fit valoir que, dans un entretien accordé à la station de radio publique moldave Radio Moldova, le ministre des Affaires étrangères de ce pays, M. Nicolae Tchernomaz, aurait déclaré : « Ilie Ilaşcu a été libéré à la suite de l'intervention du ministre russe des Affaires étrangères, Igor Ivanov, qui, à la demande du président moldave Voronine, a pris contact à ce sujet par téléphone avec l'administration de Tiraspol. Il [leur] a expliqué qu'il s'agissait d'un problème international touchant l'honneur de la Fédération de Russie et de la Moldova. » M. Tchernomaz aurait poursuivi en expliquant qu'il avait rencontré M. Ivanov afin de le convaincre que « la requête déposée auprès de la Cour européenne des Droits de l'Homme ne pouvait pas être retirée puisque M. Ilaşcu était un prisonnier de conscience, un otage du conflit de 1992 ». 284. Lors de l'audience du 6 juin 2001, le gouvernement moldave remercia ceux qui avaient contribué à la libération de M. Ilaşcu, notamment la Fédération de Russie, et indiqua qu'il souhaitait revenir sur la position exprimée auparavant dans ses observations du 24 octobre 2000, en particulier au regard de la responsabilité de la Fédération de Russie. Il expliqua son geste par son vœu de ne pas voir se produire des effets indésirables, comme des tensions ou l'arrêt du processus visant à trouver une solution pacifique au différend transnistrien et à obtenir la libération des autres requérants. 285. Après l'élargissement de M. Ilaşcu, des rencontres entre celui-ci et les autorités moldaves eurent lieu au sujet des perspectives de libération des autres requérants. A l'occasion d'une conférence de presse qu'il donna le 31 juillet 2001, le président de la Moldova, M. Voronine, déclara : « M. Ilaşcu est celui qui maintient ses camarades en détention à Tiraspol. » Il souligna à cet égard qu'il avait proposé à celui-ci de retirer sa requête déposée devant la Cour contre la Fédération de Russie et la Moldova, en échange de quoi les autres requérants seraient libérés avant le 19 juin 2001, mais que l'intéressé avait refusé cette proposition. Selon l'agence de presse moldave Basa-press, M. Voronine suggéra également qu'au cas où M. Ilaşcu aurait gain de cause devant la Cour, cela rendrait encore plus difficile la libération des autres requérants. G. Réactions internationales à la condamnation et à la détention des requérants 286. Dans un rapport du 20 février 1994 rédigé à la demande du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l'homme de l'OSCE par M. Andrzej Rzeplinski, professeur de droit pénal et des droits de l'homme à l'Université de Varsovie, et par M. Frederick Quinn, de l'OSCE, au terme d'une mission d'enquête en Transnistrie, le procès des requérants devant le « Tribunal suprême de la RMT » fut analysé du point de vue du respect des droits fondamentaux. Les auteurs relevèrent, entre autres, de graves violations des droits de la défense : absence de tout contact des requérants avec un avocat pendant les deux premiers mois suivant leur arrestation, accès très limité ultérieurement, violation du droit d'être jugé par un tribunal impartial, le tribunal ayant refusé d'examiner les allégations des requérants selon lesquelles on leur aurait extorqué des aveux après leur avoir fait subir des traitements inhumains, et violation du droit prévu par l'article 14.5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le procès des requérants s'étant déroulé selon une procédure d'exception leur ôtant tout droit à un recours. Enfin, les auteurs qualifièrent le procès d'« événement politique du début jusqu'à la fin ». Ils conclurent que certaines accusations de terrorisme retenues à l'encontre des requérants, sur la base du code pénal de l'époque soviétique, seraient considérées dans les pays démocratiques modernes comme de simples questions de liberté d'expression. 287. Le 28 septembre 1999, le président de l'Assemblée parlementaire et le Secrétaire général du Conseil de l'Europe lancèrent un appel aux autorités séparatistes de Transnistrie pour que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) puisse rendre visite aux requérants, et exigèrent l'amélioration immédiate des conditions de détention de ces derniers. 288. De passage en Transnistrie les 18 et 19 octobre 2000, dans le cadre d'une visite en Moldova du 16 au 20 octobre 2000, le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe demanda aux autorités transnistriennes l'autorisation de voir M. Ilaşcu afin de vérifier ses conditions de détention. La permission ne lui fut pas accordée au motif que, faute de temps, les autorisations nécessaires n'avaient pu être obtenues. 289. En novembre 2000, à la suite de sa visite en Moldova, y compris dans la région de Transnistrie, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le « CPT ») rendit son rapport. Pour ce qui est de la situation carcérale en Transnistrie, le CPT soulignait la surpopulation carcérale importante et exprimait son inquiétude quant à la pratique de détention prolongée en isolement concernant certains prisonniers et quant au niveau inadéquat de soins prodigués aux détenus malades, voire à l'absence totale de soins pour ceux souffrant de tuberculose, y compris s'agissant de la possibilité de bénéficier de repas diététiques. Selon le CPT, la situation des établissements pénitentiaires en Transnistrie en 2000 laissait beaucoup à désirer, surtout à la prison de Hlinaia, où les conditions de détention étaient déplorables : manque d'aération, de lumière naturelle et de sanitaires adéquats, et surpeuplement. Sur la situation des requérants en particulier, le CPT indiquait que trois membres du groupe Ilaşcu étaient détenus depuis huit ans dans des conditions d'isolement qui avaient des effets psychologiques graves sur au moins l'un d'entre eux. Le CPT indiqua également que la détention en isolement pouvait, dans certaines conditions, constituer un traitement inhumain et dégradant et qu'en tout état de cause un isolement prolongé pendant autant d'années était indéfendable. Le CPT demanda aux autorités transnistriennes d'assouplir les conditions de détention des trois membres du groupe Ilaşcu détenus en isolement, en leur assurant l'accès à la presse de leur choix, et en veillant à ce qu'ils puissent recevoir la visite de leurs familles et de leurs avocats. Les médecins de la délégation du CPT ont pu examiner trois des quatre requérants, y compris M. Ilaşcu. En ce qui concerne ce dernier, les médecins recommandèrent de lui accorder le traitement médical convenant à sa pathologie. Le CPT fit état des récits selon lesquels en mai 1999, les membres du groupe Ilaşcu détenus à Tiraspol avaient été battus par des individus masqués. V. LE DROIT INTERNATIONAL, LE DROIT INTERNE ET AUTRES ACCORDS PERTINENTS 290. Les dispositions pertinentes de l'accord de Minsk du 8 décembre 1991 se lisent ainsi : « Nous, Républiques de Biélorussie, de Russie et d'Ukraine, membres fondateurs de l'URSS, signataires du Traité sur la formation de l'Union de 1922, ci-après dénommés « Hautes Parties Contractantes », constatons que l'URSS n'a plus d'existence en tant que sujet de droit international et réalité géopolitique, Partant de l'histoire commune de nos peuples et des liens qui les unissent, et tenant compte des traités bilatéraux conclus entre les Hautes Parties Contractantes, Aspirant à édifier des Etats de droit démocratiques, Désireux de développer nos relations sur la base de la reconnaissance et du respect mutuels de la souveraineté étatique, des principes de l'égalité en droit et de la non-ingérence dans les affaires intérieures, du non-recours à la force ou à tout autre moyen de pression, notamment économique, du règlement pacifique des différends, des autres principes et normes universellement reconnus du droit international, (...) Affirmant notre attachement aux buts et principes de la Charte des Nations Unies, de l'Acte final d'Helsinki et des autres documents de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, Nous engageant à respecter les normes internationales universellement reconnues s'agissant des droits de l'homme et des peuples, Sommes convenus de ce qui suit : Article 1 Les Hautes Parties Contractantes forment une Communauté d'Etats Indépendants. (...) Article 6 1) Les Etats membres de la Communauté collaboreront au maintien de la paix et de la sécurité internationales, à l'application de mesures efficaces de réduction des armes et dépenses militaires. (...) 2) Les Parties respecteront leur aspiration mutuelle à acquérir un statut de zone dénucléarisée et d'Etat neutre. 3) Les Etats membres de la Communauté garderont et respecteront sous un commandement unifié un espace militaro-stratégique commun, y compris en contrôle unifié sur l'armement nucléaire, dont les modalités seront réglées dans un accord ad hoc. 4) Ils garantissent également à titre collectif les conditions nécessaires au déploiement et au fonctionnement des forces armées stratégiques et leur octroient une aide matérielle et sociale. (...) Article 12 Les Hautes Parties Contractantes s'engagent à respecter les obligations internationales qui leur incombent en vertu des traités et accords passés par l'ancienne URSS. » 291. Le 24 décembre 1991, le Représentant permanent de l'URSS aux Nations unies, l'ambassadeur Y. Vorontsov, a communiqué au Secrétaire général des Nations unies une lettre du président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine, rédigée en ces termes : « L'adhésion de l'Union des Républiques socialistes soviétiques aux Nations Unies, y compris au Conseil de sécurité et à tous les autres organes et organismes du système des Nations Unies, est continuée par la Fédération de Russie (RSFSR) avec l'appui des pays de la Communauté d'Etats Indépendants. A cet égard, je demande que le nom de « Fédération de Russie » soit employé aux Nations Unies à la place de « Union des Républiques socialistes soviétiques ». La Fédération de Russie assume la pleine responsabilité de tous les droits et obligations de l'URSS au titre de la Charte des Nations Unies, y compris les engagements financiers. Je demande que vous considériez cette lettre comme confirmant le droit pour toutes les personnes ayant actuellement la qualité de représentants de l'URSS aux Nations Unies de représenter la Fédération de Russie dans les organes des Nations Unies. » 292. Le 21 juillet 1992, le président de la Moldova, M. Snegur, et le président de la Fédération de Russie, M. Boris Eltsine, signèrent à Moscou un accord concernant les principes du règlement amiable du conflit armé dans la région transnistrienne de la République de Moldova : « La République de Moldova et la Fédération de Russie, Désirant aboutir le plus rapidement possible à un cessez-le-feu définitif et au règlement du conflit armé dans les régions transnistriennes ; Faisant leurs les principes consacrés dans le statut de l'ONU et ceux de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe ; Attendu que, le 3 juillet 1992, le Président de la République de Moldova et le Président de la Fédération de Russie ont abouti à un consensus de principe, Sont convenus de ce qui suit : Article 1 Les parties au conflit s'engagent à procéder, dès la signature du présent accord, à la mise en place de toutes les mesures nécessaires au cessez-le-feu, ainsi qu'à la cessation de toute autre action armée dirigée contre la partie adverse. Dès que le cessez-le-feu aura été atteint, les parties procéderont au retrait de leurs armées, armement et équipement militaire, dans le délai de 7 jours. Le retrait des deux armées permettra la création d'une zone de sécurité entre les parties au conflit. Les paramètres exacts de cette zone seront fixés dans un protocole spécialement conclu entre les parties à la mise en application du présent accord. Article 2 Une commission spécialement créée, composée de représentants des trois parties au règlement du conflit, sera chargée du contrôle de la mise en place des activités prévues à l'article 1 ci-dessus et veillera à ce qu'un régime de sécurité soit assuré dans la zone susmentionnée. A cet effet, la commission aura recours aux groupes d'observateurs militaires mis en place en application des accords antérieurs, y compris des accords quadripartites. La commission de contrôle achèvera ses travaux dans les 7 jours suivant la signature du présent accord. Chaque partie à la commission y désignera ses représentants. La commission de contrôle siégera à Bender. En vue de mettre en place les activités ci-dessous, la commission chapeautera les contingents militaires constitués selon les principes du volontariat, et représentant les parties participant à la mise en application du présent accord. Les lieux de stationnement et les interventions de ces contingents, visant à assurer le cessez-le-feu et la sécurité dans la région du conflit, seront dictés par la commission de contrôle qui devra aboutir, à cet égard, à un consensus. Les effectifs, le statut et les conditions de l'intervention et du retrait des contingents militaires de la zone seront fixés dans un protocole séparé. En cas de dispositions des prescriptions du présent accord, la commission de contrôle procédera à des investigations et prendra sans délai les mesures nécessaires au rétablissement de la paix et de l'ordre, de même que des mesures propres à éviter que de telles violations ne se reproduisent. Article 3 En tant que siège de la commission de contrôle et vu la gravité de la situation, Bender est déclaré région à régime de sécurité, celle-ci devant être assurée par les contingents militaires des parties à la mise en application du présent accord. La commission de contrôle assure le maintien de l'ordre public à Bender, avec les organes de la police. L'administration de Bender est assurée par les organes de l'auto-administration locale, le cas échéant de concert avec la commission de contrôle. Article 4 La 14e armée de la Fédération de Russie, stationnée sur le territoire de la République de Moldova, observera rigoureusement la neutralité. Les deux parties au conflit s'engagent à observer la neutralité et à n'entreprendre aucune action à l'encontre du patrimoine, et des militaires de cette armée et des membres des familles de ceux-ci. Tous les problèmes ayant trait au statut de l'armée, aux étapes et aux délais de son retrait seront réglés par la voie de négociations entre la Fédération de Russie et la République de Moldova. Article 5 Les parties au conflit trouvent inadmissible l'application de sanctions ou d'un blocus quels qu'ils soient. Dans ce sens, seront supprimés tous les obstacles s'opposant à la libre circulation des marchandises, des services et des gens et seront entreprises toutes les actions susceptibles de mettre fin à l'état d'urgence sur le territoire de la République de Moldova. Les parties au conflit procéderont sans délai à des négociations en vue de régler les problèmes liés au retour des réfugiés chez eux, à l'octroi d'aide à la population de la région en conflit et à la reconstruction des logements et des bâtiments d'utilité publique. La Fédération de Russie accordera toute son aide à cet effet. Les parties au conflit prendront toutes les mesures nécessaires pour assurer la libre circulation de l'aide humanitaire à destination de la région du conflit. Article 6 Il sera créé un centre de presse commun, qui aura pour mission de fournir à la commission de contrôle des informations véridiques concernant l'évolution de la situation dans la région. Article 7 Les parties considèrent que les mesures prévues dans le présent accord constituent une partie très importante du règlement du conflit par des moyens politiques. Article 8 Le présent accord entre en vigueur le jour de sa signature. Le présent accord prend fin sur décision commune des parties ou en cas de dénonciation par l'une des parties, ce qui entraînera la cessation de l'activité de la commission de contrôle et des contingents militaires qui en relèvent. » 293. Le 8 avril 1994, le Parlement moldave ratifia avec les réserves suivantes l'accord d'Alma-Ata du 21 décembre 1991 par lequel la Moldova avait adhéré à la CEI : « (...) L'article 6, à l'exception des alinéas 3 et 4 (...) Le Parlement de la République de Moldova considère que, dans le cadre de la CEI, la République de Moldova s'orientera d'abord vers la coopération économique et qu'elle exclura la coopération dans le domaine politico-militaire, qu'elle estime incompatible avec les principes de souveraineté et d'indépendance. » 294. Les dispositions pertinentes de la Constitution moldave du 29 juillet 1994 se lisent ainsi : Article 11 « 1) La République de Moldova proclame sa neutralité permanente. 2) La République de Moldova n'autorise pas le stationnement sur son territoire de troupes appartenant à d'autres Etats. » Article 111 « 1) Une forme et des conditions spéciales d'autonomie pourront être accordées aux localités se situant sur la rive gauche du Dniestr et au sud de la République de Moldova, en vertu d'un statut spécial adopté par une loi organique. (...) » 295. Les dispositions pertinentes du code pénal moldave sont ainsi rédigées : Article 116 « Une privation illégale de liberté est punie d'une année d'emprisonnement au plus. Une privation illégale de liberté qui a mis en danger la vie ou la santé de la victime ou lui a causé des souffrances physiques est punie de 1 à 5 ans d'emprisonnement. » Article 207 « L'usurpation des pouvoirs ou du titre correspondant à une fonction officielle, si elle a servi à la commission d'une infraction, est punie d'une amende maximale correspondant à 30 fois le salaire mensuel minimum ou d'une peine de 2 ans au plus de travail ou de 2 ans d'emprisonnement au plus. » 296. Le 21 octobre 1994, la Moldova et la Fédération de Russie signèrent un « Accord concernant le statut juridique, le mode et les modalités de retrait des formations militaires de la Fédération de Russie qui se trouvent provisoirement sur le territoire de la République de Moldova », dont les principales dispositions se lisent ainsi : « La République de Moldova et la Fédération de Russie, dénommées ci-après « Parties », avec la participation de la région de Transnistrie, Vu les nouvelles relations politiques établies en Europe et dans le monde entier, Confirmant que la République de Moldova et la Fédération de Russie sont des Etats souverains et indépendants, Convaincues qu'elles doivent fonder leurs relations sur des principes d'amitié, d'entente mutuelle et de coopération, Sur la base des accords que les Parties ont déjà conclus dans le domaine militaire, Agissant en conformité avec les documents adoptés lors de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, Sont convenues de ce qui suit : (...) Article 2 Le statut des formations militaires de la Fédération de Russie sur le territoire de la République de Moldova est déterminé par le présent accord. Le déplacement des formations militaires de la Fédération de Russie sur le territoire de la République de Moldova a un caractère provisoire. La partie russe, en fonction des possibilités techniques et du délai qu'exigera l'installation des troupes ailleurs, réalisera le retrait des formations militaires susmentionnées dans les trois années suivant l'entrée en vigueur du présent accord. Les actions pratiques mises en œuvre en vue du retrait des formations militaires de la Fédération de Russie du territoire moldave dans le délai imparti seront synchronisées avec le règlement politique du conflit transnistrien et l'établissement du statut spécial de la région transnistrienne de la République de Moldova. Les étapes et les dates du retrait définitif des formations militaires de la Fédération de Russie seront arrêtées dans un protocole à part, à conclure entre les ministères de la Défense des Parties. (...) Article 5 Tant que les formations militaires russes resteront sur le territoire de la République de Moldova, on ne pourra y avoir recours en vue de la solution d'un conflit interne de la République de Moldova, ni pour d'autres actions de lutte dirigées contre d'autre pays. La commercialisation de tout type de technique militaire, d'armement et de munitions appartenant aux formations militaires de la Fédération de Russie sur le territoire de la République de Moldova ne peut se faire qu'au titre d'un accord spécialement conclu entre les gouvernements de ces pays. Article 6 Les déplacements et les instructions militaires des formations militaires de la Fédération de Russie sur le territoire de la République de Moldova au-delà des lieux de stationnement s'effectueront en conformité avec un plan établi en concertation avec les organes compétents de la République de Moldova. Il incombe aux formations militaires d'organiser, aussi bien sur le lieu de stationnement que lors de leurs déplacements, la garde des objets militaires et du patrimoine de la façon établie au sein de l'armée russe. Article 7 L'aérodrome militaire de Tiraspol sert d'emplacement commun à l'aviation des formations militaires de la Fédération de Russie et à l'aviation civile de la région de Transnistrie de la République de Moldova. L'évolution des aéronefs de l'armée dans l'espace aérien de la République de Moldova se fait sur la base d'un accord spécialement conclu entre les ministères de l'Intérieur des Parties. (...) Article 13 Les locaux d'habitation et de casernement, les locaux de service, les parcs, les polygones et l'outillage fixe, les dépôts et l'outillage qu'ils contiennent, les bâtiments et autres locaux qui se trouveront désaffectés par suite du retrait des formations militaires de la Fédération de Russie, seront transférés pour gestion aux organes de l'administration publique locale de la République de Moldova dans le volume existant de facto et dans l'état où ils se trouvent. Le mode de cession ou de vente du patrimoine immobilier des formations militaires de la Fédération de Russie sera déterminé dans un accord spécialement conclu entre les gouvernements des Parties. (...) Article 17 En vue d'assurer le retrait des formations militaires de la Fédération de Russie du territoire de la République de Moldova dans le délai imparti, et leur bon fonctionnement sur leur lieu de stationnement sur le territoire de la Fédération de Russie, les locaux nécessaires à l'installation des formations militaires seront déplacés. La quantité d'argent à verser, la liste des locaux à reconstruire et le lieu où ils seront installés seront arrêtés dans un accord spécial. (...) Article 23 Le présent accord entre en vigueur le jour de la dernière notification faite par les Parties concernant la mise en œuvre des procédures internes nécessaires, et reste en vigueur jusqu'au retrait total des formations militaires russes du territoire de la République de Moldova. Le présent accord sera remis pour enregistrement à l'Organisation des Nations Unies, en conformité avec l'article 102 des statuts de l'ONU. » 297. Le 21 octobre 1994, fut conclu à Moscou un accord entre les ministères de la Défense de la République de Moldova et de la Fédération de Russie sur l'activité de vol de l'aviation des unités militaires de la Fédération de Russie provisoirement déplacées sur le territoire de la République de Moldova, et visant à l'utilisation de l'aérodrome de Tiraspol par l'aviation de transport des forces armées de la Fédération de Russie. Les dispositions pertinentes de cet accord prévoient : Article 1 « L'aérodrome militaire de Tiraspol est utilisé par les unités militaires de la Fédération de Russie jusqu'à leur retrait définitif du territoire de la République de Moldova. Le déplacement et les vols communs sur l'aérodrome de Tiraspol de l'aviation civile de la région de Transnistrie appartenant à la République de Moldova et des appareils aériens russes s'effectuent conformément au « Règlement provisoire sur l'aviation déplacée en commun des formations militaires de la Fédération de Russie et de l'aviation civile de la région de Transnistrie de la République de Moldova », et en coordination avec l'administration d'Etat de l'aviation civile de la République de Moldova, le ministère de la Défense de la République de Moldova et le ministère de la Défense de la Fédération de Russie. Les vols d'autres aéronefs pourront être effectués à partir de l'aérodrome de Tiraspol seulement après coordination avec les organes d'Etat de l'aviation de la République de Moldova et le ministère de la Défense de la Fédération de Russie. » Article 3 « Les vols de l'avion postal appartenant aux unités russes s'effectuent à partir de l'aérodrome de Tiraspol tout au plus deux fois par semaine (le mardi et le jeudi et, pendant les autres jours de la semaine, après coordination préalable des Parties). » Article 5 « Les demandes pour la réalisation par l'aviation des forces armées de la Fédération de Russie de vols d'apprentissage, d'entraînement et des survols, seront présentées jusqu'à 15 heures (heure locale), par le biais des organes de coordination du trafic aérien (les centres de contrôle). La confirmation des demandes ainsi que les autorisations nécessaires à l'utilisation de l'espace aérien de la République de Moldova seront délivrées par le centre de contrôle de la défense antiaérienne et de l'aviation des forces armées de la République de Moldova. La décision concernant l'utilisation de l'espace aérien de la République de Moldova, conformément à la demande de vol, dans les localités de déplacement provisoire des unités russes sera adoptée par le chef de l'état-major général des forces armées de la République de Moldova. » Article 7 « Le contrôle de la mise en œuvre du présent accord sera exercé par les représentants des ministères de la Défense de la République de Moldova et de la Fédération de Russie, conformément au règlement spécial, élaboré conjointement par eux. » Article 8 « Le présent accord entrera en vigueur à la date de sa signature et sera valable jusqu'au retrait définitif des unités militaires de la Fédération de Russie du territoire de la République de Moldova. Le présent accord pourra être modifié avec le consentement réciproque des Parties. » 298. L'instrument de ratification de la Convention déposé par la République de Moldova auprès du Conseil de l'Europe le 12 septembre 1997 contient plusieurs déclarations et réserves, dont la partie pertinente se lit ainsi : « La République de Moldova déclare qu'elle ne pourra pas assurer le respect des dispositions de la Convention pour les omissions et les actes commis par les organes de la République autoproclamée transnistrienne sur le territoire contrôlé effectivement par ses organes, jusqu'à la solution définitive du conflit dans la région. (...) » 299. Le 20 mars 1998, le représentant de la Fédération de Russie, M. V. Tchernomyrdine, et le représentant de la « RMT », M. I. Smirnov, signèrent à Odessa (Ukraine) un protocole d'accord sur les questions touchant aux biens militaires, ainsi rédigé : « Aux termes des négociations sur les questions touchant aux biens militaires liés à la présence des forces russes en Transnistrie, un accord a été trouvé sur les points suivants : L'ensemble des biens est réparti en trois catégories : – la première comprend l'armement réglementaire du Groupe uni des forces de Russie, ses munitions et ses biens ; – la deuxième comprend l'armement, les munitions, les biens militaires meubles en surplus, qui doivent être ramenés sans condition en Russie ; – la troisième comprend l'armement, les munitions, le matériel militaire et autres équipements qui peuvent être cédés (mis au rebut) directement sur place ou à l'extérieur des lieux où ils sont entreposés. Les revenus tirés de la cession des biens relevant de la troisième catégorie seront répartis entre les parties dans les proportions suivantes : Fédération de Russie : 50 % Transnistrie : 50 %, déduction faite des dépenses liées à la cession des biens militaires de troisième catégorie. Les modalités d'utilisation et de cession des biens relevant de la troisième catégorie sont fixées par la Russie avec la participation de la Transnistrie. Les parties sont convenues de rembourser en totalité leurs dettes mutuelles au 20 mars 1998 par le biais de compensations au titre des ressources tirées de la cession des biens militaires ou provenant d'autres sources. La Russie continuera de retirer de Transnistrie les biens militaires indispensables aux besoins des forces armées de Russie conformément à l'annexe au présent protocole. Les autorités de Transnistrie ne s'opposeront pas à la sortie de ces biens. En accord avec la Transnistrie, la Russie poursuivra l'élimination des munitions inutilisables et non transportables dans les environs du village de Kolbasna en respectant les exigences de sécurité écologique et autres. Afin de libérer rapidement les biens immeubles, les représentants de la Fédération de Russie et de la Transnistrie sont convenus que les quartiers libérés par les forces de Russie peuvent être remis aux collectivités locales de Transnistrie conformément à un acte officiel indiquant leur valeur réelle. Il est à nouveau souligné que les mesures concernant le retrait progressif des forces armées de Russie affectées en Transnistrie et le retrait de leurs biens seront appliquées dans un souci de transparence. La mise en pratique transparente de ces mesures peut être assurée sur une base bilatérale conformément aux accords signés entre la Moldavie et la Russie. Les renseignements indispensables sur la présence des forces de Russie en Transnistrie seront transmis conformément à la pratique en cours à l'OSCE, à savoir par le biais de la mission de celle-ci à Chişinău. »
0
0
0
0
0
1
1
0
0
0
Le requérant est né en 1950 et réside à Athènes. Le 21 novembre 1994, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation d’un permis de construire délivré à son voisin par le bureau d’urbanisme de la municipalité d’Ioannina. L’audience, initialement fixée au 28 novembre 1995, fut par la suite reportée à quatorze reprises à la demande du requérant. Le 12 novembre 2001, l’affaire fut renvoyée devant la cour administrative d’appel d’Ioannina, juridiction compétente pour connaître du litige depuis l’entrée en vigueur de la loi no 2944/2001. Le requérant demanda au greffe de cette juridiction de retarder la fixation d’une date d’audience afin de lui permettre de trouver un avocat pour le représenter, son ancien conseil étant décédé. L’audience fut finalement fixée au 12 novembre 2003. Les parties n’ont pas informé la Cour de l’issue de la procédure.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1952. Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit. A. La première enquête concernant le requérant Le requérant fut président du conseil d'administration et actionnaire majoritaire de ZAO Media Most, holding russe privée du secteur des médias, propriétaire de la chaîne de télévision populaire NTV. Le 2 novembre 1999, le requérant fut interrogé par M. Nikolaïev, magistrat instructeur principal chargé des affaires spéciales auprès du parquet général (« PG »). D'après le procès-verbal dressé à cette occasion, l'interrogatoire s'inscrivait dans le cadre d'une enquête relative à une entreprise appartenant à l'Etat, connue sous le nom de FGP RGK Vidéo russe (« Vidéo russe »), et au transfert d'une licence de radiodiffusion au profit d'une société à responsabilité limitée, OOO Vidéo russe-onzième chaîne (« OOO Vidéo russe »), transfert qui était contraire à plusieurs dispositions du code civil. A l'issue de l'entretien, une déposition de témoin fut établie et signée à la fois par le requérant et par M. Nikolaïev. L'intéressé fut autorisé à relire les notes qui avaient été prises et à y ajouter ses propres commentaires. Le magistrat écrivit sur la déposition que le requérant avait été reçu dans l'Ordre de l'amitié entre les peuples. En 2000, Media Most fut impliquée dans un grave différend avec OAO Gazprom (entreprise contrôlée par l'Etat, détentrice d'un monopole en matière de gaz naturel) concernant les dettes de la première envers la seconde. Après l'interruption par Gazprom des négociations relatives à ces dettes, les bureaux de Media Most à Moscou furent perquisitionnés par des unités spéciales du PG et du Service fédéral de sûreté. Un certain nombre de documents ainsi que d'autres pièces furent saisis comme éléments de preuve dans le cadre d'une enquête sur des atteintes à la vie privée prétendument commises par le personnel de sécurité de Media Most. Le 15 mars 2000, M. Nikolaïev ouvrit une enquête pénale au sujet du requérant (dossier pénal no 18/191012-98), soupçonné de fraude. Ce dossier fut joint à une enquête pénale (dossier no 18/221012-98) qui concernait R., un cadre de Vidéo russe, et des allégations de détournement de fonds. Dans les deux affaires, les soupçons avaient trait aux relations commerciales entre Vidéo russe et OOO Vidéo russe, en particulier à l'absorption de Media Most par OOO Vidéo russe et à une augmentation du capital autorisé de cette dernière, qui avait entraîné une nouvelle répartition des parts sociales entre les différents actionnaires. B. La mise en détention du requérant le 13 juin 2000 Le 11 juin 2000, le requérant fut prié de se rendre au PG le 13 juin, à 17 heures, pour y être entendu comme témoin au sujet d'une autre affaire pénale. Au moment de l'émission de cette convocation par le PG, l'intéressé était à l'étranger mais prit néanmoins ses dispositions en vue de son retour en Russie. A son arrivée dans les locaux du PG, le 13 juin 2000, il fut arrêté et placé en détention dans la prison de Boutirka, ce en application d'un mandat délivré le même jour par M. Nikolaïev. Le mandat indiquait que, sur le fondement des articles 90 à 92 et 96 du code de procédure pénale (CPP), le magistrat estimait que la fraude dont le requérant était soupçonné constituait une grave menace publique et ne pouvait être réprimée que par une peine d'emprisonnement, et que l'intéressé risquait d'entraver l'établissement de la vérité dans ce dossier et de tenter de se soustraire à l'enquête et au procès. Le requérant resta en détention provisoire jusqu'au 16 juin ; au cours de cette période, il fut interrogé deux fois, à savoir les 14 et 16 juin. L'interrogatoire du 14 juin se déroula en présence des avocats du requérant. Au préalable, l'intéressé fut informé qu'il était soupçonné d'avoir commis une fraude à grande échelle, au sens de l'article 159 § 3 b) du code pénal. Les accusations portées contre lui reposaient plus précisément sur l'affirmation selon laquelle la création, en 1996-1997, de diverses entités commerciales (dont Media Most) avait permis de transférer frauduleusement des fonctions de radiodiffusion de Vidéo russe, société appartenant à l'Etat, à OOO Vidéo russe, société privée, de sorte que la première s'était trouvée dépouillée de la onzième chaîne de télévision, dont la valeur était estimée à 10 millions de dollars américains (USD). A partir de 1997, le requérant, de concert avec R., avait apparemment utilisé la onzième chaîne à ses propres fins, sans rien verser à l'Etat. L'intéressé refusa de faire des commentaires précis sur l'enquête, se contentant d'affirmer que celle-ci était la preuve d'une méconnaissance du droit russe et de l'existence d'un « contrat politique » contre lui. Dans le procès-verbal de l'interrogatoire, M. Nikolaïev nota que le requérant avait été reçu dans l'Ordre de l'amitié entre les peuples. Le 15 juin 2000, les avocats de l'intéressé déposèrent auprès de M. Nikolaïev une plainte suivant laquelle : l'arrestation de leur client était illégale car contraire à l'article 90 CPP ; M. Goussinski pouvait bénéficier d'une amnistie l'exemptant de toute détention, ce en vertu de son admission dans l'Ordre de l'amitié entre les peuples et de la loi d'amnistie adoptée le 26 mai 2000 ; enfin, les soupçons pesant sur lui étaient incohérents, absurdes et fallacieux. Par ailleurs, s'appuyant sur l'article 220 § 1 CPP, les avocats du requérant portèrent plainte auprès du tribunal de district de Tverskoy, à Moscou, affirmant que la détention de leur client était illégale et réclamant la remise en liberté immédiate. Ils faisaient valoir que le mandat d'arrêt avait été décerné en violation des articles 90, 92 et 96 CPP, puisqu'il n'y avait ni circonstances exceptionnelles justifiant la mise en détention du requérant avant son inculpation, ni motifs de l'emprisonner sur la base des accusations portées. A leurs yeux, le mandat semblait correspondre à des motivations politiques, et la mise en détention était inutile et constituait une mesure de restriction excessive. En outre, il n'y avait pas de raison de craindre que l'intéressé cherchât à se soustraire à l'enquête ou qu'il risquât d'entraver celle-ci. Enfin, le requérant était visé par une amnistie qui le préservait des sanctions et de la détention préliminaire, du fait qu'il avait été reçu dans l'Ordre de l'amitié entre les peuples. Le 16 juin 2000, M. Nikolaïev inculpa l'intéressé de fraude au sens de l'article 159 § 3 b) du code pénal. Le même jour, le requérant fut interrogé en présence de ses avocats. Il refusa de signer le procès-verbal de l'interrogatoire au motif qu'il ne comprenait pas les accusations portées contre lui. Sur le procès-verbal, il nota qu'il jugeait ces charges absurdes sur le plan juridique et qu'il ne reconnaissait aucune culpabilité en rapport avec elles. Derechef, il déclara que les autorités se servaient de l'enquête pour le discréditer et exigea sa remise en liberté immédiate. A la même date, M. Nikolaïev ordonna la libération du requérant en échange de l'engagement de celui-ci de ne pas quitter le pays. L'intéressé fut libéré le jour même, à 22 heures. Après la remise en liberté du requérant, M. Nikolaïev le convoqua pour l'interroger à nouveau le 22 juin ainsi que les 3, 11 et 19 juillet 2000. M. Goussinski se présenta aux interrogatoires mais refusa de répondre aux questions qui lui étaient posées. A plusieurs reprises, l'intéressé pria M. Nikolaïev de l'autoriser à quitter le pays pour des raisons personnelles et pour ses affaires, ce que le magistrat refusa sans fournir de raisons précises. C. L'« accord de juillet » et l'abandon des poursuites Pendant la détention du requérant (du 13 au 16 juin 2000), M. Lessine, ministre par intérim de la Presse et de la Communication, proposa d'abandonner les accusations pénales portées contre l'intéressé dans le cadre du dossier Vidéo russe s'il acceptait de vendre la société Media Most à Gazprom, à un prix que déterminerait cette dernière. Alors que le requérant était en prison, la société Gazprom l'invita à signer un accord en échange duquel – selon les propos tenus à l'intéressé –toutes les charges pesant sur lui seraient abandonnées. Le 20 juillet 2000, Gazprom et le requérant signèrent l'accord (l'« accord de juillet »). Ce texte comportait à l'annexe 6 une disposition demandant notamment la cessation des poursuites pénales contre M. Goussinski dans l'affaire Vidéo russe, ainsi qu'un engagement concernant sa sécurité. Elle était ainsi libellée : « Les parties sont conscientes qu'une parfaite mise en œuvre de l'accord n'est possible que si les personnes physiques et morales concernées acquièrent et exercent leurs droits de caractère civil en toute liberté et en fonction de leurs propres intérêts, sans être contraintes par aucune autre partie à agir d'une façon donnée. Dans le présent contexte, cela implique la réunion de certaines conditions étroitement liées, à savoir : – l'abandon des poursuites pénales engagées contre M. Vladimir Alexandrovitch Goussinski le 13 juin 2000, l'attribution à ce dernier du statut de témoin dans l'affaire en question et la suspension de la mesure de précaution lui faisant interdiction de quitter [le pays]. La non-satisfaction de cette condition aurait pour effet de relever les parties de leurs obligations ci-dessous ; – l'octroi, à M. Vladimir Alexandrovitch Goussinski et aux autres actionnaires et cadres des [filiales de Media Most], de garanties concernant leur sécurité et la protection de leurs droits et libertés, notamment le droit de voyager librement, de choisir leur lieu de séjour ou de résidence, de quitter librement la Fédération de Russie et d'y revenir sans empêchement ; – la renonciation à toutes mesures, y compris les déclarations publiques ou la diffusion d'informations par les organisations, leurs actionnaires et cadres, propres à saper les fondements du régime constitutionnel et à porter atteinte à l'intégrité de la Fédération de Russie, à menacer la sécurité de l'Etat, à inciter à la discorde sociale, raciale, nationale ou religieuse, et à jeter le discrédit sur les institutions de la Fédération de Russie. » L'annexe 6 fut signée par les parties et approuvée par M. Lessine, qui la signa lui aussi. Après la conclusion de l'accord de juillet, les poursuites pénales dont le requérant faisait l'objet au sujet de Vidéo russe cessèrent en vertu d'une décision de non-lieu. Le 26 juillet 2000, M. Nikolaïev annula la mesure de précaution par une décision qui se lisait ainsi : « L'analyse des éléments de preuve confirme le caractère illégal des faits et gestes [du requérant]. Néanmoins, les actes du dirigeant de ZAO Media Most, M. Goussinski, recèlent des éléments qui relèvent du droit matériel et d'autres qui procèdent des règles de droit pénal. Compte tenu du caractère spécifique de l'acte commis, il est impossible de dissocier les sphères juridiques concernées. Au cours de l'enquête, M. Goussinski a compris qu'il était illégal d'acquérir un droit de propriété sur un bien appartenant à autrui ; sur ce point, il a réparé le préjudice qu'il avait causé en cédant à l'Etat sa part du capital social de OOO Vidéo russe-onzième chaîne. De plus, il a amplement remédié à l'atteinte portée aux intérêts de l'Etat en transférant de son plein gré les actions de ZAO Media Most à une personne morale contrôlée par l'Etat. Les mesures prises par l'accusé sont des circonstances atténuantes. Elles attestent son repentir sincère, lequel, combiné à d'autres éléments caractéristiques positifs et à l'absence d'antécédents judiciaires, nous conduit à exempter M. Goussinski de poursuites pénales. » Parallèlement, la mesure de précaution qui faisait interdiction au requérant de quitter le pays fut levée. Le même jour, l'intéressé quitta la Russie ; le 21 août 2000, il se rendit dans sa villa de Sotogrande, en Espagne. Après le départ à l'étranger du requérant, Media Most refusa d'honorer l'accord de juillet au motif qu'il avait été conclu sous la contrainte. D. Contrôle juridictionnel relatif à l'arrestation du requérant Le 20 juin 2000, le tribunal de district de Tverskoy clôtura la procédure engagée après le dépôt de plainte du requérant concernant le caractère irrégulier de sa détention. La juridiction estima que ce grief ne pouvait pas être examiné, au motif, d'une part, que la décision de mise en détention avait entretemps été annulée et, d'autre part, que seules les personnes effectivement détenues pouvaient former un recours contre leur détention. Sur appel, cette décision fut confirmée le 11 juillet 2000 par le tribunal municipal de Moscou. E. L'enquête sur l'emprunt contracté par Media Most Le 27 septembre 2000, M. Nikolaïev ouvrit une nouvelle enquête pénale au sujet du requérant. Fondées sur l'article 159 § 3 b) du code pénal, les nouvelles charges à son encontre avaient trait à l'obtention frauduleuse d'un prêt par Media Most. L'intéressé ne reçut pas copie de la décision d'ouverture de la procédure, mais d'après les informations recueillies par ses avocats le déclenchement de l'enquête faisait suite à une demande formée le 19 septembre 2000 par Gazprom auprès du PG. Gazprom avait en effet prié le PG d'enquêter sur la façon dont avaient été dépensés les crédits obtenus par Media Most, en particulier de rechercher si leur utilisation relevait des activités autorisées par les statuts de Media Most, si l'argent avait été employé aux fins prévues et si la direction de Media Most n'avait pas porté atteinte à la législation régissant les prêts. Gazprom, société contrôlée par l'Etat, était concernée parce qu'elle s'était portée caution pour l'emprunt. Le 1er novembre 2000, M. Nikolaïev convoqua à nouveau le requérant, qui devait se rendre au PG le 13 novembre afin d'y prendre connaissance des accusations portées contre lui et d'y être interrogé. L'intéressé ne s'étant pas présenté devant le PG, M. Nikolaïev modifia la décision de déclenchement des poursuites à son encontre. Il reprit, au sujet d'une autre affaire, les accusations de fraude fondées sur l'article 159 § 3 du code pénal et ordonna la mise en détention de l'intéressé à titre de mesure de précaution. Cette décision fut transmise au bureau national d'Interpol pour la Russie. Selon les accusations en question, le requérant avait obtenu des prêts de manière frauduleuse. M. Goussinski fut arrêté en Espagne le 11 décembre 2000, en vertu d'un mandat d'arrêt international ; le lendemain, il fut placé en détention dans ce pays. Le 22 décembre 2000, il fut libéré contre versement d'une caution de 5,5 millions d'USD et assigné à résidence dans sa villa de Sotogrande. A la suite d'une action des avocats du requérant, le tribunal de district de Tverskoy, à Moscou, déclara le 26 décembre 2000 que l'enquête sur l'emprunt contracté par Media Most avait été ouverte de façon irrégulière dès lors que les pièces recueillies par les organes d'enquête n'avaient révélé aucun élément de fraude suffisant pour justifier le déclenchement d'une procédure pénale. Le 5 janvier 2001, le tribunal municipal de Moscou infirma ce jugement au motif que la décision des organes d'enquête d'engager des poursuites était insusceptible d'appel. Le 4 avril 2001, à l'issue d'une procédure devant les juridictions espagnoles, un jugement fut rendu en faveur du requérant. Rejetant la demande d'extradition de M. Goussinski formée par les autorités russes, le tribunal espagnol (Audiencia Nacional) déclara ce qui suit : « [L]es documents fournis par [le requérant] font apparaître (...) certaines circonstances frappantes et singulières – inhabituelles dans les actions en justice pour fraude – qui, si elles ne nous amènent pas en elles-mêmes à conclure que nous avons affaire à une demande irrégulière correspondant à des fins politiques, nous obligent à considérer que la thèse [du requérant] n'est pas totalement dénuée de fondement en ce qui concerne les faits et les ingérences, et qu'elle n'est pas inconcevable et inacceptable à la lumière de l'expérience et de critères logiques. Le tribunal estime étranges les circonstances suivantes : L'accord du 20 juillet 2000 (...) portant sur la vente par [le requérant], au profit de Gazprom-Media, d'un ensemble d'actions (...) [annexe 6] – accord complémentaire peu courant dans les relations entre vendeurs et acheteurs de titres – s'achève par deux signatures : la première est la signature habituelle du représentant de Gazprom-Media (...), qui apparaît dans le corps du contrat et les autres annexes ; la seconde ne coïncide pas, à première vue, avec la signature normale [du requérant], visible dans l'accord, les annexes ainsi que les visas apposés dans le cadre de cette procédure d'extradition. Selon [le requérant], il s'agit de la signature d'un membre du gouvernement russe. (...) Six jours après l'adoption de l'accord, [le requérant], qui était accusé dans la procédure [concernant Vidéo russe] et s'était engagé à ne pas quitter le pays, fut exonéré de toute responsabilité dans ladite procédure et la mesure de restriction de sa liberté fut levée (...) Les déclarations faites par [le requérant] pendant l'audience sur l'extradition au sujet des pressions et contraintes qui l'auraient poussé à signer l'accord du 20 juillet 2000 (...) Le jugement rendu le 26 décembre 2000 par le tribunal de district de Tverskoy (...) Inévitablement, ces bizarreries du dossier ont une incidence d'ordre juridique sur la réponse judiciaire à cette demande d'extradition, car le fait que le tribunal les ait décelées (...) oblige celui-ci, pour des raisons de sécurité juridique et d'effectivité de la protection judiciaire (...) à étirer à l'extrême le principe de double incrimination en analysant les chefs d'accusation à la lumière de la nécessité de fournir la protection juridique requise (...) » F. Développements ultérieurs Le 19 juin 2002, le juge Merkouchov, vice-président de la Cour suprême, forma un recours en révision portant sur la décision du tribunal de district de Tverskoy du 20 juin 2000 et sur celle du tribunal municipal de Moscou en date du 11 juillet 2000. A ses yeux, c'était la régularité de la détention et non la détention elle-même qui aurait dû faire l'objet du contrôle juridictionnel. Il pria le présidium du tribunal municipal de Moscou de renvoyer l'affaire au tribunal de district de Tverskoy en vue d'un nouvel examen. Le 18 juillet 2002, le présidium du tribunal municipal de Moscou accueillit cette demande. Le 26 septembre 2002, le tribunal de district de Tverskoy examina le contenu du grief relatif à la détention. A l'audience, le représentant du PG (partie défenderesse) affirma qu'à l'époque de l'arrestation du requérant il y avait des risques que celui-ci entravât le cours de la justice du fait qu'il avait dirigé Media Most et qu'en conséquence il avait d'infinies possibilités d'influencer les témoins et avait de plus accès aux éléments écrits. En outre, comme il possédait la double nationalité et était titulaire d'un passeport international, il était susceptible de s'enfuir à l'étranger. Concernant l'affirmation de M. Goussinski selon laquelle il bénéficiait d'une amnistie, le procureur releva que la preuve écrite établissant que le requérant avait effectivement reçu la distinction en question n'avait été fournie que le 15 juin 2000, c'est-à-dire après l'arrestation, et que l'intéressé avait été remis en liberté le lendemain. Le tribunal de district de Tverskoy accueillit les arguments du PG. Il estima qu'à la lumière des explications présentées par le représentant du PG les termes de la décision de mise en détention du 13 juin 2000 ne pouvaient être jugés ni extravagants ni spéculatifs. S'agissant de la distinction obtenue par le requérant, le tribunal considéra que les règles de procédure pénale ne prévoyaient aucune restriction à la possibilité d'appliquer une mesure de précaution à une personne bénéficiant d'une loi d'amnistie. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Le code de procédure pénale de 1960 tel qu'en vigueur à l'époque des faits Article 5 Circonstances entraînant l'abandon des poursuites « Une procédure pénale ne peut être engagée, ou doit être close si elle a déjà été engagée, dans les cas suivants (...) 4) s'il a été adopté une loi d'amnistie qui exempte [l'intéressé] de sanctions (...) » Article 89 Mesures de précaution « Lorsqu'il existe des raisons suffisantes de penser que l'accusé va se soustraire à l'enquête ou à la justice, ou entraver l'établissement de la vérité dans l'affaire en question, ou se livrer à des activités délictueuses (...), l'une des mesures de précaution suivantes peut être adoptée : interdiction de quitter le lieu de résidence, engagement personnel ou d'une organisation non gouvernementale, mise en détention provisoire (...) » Article 90 Adoption d'une mesure de précaution vis-à-vis d'un suspect « Dans des circonstances exceptionnelles, une mesure de précaution peut être adoptée à l'encontre d'une personne soupçonnée mais non inculpée. En pareil cas, l'inculpation de l'intéressé doit intervenir dans les dix jours qui suivent l'adoption de la mesure en question. A défaut, la mesure de précaution doit être levée. » Article 91 Circonstances à prendre en compte lors de l'adoption d'une mesure de précaution « Pour étudier la nécessité de prendre une mesure de précaution et déterminer la nature de la mesure adéquate (...), il faut prendre en compte les circonstances suivantes : (...) la gravité des accusations portées ainsi que la personnalité, la profession, l'âge, l'état de santé, la situation de famille ou d'autres caractéristiques du suspect ou du prévenu. » Article 92 Décision d'imposer une mesure de précaution « Une mesure de précaution est adoptée au moyen d'une décision rendue par un enquêteur, un magistrat instructeur ou un procureur, ou d'une décision motivée rendue par un tribunal, qui précise la nature de l'infraction dont l'intéressé est soupçonné ou accusé ainsi que les raisons justifiant l'adoption de la mesure. L'intéressé est informé de la décision et, simultanément, de la procédure à suivre s'il souhaite la contester. » Copie de la décision est immédiatement fournie à la personne faisant l'objet d'une mesure de précaution. » Article 96 Placement en détention provisoire « Le placement en détention provisoire est ordonné à titre de mesure de précaution (...) en cas d'infraction sanctionnée par une peine d'emprisonnement de plus d'un an. Exceptionnellement, cette mesure peut être étendue aux infractions punies d'une peine d'emprisonnement de moins d'un an (...) » B. La fraude L'article 159 § 3 b) du code pénal de 1996 dispose en ses passages pertinents : « La fraude, c'est-à-dire le vol ou l'acquisition des biens d'autrui au moyen d'une déformation des faits ou d'un abus de confiance (...), [commise] à grande échelle (...), est punie d'une peine d'emprisonnement de cinq à dix ans, avec ou sans confiscation. » C. L'amnistie Le 26 mai 2000, la Douma décréta une « amnistie à l'occasion du 55e anniversaire de la victoire obtenue lors de la Grande guerre patriotique de 19411945 ». Entrée en vigueur le 27 mai 2000, la loi concernant cette mesure (« loi d'amnistie ») dispose : « (...) [Une personne condamnée] est dispensée d'effectuer une peine d'emprisonnement, quelle qu'en soit la durée : (...) b) [si elle a été reçue dans] un ordre ou [a obtenu] une médaille de l'URSS ou de la Fédération de Russie ; (...) Les procédures pénales pendantes devant les organes d'enquête et les tribunaux, relativement à des infractions commises avant l'entrée en vigueur de la présente loi, sont clôturées à l'égard : (...) b) des personnes visées à [l'article 2 b)] de la présente loi ; (...) » Le 26 mai également, la Douma adopta une recommandation sur l'application de la loi d'amnistie. Ce texte énonce : « 1. La [loi d'amnistie] est appliquée par : (...) b) l'organe d'enquête vis-à-vis d'une personne soupçonnée ou accusée d'une infraction, si une procédure concernant cette infraction est en cours devant l'organe en question ; (...) La décision relative à l'application de la loi d'amnistie est prise au cas par cas. Si les informations sur l'intéressé sont insuffisantes, l'adoption de la décision peut être reportée jusqu'à réception de documents complémentaires (...) »
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les requérants, A. Ağrağ (né en 1951), İ. Koluman (né en 1965), F. Üzüm (né en 1945), A.F. Baytar (né en 1970), Z. Yüce (né en 1966), M.H. Erolan (né en 1956), M. Aydın (né en 1977), İ. Çelik (née 1955), H. Adıbelli (née en 1959), Ş. Poyraz (né en 1958), A. Poyraz (né en 1963), Z. Yüksel (née en 1955) et Y. Çetinkaya (né en 1975) sont des ressortissants turcs. A l'époque des faits, M.H. Erolan résidait à Diyarbakır, et A. Ağrağ1, I. Koluman, F. Üzüm, A.F. Baytar et Z. Yüce, à Antalya ; les autres requérants habitaient à İzmir. A. Quant aux requérants Y. Çetinkaya, M. Aydın, A. Poyraz, Z. Yüksel, I. Çelik, H. Adıbelli et Ş. Poyraz Y. Çetinkaya fut arrêté le 6 juillet 1996 et placé en garde à vue dans les locaux de la section antiterroriste de la direction de sûreté d'İzmir ; Ş. Poyraz fut, à son tour, arrêté le 9 juillet. Mmes Z. Yüksel, I. Çelik et H. Adıbelli subirent le même sort le 10 juillet, et A. Poyraz et M. Aydın, furent quant à eux, placés en garde à vue, le 11 juillet. Le 17 juillet 1996, après avoir été entendus par le procureur de la République près la cour de sûreté de l'État d'Izmir (« le procureur »-« la cour de sûreté de l'État »), les requérants furent traduits devant le juge assesseur de cette juridiction, lequel ordonna leur mise en détention provisoire. Par un acte d'accusation du 2 août 1996, le procureur inculpa les requérants pour appartenance et assistance au P.K.K. Il requit à leur encontre l'application des articles 168 et/ou 169 du code pénal et 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme. Le 27 juin 1997, la cour de sûreté de l'État déclara les requérants coupables des faits reprochés et les condamna à des peines d'emprisonnement. Cependant, par un arrêt du 1er juillet 1998, la Cour de cassation infirma ce jugement pour vice de procédure. Par conséquent, la cour de sûreté de l'État réexamina l'affaire. Le 2 décembre 1998, elle condamna Y. Çetinkaya à 18 ans d'emprisonnement, Z. Yüksel, à 4 ans et 6 mois ainsi que H. Adıbelli et M. Aydın, à 3 ans et 9 mois respectivement. Quant à Ş. Poyraz, il se vit condamné à la peine capitale alors que I. Çelik fut acquittée. Par un arrêt du 29 septembre 1999, la Cour de cassation confirma la condamnation des requérants. B. Quant aux requérants A. Ağrağ, I. Koluman, F. Üzüm, A.F. Baytar, Z. Yüce et M.H. Erolan Les requérants furent arrêtés le 16 juillet 1996 et placés en garde à vue dans les locaux de la section antiterroriste de la direction de sûreté d'Antalya. Le 23 juillet 1996, ils furent traduits devant le juge unique du tribunal de paix d'Antalya, lequel ordonna leur mise en détention provisoire. Par un acte d'accusation du 12 août 1996, le procureur mit les requérants en accusation et requit leur condamnation pour appartenance et assistance au P.K.K (artic1es 168 et/ou 169 du code pénal et article 5 de la loi no 3713 sur la lutte contre le terrorisme). Par un arrêt du 19 août 1997, la cour de sûreté de l'État déclara les requérants coupables des faits reprochés et les condamna à des peines d'emprisonnement. Cependant, le 2 juin 1998, la Cour de cassation infirma ce jugement, pour vice de procédure. La cour de sûreté de l'État réexamina l'affaire, et par un arrêt du 2 décembre 1998, elle condamna M. H. Erolan et Z. Yüce à 12 ans et 6 mois d'emprisonnement ainsi que F. Üzüm, I. Koluman et A.F Baytar à 3 ans et 9 mois respectivement. Quant à A. Ağrağ2, il fut acquitté. Faute de pourvoi, le 26 janvier 1999, ledit arrêt devint définitif dans le chef de A.F. Baytar. Les autres requérants se pourvurent devant la Cour de cassation qui, par un arrêt du 13 septembre 1999, confirma l'arrêt du 2 décembre 1998. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A l'époque des faits, l'article 30 de la loi no 3842 du 18 novembre 1992 prévoyait, quant aux infractions relevant de la compétence des cours de sûreté de l'État, que toute personne arrêtée devait être traduite devant un juge au plus tard dans les quarante-huit heures ou, en cas de délit collectif, dans les quinze jours. Dans les départements où l'état d'urgence avait été décrété, ces délais étaient susceptibles d'être prolongés jusqu'à quatre et trente jours respectivement. Conformément au quatrième paragraphe de l'article 128 du code de procédure pénale, la personne arrêtée ou son défenseur ou son représentant légal ou bien ses proches peuvent introduire un recours devant le juge de paix contre l'ordonnance de prolongation du délai de garde à vue rendue par le procureur de la république en vue d'obtenir aussitôt un élargissement. Toutefois, à l'époque des faits, en vertu de l'article 31 de la loi no 3842, entrée en vigueur le 1er décembre 1992, cette disposition ne s'appliquait pas lorsqu'il s 'agissait d'infractions relevant des cours de sûreté de l'État.
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Les quinze requérants, dont les noms figurent en annexe, sont des ressortissants espagnols résidant en Catalogne. Le 29 juin 1992, peu de temps avant la célébration des jeux olympiques de Barcelone, des sympathisants présumés d'un mouvement indépendantiste catalan furent arrêtés. A. Faits allégués par les requérants, observations en réponse du Gouvernement et observations en réplique des requérants David Martínez Sala a) Faits allégués par David Martínez Sala Le requérant fut arrêté dans la nuit du 28 au 29 juin 1992, à 3 h 40 du matin, alors qu'il se rendait en voiture à son domicile. Il fut intercepté par une voiture d'où sortirent plusieurs personnes armées. Il fut jeté par terre et menotté. On lui recouvrit la tête et on le contraignit à s'allonger entre les deux rangées de sièges de la voiture, où il fut immobilisé par les pieds des trois personnes assises sur la banquette arrière. Il fut ensuite conduit dans une petite cellule, placé contre le mur et battu par deux personnes. Une troisième personne entra dans la pièce et lui demanda de « chanter ». Le requérant voulut connaître son identité, mais reçut un coup sur la nuque. Il fut emmené dans un véhicule, où il continua d'être battu. Le véhicule une fois arrivé à destination, on lui banda les yeux. Il fut interrogé de manière brutale et reçut des coups sur la tête et sur les reins, ainsi que des décharges électriques dans les reins. On lui fit entendre des cris d'agonie d'un autre détenu et on lui mit un pistolet sous le nez. Finalement, à 4 h 45, on lui fit signer un papier, on lui annonça qu'il était détenu par la garde civile de Barcelone, et on l'informa de ses droits. Il subit un deuxième interrogatoire, la tête recouverte d'une cagoule que ses gardiens serraient afin de l'empêcher de respirer. On l'obligea à apprendre par cœur les réponses qu'il devrait donner lors des interrogatoires en présence de l'avocat d'office. Il fut ensuite conduit en voiture à Madrid. Pendant le trajet, on l'empêcha de dormir et on le roua sans cesse de coups. Dès son arrivée à Madrid, on lui fit subir à nouveau le traitement du sachet en plastique en menaçant de lui administrer d'autres traitements s'il ne donnait pas aux questions posées devant l'avocat d'office les réponses qu'il avait mémorisées. Chaque jour, il fut conduit auprès d'un médecin légiste, devant lequel il refusa de faire état de ses souffrances, déclarant que, par souci de sécurité, il ne répondrait que devant le juge. Cinq jours plus tard, il fut conduit devant le juge central d'instruction no 5 près l'Audiencia Nacional. Il fut ensuite placé dans une cellule en prison. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 29 juin 1992 à 3 h 40, le requérant fut examiné à 4 h 45 par le médecin légiste, qui ne détecta aucune lésion. Le même jour, il fut également examiné par le médecin légiste affecté au tribunal d'instruction no 5 de Barcelone qui, après avoir constaté un ulcère duodénal, conclut qu'il était en bon état de santé. Le 30 juin 1992 à 1 heure du matin, le requérant fut à nouveau examiné sans qu'aucune lésion ne soit relevée. Une fois arrivé à Madrid, toujours le 30 juin 1992, le requérant fut examiné par le médecin légiste rattaché au tribunal central d'instruction no 5. Dans son rapport, celui-ci fit tout d'abord état des problèmes médicaux signalés par le requérant : polytraumatisme dû à un passage à tabac quatre ans plus tôt et ulcère duodénal. Le requérant déclara au médecin légiste qu'il avait été arrêté la veille, qu'il n'avait pas dormi, qu'il avait reçu des aliments et qu'il ne souhaitait pas être examiné par le médecin. Les 1er et 2 juillet 1992, alors qu'il se trouvait dans les locaux de la Direction générale de la garde civile, il refusa d'être examiné. Le 3 juillet 1992, dans les locaux de l'Audiencia Nacional, il fut à nouveau examiné par le médecin. D'après le rapport établi par ce dernier le 13 juillet 1992, le requérant disait qu'il se sentait bien, qu'il avait dormi et qu'il n'avait pas pris son petit déjeuner. Il s'orientait correctement dans le temps et dans l'espace. Il disait ne pas avoir subi de mauvais traitements physiques depuis son arrivée à Madrid. En revanche, il affirmait en avoir subi avant son transfert à Madrid. L'exploration clinique avait révélé un hématome léger de 4-5 jours sur le bras droit, probablement dû au fait que le suspect avait été tenu par le bras, deux cicatrices récentes sur le bras gauche et la marque des menottes sur les deux poignets. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement souligne que, sur mandat du juge, une perquisition au domicile du requérant fut opérée, au cours de laquelle on trouva deux bonbonnes de camping-gaz manipulées, deux revolvers, soixante et une cartouches de chasse calibre 22,2, cinq temporisateurs, dont quatre prêts à être utilisés, sept détonateurs de fabrication artisanale ainsi que du matériel électrique et des documents. Le Gouvernement observe que le requérant fit l'objet de sept examens médicaux en cinq jours, qu'à trois reprises il refusa de voir le médecin et que les examens réalisés ne révélèrent aucune lésion, contredisant ainsi ses allégations de mauvais traitements. Aucune violation de l'article 3 pendant la détention de l'intéressé ne serait donc établie. d) Observations en réplique du requérant Le requérant souligne qu'arrêté le 29 juin 1992 à 3 h 40 il ne fut informé de ses droits qu'à 4 h 45, soit plus d'une heure plus tard. Or le Gouvernement n'aurait apporté aucune information sur ce qui s'est passé durant ce laps de temps. Le requérant précise que s'il refusa de se soumettre à de nouveaux examens c'est à cause de la méfiance que lui inspirait la personne qui s'était présentée comme médecin légiste, du fait notamment que l'examen devait avoir lieu dans des locaux contigus et similaires à ceux où il venait d'être soumis quelques instants plus tôt à des mauvais traitements et à des tortures. Dans ces locaux, il n'y avait pas de mobilier ni d'instruments médicaux propres à faire conclure qu'il s'agissait d'une dépendance sanitaire des locaux de la garde civile. Ce fait fut corroboré lors de l'audience publique devant l'Audiencia nacional par le médecin légiste, qui admit qu'il ne disposait que d'une table et d'une lampe pour exercer ses fonctions. Quant à l'affirmation du Gouvernement selon laquelle aucune lésion ne fut constatée par les médecins légistes, le requérant fait remarquer qu'elle contredit les conclusions du rapport rédigé par le médecin légiste à l'occasion de l'examen du 3 juillet 1992 et dans lequel il était indiqué que l'examen clinique avait révélé un hématome léger de 4-5 jours sur le bras droit, probablement dû au fait que l'intéressé avait été tenu par le bras, deux cicatrices récentes sur le bras gauche et la marque des menottes sur les deux poignets. En conclusion, le requérant réaffirme qu'il fut soumis à des traitements contraires à l'article 3 durant sa détention par la garde civile. Esteve Comellas Grau a) Faits allégués par Esteve Comellas Grau Le 29 juin 1992 à 5 h 50 du matin, la police fit irruption au domicile du requérant pendant qu'il dormait. L'intéressé reçut des coups à la tête et à l'estomac, et son domicile fut perquisitionné. Menotté, il fut conduit, avec son épouse, au poste de la garde civile de Manresa. Il fut introduit dans une pièce où se trouvaient des agents de la garde civile, qui le frappèrent à l'estomac et aux reins et lui placèrent sur la tête une cagoule qu'ils serrèrent au fur et à mesure. Ils le menacèrent de faire du mal à sa femme. Après quelques heures, il fut conduit à Barcelone, où il continua d'être battu. On lui mit la tête dans la cuvette des toilettes et on le menaça, lui et son épouse. Le requérant finit par apprendre par cœur une déposition qu'il devrait faire et fut conduit à la Direction générale de la garde civile de Madrid, où il fit l'objet de tortures psychologiques. Il fut placé dans une cellule mal éclairée aux dimensions réduites, d'où il sortit les yeux bandés et pénétra dans une petite salle, où il reçut encore des coups et des gifles. Lors de ses dépositions, il déclara qu'on l'avait forcé à apprendre ses réponses par cœur pour que son épouse fût remise en liberté. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 29 juin 1992 à 5 h 50, le requérant fut examiné à 7 h 20 par un médecin, qui détecta une érosion linéaire sur la région frontale et des érosions occipitales superficielles. Le 30 juin 1992 à 1 heure, il fit l'objet d'un nouvel examen médical, qui confirma les lésions constatées dans le premier rapport. Une fois transféré à Madrid, ce même jour du 30 juin 1992, il fut examiné par le médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci, après avoir relevé les antécédents médicaux du requérant, précisa que l'intéressé lui avait déclaré qu'il avait été arrêté à son domicile sans violence, qu'il avait dormi un peu et qu'il avait pris régulièrement des aliments. L'intéressé n'avait fait état d'aucun mauvais traitement subi depuis son arrivée à Madrid, évoquant seulement quelques coups reçus lors de son transfert et il avait précisé qu'il s'était fait lui-même les deux petites ecchymoses constatées sur son front. Le requérant fut à nouveau examiné les 1er et 2 juillet à la Direction générale de la garde civile, puis le 3 juillet 1992 à l'Audiencia Nacional. Lors de ces examens, il n'affirma pas avoir subi de mauvais traitements mais dit se sentir sous la contrainte (coaccionado) du fait de la détention de sa femme. Le médecin précisa que le détenu s'orientait correctement dans le temps et dans l'espace. Le 3 juin 1992, avant de déposer devant le juge d'instruction de l'Audiencia Nacional, le requérant fit l'objet d'un nouvel examen médical. Dans son rapport, le médecin releva que l'intéressé déclarait qu'il se sentait bien, qu'il avait dormi et reçu de la nourriture, et qu'il avait été traité correctement. Les marques des menottes étaient visibles aux poignets. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement relève que le requérant fut arrêté le 29 juin 1992 à 5 h 50 du matin et qu'à 7 h 20 il signa l'acte constatant qu'il avait été informé de ses droits. Lors de la perquisition opérée au domicile de l'intéressé sur ordre du juge d'instruction, la police trouva deux bonbonnes de camping-gaz remplies d'une substance explosive appelée chlorite (cloratita), ainsi qu'un temporisateur et du matériel électrique et pyrotechnique. Le Gouvernement souligne que le requérant fit en cinq jours l'objet de six examens médicaux, auxquels il collabora pleinement. Le Gouvernement estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant En réplique aux observations du Gouvernement, le requérant affirme que lorsque les forces de sécurité l'avisèrent qu'elles allaient procéder à la lecture de ses droits, il sollicita l'assistance d'un avocat. Raillant sa demande, les policiers le frappèrent. Tout en précisant qu'il n'a aucun souvenir à cet égard, il ne nie pas avoir signé l'acte de lecture de ses droits. Cela étant, il souligne le fait qu'à la même heure, c'est-à-dire à 7 h 20, il fut aussi procédé à l'examen médical. Il relève que le rapport du médecin légiste, s'il a bel et bien constaté le résultat des agressions subies sur les endroits visibles du corps, ne pouvait détailler les agressions plus raffinées et ne laissant pas de traces visibles auxquelles il fut soumis. Il se demande également comment le même médecin légiste a pu procéder à son examen à Manresa et à Barcelone, sauf à admettre que le médecin en question a voyagé avec la garde civile et les détenus. S'agissant des examens médicaux effectués à Madrid, il précise qu'il fut amené sur le lieu de ces examens les yeux bandés. Il ajoute enfin qu'il se trouvait dans un état psychique tel devant le juge d'instruction qu'il assuma des faits pour lesquels il ne fut ni mis en examen ni condamné. Jordi Bardina Vilardell a) Faits allégués par Jordi Bardina Vilardell Le 29 juin 1992 à 7 h 15, le requérant fut arrêté à son domicile par des agents de la garde civile de Manresa. Après qu'on lui eut recouvert la tête d'un sac en plastique, il fut sans arrêt insulté et frappé à la nuque et à la tête. Après quelques heures, il fut conduit à Barcelone, où il continua d'être battu, la tête recouverte d'un sachet. On lui mit la tête dans l'eau, on lui asséna des coups sur la poitrine, sur la tête et sur l'estomac. Il eut les lèvres coupées à force d'être giflé. Il reçut des menaces de mort. Il fut conduit à Madrid et placé dans une cellule aux dimensions réduites, qui était très sale et nauséabonde. De temps à autre, on le sortait de la cellule et on l'interrogeait à nouveau, l'obligeant à répéter constamment les réponses aux questions qu'on lui posait. A une date non déterminée, le requérant, assisté d'une avocate commise d'office avec laquelle il ne s'était même pas entretenu, fit une déposition devant l'agent chargé de l'enquête. Il déclara avoir été torturé et maltraité pendant sa garde à vue. Au retour, il fut placé dans une autre cellule, à la lumière très puissante et constamment allumée. Au bout de cinq jours, ayant à peine dormi, le requérant fut conduit devant le juge central d'instruction no 5 de l'Audiencia Nacional, auquel il fit sa déposition. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 29 juin 1992 à 7 h 15, le requérant fut examiné par un médecin à 8 h 30. Dans son rapport, le médecin constata une érosion sur la lèvre inférieure et un œdème sur la commissure du coté gauche de la lèvre inférieure. Le même jour, devant le médecin légiste du tribunal d'instruction no 5 de Barcelone, le requérant déclara qu'il avait 24 ans et qu'il était en bon état de santé. Il refusa d'être examiné. Le 30 juin 1992 à 1 heure, il fit l'objet d'un nouvel examen. Dans son rapport, le médecin constata une érosion sur la lèvre inférieure. Toujours le 30 juin 1992, le requérant fut examiné à Madrid par le médecin légiste rattaché au tribunal central d'instruction no 5 de Madrid. Dans son rapport, le médecin indiqua notamment que le requérant disait qu'il avait été arrêté sans subir de violences, qu'il avait reçu quelques coups sur la tête, qu'on lui avait recouvert la tête d'un sachet et qu'il avait dormi et mangé. Le médecin légiste constata une petite blessure avec inflammation sur le côté gauche de la lèvre inférieure, dont le requérant ne voulut pas révéler l'origine, ainsi que deux cicatrices anciennes au poignet et à la main gauches. Le requérant fut à nouveau examiné le 1er juillet 2002. Dans son rapport, le médecin légiste indiqua que le requérant disait qu'il se sentait bien, qu'il avait reçu de la nourriture de manière régulière et qu'il avait un peu dormi. Il précisa que le requérant n'avait pas fait état devant lui de mauvais traitements. L'inflammation de la lèvre s'était sensiblement améliorée. Un nouvel examen fut réalisé le 2 juillet 1992. Dans son rapport le médecin déclara que le requérant affirmait qu'il était fatigué, qu'il avait mal dormi et qu'il avait reçu de la nourriture régulièrement. Il précisa que l'intéressé ne lui avait pas fait état de mauvais traitements. Un nouvel examen eut lieu le 3 juillet 2002 à l'Audiencia Nacional. Avant de déposer devant le juge d'instruction, le médecin releva que le requérant disait qu'il était très fatigué parce qu'il avait mal dormi, mais qu'il avait mangé et n'avait pas été maltraité depuis son transfert à Madrid. Il précisa que l'intéressé s'orientait correctement dans le temps et dans l'espace. Il releva une légère marque due aux menottes sur les deux poignets et conclut que le requérant réunissait les conditions physiques et psychiques lui permettant d'être entendu par le juge. Une fois placé en détention provisoire, le requérant subit un examen médical au centre pénitentiaire de Madrid I le 4 juillet 1992. Dans son rapport, le médecin officiel informa le directeur du centre que le requérant s'était plaint d'avoir subi des mauvais traitements durant sa détention et qu'il présentait une ecchymose superficielle sur le côté gauche de la lèvre supérieure. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement relève que le requérant fut arrêté le 29 juin 1992 à 7 h 15 du matin et qu'à 8 h 30 il signa l'acte constatant qu'il avait été informé de ses droits. Lors de la perquisition opérée à son domicile sur ordre du juge d'instruction, la police trouva une liste d'objectifs sélectionnés pour des attentats. Le Gouvernement souligne que le requérant a fait l'objet de sept examens médicaux en cinq jours. Il estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant En réplique aux observations du Gouvernement, le requérant affirme qu'immédiatement après son arrestation par la garde civile le 29 juin 1992 on le menotta, on lui recouvrit la tête d'un sachet en plastique et on commença à le frapper tout en lui disant que de son comportement dépendait la suite des événements. Quant à l'examen médical réalisé à 8 h 30, le requérant dit ne pas s'en souvenir. Il souligne que ce n'est qu'à l'occasion de l'examen du 30 juin 1992 qu'il eut le sentiment d'être réellement examiné par un médecin, même si celui-ci se limita à prendre des notes. A la fin de l'examen, le requérant fut transféré dans une cellule les yeux bandés, de la même façon que lorsqu'il avait été amené. Dans la cellule, il fut frappé brutalement pour avoir mentionné au médecin les coups reçus et l'application du sachet. Quant à la blessure sur la lèvre, il précise qu'il ne reçut aucun traitement pour la soigner. En outre, lors de la prise de photos par la police, on l'obligea à cacher les lèvres pour ne pas révéler la blessure. Eduard Pomar Pérez a) Faits allégués par Eduard Pomar Pérez Le 6 juillet 1992 à 21 heures, le requérant fut arrêté à son domicile et conduit à un poste de police ou de la garde civile de Sant Cugat, où on l'obligea à signer un document d'appartenance à Terra Lliure. Par la suite, il fut conduit à Manresa, où il passa la nuit dans un cachot. Le lendemain, il fut examiné par un médecin. Le même jour, menotté à l'une des portes de la voiture et la tête recouverte, il fut conduit à la Direction générale de la garde civile à Madrid, où il fut placé dans une cellule. Selon lui, peu de temps après son arrivée, on l'obligea à faire des flexions, on l'insulta et on le contraignit à rester debout, face au mur, les yeux toujours fermés. Une heure plus tard, deux hommes entrèrent dans la cellule, lui mirent un sachet en plastique sur la tête et le conduisirent dans une autre pièce, où, placé contre le mur, il fut frappé au dos, à la poitrine et aux jambes. Le sachet était successivement serré et desserré pour provoquer une sensation d'asphyxie. Le requérant regagna sa cellule, où il fut obligé de rester debout. Un peu plus tard, il fut examiné par un médecin légiste, à qui il décrivit les traitements subis. Il fut interrogé une deuxième fois, le sachet en plastique sur la tête, et reçut des coups de poing sur tout le corps, notamment aux oreilles et aux testicules. Il fut ensuite frappé à la tête avec un annuaire téléphonique. Le lendemain, il fut soumis à un troisième interrogatoire, cette fois sans mauvais traitements, en présence d'un avocat. Il fut ensuite conduit à l'Audiencia Nacional. Le juge central d'instruction no 5 le remit en liberté sous caution. Incapable de verser le montant de la caution, il demeura en prison jusqu'au paiement de la caution par sa famille le lendemain. b) Rapports médicaux Le 7 juillet 1992, il fut examiné par le médecin légiste, devant lequel il fit état de mauvais traitements, tels que coups et flexions. Le médecin constata un petit hématome et une inflammation des deux pavillons auriculaires, probablement posturaux ou occasionnés par un coup contre le profil d'une porte, et une petite érosion au coude gauche. Le requérant fut à nouveau examiné le 8 juillet 1992. Le médecin légiste ne décela aucun élément nouveau, relevant simplement que les lésions constatées précédemment évoluaient favorablement. Une fois remis en liberté, le 11 juillet 1992, le requérant fut examiné par un médecin du centre médical de Sant Cugat (Barcelone). Dans son rapport, le médecin constata une petite lésion à la pommette droite, sans pouvoir préciser la date de sa survenance (peut-être 6 à 8 jours). Par ailleurs, un certificat délivré le 23 mars 1993 par un médecin psychiatre de l'Institut catalan de la santé attesta que le requérant présentait des symptômes d'une tendance à la dépression découlant d'un stress post-traumatique. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement estime infondées les allégations du requérant. Eduard López Domenech a) Faits allégués par Eduard López Domenech Le 6 juillet 1992, le requérant fut arrêté par la garde civile à son domicile à Barcelone. Sa famille ne fut pas informée. Il passa la nuit debout contre un mur, sans dormir, les yeux bandés. Il fut insulté et frappé à la nuque, et reçut des coups de pieds au dos et aux jambes. Le lendemain, deux personnes l'interrogèrent. On lui recouvrit la tête d'un sachet en plastique que l'on serrait pour provoquer une sensation d'asphyxie, en ajoutant quelquefois de la fumée à l'intérieur. Il fut conduit à la Direction générale de la garde civile à Madrid. Les interrogatoires furent menés par la même personne qu'à Barcelone, mais beaucoup d'agents y participèrent. Ils lui mirent encore le sachet en plastique sur la tête et lui donnèrent des coups. Dans la cellule, il fut contraint de rester debout, face au mur, sans dormir. Plus tard, il fut examiné par quelqu'un qui se disait médecin légiste. Il précisa seulement qu'il n'avait pas mangé depuis son arrestation, mais ne dit rien sur les mauvais traitements. Après la visite du médecin légiste, il eut quelque chose à manger. Il récita devant la garde civile, en présence d'un avocat d'office qui demeura muet, la leçon qu'on lui avait apprise. Il fut conduit à l'Audiencia Nacional et parla au juge, qui prit note. Le juge central d'instruction no 5 le remit en liberté sous caution. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 7 juillet 1992 à 0 h 25, le requérant fut examiné vers 1 heure du matin par un médecin, qui ne constata aucune lésion. Le même jour, à 15 heures, il fit l'objet d'un nouvel examen, qui ne révéla lui non plus aucune lésion. Le 8 juillet 1992, le médecin rattaché au tribunal central d'instruction no 5 de Madrid se rendit auprès du requérant, qui avait été transféré dans cette ville. Dans son rapport, il indiqua que le requérant n'avait pas collaboré et n'avait pas répondu à certaines des questions qui lui avaient été posées, notamment concernant la manière dont il avait été traité. L'examen par le médecin légiste révéla une petite ecchymose au genou droit. Le 10 juillet 1992, un nouvel examen médical fut effectué à l'Audiencia Nacional. Dans son rapport, le médecin légiste précisa que ladite ecchymose, qui mesurait 5 mm et était très légère, s'expliquait, aux dires du requérant, par le fait que celui-ci s'était agenouillé. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement relève que le requérant fut arrêté le 7 juillet 1992 à 0 h 25, à la suite de quoi lecture lui fut donnée de ses droits. Le Gouvernement souligne que le requérant fit l'objet de quatre examens médicaux en quatre jours. Il estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant soutient que le fait qu'aucune lésion n'ait été constatée lors des deux premières visites n'implique nullement que les mauvais traitements dénoncés n'ont pas existé. Il rappelle que lors de ces deux visites il avait les yeux bandés. Pour ce qui est de l'érosion constatée sur son genou gauche, il fait observer que dans sa déclaration au juge il expliqua les circonstances de sa détention ayant entraîné la lésion. Il renvoie à un certificat médical délivré par un médecin privé le 11 juillet 1992, après sa remise en liberté, et dans lequel il est dit notamment que « le patient a souffert, il y cinq jours, de lésions et contusions aux poignets, aux genoux, à la colonne vertébrale et au crâne. » José Poveda Planas a) Faits allégués par José Poveda Planas Le 6 juillet 1992 à 20 h 45, le requérant fut arrêté à son domicile par trois gardes civils habillés en civil. Les mains menottées derrière le dos, il fut conduit en voiture au commandement de la garde civile à Barcelone, où on lui banda les yeux et où on lui serra un fil de fer autour de la tête. Entouré de personnes dans une salle, il fut frappé aux épaules et à l'estomac et reçut des coups de pieds dans les reins et dans les jambes. Il tomba par terre et fut contraint de faire des flexions. Pour le relever du sol, on le tira par les cheveux, puis on le menotta. Il fut conduit dans un bureau où on lui intima de signer une déclaration dans laquelle il inculpait des compagnons et lui-même, ce à quoi il se refusa. Face à son refus, on l'obligea à rester assis, les mains menottées derrière le dos, et il reçut des coups, certains donnés avec les poings recouverts de torchons humides, d'autres avec des barres en fer recouvertes de torchons ou de journaux, d'autres encore avec des coins de livres ou des annuaires. Certains des agents, qu'on avait peut-être forcés à boire pour les rendre plus violents, sentaient l'alcool. Ils lui recouvrirent la tête d'un sachet en plastique, introduisant de temps en temps de la fumée à l'intérieur, jusqu'à l'asphyxie. Il fut ensuite conduit, probablement le 7 juillet, à la Direction générale de la garde civile. On l'obligea à rester accroupi dans le véhicule, les yeux bandés, menottes aux mains. A l'arrivée à Madrid, on lui versa sur la tête l'eau qu'il avait demandée pour calmer sa soif. Dans la cellule, il fut contraint de rester accroupi. Plus tard, il fut examiné par un médecin légiste. Il fut par la suite interrogé une nouvelle fois et on lui mit la tête dans un seau d'eau sale. Probablement le 8 juillet, il déposa devant la garde civile en présence d'un avocat d'office qui resta muet, mais il ne s'auto-inculpa pas. A la suite d'un nouvel interrogatoire mené dans le cachot, il signa finalement sa déclaration. Il fut conduit à l'Audiencia Nacional et raconta au juge, malgré l'heure tardive et la fatigue, les mauvais traitements qu'il avait subis. Le juge central d'instruction no 5 prit note et décréta ensuite son placement en détention provisoire. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 6 juillet 1992 à 20 h 45, le requérant fut examiné à 21 h 15 par le médecin, qui ne constata aucune lésion. Un nouvel examen, effectué le 7 juillet 1992, aboutit à la même conclusion. Le 8 juillet 1992, le requérant fut examiné par le médecin légiste rattaché au tribunal central d'instruction no 5 de l'Audiencia Nacional. Dans son rapport, le médecin indiqua que le requérant disait qu'il avait été arrêté sans violence, mais qu'il avait été victime à Barcelone de mauvais traitements, tels que coups, sachet serré autour de la tête et menaces. Le médecin légiste constata une rougeur à la base du nez, un eczéma au thorax et la marque des menottes. Il conclut que le requérant remplissait les conditions physiques et psychiques pour être entendu par le juge. L'après-midi du même jour, à l'Audiencia Nacional, le requérant fut à nouveau examiné par le médecin légiste, qui constata qu'il n'y avait rien de neuf à signaler depuis l'examen réalisé le matin. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement relève que le requérant fut arrêté le 6 juillet 1992 à 20 h 45 et informé de ses droits et qu'il fit l'objet de quatre examens médicaux en deux jours. Il estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. Il fait remarquer par ailleurs que, contrairement à ce qui est dit dans la requête, le requérant n'allégua aucun mauvais traitement devant le juge. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant souligne que lors de son arrestation au domicile de ses parents par trois gardes civils en tenue de ville, il ne fut à aucun moment informé des motifs de son arrestation, du lieu où il était conduit ou de ses droits. S'agissant des conditions dans lesquelles il fut examiné par le médecin légiste à Madrid, il précise qu'il dut demeurer debout et que l'examen, qui ne dura que quelques minutes, consista simplement en une série de questions et en une observation oculaire. A l'Audiencia Nacional, le médecin légiste, qui était accompagné par un policier, lui adressa à peine la parole. Concernant l'observation du Gouvernement d'après laquelle il n'aurait pas fait état devant le juge de mauvais traitements, le requérant affirme qu'une fois devant le juge il demanda à s'entretenir avec l'avocat qui lui avait été désigné d'office. Le juge fit droit à sa demande. Une fois l'avocat présent, le requérant lui demanda de solliciter le report de son audition par le juge car, à ce moment, il ne se sentait pas en mesure d'y faire face. Mais l'avocat d'office eut une attitude peu positive, se limitant à écouter sa requête et à faire des rictus. Ramené devant le juge, le requérant sollicita en vain le report de son audition. Le juge l'interrogea alors pendant deux minutes. C'est à ce moment, affirme-t-il, que le requérant informa le juge des mauvais traitements qu'il avait subis. L'interrogatoire terminé, le juge ordonna son placement en détention provisoire. Son ordonnance fut datée du 7 juillet 1992, alors qu'on était le soir du 8 juillet. Le requérant fit remarquer cette irrégularité à son avocat d'office, qui la corrigea avec son stylo. Le requérant ajoute que quelques jours après son placement en détention provisoire il se plaignit d'avoir subi des tortures durant les interrogatoires effectués par la garde civile à Barcelone, puis à Madrid, dans une lettre qu'il adressa à son avocat – il s'agissait cette fois d'un avocat désigné par lui – le 14 juillet 1992. Par ailleurs, lors de l'audience publique qui eut lieu devant l'Audiencia Nacional pour les faits dont il était accusé, il réitéra ses allégations de mauvais traitements subis aux mains de la garde civile. Enfin, il soutient que le fait qu'il ait été relaxé par l'Audiencia Nacional ne peut être considéré comme la négation per se de l'existence des mauvais traitements et des tortures dont il affirme avoir fait l'objet. Joan Rocamora Aguilera a) Faits allégués par Joan Rocamora Aguilera Le 28 juin 1992, vers 22 h 30, le requérant fut arrêté par un groupe d'individus habillés en civil. On lui mit un sac en toile sur la tête et on le conduisit dans un endroit qu'il identifia comme le poste de la garde civile à Barcelone. Le lendemain, il fut conduit en voiture à Madrid. Il se plaint d'avoir subi les mauvais traitements suivants : un sachet en plastique fut mis sur sa tête et successivement serré et desserré afin de provoquer l'asphyxie, sa tête fut immergée dans la cuvette des toilettes, on le frappa à la nuque avec la main ou avec un annuaire, et il reçut des coups sur les oreilles et les testicules. On menaça de tuer ou de violer sa compagne, et on lui dit qu'elle était détenue et torturée. On simula des cris d'autres détenus, des exécutions au pistolet et des sodomies. On l'empêcha de dormir, de se reposer, de boire, de manger et de prendre ses médicaments contre l'asthme. Il perdit la notion du temps et de l'espace. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 28 juin 1992 vers 22 h 30, le requérant fut examiné le 29 juin par un médecin, qui ne constata aucune lésion. Le même jour, il fut examiné par le médecin légiste rattaché au tribunal d'instruction de Barcelone, qui signala notamment que le requérant avait des antécédents de bronchite asthmatique, maladie pour laquelle il était soigné, et qu'il souffrait de rétention urinaire. Pour le reste, le médecin déclara que l'intéressé était en bon état de santé. Le lendemain, 30 juin 1992, le médecin légiste du tribunal central d'instruction no 5 de l'Audiencia Nacional examina à son tour le requérant. Dans son rapport, il indiqua notamment que le requérant lui avait dit qu'il avait été arrêté le dimanche, qu'il avait chuté de la moto qu'il conduisait, et qu'il avait dormi et reçu de la nourriture. Le médecin précisa que l'intéressé n'avait pas fait état de mauvais traitements, hormis quelques coups reçus avant son transfert à Madrid. Il releva deux zones d'érosion aux joues et un petit hématome sur le côté postérieur du bras droit, probablement dû au fait que l'intéressé avait été maintenu fermement. Le 1er juillet 1992, lors d'un nouvel examen, le requérant déclara qu'il se sentait bien, qu'il avait dormi et qu'il avait reçu de manière régulière de la nourriture et des médicaments. Il ne fit pas état de mauvais traitements. Le 2 juillet 1992, à la suite d'un autre examen, le médecin indiqua dans son rapport que le requérant disait qu'il se sentait bien et qu'il avait dormi et reçu de manière régulière de la nourriture et des médicaments. Il précisa que l'intéressé était détendu, qu'il avait un sens intact de l'orientation dans le temps et dans l'espace et qu'il disait avoir été traité de manière correcte. Le 3 juillet 1992, le requérant fut examiné à l'Audiencia Nacional avant sa déclaration devant le juge d'instruction. Dans son rapport, le médecin légiste indiqua que l'intéressé disait se sentir bien, quoique fatigué du fait qu'il n'avait pas bien dormi. Il précisa que le prisonnier affirmait qu'il n'avait pas reçu de nourriture ce matin-là, mais qu'on lui avait donné ses médicaments. Le médecin précisa que le prisonnier n'avait pas fait état de mauvais traitements physiques. Il conclut que l'intéressé remplissait les conditions physiques et psychiques pour être entendu par le juge. Le requérant fut placé en détention provisoire et subit un examen médical au centre pénitentiaire de Madrid I le 4 juillet 1992. Dans son rapport, le médecin officiel informa le directeur du centre que le requérant s'était plaint d'avoir subi des mauvais traitements durant sa détention et qu'il présentait une ecchymose superficielle avec croûte sur sa pommette droite. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement relève que le requérant fut arrêté le 28 juin 1992 vers 22 h 30 et informé de ses droits. Lors de la perquisition à son domicile, un sachet contenant un explosif fut trouvé. Le Gouvernement souligne que sur une période de moins de quatre-vingt-seize heures le requérant fit l'objet de six examens médicaux. Il estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. Il ajoute que devant le juge d'instruction le 3 juillet 1992 le requérant, qui était assisté de son avocat, déclara qu'il confirmait intégralement la déclaration qu'il avait faite à la garde civile, et que ce n'est que par la suite que l'intéressé affirma que cette déclaration avait été obtenue par le biais de mauvais traitements. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant déclare ne pas reconnaître sa signature sur le procès-verbal contenant sa déclaration devant le juge d'instruction. Quant aux examens médicaux dont il fit l'objet (quatre, et non six comme soutient le Gouvernement), il souligne que ceux-ci ont consisté en un simple questionnaire sur son état de santé, sans que les médecins ne procèdent à un examen corporel sur sa personne. Par ailleurs, les entretiens avec le médecin légiste avaient lieu dans un bureau doté d'un miroir permettant d'être vu depuis un autre bureau, comme cela lui avait été signalé par ses tortionnaires quelques instants auparavant. Le requérant affirme que, contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le médecin légiste fit référence à sa plainte concernant les coups reçus avant son transfert à Madrid. Il réitère ses allégations de torture et de mauvais traitements et souligne que devant le juge d'instruction, en présence d'un avocat qu'il ne connaissait pas et qu'il n'avait pas choisi, il dénonça les tortures physiques et psychologiques qu'il avait subies durant sa détention. Après qu'il eut été entendu par le juge d'instruction, aucun examen médical permettant de vérifier la réalité des tortures dénoncées ne fut réalisé. Il fut placé en détention dans une cellule d'isolement. Jaume Oliveras Maristany a) Faits allégués par Jaume Oliveras Maristany Le 1er juillet 1992 à 18 h 25, le requérant fut arrêté par deux personnes habillées en civil et portant un pistolet. Il fut conduit en voiture dans un endroit de Barcelone et reçut des coups pendant le trajet. Il fut informé qu'en application de la législation antiterroriste il resterait sans communication avec l'extérieur. Il fut ensuite conduit à Madrid, où il resta trois jours sans communication avec l'extérieur. Il passa la plupart du temps debout, fut torturé psychologiquement et reçut des coups. On lui recouvrit la tête d'un sachet en plastique dans lequel on introduisait de la fumée et que l'on serrait et desserrait successivement afin de provoquer l'asphyxie, et on le menaça avec des électrodes. Il déposa deux fois devant la garde civile, où on lui rappela ce qu'il devait déclarer. Le 4 juillet, il fut mis à la disposition de la justice. Devant le juge, il nia toute imputation et dénonça les tortures qu'il avait subies. Le juge ordonna son placement en détention provisoire. Il fut remis en liberté deux ans plus tard. b) Rapports des médecins légistes Arrêté le 1er juillet 1992 à 18 h 25, le requérant fut examiné à 19 heures par un médecin légiste, qui ne constata aucune lésion concrète. Le 2 juillet 1992, à son arrivée à Madrid, le requérant fut examiné par un autre médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci indiqua notamment que le requérant déclarait qu'il avait été arrêté la veille après-midi, sur la voie publique, sans violence, qu'il n'avait pas fait l'objet de mauvais traitements, à l'exception de quelques coups reçus sur la nuque avant son transfert à Madrid, qu'il n'avait pas reçu de nourriture depuis son arrestation et n'avait pas pu dormir. Le médecin précisa que l'examen médical avait révélé un petit et très superficiel hématome au bras droit, s'expliquant probablement par le fait que le suspect avait été maintenu fermement, ainsi qu'une cicatrice ancienne, due à une appendicectomie. Le 3 juillet 1992, le requérant fut une nouvelle fois examiné. Le médecin indiqua dans son rapport que l'intéressé se plaignait d'une grande fatigue et de douleurs aux pieds dues aux longues heures passées debout. Il ajouta que le requérant disait ne pas avoir subi de mauvais traitements physiques mais affirmait avoir reçu des menaces. Un nouvel examen eut lieu le 4 juillet 1992. Le médecin nota dans son rapport que le requérant disait qu'il était très fatigué et nerveux, qu'il souffrait de maux de tête, pour lesquels on lui avait prescrit un analgésique à prendre toutes les six heures si nécessaire, qu'il avait mieux dormi, qu'il avait reçu de la nourriture et qu'il n'avait pas subi de mauvais traitements. Enfin, le médecin constata qu'il s'orientait correctement dans le temps et dans l'espace. Le requérant fut examiné une dernière fois, le 5 juillet 1992, par le médecin légiste rattaché à l'Audiencia Nacional, avant d'être entendu par le juge d'instruction. Dans son rapport, le médecin nota que le requérant lui avait dit qu'il se sentait bien et détendu, qu'il avait reçu ses médicaments et les analgésiques pour les maux de tête dont il souffrait, qu'il avait bien dormi et reçu de la nourriture, et qu'il avait été bien traité, quoiqu'il eût reçu de nombreuses menaces de torture et quelques coups et qu'on lui eût recouvert la tête d'un sachet. Le médecin constata que le requérant remplissait les conditions pour être entendu par le juge. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement relève que le requérant fut arrêté le 1er juillet 1992 à 18 h 25 et fut informé de ses droits. Il précise que lors de la perquisition menée au domicile de l'intéressé en exécution d'un mandat judiciaire, un manuel d'instructions à suivre en cas de détention fut trouvé. Il souligne que le requérant fit l'objet de six examens médicaux en cinq jours et estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant souligne que la possession d'un manuel d'instructions à suivre en cas de détention n'a rien d'illégal. Il observe au demeurant qu'à aucun moment lors du procès l'existence d'un tel manuel ne fut prouvée ni invoquée comme preuve. Pour le reste, le requérant maintient les allégations de tortures et de mauvais traitements qu'il formula devant le médecin légiste. Il fait remarquer par ailleurs qu'il les réitéra dès qu'il comparut devant le juge d'instruction. Xavier Ros González a) Faits allégués par Xavier Ros Gonzalez Le 7 juillet 1992, à 20 h 30, le requérant fut arrêté à Gérone. Il fut conduit en voiture au poste de la garde civile de Barcelone, reçut des coups pendant le trajet et fut insulté. A l'arrivée, il fut recouvert d'une couverture et d'un casque, et fut battu avec une barre en plastique. Il dit avoir été également torturé psychologiquement et avoir reçu des menaces. Il fut examiné brièvement par un médecin légiste, en présence d'un policier, et déclara ne pas avoir subi de mauvais traitements. Il fut par la suite conduit à Madrid, à la Direction générale de la garde civile, où les tortures continuèrent : il reçut des coups, fut placé contre le mur puis contraint de rester agenouillé, on le menotta et on lui recouvrit la tête à trois reprises d'un sachet en plastique afin de provoquer l'asphyxie. Il fut interrogé pendant trois jours. b) Rapports médicaux Arrêté le 7 juillet 1992, à 20 h 30 selon le requérant, à 16 heures d'après le Gouvernement, le requérant fut examiné le 10 juillet 1992 par un médecin légiste de l'Audiencia Nacional, qui ne releva aucune lésion corporelle. Une fois en liberté, le 13 juillet 1992, le requérant fut examiné par un médecin de l'hôpital de Gérone, qui constata une contusion à l'avant-bras et une douleur au premier doigt du pied gauche. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement affirme que le requérant fut arrêté le 7 juillet 1992 à 16 heures et informé de ses droits. Il précise que le 10 juillet 1992 l'intéressé fut entendu par le juge d'instruction, devant lequel il confirma les déclarations qu'il avait faites devant le garde civile et ne fit état d'aucun mauvais traitement. Le Gouvernement estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief du requérant tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant maintient qu'il fut arrêté le 7 juillet 1992 à 20 h 30 et que personne ne lui fit lecture de ses droits. Par ailleurs, il réitère ses allégations de tortures et de mauvais traitements. Pour ce qui est des examens médicaux, il indique qu'il fut examiné une première fois le 8 juillet 1992, dans les locaux de la garde civile de Barcelone. On le conduisit devant le médecin légiste, qui ne s'identifia pas en tant que tel. Dans la pièce se trouvaient le supposé médecin légiste, un policier posté derrière ce dernier et qui l'intimidait par son regard menaçant, et un autre policier, situé derrière lui, qui lui donnait de petits coups dans le dos chaque fois qu'il s'adressait au médecin. Un deuxième examen médical eut effectivement lieu le 10 juillet 1992, à l'Audiencia Nacional. Le requérant affirme qu'à la question du médecin relative à d'éventuels mauvais traitements, il répondit « Qu'en pensez-vous ? ». Sur ce, le médecin l'invita à ôter son tee-shirt, ce qu'il fit. Après l'avoir examiné, le médecin lui dit : « On ne vous a rien fait. Vous avez quelques rougeurs, c'est tout ». Lorsqu'il entra dans le bureau du juge, on lui présenta son avocat, tout en lui indiquant qu'il ne pouvait communiquer avec lui. Le juge lui demanda s'il voulait faire une déclaration, ce qu'il refusa. Après, il eut un entretien en privé avec son avocat, qui lui conseilla de réitérer les déclarations qu'il avait faites à la Garde civile car cela permettrait d'obtenir du juge d'instruction sa mise en liberté sous caution. Le requérant précise qu'après cet entretien il revint avec son avocat dans le bureau du juge, qui lui posa cinq ou six questions, auxquelles il répondit affirmativement, concernant la déclaration qu'il avait faite à la police. Puis le juge ordonna sa mise en liberté moyennant une caution de 500 000 pesetas. Par ailleurs, certificat médical à l'appui, le requérant fait observer que, contrairement aux dires du Gouvernement, il fut examiné le 13 juillet 1992 par un médecin de l'hôpital de Gérone. Lors de cet examen, il se plaignit d'avoir subi des mauvais traitements durant sa détention dans les locaux de la police. Carles Buenaventura Cabanas a) Faits allégués par Carles Buenaventura Cabanas Le 6 juillet 1992 vers 22 heures, le requérant fut arrêté par la garde civile sur son lieu de travail. Il fut conduit au poste de la garde civile de Gérone, où il fut correctement traité. Il apprit toutefois par la suite que la garde civile, se servant du jeu de clés qu'il portait sur lui, avait fouillé, sans autorisation judiciaire, un appartement qu'il possédait à Salt. Il fut conduit à la Direction générale de la garde civile à Madrid. Dès son arrivée, les mauvais traitements commencèrent. Il fut obligé de faire des flexions et de rester debout face au mur. Conduit dans une salle la tête recouverte d'un torchon et d'un sachet noir, il fut interrogé pendant à peu près quatre heures, au cours desquelles il fut insulté, frappé à la tête et reçut des coups de pieds. De plus, le sachet en plastique placé sur sa tête était serré et desserré alternativement afin de provoquer l'asphyxie. On lui immergea aussi la tête dans l'eau trois ou quatre fois pour l'asphyxier. Parfois, on le laissait s'endormir, pour le réveiller brusquement en frappant des coups sur la porte et en proférant des menaces. Tout cela lui causa une grande fatigue. Il mangea très peu et fut contraint d'apprendre par cœur la déclaration qu'il devrait faire devant la police. On le menaça de mort et, une fois, on l'obligea à garder un objet métallique dans la bouche. Le lendemain, il fut examiné par un médecin légiste, qui ne prit pas note de ses plaintes. On l'interrogea ensuite, hors la présence d'un avocat, en lui rappelant ce qu'il devait dire devant le juge. L'après-midi du 8 juillet 1992, il fut conduit, avec un autre détenu, à l'Audiencia Nacional. Il déposa devant le juge central d'instruction no 5, en présence d'un avocat, rectifia les dépositions qu'il avait faites devant la garde civile, dénonça ses mauvais traitements, que le juge sembla ne pas prendre en compte, et fut remis en liberté. Le 10 juillet, il se rendit dans un hôpital de Gérone, où il fut examiné et dénonça les tortures qu'il avait subies. Un rapport médical fut établi. b) Rapports des médecins légistes Les rapports d'expertise établis par les médecins légistes le 8 juillet 1992, le matin à la Direction générale de la garde civile, l'après-midi à l'Audiencia Nacional, précisaient que le requérant disait qu'il n'avait pas dormi ni reçu d'aliments depuis son arrestation, et qu'il se plaignait d'avoir reçu des coups sur tout le corps. L'examen du requérant par le médecin légiste révéla une petite zone de contusion dorsale, peut-être due au fait que l'intéressé s'était appuyé contre quelque chose. Le médecin nota par ailleurs que le requérant se plaignait de douleurs, sans signe apparent de violences, à l'apex sternal, et qu'il présentait une rougeur et une érosion à la cuisse droite. Une deuxième visite n'apporta aucun élément nouveau. Une fois remis en liberté, le 10 juillet 1992, le requérant fut examiné par un médecin de l'hôpital de Gérone, qui constata l'existence d'hématomes dans la zone épigastrique ainsi que dans la partie postérieure du genou et du coude gauche. c) Observations en réponse du Gouvernement Concernant ce requérant, le Gouvernement relève qu'il ne fut pas jugé dans le cadre de la procédure menée devant l'Audiencia Nacional contre certains des requérants pour des délits d'appartenance à une bande armée ou de collaboration avec une bande armée, de possession d'explosifs, de possession illicite d'armes et de terrorisme. Le Gouvernement considère que n'ayant été ni accusé ni jugé l'intéressé ne saurait solliciter maintenant l'exécution d'un jugement qui ne le concerne pas. d) Observations en réplique du requérant En réplique aux observations du Gouvernement, le requérant précise que, contrairement à ce que soutient celui-ci, quelques jours après sa mise en liberté il porta plainte pour mauvais traitements contre les auteurs de sa détention. Bien que n'ayant pas été accusé dans le procès organisé devant l'Audiencia Nacional, il y participa en tant que témoin. Cela n'enlève rien au fait que, à l'instar des autres accusés, il fut arrêté en 1992, gardé à vue pendant trois jours, et subit des mauvais traitements de la part des agents de la garde civile dans leurs locaux de Madrid. Quant aux examens réalisés par le médecin légiste en application de la loi antiterroriste, ils furent superficiels, les locaux ne disposant d'aucun outillage médical approprié pour déceler les traces de mauvais traitements exécutés par des professionnels. Voilà pourquoi le médecin légiste n'a constaté que des rougeurs et des érosions, qu'il attribua du reste, dans certains cas, à des causes invraisemblables. Au demeurant, le requérant souligne que si le rapport médical exposant les résultats de l'examen effectué à Gérone dans les locaux de la garde civile ne fait état d'aucune lésion, dans celui relatif à l'examen effectué à Madrid, on peut en revanche déceler des indices de mauvais traitements. Le requérant souligne qu'après sa mise en liberté il se rendit à l'hôpital Josep Trueta de Gérone pour y être examiné de manière approfondie. Guillem De Palleja Ferrer-Cajigal a) Faits allégués par Guillem De Palleja Ferrer-Cajigal Arrêté à son domicile, le requérant fut conduit en voiture au poste de la garde civile à Barcelone, la tête recouverte d'une capuche, et fut obligé de rester agenouillé pendant qu'on l'interrogeait durement. Il fut ensuite conduit à la Direction générale de la garde civile à Madrid. A plusieurs reprises, on lui ôta la capuche et on lui mit un pistolet contre la tête ou dans la bouche. On menaça de violer sa compagne s'il ne parlait pas. Il entendit crier d'autres détenus. b) Rapports des médecins légistes Le requérant fut examiné le 8 juillet 1992 par le médecin légiste : le matin dans les locaux de la Direction générale de la garde civile et l'après-midi à l'Audiencia Nacional. Lors de la première visite, il déclara que depuis son arrestation il n'avait fait l'objet d'aucune violence mais n'avait ni dormi ni reçu d'aliments. Il dit ne pas souhaiter être examiné. Lors de la deuxième visite, l'après-midi, il redit ne pas souhaiter être examiné et affirma qu'il se sentait bien mais qu'il n'avait pas reçu d'aliments. c) Observations en réponse du Gouvernement Comme pour le requérant précédent, le Gouvernement relève que Guillem De Palleja Ferrer-Cajigal ne fut pas jugé dans le cadre de la procédure menée devant l'Audiencia Nacional contre certains des requérants pour des délits d'appartenance à une bande armée ou de collaboration avec une bande armée, de possession d'explosifs, de possession illicite d'armes et de terrorisme. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant maintient ses allégations de mauvais traitements aux mains de la garde civile. Xavier Alemany Juanola a) Faits allégués par Xavier Alemany Juanola Le 7 juillet 1992, le requérant fut arrêté par la garde civile dans la boucherie où il travaillait. Il fut conduit au commissariat de l'Estartit, où il reçut des coups à la tête et des insultes. Il fut ensuite conduit au commissariat de Gérone, puis à la Direction générale de la garde civile à Madrid. On lui mit sur la tête un sachet en plastique, que l'on serra ensuite. Il fut battu et reçut des menaces dirigées contre ses proches. b) Rapports médicaux Le médecin légiste de l'Audiencia Nacional qui l'examina le 10 juillet 1992 ne releva aucune lésion corporelle. Une fois remis en liberté, le 11 juillet 1992, le requérant fut examiné par un médecin de l'hôpital de Gérone, qui constata une contusion à la tête. c) Observations en réponse du Gouvernement Comme pour les deux requérants précédents, le Gouvernement relève que Xavier Alemany Juanola ne fut pas jugé dans le cadre de la procédure menée devant l'Audiencia Nacional contre certains des requérants pour des délits d'appartenance à une bande armée ou de collaboration avec une bande armée, de possession d'explosifs, de possession illicite d'armes et de terrorisme. Josep Muste Nogué a) Faits allégués par Josep Muste Nogué Le 29 juin 1992 vers 2 heures du matin, le requérant fut arrêté sur le chemin de son domicile et conduit au commandement de la garde civile de Barcelone. Pendant le trajet, qu'il fit les yeux bandés, on lui mit sur la tête un sachet, que l'on serra pour provoquer l'asphyxie, et on menaça de le jeter dans le lac de Banyoles. A l'arrivée, il fut frappé aux testicules, aux reins, et aux oreilles avec un gros livre. Ses tortionnaires menacèrent de lui administrer des décharges électriques et de violer l'un après l'autre sa compagne, puis de la tuer de façon « accidentelle ». Il fut contraint de se dénuder. Puis il fut conduit, les yeux bandés, dans une petite cellule très sale. Il fut par la suite examiné par un médecin légiste. Rentré dans sa cellule, il put boire de l'eau mais se vit refuser l'autorisation d'aller aux toilettes et dut faire ses besoins sur place, sans pouvoir se changer avant son arrivée à Madrid, cinq jours après son arrestation. Il fut à nouveau interrogé. On lui recouvrait la tête d'un sachet poubelle lorsqu'il ne donnait pas les réponses qu'on attendait de lui ou ne répondait pas dans l'ordre. Conduit à sa cellule, il fut forcé à faire des flexions, sans pouvoir se reposer. Il fut ensuite transféré à Madrid, où il fut examiné par un médecin légiste, devant lequel il fit état de douleurs à l'œil consécutives aux coups reçus. Pendant les nouveaux interrogatoires, un sachet en plastique qui avait été placé sur sa tête était alternativement serré et desserré. On le frappa aussi à la tête avec un annuaire téléphonique. Plus tard, il fut encore une fois interrogé, dans un bureau, par trois personnes, en présence de quelqu'un qui avait été présenté comme avocat, mais avec lequel il ne put parler et qui ne s'adressa même pas à lui. Il finit par déclarer ce qu'on voulait. Il reçut ensuite des décharges électriques dans un bras et perdit ainsi connaissance. Il fut finalement conduit devant le juge central d'instruction no 5, devant lequel il dénonça les mauvais traitements qu'il avait subis. Aucune suite ne fut toutefois donnée à ses déclarations. b) Rapports des médecins légistes Le rapport établi par le médecin légiste le 30 juin 1992 constatait l'existence d'hématomes superficiels sur le flanc gauche, la région lombaire et le coude gauche, mais précisait que le requérant n'affirmait pas avoir subi des mauvais traitements. Le rapport du 1er juillet 1992 relevait que le requérant était en bon état de santé, à l'exception d'une gêne à l'œil gauche liée à une légère conjonctivite. Le rapport du 2 juillet constatait une amélioration de l'œil gauche et une douleur à l'épaule gauche, notant une contraction musculaire, probablement posturale et liée au fait que l'intéressé avait mal dormi. Il précisait que le requérant affirmait avoir mangé et n'avoir pas subi de mauvais traitements. L'intéressé fut aussi examiné les 1er et 2 juillet 1992 à la Direction générale de la garde civile, où il déclara qu'il avait été traité correctement. Lors d'un nouvel examen, effectué le 3 juillet 1992, il affirma avoir reçu des « décharges » et des menaces. Le médecin constata l'évolution favorable de la conjonctivite et des hématomes déjà mentionnés, ainsi que la marque des menottes. Placé en détention provisoire, le requérant passa un examen médical au centre pénitentiaire de Madrid I le 4 juillet 1992. Dans son rapport, le médecin officiel informa le directeur du centre que l'intéressé s'était plaint de mauvais traitements durant sa détention et qu'il présentait un hématome diffus de couleur verdâtre à l'omoplate droite et un autre, de couleur violacée, sur la fosse lombaire gauche. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement fait observer que le 30 juillet 1995 le requérant introduisit devant la Commission européenne des Droits de l'Homme une requête dans laquelle il se plaignait d'avoir subi des mauvais traitements pendant sa détention en 1992 (requête no 30896/96). Cette requête ayant été déclarée irrecevable par une décision de la Commission du 28 novembre 1996, celle dont la Cour est saisie en l'espèce doit être rejetée comme étant essentiellement la même que la précédente, conformément à l'article 35 § 2 b) de la Convention. En conséquence, le Gouvernement n'a pas jugé utile de présenter d'observations sur le fond du grief. Sur ce point, la Cour renvoie à sa décision sur la recevabilité du 18 novembre 2003. Ramón López Iglesias a) Faits allégués par Ramón López Iglesias Le 1er juillet 1992 à 20 h 25, le requérant fut arrêté par des gardes civils en tenue de ville au siège du « Moviment de Defensa de la Terra », organisation politique catalane de gauche qui revendique l'indépendance des pays catalans, selon sa propre description. Menotté, il fut conduit dans une voiture au poste de la garde civile à Barcelone. Pendant le trajet, on lui mit sur la tête un sachet en plastique, que l'on serra pour provoquer l'asphyxie, et il fut frappé au visage, à la tête et aux côtes. A l'arrivée, il fut placé dans une cellule. Les yeux bandés et nu, il fut battu, la tête recouverte d'un sachet en plastique, que l'on serrait au fur et à mesure, et il fut insulté et menacé de mort accidentelle, obligé de s'agenouiller, un pistolet contre la tête. On le frappa à la tête avec un gros livre. Après quelques heures, il fut menotté à une chaise et, les yeux bandés, il fut examiné de manière brutale par un soi-disant médecin légiste qui ne déclina pas son identité. Il fut ensuite menotté à un radiateur. Il se rendit aux toilettes, où il urina du sang. Transféré en voiture à Madrid, il fut dès son arrivée interrogé les yeux bandés. Divers délits lui furent imputés par une personne qui prétendait le connaître. Lorsqu'on commençait à l'interroger, le requérant avait normalement un sachet en plastique sur la tête, les yeux bandés, et les menottes serrées à la chaise. Il fut dévêtu et mouillé, puis on lui appliqua des décharges électriques sur les organes génitaux et sur d'autres parties de son corps. Une autre fois, il resta à genoux, les mains menottées derrière le dos, le sachet serré sur la tête pendant qu'on le frappait. On menaça d'arrêter, de torturer et de violer sa compagne. Il fut examiné trois fois par un médecin légiste, L.L., auquel il fit part des tortures qu'il avait subies. Il mangea pour la première fois à Madrid, probablement la troisième nuit. Il fut interrogé par la garde civile en présence de quelqu'un qui fut présenté comme étant avocat. Le 5 juillet, il fut finalement conduit devant le juge central d'instruction no 5, où il dénonça les mauvais traitements auxquels il avait été soumis, tant à Barcelone qu'à Madrid. b) Rapports des médecins légistes Le requérant fut examiné après son arrestation par un médecin, qui ne releva aucune lésion concrète. Le 2 juillet 1992, avant son transfert à Madrid, il fut examiné à nouveau par un médecin, qui ne constata pas de lésion concrète. Le même jour, à Madrid, il fut examiné par un médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci, après avoir résumé les antécédents médicaux du détenu, indiqua que l'intéressé disait que son arrestation n'avait pas été violente mais qu'il avait reçu des coups sur la tête et au cou avant son arrivée à Madrid. Le médecin ajouta que le requérant affirmait ne pas avoir reçu d'aliments et ne pas avoir dormi depuis son arrestation. Il précisa que lors de l'examen il n'avait relevé que les marques des menottes aux poignets. Dans son rapport du 3 juillet 1998, le médecin légiste indiqua que le requérant avait fait référence à de mauvais traitements consistant en des coups sur la tête. Il nota par ailleurs une conjonctivite d'origine non traumatique à l'œil gauche. Dans son rapport du 4 juillet 1992, il précisa que le requérant avait mentionné des mauvais traitements consistant principalement dans le fait qu'on ne l'avait pas laissé dormir et qu'on l'avait frappé à la tête. Le médecin légiste constata des rougeurs de type allergique aux aisselles, une amélioration de la conjonctivite et un hématome datant de quatre à cinq jours dans la région scapulaire gauche. Dans son rapport relatif à l'examen du 5 juillet 1992, le médecin légiste releva que le requérant disait qu'il se sentait mieux et plus détendu, qu'il avait dormi et qu'il avait reçu de la nourriture. Il précisa que l'intéressé affirmait qu'il avait reçu des coups sur la tête et sur l'estomac, qu'il avait fait l'objet de menaces et qu'il souffrait, conséquence du port des menottes, de parésie des 1er et 5ème doigts de la main droite. Il ne constata pas de marques de violence. En outre, il releva que le détenu s'orientait correctement dans le temps et dans l'espace et qu'il remplissait les conditions pour être entendu par le juge. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant estime qu'il se dégage de ces dernières des données objectives qui sont autant d'indices de tortures. A cet égard, il fait remarquer qu'en date du 4 juillet 1992, après quatre jours de détention et d'interrogatoires, le médecin légiste observa l'existence d'un hématome de quatre ou cinq jours d'évolution dans la région scapulaire gauche. D'après le requérant, ces lésions étaient la conséquence des traitements contraires à l'article 3 de la Convention que la garde civile lui avait infligés durant sa détention. Quant à la conjonctivite, elle était due au fait qu'il avait été privé de sommeil durant sa détention. Marcel Dalmau Brunet a) Faits allégués par Marcel Dalmau Brunet Le 4 juillet 1992 à 10 h 15, le requérant fut arrêté à son domicile par des gardes civils et conduit, sans violence, au poste de la garde civile à Gérone, où il fut examiné par un médecin légiste. Il fut ensuite transféré à la Direction générale de la garde civile à Madrid. Il subit des tortures par périodes approximatives de deux heures, avec des interruptions de quinze minutes entre chaque session. Ses tortionnaires étaient au nombre de six environ. Ils lui plaçaient un sachet en plastique sur la tête, qu'ils serraient au fur et à mesure et dans lequel ils soufflaient de temps à autre de la fumée de cigarette, ils l'obligeaient à rester agenouillé et menotté pendant qu'ils le frappaient. b) Rapports des médecins légistes Le 4 juillet 1992, le requérant fut examiné à 16 h 30 à Gérone par un médecin légiste, qui ne constata pas de lésions. Le 5 juillet 1992, après avoir été transféré à Madrid dans les locaux de la Direction générale de la garde civile, il fut à nouveau examiné par un médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci indiqua que le requérant disait qu'il n'avait fait l'objet d'aucune violence depuis son arrestation et qu'il refusait de répondre sur la manière dont il avait été traité. L'examen révéla une petite zone d'inflammation récente au niveau occipital et de petites zones de rougeurs aux épaules et sur le côté, ainsi que des contusions et des érosions aux deux genoux. Le 6 juillet 1992 à 0 h 30, le requérant tenta de se suicider et fut admis à l'hôpital, où ses lésions furent décrites dans le rapport médical établi à cette occasion. Lors de la visite du médecin légiste, le requérant déclara s'être blessé lui-même contre les murs de sa cellule. Le 7 juillet 1992, une fois sorti de l'hôpital, il fut examiné à l'Audiencia Nacional par le médecin légiste. Dans son rapport, celui-ci releva que le requérant avait quitté l'hôpital le matin même, après que l'on eut constaté que les examens réalisés étaient normaux et qu'il n'y avait pas eu de complications pendant la période d'observation. Le médecin indiqua que le requérant disait avoir dormi et s'être nourri, et qu'il ne faisait pas état de mauvais traitements. Il précisa que son examen avait révélé des contusions pariétales et une amélioration des érosions dans les zones de contusion des deux genoux. Il indiqua qu'il avait prescrit un traitement analgésique et anti-inflammatoire. Il constata pour terminer que le requérant s'orientait correctement dans le temps et dans l'espace et qu'il ne paraissait atteint d'aucune pathologie psychique ou neurologique. Il conclut que l'intéressé remplissait les conditions physiques et psychiques pour être entendu par le juge. Quant à la contusion au coude, il précisa qu'elle évoluait favorablement. Dans sa déclaration devant le juge, le requérant réitéra les déclarations faites à la garde civile. En outre, il fit état d'une forte dépression nerveuse à l'origine des coups contre les murs de sa cellule. c) Observations en réponse du Gouvernement Le Gouvernement indique que le requérant fut arrêté le 4 juillet 1992 à 10 h 15 et informé de ses droits. Il estime qu'il n'existe aucun élément objectif étayant le grief de l'intéressé tiré de l'article 3 de la Convention. d) Observations en réplique du requérant Dans ses observations en réplique à celles du Gouvernement, le requérant réaffirme qu'il y a des preuves objectives démontrant qu'il a été torturé par les agents qui l'ont gardé à vue. A l'appui de ses allégations, il se réfère aux divers rapports des médecins légistes et aux déclarations faites par lui. Il souligne que lors du procès devant l'Audiencia Nacional le médecin légiste qui l'avait examiné lorsqu'il s'était agi de déterminer l'origine de ses blessures antérieures à sa tentative de suicide affirma que celles-ci étaient d'origine récente et violente, et admit que l'on ne pouvait écarter aucune hypothèse, celle de mauvais traitements étant donc tout à fait plausible. En outre, le requérant insiste sur le fait que les dépositions faites par lui devant la garde civile ont été dénoncées par lui comme étant illégitimes, notamment parce qu'elles ont eu lieu à l'hôpital à 22 h 45, en pleine nuit. Sa déposition eut lieu le jour même où on lui diagnostiqua à l'hôpital « un polytraumatisme, des contusions et érosions multiples, et un hématome crânien sous-cutané». Concernant sa tentative de suicide, le requérant fait observer qu'à en croire l'avocat de l'Etat, la tentative se serait produite à 0 h 30. Le médecin aurait ensuite été appelé, et il aurait « donné son accord pour le faire admettre dans une clinique proche, la « Clinica de la Concepción » ». Dans un rapport de police, il est dit qu'il fit l'objet d'un examen médical et qu'il fut transféré immédiatement à l'hôpital à 4 h 45. Si ces deux données sont vraies, on peut en déduire qu'il est resté dans cet état pendant quatre heures quinze minutes sans surveillance médicale. En outre, selon les registres d'entrée de l'hôpital, il serait arrivé à la « clinique proche » à 6 heures le 6 juillet 1992, c'est-à-dire, pour être précis, cinq heures et demie après l'incident. Concernant ce point précis des affirmations du représentant de l'Etat, le requérant demande qu'il fournisse le rapport complet du personnel de garde cité, d'autant plus qu'il y a d'autres points à préciser et à éclaircir. En outre, il fait observer qu'il n'a jamais eu connaissance du rapport du médecin légiste en date du 7 juillet 1992 cité par l'agent du Gouvernement. Il y serait question d'une contusion au coude évoluant de manière favorable qui ne se trouve mentionnée dans aucun rapport médical antérieur. Pour cela aussi, le requérant sollicite la communication dudit rapport médical. Le requérant met par ailleurs en exergue l'absence significative de commentaires du Gouvernement concernant le rapport d'expertise du 5 juillet 1992. Comment en effet expliquer l'apparition subite de lésions le 5 juillet 1992 s'il n'y pas eu emploi de la force lors de l'arrestation, et si le médecin légiste n'a noté aucune marque ni aucune lésion postérieure à l'arrestation ? Il y a certes eu une tentative de suicide, mais le lendemain du rapport en question. Le requérant note que le représentant de l'Etat évite soigneusement de faire tout commentaire sur le rapport médical du 5 juillet 1992. Il se demande alors quelle est l'origine des lésions constatées le 5 juillet 1992. A cet égard, il fait observer qu'interrogé sur ce rapport lors du procès qui eut lieu en 1995 à l'Audiencia Nacional le médecin légiste, Mme L.L.G., répondit que les lésions en cause étaient récentes et d'origine violente quoique non déterminable. Quant à savoir si elles pouvaient provenir d'éventuels mauvais traitements, Mme L.L.G. répondit ne pouvoir se prononcer, ce qui est en contradiction totale avec ce qu'elle avait elle-même affirmé dans son rapport d'expertise. B. Procédures suivies devant les juridictions internes Procédure 23/94 devant l'Audiencia Nacional (à partir de l'instruction – diligencias previas – 239/92, effectuée par le juge central d'instruction no 5 de Madrid) Suite aux allégations de mauvais traitements formulées par les requérants, et dans le cadre de la procédure menée devant l'Audiencia Nacional contre la plupart des requérants pour des délits d'appartenance à une bande armée ou de collaboration avec une bande armée, de possession d'explosifs, de possession illicite d'armes et de terrorisme, le juge central d'instruction no 5, par une ordonnance du 14 juillet 1992, invita le médecin légiste ayant examiné les requérants durant leur garde à vue à Madrid, Mme L.L.G., à lui présenter un rapport relatant de manière exhaustive les faits de la cause et précisant où et comment les examens médicaux avaient eu lieu, si des personnes autres que les requérants et le médecin légiste y avaient assisté, s'il avait été demandé aux suspects s'ils avaient fait l'objet de mauvais traitements, si le médecin légiste s'était identifié et de quelle façon, quelle avait été la fréquence des examens et si d'éventuels signes de mauvais traitements avaient été constatés. Le médecin légiste présenta son rapport le 21 juillet 1992. Il y précisait que les visites médicales avaient eu lieu, en l'absence de tiers, dans un bureau agréé de la Direction générale de la garde civile puis/ou dans un bureau agréé situé au sein des locaux de détention de l'Audiencia Nacional. Après s'être identifié, le médecin légiste avait chaque fois demandé au suspect s'il avait été traité correctement ou s'il avait été maltraité. A compter de leur arrivée à Madrid, les détenus avaient été examinés chaque jour, puis ils l'avaient été à nouveau après leur transfert dans les locaux de détention de l'Audiencia Nacional. Quant au détenu automutilé (Dalmau Brunet), il avait été transféré dans un hôpital. Le rapport comportait par ailleurs un compte rendu individualisé des visites et examens dont chaque détenu avait fait l'objet. Première procédure ouverte par le juge d'instruction no 22 de Madrid sur plainte des requérants pour mauvais traitements (procédure no 4061/92) Le 1er août 1992, le requérant Carles Buenaventura Cabanes déposa plainte au pénal pour blessures et tortures. Ultérieurement, d'autres plaintes furent déposées par les autres requérants pour les mêmes délits. Par une décision du 22 avril 1993, le juge d'instruction rendit un non-lieu provisoire au motif que, d'après les rapports des médecins légistes, il n'était pas prouvé que les plaignants eussent subi des mauvais traitements durant leur détention. Le recours en réforme devant le même juge fut rejeté par une décision du 16 juin 1993. Au premier motif donné dans sa décision antérieure, le juge ajouta que, compte tenu du récit des faits livré par les plaignants, il était difficile d'identifier les auteurs des mauvais traitements allégués. L'appel contre cette décision fut rejeté par l'Audiencia Provincial de Madrid le 9 septembre 1993. L'Audiencia Provincial rappela que, conformément à l'article 641 § 1 du code de procédure pénale, le non-lieu provisoire était prononcé lorsque la perpétration du délit n'était pas dûment prouvée. Contre cette dernière décision, un autre détenu, M. Piqué Huertas, forma un recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel sur le fondement de l'article 24 de la Constitution (droit à un procès équitable). Par une décision du 21 novembre 1994, la haute juridiction déclara le recours d'amparo irrecevable au motif que les décisions rendues étaient amplement motivées et que le fait que le requérant fût en désaccord avec l'appréciation et l'interprétation des preuves effectuées par les tribunaux internes ne pouvait à lui seul constituer une violation des dispositions invoquées. Elle précisa que le plaignant au pénal n'avait pas un droit illimité à obtenir l'administration des moyens de preuve proposés par lui et jugés non nécessaires par le tribunal a quo. Réouverture de la procédure d'instruction concernant les faits dénoncés par les requérants A une date non précisée, la procédure d'instruction fut rouverte. Par une décision du 6 février 1994, le juge d'instruction no 22 décida le non-lieu provisoire. Cette décision fut confirmée par l'Audiencia Provincial de Madrid le 1er juin 1994. Un recours d'amparo présenté par les requérants fut déclaré irrecevable par le Tribunal constitutionnel le 21 novembre 1994. La haute juridiction souligna que le classement du dossier d'instruction était fondé sur les rapports d'expertise, qui concluaient à l'absence chez les détenus de traces de violences pouvant être le résultat de voies de fait. Elle nota également que la difficulté de découvrir les auteurs présumés des faits dénoncés tenait précisément au contenu des plaintes déposées par les requérants. Requête (no 30896/96) introduite par le requérant Josep Muste Nogué contre l'Espagne devant la Commission européenne des Droits de l'Homme Le 30 juillet 1995, le requérant Muste Nogué introduisit un recours devant la Commission européenne des Droits de l'Homme. Invoquant les articles 3, 5 § 3, 6 §§ 2 et 3 c), 8, 9 et 14 de la Convention, il se plaignait d'avoir subi fin juin 1992 des mauvais traitements et des tortures aux mains de la garde civile lors de son transfert devant le juge d'instruction. Par une décision du 28 novembre 1996, rendue par un comité de trois membres, la Commission déclara la requête irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, conformément aux anciens articles 26 et 27 § 3 de la Convention. Arrêt de l'Audiencia Nacional du 10 juillet 1995 Par un arrêt rendu par l'Audiencia Nacional le 10 juillet 1995, les requérants David Martínez Sala, Esteve Comellas Grau, Jordi Bardina Vilardell, Joan Rocamora Aguilera, Jaume Olivares Maristany et Marcel Dalmau Brunet furent condamnés à des peines d'emprisonnement allant, selon le cas, de un an à dix ans pour des délits d'appartenance à une bande armée ou de collaboration avec une bande armée, de possession d'explosifs, de possession illicite d'armes et de terrorisme, les requérants Eduard Pomart Pérez, Eduard López Domenech, José Poveda Planas et Ramón López Iglesias étant pour leur part relaxés. Quant aux requérants Carles Buenaventura Cabanas, Guillem De Palleja Ferrer-Cajigal et Francesc Xavier Alemany Juanola, ils participèrent à la procédure en tant que témoins. En ce qui concerne les tortures et mauvais traitements allégués, l'Audiencia Nacional estima que cette question ne pouvait pas être examinée devant elle, dans la mesure où un tel examen porterait atteinte au principe de la présomption d'innocence, qui devait s'appliquer aux auteurs supposés des sévices qui n'étaient pas accusés dans le cadre de procédure. Toutefois, la pertinence de cette allégation de mauvais traitements fut prise en compte pour l'appréciation de la véracité des dépositions faites – toutes en présence d'avocats – par les requérants. Cela dit, le ministère public ne fonda pas ses accusations sur les déclarations faites par les requérants devant la police ou la garde civile, et l'Audiencia Nacional ne se servit pas de celles-ci pour motiver son arrêt. Sans examiner le bien-fondé des allégations, elle décida de les transmettre aux tribunaux compétents. Deuxième procédure devant le juge d'instruction no 22 de Madrid Le 20 mai 1997, constatant que l'Audiencia Nacional n'avait pas donné suite à la décision de renvoi aux tribunaux compétents des allégations de mauvais traitements, les requérants présentèrent un écrit sollicitant l'exécution de cette décision et demandant que leurs allégations de tortures fussent examinées par le juge d'instruction no 22 de Madrid, chargé d'instruire, dans le cadre de la procédure 4061/92, les premières plaintes déposées par les requérants pour mauvais traitements. 100. Le 26 juin 1997, l'Audiencia Nacional remit les déclarations des requérants au juge d'instruction, qui les joignit à la procédure 4061/92, qui avait fait l'objet d'un non-lieu provisoire. 101. Les 23 septembre et 2 octobre 1997, les requérants se présentèrent devant le juge et demandèrent à consulter le dossier de l'instruction afin de pouvoir solliciter les actes de procédure qu'ils estimaient pertinents. Le 26 septembre 1997, deux autres personnes, dont l'une avait également été poursuivie et condamnée dans le cadre de la procédure menée devant l'Audiencia Nacional, se portèrent accusateurs privés et demandèrent au juge d'instruction d'inviter la Direction générale de la garde civile à joindre au dossier d'instruction copie des procès-verbaux des interrogatoires subis en détention. 102. Le 5 novembre 1997, le juge no 22 prononça le non-lieu provisoire au motif qu'il n'y avait pas d'éléments prouvant la perpétration des mauvais traitements allégués. Il se référa à une décision qu'il avait rendue le 22 avril 1993 au sujet des mêmes faits et dans laquelle il avait déjà ordonné le non-lieu provisoire au motif qu'il résultait du dossier que les accusateurs s'étaient automutilés, ainsi qu'à la décision rendue en appel le 9 septembre 1993 par l'Audiencia Provincial de Madrid, qui, se fondant sur l'ample expertise du médecin légiste, avait conclu que les mauvais traitements dénoncés n'étaient pas prouvés. Le juge no 22 se référa également à une nouvelle ordonnance de non-lieu provisoire, datée du 14 octobre 1993, dans laquelle il était constaté que, d'après les expertises médicales, les détenus ne présentaient pas de traces de violences. Cette ordonnance de non-lieu avait été confirmée en appel par une décision de l'Audiencia Provincial de Madrid en date du 1er juin 1994. Le juge no 22 se référa enfin à la décision rendue par le Tribunal constitutionnel le 21 novembre 1994 et selon laquelle le classement du dossier d'instruction était fondé sur les rapports d'expertise, qui concluaient à l'absence chez les détenus de traces de violences pouvant être résultées de voies de fait. 103. Le juge d'instruction no 22 conclut par conséquent que l'absence de de nouveaux éléments par rapport au premier examen des plaintes des requérants ne pouvait que l'amener à confirmer le non-lieu provisoire déjà ordonné, sans qu'il fût nécessaire d'entreprendre de nouvelles investigations, dont le seul effet serait de prolonger la procédure de manière inutile. 104. Les requérants présentèrent un recours en réforme auprès du même juge d'instruction et firent subsidiairement appel devant l'Audiencia Provincial de Madrid. Ils fondaient leurs recours sur l'erreur que le juge d'instruction avait selon eux commise dans l'appréciation des déclarations, transmises par l'Audiencia Nacional, qu'ils avaient faites devant la police judiciaire et le juge central d'instruction, puis à l'audience devant la juridiction de jugement. Ils plaidaient par ailleurs la violation de diverses dispositions légales et constitutionnelles concernant le droit à la protection effective de la justice, le droit à une décision motivée et le principe de non-discrimination. Ils soulignaient notamment la nécessité pour le juge d'instruction d'inviter l'Audiencia Nacional à lui remettre les pièces du dossier contenant les expertises et les déclarations de témoins, en particulier celles des agents qui avait été chargés de leur surveillance pendant leur garde à vue, s'il voulait procéder à une vérification du contenu des plaintes formulées par les requérants. 105. Par une décision du 29 décembre 1997, le juge d'instruction no 22 rejeta le recours en réforme et confirma sa décision du 5 novembre 1997. Procédure en appel devant l'Audiencia Provincial de Madrid 106. En appel devant l'Audiencia Provincial de Madrid, les requérants réitérèrent dans leur mémoire du 7 janvier 1998 leurs demandes tendant à ce que soient mises à la disposition du tribunal les déclarations des agents de la police judiciaire qui avaient été chargés de mener l'enquête ainsi que les expertises soumises dans le cadre de cette procédure. Par une ordonnance du 13 janvier 1998, l'Audiencia Provincial rejeta les demandes concernant l'incorporation au dossier des pièces de la procédure suivie devant l'Audiencia Nacional. Dans un mémoire du 20 janvier 1998, les requérants se joignirent au mémoire présenté par les deux autres personnes qui s'étaient portées accusateurs privés dans la procédure et avaient elles aussi demandé que les expertises et les témoignages produits par les agents de la police judiciaire devant l'Audiencia Nacional fussent versés au dossier avant qu'il ne fût statué sur l'appel. 107. Par une décision du 22 février 1999, l'Audiencia Provincial de Madrid rejeta l'appel interjeté subsidiairement par les requérants, confirmant ses propres décisions des 9 septembre 1993 et 1er juin 1994, dans la mesure où les preuves recueillies et le rapport du médecin légiste ne permettaient pas de conclure à la réalité des mauvais traitements dénoncés. L'Audiencia Provincial nota qu'aucun élément nouveau n'avait été apporté dans la procédure et rappela que le droit à la protection effective de la justice n'avait pas été enfreint, dès lors que ce droit n'impliquait pas l'ouverture d'une procédure contre des personnes déterminées, mais permettait une qualification juridique des faits pouvant conduire, comme en l'espèce, au non-lieu. Procédure d'amparo devant le Tribunal constitutionnel 108. Invoquant les articles 24 (droit à un procès équitable), 10 (droit à la dignité de la personne), 14 (principe de non-discrimination) et 15 (droit à la vie et interdiction absolue des tortures, traitements inhumains et dégradants) de la Constitution, les requérants saisirent le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo. Se référant aux déclarations faites par eux devant l'Audiencia Nacional concernant les mauvais traitements dont ils avaient fait l'objet durant leurs interrogatoires par les agents des forces de sécurité, ils faisaient valoir que le récit extrêmement détaillé des agissements de leurs tortionnaires rendait plus que probable la version des faits qu'ils avaient exposée. La véracité des faits dénoncés résultait, d'après eux, de la coïncidence quant aux dates, au lieu et aux modalités des tortures et mauvais traitements infligés lors des interrogatoires réalisés à la Direction générale de la garde civile. Les requérants se plaignaient qu'en dépit du contenu plus que suffisant de ces déclarations le juge d'instruction, sans procéder à aucun acte d'investigation complémentaire ni même simplement vérifier les informations qui y étaient contenues et après avoir rejeté toutes les demandes d'administration de preuves faites par eux, avait ordonné le non-lieu provisoire dans la procédure. Ils soutenaient que le juge d'instruction avait fondé sa décision uniquement sur les décisions rendues antérieurement par d'autres instances, sans aucune référence au contenu des déclarations transmises par l'Audiencia Nacional, se limitant à constater l'absence d'éléments nouveaux propres à améliorer sa connaissance des faits. Ils soulignaient que les tribunaux ayant connu de leurs plaintes n'avaient pas demandé la communication de tous les éléments de preuve recueillis par l'Audiencia Nacional. En conclusion, ils estimaient que les tribunaux avaient prononcé le non-lieu sans avoir mené la moindre investigation pour vérifier la véracité des faits dénoncés. 109. Par une décision du 29 novembre 1999, notifiée le 14 décembre 1999, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours au motif que les juridictions ayant rendu les décisions critiquées avaient estimé, par des motifs suffisants, non déraisonnables et non arbitraires, qu'il fallait prononcer à nouveau le non-lieu, dans la mesure où la commission des délits dénoncés n'avait pas été prouvée. Ainsi, d'une part, la décision du 5 novembre 1997 soulignait l'absence d'éléments nouveaux par rapport aux ordonnances de non-lieu déjà rendues. D'autre part, la décision du 29 décembre 1997 confirmait que la lecture des dépositions faites par les accusés lors des débats oraux n'avait révélé aucune conduite pénale de tel ou tel agent des corps de la sécurité de l'Etat. Enfin, le Tribunal constitutionnel précisait que la transmission du dossier par l'Audiencia Nacional n'avait fourni aucun élément qui n'eût été pris en compte auparavant dans les ordonnances de non-lieu. Il ajoutait qu'il n'y avait aucune donnée significative permettant de conclure à la commission des délits dénoncés, dans la mesure où les dépositions des plaignants étaient déjà incorporées dans le dossier et que le non-lieu avait été ordonné sur la base des rapports des médecins légistes. Il précisait, au demeurant, que cette motivation satisfaisait largement aux exigences de l'article 24 de la Constitution. 110. Le Tribunal constitutionnel rappela par ailleurs que le plaignant au pénal n'avait pas un droit illimité à l'administration des moyens de preuve proposés ni à l'ouverture de débats oraux, et que tant les décisions d'irrecevabilité que celles prononçant le non-lieu étaient conformes au système constitutionnel. Insistant sur ce point, la haute juridiction se référa à sa jurisprudence constante selon laquelle ni le plaignant au pénal ni la victime d'un délit n'avaient un droit absolu à un procès sur le bienfondé du recours, l'un et l'autre pouvant seulement prétendre à une décision judiciaire motivée sur la qualification juridique des faits et les raisons de l'irrecevabilité du recours. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. La Constitution 111. Les dispositions de la Constitution espagnole pertinentes en l'espèce sont ainsi libellées : Article 15 « Toute personne a droit à la vie et à l'intégrité physique et morale. Nul ne peut être soumis, quelles que soient les circonstances, à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) » Article 24 « 1. Toute personne a droit à obtenir la protection effective des juges et tribunaux dans l'exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu'en aucun cas elle puisse être mise dans l'impossibilité de se défendre. De même, chacun a droit à être traduit devant le juge ordinaire déterminé par la loi, à être défendu et assisté par un avocat, à être informé de l'accusation portée contre lui, à bénéficier d'un procès public sans délais indus et avec toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas déclarer contre lui-même, à ne pas faire des aveux et à être présumé innocent. (...) » B. Le code de procédure pénale 112. Les dispositions du code de procédure pénale pertinentes en l'espèce sont les suivantes : Article 110 « Les personnes lésées à cause d'un délit ou d'une faute (...) peuvent se constituer partie dans la procédure (...) et poursuivre les actions civiles et pénales pouvant en découler (...). » Article 300 « Tout délit porté devant l'autorité judiciaire doit faire l'objet d'une instruction pénale (...) » Article 637 « Le non-lieu définitif est prononcé : Quand le fait n'est pas constitutif d'un délit. (...) » C. La loi organique du pouvoir judiciaire 113. L'article 248 § 2 de la loi organique du pouvoir judiciaire énonce : Article 248 § 2 « Toute décision doit être motivée et contenir, dans des paragraphes séparés et numérotés, les faits et les raisonnements juridiques et, en dernier lieu, le dispositif. Elle doit être signée par le juge, le magistrat ou les magistrats l'ayant rendue. (...) »
0
0
0
0
0
1
0
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1970 et réside à Hadjievo. Suite à une manifestation qui eut lieu aux abords de l’Assemblée nationale le 10 janvier 1997, les services de l’instruction de Sofia ouvrirent une information contre X concernant les débordements survenus au cours de la manifestation. Le requérant fut arrêté dans le cadre de cette enquête le 28 janvier 1997 et placé en garde à vue. Le 29 janvier 1997, il fut entendu par un enquêteur des services de l’instruction, mis en examen et placé en détention provisoire. Le placement en détention fut confirmé par un procureur. On lui reprocha, d’une part, d’avoir volé un blouson en cuir dans un des véhicules de fonction de l’Assemblée et, d’autre part, de ne pas avoir remis aux autorités un objet trouvé sur les lieux, à savoir une montre bracelet. Ces faits étaient visés et réprimés respectivement par les articles 194 et 207 du Code pénal. A une date non précisée, le requérant introduisit une demande d’élargissement devant le procureur de district (районен прокурор). Par une ordonnance du 15 mars 1997, le procureur confirma la détention, considérant que le requérant était accusé d’une infraction intentionnelle grave, qu’il avait commis les faits pendant le délai de sursis d’une précédente condamnation pour vol de voiture et qu’il n’avait pas de domicile fixe à Sofia, circonstances qui justifiaient un risque de fuite, d’entrave à l’enquête ou de commission d’une nouvelle infraction. Le 11 avril 1997, le procureur ordonna la prolongation de l’instruction pour une durée de soixante jours et confirma la mesure de détention provisoire, sans motivation particulière. Le 5 mai 1997, l’affaire du requérant fut disjointe de la procédure principale contre X. Le 10 mai 1997, l’enquêteur clôtura l’instruction. Le 19 mai 1997, le requérant fut transféré des locaux des services de l’instruction à Sofia, où il était détenu pendant la durée de l’instruction, à la prison de Pazardjik. A une date non précisée, le requérant introduisit un recours devant le tribunal de district de Sofia (районен съд) en application des nouvelles dispositions du Code de procédure pénale, renforçant le droit à un recours juridictionnel contre la détention provisoire. Il demanda sa mise en liberté sous caution en sollicitant que le montant de la garantie soit modique, sa mère étant retraitée et ne disposant pas de revenus importants. Par une ordonnance du 10 novembre 1997, le tribunal constata que l’instruction était terminée, que le requérant avait collaboré avec les organes d’enquête et fait des dépositions complètes et qu’il avait un domicile fixe dans son village de Hadjievo, de sorte que l’existence d’un risque de fuite ou d’entrave à l’enquête ne se trouvait plus établie. Il ordonna l’élargissement du requérant, sous réserve du versement d’un cautionnement. Le montant de celui-ci fut fixé à 1 000 000 d’anciens levs bulgares (BGL), soit environ 600 dollars américains (USD). Pour déterminer ce montant, le tribunal mit en avant la gravité des charges et le fait que l’infraction avait été commise pendant la période de sursis de la précédente condamnation du requérant. L’intéressé n’ayant pas versé la garantie, il demeura en détention. Il fut renvoyé en jugement le 29 décembre 1997. Le 9 janvier 1998, le juge rapporteur fixa une audience et confirma la mesure de cautionnement. Une audience se tint le 12 mars 1998 et par un jugement du même jour, le tribunal de district de Sofia reconnut le requérant coupable de vol et, eu égard aux nombreuses circonstances atténuantes, fit application de l’article 55 du Code pénal et le condamna à une amende de 10 000 BGL, soit l’équivalent de 6 USD. Le tribunal prononça la relaxe concernant le deuxième chef d’inculpation. Par une ordonnance séparée du même jour, le tribunal décida l’élargissement du requérant et ordonna qu’il soit remis en liberté après vérification qu’il n’était pas détenu pour un autre motif. Par une lettre du 31 mars 1998, le ministère de la Justice transmit l’ordonnance du tribunal à la prison de Pazardjik avec instruction de remettre le détenu en liberté après avoir effectué les vérifications nécessaires. Le requérant fut libéré le 1er avril 1998. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT A. Les peines encourues par le requérant L’article 194 du Code pénal sanctionne le vol d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à huit ans. L’article 207 du Code pénal punit d’une peine d’amende de 2 000 BGL le fait de ne pas remettre à son propriétaire ou aux autorités, pendant plus d’une semaine, un objet trouvé. L’article 55 du Code pénal prévoit qu’en cas de circonstances atténuantes exceptionnelles ou nombreuses, lorsque la peine prévue par le code s’avère démesurée par rapport à la gravité des faits, le tribunal peut appliquer une peine en dessous du minimum prévu ou encore infliger une amende au lieu d’une peine d’emprisonnement. B. La détention provisoire (задържане под стража) Le placement en détention provisoire L’article 152 du Code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction au moment des faits et jusqu’au 1er janvier 2000, prévoyait le placement en détention provisoire des personnes accusées d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement. Pour les infractions intentionnelles graves, c’est à dire punies d’une peine supérieure à cinq ans, le placement en détention était automatique, sauf lorsque tout danger de fuite, d’entrave à l’enquête ou de commission d’une nouvelle infraction pouvait être écarté. En ce qui concerne les autres infractions, le placement en détention n’était ordonné que lorsque la réalisation d’un tel danger était vraisemblable. Le placement en détention était effectué par un enquêteur des services de l’instruction et confirmé par un procureur. Durée de la détention provisoire Le Code de procédure pénale dans sa rédaction à l’époque des faits ne limitait pas la durée de la détention provisoire. S’agissant de la durée de l’instruction préliminaire, l’article 222 CPP prévoit que toute instruction doit être effectuée dans un délai de deux mois. Une prorogation jusqu’à six mois peut être autorisée par le procureur régional et le procureur général peut accorder une nouvelle prorogation jusqu’à neuf mois. Au moment de la prorogation, le procureur doit se prononcer sur la mesure destinée à garantir la comparution de l’accusé. Contrôle judiciaire de la détention provisoire Au moment de l’arrestation du requérant, l’article 152 alinéa 5 prévoyait pour toute personne détenue la possibilité de saisir immédiatement le tribunal compétent d’un recours contre le placement en détention provisoire. Un nouvel article 152a entré en vigueur le 12 août 1997 fixait un délai maximum de sept jours pour assurer le droit de recours de la personne détenue et prévoyait que le tribunal statuait en audience publique avec citation des parties. De nouveaux recours contre la mesure de détention provisoire pouvaient être introduits en cas de modification des circonstances (article 152a alinéa 4 CPP). C. Le cautionnement (гаранция) L’article 150 du CPP prévoit qu’un prévenu peut être astreint à fournir un cautionnement afin de garantir sa représentation au procès. L’alinéa 5 dispose que lorsque cette mesure est consécutive à une mesure de détention provisoire, l’intéressé n’est libéré qu’après versement de la garantie. D. Autres règles de procédure pertinentes Après avoir rendu son jugement, le tribunal se prononce sur la mesure garantissant la représentation en justice (article 307 CPP). Lorsque le prévenu est relaxé ou que la peine infligée n’est pas une peine d’emprisonnement ferme, le tribunal a l’obligation de remplacer la mesure de détention provisoire par une mesure moins lourde. Le prévenu est remis en liberté dans la salle d’audience. E. Responsabilité délictuelle de l’Etat La loi de 1988 sur la responsabilité de l’Etat pour les dommages causés aux particuliers (Закон за отговорността на държавата за вреди причинени на граждани) prévoit en son article 2 alinéa 1: « L’Etat est responsable des dommages causés aux particuliers par les autorités de l’instruction, du parquet et par les juridictions, du fait : d’une détention, notamment la détention provisoire, lorsque celle-ci a été annulée pour absence de fondement légal ; d’une accusation en matière pénale, lorsque l’intéressé est ensuite relaxé ou qu’il est mis fin aux poursuites au motif qu’il n’est pas l’auteur des faits, que les faits ne sont pas constitutifs d’une infraction, que la procédure pénale a été engagée après l’extinction de l’action publique en raison de la prescription ou d’une amnistie ; (...) » L’expression « absence de fondement légal » utilisée à l’alinéa 1 se réfère en toute apparence à la légalité de la détention en droit interne. La jurisprudence sur cet article est peu abondante. Dans plusieurs arrêts récents la Cour suprême de cassation a considéré que la responsabilité de l’Etat devait être engagée lorsqu’un prévenu a été relaxé ou que les poursuites ont été abandonnées faute de preuves suffisantes, car ces circonstances auraient pour effet de priver rétroactivement la détention provisoire de son fondement légal (cf. реш. no 978 от 10.07.2001, гр. д. no 1036/2001, ВКС ; реш. no 859 от 10.09.2001, гр. д. no 2017/2000, ВКС). Le Gouvernement n’a pas fourni d’exemples où une réparation aurait été accordée pour une détention illégale en application de l’article 2 alinéa 1 de la loi alors que le procès s’est achevé par une condamnation. Il apparaît en outre que des décisions mettant fin à la détention provisoire et ordonnant l’élargissement du prévenu en cours de procédure n’ont jamais été considérées comme annulant la détention pour « absence de fondement légal » au sens de ce texte. Par ailleurs, la Cour n’a pas eu connaissance de cas où une indemnisation aurait été accordée lorsqu’une personne a été maintenue en détention malgré une décision ordonnant son élargissement. Enfin, quiconque se prétend lésé par des faits entrant dans le champ d’application de la loi de 1988 ne peut prétendre à une indemnisation en application des règles générales de la responsabilité délictuelle. En effet, la jurisprudence dominante considère que la loi sur la responsabilité de l’Etat est un texte spécial qui déroge au régime général de la responsabilité (cf. реш. no 1370 от 16.12.1992, гр. д. no 1181/92, ВС IV г. о.).
0
0
0
0
0
0
1
0
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1955 et réside actuellement dans la sous-préfecture de Şirvan (département de Siirt), sa région natale. A l’époque des faits, il habitait, avec douze proches, dans le quartier de taudis (gecekondu mahallesi) de Kazım Karabekir à Ümraniye, un district d’Istanbul, où il s’était installé après avoir démissionné de son poste de garde de village dans le Sud-Est de la Turquie. A. Le site de stockage de déchets ménagers d’Ümraniye et le quartier du requérant Une décharge d’ordures ménagères se trouvait en fonction depuis le début des années 70 à Hekimbaşı, zone abritant également des taudis et contiguë au quartier de Kazım Karabekir. Le 22 janvier 1960, l’usage du site en question, qui appartenait à l’administration des forêts, donc au Trésor public, avait été attribué à la mairie métropolitaine d’Istanbul (« la mairie métropolitaine ») pour une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans. Situé sur une côte surplombant une vallée, le site s’étendait sur une surface d’environ 35 hectares et, depuis 1972, il servait de décharge commune aux districts de Beykoz, d’Üsküdar, de Kadıköy et d’Ümraniye, sous l’autorité et la responsabilité de la mairie métropolitaine et, en dernier ressort, des autorités ministérielles. A l’époque où la décharge commença à être utilisée, cette région était inhabitée et l’agglomération la plus proche se trouvait à environ 3,5 km. Cependant, au fur et à mesure des années, des habitations de fortune furent construites, sans autorisation, sur la zone entourant le dépôt d’ordures, pour finalement donner naissance au bidonville d’Ümraniye. D’après un plan officiel des quartiers, entre autres de Hekimbaşı et de Kazım Karabekir, dessiné par la direction des affaires techniques de la mairie d’Ümraniye, la maison de M. Öneryıldız était bâtie au coin de la rue Dereboyu et de la rue Gerze. Cette partie de l’agglomération était attenante au site de la décharge municipale et, depuis 1978, elle relevait d’un maire de quartier, lequel dépendait de la sous-préfecture. A l’heure actuelle, la décharge d’Ümraniye n’existe plus. La mairie locale l’a fait couvrir de terre et y a placé des conduits d’aération. Par ailleurs, des plans d’occupation des sols concernant les quartiers de Hekimbaşı et de Kazım Karabekir sont en train d’être élaborés. De son côté, la mairie métropolitaine a procédé à un boisement de terrain sur une grande partie de l’ancien site de la décharge et y a fait construire des terrains de sport. B. Les initiatives de la mairie d’Ümraniye En 1989 A la suite des élections municipales du 26 mars 1989, la mairie d’Ümraniye tenta de procéder à une modification du plan d’aménagement urbain à l’échelle de 1/1000e. Cependant, les autorités décisionnelles refusèrent d’approuver ce plan, car il couvrait un territoire allant jusqu’à proximité de la décharge municipale. A partir du 4 décembre de la même année, la mairie d’Ümraniye entama des travaux consistant à déverser des amas de terre et de débris sur les terrains entourant les taudis d’Ümraniye, afin de réaménager le site de la décharge. Cependant, le 15 décembre 1989, M.C. et A.C., deux habitants du quartier d’Hekimbaşı, introduisirent devant la 4e chambre du tribunal d’instance d’Üsküdar une action pétitoire contre la mairie. Se plaignant des dégâts causés sur leurs plantations, ils sollicitèrent l’arrêt des travaux. A l’appui de leur demande, ils produisirent des documents, dont il ressortait que M.C. et A.C. étaient assujettis à la taxe d’habitation et à la taxe foncière depuis 1977, sous le numéro d’imposition 168900. En 1983, ils avaient été invités par l’administration à remplir un formulaire type, prévu pour la déclaration des bâtiments illégaux, afin que leurs habitations et leurs terrains soient régularisés (paragraphe 54 ci-dessous). A la suite de leur demande, le 21 août 1989, la direction générale des eaux et des canalisations de la mairie métropolitaine avait ordonné la pose d’un compteur d’eau dans leurs habitations. Par ailleurs, des copies de factures d’électricité démontrent que M.C. et A.C. effectuaient régulièrement, en leur qualité d’abonnés, des paiements selon leur consommation, laquelle était déterminée au moyen d’un compteur installé à cet effet. Devant le tribunal d’instance, la mairie défenderesse axa sa défense sur le fait que les terres revendiquées par M.C. et A.C. étaient sises sur le territoire de la déchetterie, qu’y habiter était contraire aux règles sanitaires et que leur demande de régularisation ne leur accordait aucun droit. Par un jugement rendu le 2 mai 1991, sous le numéro de dossier 1989/1088, le tribunal d’instance donna gain de cause à M.C. et A.C., reconnaissant qu’il y avait eu ingérence dans l’exercice de leurs droits sur les biens litigieux. Cependant, par un arrêt du 2 mars 1992, la Cour de cassation infirma ce jugement. Le 22 octobre 1992, le tribunal d’instance se conforma à l’arrêt de la Cour de cassation et débouta les intéressés. En 1991 Le 9 avril 1991, la mairie d’Ümraniye demanda à la 3e chambre du tribunal d’instance d’Üsküdar une expertise concernant la conformité de la décharge à la réglementation en la matière, notamment au règlement du 14 mars 1991 sur le contrôle des déchets solides. La mairie sollicita également l’évaluation du préjudice qui lui avait été causé, afin d’appuyer l’action en dommages-intérêts qu’elle s’apprêtait à introduire contre la mairie métropolitaine et contre les mairies des trois districts utilisant la décharge. La demande d’expertise fut enregistrée sous le numéro de dossier 1991/76 et, le 24 avril 1991, un comité d’experts fut constitué à cette fin ; il comprenait un professeur de génie de l’environnement, un agent du cadastre et un médecin légiste. D’après le rapport d’expertise, établi le 7 mai 1991, le dépôt en question n’était pas conforme aux exigences techniques prévues notamment aux articles 24 à 27, 30 et 38 du règlement du 14 mars 1991 et, de ce fait, présentait un certain nombre de dangers susceptibles d’entraîner un très grand risque pour la santé des habitants de la vallée, notamment pour ceux des quartiers de taudis : aucun mur ou grillage de clôture ne séparait la décharge des habitations qui s’élevaient à cinquante mètres de la montagne d’ordures, le dépôt n’était pas équipé de systèmes de ramassage, de compostage, de recyclage ni de combustion, et aucune installation de drainage ou de purification des eaux de drainage n’y avait été prévue. Les experts en conclurent que la décharge d’Ümraniye « exposait tant les humains que les animaux et l’environnement à toutes sortes de dangers ». A ce sujet, le rapport, attirant d’abord l’attention sur le fait qu’une vingtaine de maladies contagieuses risquaient de se propager, soulignait ce qui suit : « (...) Dans n’importe quelle déchetterie, il se forme, entre autres, des gaz de méthane, de dioxyde de carbone et d’hydrogène sulfuré. Ces substances doivent être, sous contrôle, réunies puis (...) brûlées. Or le dépôt en question ne dispose pas d’un tel système. Lorsqu’il est mélangé avec l’air dans une certaine proportion, le méthane peut s’avérer explosible. Il n’existe, dans cette installation, aucune mesure pour prévenir l’explosion du méthane issu de la décomposition [des déchets]. Que Dieu nous en garde, le dommage pourrait être très important en raison des habitations voisines. (...) » Le 27 mai 1991, ce rapport fut porté à la connaissance des quatre mairies mises en cause et, le 7 juin 1991, du préfet afin qu’il en fasse part au ministère de la Santé ainsi que du Conseil de l’environnement auprès du premier ministre (« le Conseil de l’environnement »). Les mairies de Kadıköy et d’Üsküdar ainsi que la mairie métropolitaine demandèrent l’annulation du rapport d’expertise respectivement les 3, 5 et 9 juin 1991. Dans leurs mémoires introductifs d’instance, les avocats des mairies se bornèrent à alléguer que ce rapport, commandé et établi à leur insu, contrevenait au code de procédure civile. Les trois avocats se réservèrent le droit d’étayer leurs objections ultérieurement par des mémoires complémentaires, une fois qu’ils auraient obtenu de leurs autorités tous les informations et documents nécessaires. Or, aucune des parties n’ayant déposé un tel mémoire complémentaire, la procédure engagée n’aboutit point. Cependant, le Conseil de l’environnement, avisé du même rapport le 18 juin 1991, enjoignit, par la recommandation no 09513, à la préfecture d’Istanbul ainsi qu’à la mairie métropolitaine et à la mairie d’Ümraniye de remédier aux problèmes signalés en l’espèce : « (...) Dans le rapport préparé par le comité d’experts, il est indiqué que le site de stockage de déchets en question contrevient à la loi sur l’environnement ainsi qu’au règlement sur le contrôle des déchets solides et que, par conséquent, il menace la santé des hommes et des animaux. Il s’impose de prendre, sur le site de la décharge, les mesures prévues aux articles 24, 25, 26, 27, 30 et 38 du règlement sur le contrôle des déchets solides (...) Je demande donc que les mesures nécessaires soient prises (...) et que notre Conseil soit informé de l’issue. » Le 27 août 1992, devant la 1re chambre du tribunal d’instance d’Üsküdar, Şinasi Öktem, maire d’Ümraniye, demanda la mise en œuvre de mesures provisoires visant à empêcher l’utilisation de la déchetterie par la mairie métropolitaine et par les mairies des districts voisins. Il réclama notamment l’interruption des dépôts d’ordures, la fermeture de la décharge ainsi que la réparation des dommages subis par sa municipalité. Le 3 novembre 1992, le représentant de la mairie d’Istanbul contesta cette demande. Soulignant les efforts de la mairie métropolitaine pour entretenir les routes menant à la décharge et lutter contre la propagation des maladies, les chiens errants et le dégagement d’odeurs, le représentant fit notamment valoir qu’un projet de réaménagement du site de la décharge était en phase d’adjudication. Quant à la demande de fermeture provisoire de la décharge, le représentant prétendit que la mairie d’Ümraniye agissait de mauvaise foi, dès lors que depuis sa création en 1987, elle-même n’avait rien fait pour l’assainissement du site. En fait, la mairie métropolitaine avait bien procédé à un appel d’offres pour l’aménagement de nouveaux sites conformes aux normes modernes. Les premiers travaux d’études furent adjugés à la société américaine CVH2M Hill International Ltd et, le 21 décembre 1992 et le 17 février 1993 respectivement, des emplacements furent désignés sur les rives européenne et anatolienne d’Istanbul. Ce projet devait s’achever au cours de l’année 1993. Alors que cette procédure était encore pendante, la mairie d’Ümraniye informa le maire d’Istanbul qu’à partir du 15 mai 1993 aucun dépôt de déchets ne serait plus autorisé. C. L’accident Le 28 avril 1993, vers 11 heures, une explosion de méthane eut lieu sur le site. A la suite d’un glissement de terrain provoqué par la pression, les immondices détachées de la montagne d’ordures ensevelirent une dizaine de taudis situés en aval, dont celui du requérant. Trente-neuf personnes périrent dans cet accident. D. Les procédures engagées en l’espèce L’initiative du ministère de l’Intérieur Immédiatement après l’accident, deux membres de la police municipale tentèrent de constater les faits. Après avoir entendu les victimes, dont le requérant, qui leur expliquèrent avoir érigé leur maison en 1988, ils rapportèrent que treize baraques avaient été détruites. Le même jour, les membres d’une cellule de crise constituée par la préfecture d’Istanbul se rendirent également sur les lieux et relevèrent que le glissement de terrain avait bien été causé par l’explosion de gaz de méthane. Le lendemain, 29 avril 1993, le ministère de l’Intérieur (« le ministère ») ordonna que les circonstances dans lesquelles cette catastrophe avait eu lieu soient examinées par le conseil d’inspection administrative (« le conseil d’inspection ») afin de déterminer s’il y avait lieu de poursuivre les deux maires, MM. Sözen et Öktem. L’enquête pénale Alors que cette procédure administrative suivait son cours, le 30 avril 1993, le procureur de la République d’Üsküdar (« le procureur ») se rendit sur les lieux de l’accident, accompagné d’un comité d’experts composé de trois professeurs en génie civil de trois universités différentes. Au vu de ses observations préliminaires, il chargea le comité de déterminer la part de responsabilité des autorités publiques et celle des victimes dans la survenance de l’accident. Le 6 mai 1993, le requérant déposa une plainte au commissariat local. Il déclara : « Si ce sont les autorités qui, par négligence, ont causé l’ensevelissement de ma maison ainsi que la mort de mes compagnes et enfants, je porte plainte contre la ou les autorité(s) impliquée(s). » La plainte du requérant fut versée au dossier d’instruction no 1993/6102, déjà ouvert d’office par le procureur. Le 14 mai 1993, le procureur entendit plusieurs témoins et victimes de l’accident litigieux. Le 18 mai 1993, le comité d’experts rendit le rapport qu’avait commandé le procureur. Dans son rapport, le comité constata d’emblée qu’il n’y avait pas de plan d’urbanisation à l’échelle de 1/5000e concernant la région, que le plan d’aménagement urbain à l’échelle de 1/1000e n’avait pas été approuvé et que la plupart des habitations ensevelies se trouvaient même en dehors de ce dernier plan, à l’extrémité du site de la décharge. Les experts confirmèrent que le glissement du terrain, qui déjà n’était pas stable, pouvait s’expliquer tant par la pression croissante du gaz à l’intérieur du dépôt que par l’explosion de celui-ci. Rappelant les obligations et devoirs que la réglementation en la matière faisait aux autorités publiques, les experts conclurent que, concernant la survenance de l’accident, la faute devait être répartie à raison de : « – 2/8 à la charge de la mairie d’Istanbul, qui n’a pas agi en temps utile pour prévenir les problèmes techniques qui existaient déjà à l’installation du dépôt en 1970, et qui n’ont cessé de s’aggraver depuis lors, ni indiqué aux mairies concernées un autre site de stockage de déchets, comme la loi no 3030 l’obligeait à le faire ; – 2/8 à la charge de la mairie d’Ümraniye, pour avoir mis en œuvre un plan d’occupation des sols en omettant de prévoir, en violation du règlement no 20814, une zone tampon large de 1 000 m et devant demeurer inhabitée, et pour avoir attiré dans sa région les habitations de fortune et ne s’être pas employée à empêcher de telles constructions, en dépit du rapport d’expertise du 7 mai 1991 ; – 2/8 à la charge des habitants du bidonville, pour avoir mis en danger les membres de leurs familles en s’installant à proximité d’une montagne d’ordures ; – 1/8 à la charge du ministère de l’Environnement, pour avoir omis d’assurer un suivi effectif de l’application conforme au règlement no 20814 sur le contrôle des déchets solides ; – 1/8 à la charge du gouvernement, pour avoir favorisé ce type d’agglomérations, en amnistiant à plusieurs reprises les constructions illégales et en octroyant des titres de propriété à leurs occupants. » Le 21 mai 1993, le procureur rendit son ordonnance. Il déclina sa compétence ratione personae concernant les autorités administratives dont les responsabilités avaient été établies, à savoir la mairie métropolitaine, la mairie d’Ümraniye, le ministère de l’Environnement et les dirigeants des gouvernements ayant exercé pendant la période 1974-1993. Ainsi, le procureur renvoya l’affaire au préfet d’Istanbul, considérant que celle-ci relevait de la loi sur les poursuites contre les fonctionnaires, dont l’application appartenait au comité administratif départemental de la préfecture d’Istanbul (« le comité administratif »). Cela étant, le procureur précisa dans son ordonnance que, s’agissant des autorités mises en cause, les dispositions à appliquer étaient celles des articles 230 et 455 § 2 du code pénal, qui réprimaient respectivement la négligence dans l’exercice des fonctions publiques et l’homicide par négligence. Dans la mesure où l’affaire portait sur la responsabilité éventuelle des habitants du bidonville, dont le requérant, lesquels avaient la qualité tant de victimes que d’accusés au regard de l’article 455 § 2 du code pénal, le procureur émit l’avis qu’il était impossible, en l’état du dossier, de disjoindre leurs causes, eu égard aux articles 10 et 15 de la loi susmentionnée. Le 27 mai 1993, date de clôture de l’enquête préliminaire du conseil d’inspection, le dossier du parquet fut transmis au ministère. L’issue de l’enquête administrative contre les autorités mises en cause Le 27 mai 1993, à la lumière des conclusions de sa propre enquête, le conseil d’inspection demanda au ministère l’autorisation d’ouvrir une instruction pénale contre les deux maires incriminés. Le lendemain de cette demande la mairie d’Ümraniye fit à la presse la communication suivante : « L’unique déchetterie du côté anatolien se trouvait au milieu de notre district d’Ümraniye, telle une horreur silencieuse. Elle a rompu son silence et provoqué la mort. Nous le savions et nous nous y attendions. En tant que municipalité, nous avions, depuis quatre ans, forcé toutes les portes pour faire déplacer cette déchetterie. La mairie métropolitaine d’Istanbul s’est montrée indifférente. Elle a laissé tomber les travaux d’assainissement (...) après avoir posé deux pelles de béton à l’inauguration. Les ministères et le gouvernement étaient au courant des faits, mais ils n’y ont pas prêté beaucoup d’attention. Nous avions soumis la question aux juges et ils nous avaient donné raison, mais le mécanisme judiciaire n’a pu être mis en action. (...) A l’heure actuelle nous sommes face à nos responsabilités et nous rendrons tous des comptes aux habitants d’Ümraniye (...) » L’autorisation sollicitée par le conseil d’inspection fut accordée le 17 juin 1993 et, par conséquent, un inspecteur en chef auprès du ministère (« l’inspecteur en chef ») fut chargé de l’affaire. Compte tenu du dossier de l’enquête constitué en l’espèce, l’inspecteur en chef recueillit les dépositions de MM. Sözen et Öktem. Ce dernier déclara, entre autres, qu’en décembre 1989 sa municipalité avait bien entamé des travaux d’assainissement du territoire du bidonville d’Hekimbaşı et que, cependant, ceux-ci avaient été interrompus à la demande de deux habitants de ce quartier (paragraphe 11 ci-dessus). L’inspecteur en chef finalisa son rapport le 9 juillet 1993. Celui-ci entérinait les conclusions de toutes les expertises effectuées jusqu’alors et tenait compte de l’ensemble des éléments réunis par le procureur. Il mentionnait également deux autres avis scientifiques, adressés à la préfecture d’Istanbul en mai 1993, l’un par le ministère de l’Environnement et l’autre par un professeur de génie civil de l’université de Boğaziçi. Ces deux avis confirmaient que le glissement de terrain mortel avait été causé par l’explosion de méthane. Le rapport indiquait en outre que, le 4 mai 1993, le conseil d’inspection avait invité la mairie métropolitaine à lui faire part des mesures effectivement prises à la lumière du rapport d’expertise du 7 mai 1991 et reproduisait la réponse de M. Sözen : « Notre mairie métropolitaine a, d’une part, pris les mesures nécessaires afin d’assurer que les anciens sites puissent être utilisés de la façon la moins préjudiciable possible jusqu’à fin 1993 et, d’autre part, elle a achevé tous les préparatifs en vue de construire l’une des installations les plus grandes et les plus modernes (...) jamais réalisées dans notre pays. Une autre entreprise consiste à réaliser un site provisoire de stockage de déchets répondant aux conditions requises. Parallèlement à cela, des travaux continuent quant à la réhabilitation des anciens sites [en fin de vie]. En bref, ces trois dernières années, notre mairie s’est très sérieusement penchée sur le problème des déchets (...) [et], actuellement, les travaux continuent (...) » L’inspecteur en chef conclut finalement que la mort de vingt-six personnes et les blessures causées à onze autres (chiffres disponibles à l’époque des faits), survenues le 28 avril 1993, étaient dues à l’inaction des deux maires dans l’exercice de leurs fonctions, et que ceux-ci devaient répondre de leur négligence au regard de l’article 230 du code pénal. Car en dépit notamment du rapport d’expertise et de la recommandation du Conseil de l’environnement, ils avaient, en toute connaissance de cause, méconnu leurs devoirs respectifs : M. Öktem, parce qu’il avait manqué à son obligation de procéder, en vertu du pouvoir que lui conférait l’article 18 de la loi no 775, à la destruction des baraques non autorisées situées aux abords de la décharge, et M. Sözen, parce qu’il avait refusé d’obtempérer à la recommandation susmentionnée, omis de réhabiliter le dépôt d’ordures ou d’ordonner sa fermeture, et n’avait respecté aucune des dispositions de l’article 10 de la loi no 3030, lesquelles exigeaient qu’il procédât à la destruction des taudis en question, le cas échéant par ses propres moyens. Toutefois, dans ses observations, l’inspecteur en chef ne se pencha point sur la question de l’applicabilité, en l’occurrence, de l’article 455 § 2 du code pénal. L’attribution d’un logement social au requérant Dans l’intervalle, la direction de l’habitat et des constructions de fortune invita le requérant à se présenter, l’informant que, par un arrêté (no 1739) du 25 mai 1993, la mairie métropolitaine lui avait attribué un appartement dans le complexe de logements sociaux de Çobançeşme (Eyüp, Alibeyköy). Le 18 juin 1993, le requérant prit possession, contre signature, de l’appartement no 7, au bâtiment C-1 dudit complexe. Cette opération fut régularisée par un arrêté (no 3927) du 17 septembre 1993 de la mairie métropolitaine. Le 13 novembre 1993, le requérant signa une déclaration notariée, tenant lieu de contrat, stipulant que le logement en question lui avait été « vendu » contre la somme de 125 millions de livres turques (TRL), dont un quart était à verser au comptant et le reliquat par des mensualités de 732 844 TRL chacune. Selon toute vraisemblance, la somme à payer au comptant fut versée à la préfecture d’Istanbul, qui la transmit à la mairie métropolitaine. Le requérant s’acquitta de la première mensualité le 9 novembre 1993 et continua ainsi jusqu’en janvier 1996. Entre-temps, avant le 23 février 1995, il loua son appartement à un certain H.Ö. moyennant des loyers mensuels de 2 millions de TRL. A partir de janvier 1996, l’administration dut, semble-t-il, avoir recours à la procédure d’exécution forcée pour recouvrer le restant des mensualités. Le 24 mars 1998, le requérant, qui n’avait alors plus de dette envers la mairie métropolitaine, fit à un certain E.B. une promesse de vente notariée concernant son logement en contrepartie de 20 000 marks allemands payés au comptant. L’action publique contre les autorités mises en cause Par une ordonnance du 15 juillet 1993, le comité administratif, sur la base du rapport de l’inspecteur en chef, décida à la majorité de traduire MM. Sözen et Öktem en justice pour infraction à l’article 230 du code pénal. Ces derniers firent appel de cette décision devant le Conseil d’Etat, qui les débouta de leur demande le 18 janvier 1995. Par conséquent, le dossier de l’affaire fut retourné au procureur qui, le 30 mars 1995, renvoya les deux maires devant la 5e chambre du tribunal correctionnel d’Istanbul. Les débats s’ouvrirent devant la chambre le 29 mai 1995. A l’audience, M. Sözen affirma notamment que personne ne pouvait s’attendre à ce qu’il s’acquitte de devoirs qui ne lui incombaient pas, ni le tenir pour seul responsable d’une situation qui perdurait depuis 1970 ; au demeurant, il allégua que l’on ne devrait pas non plus le blâmer de ne pas avoir réhabilité la décharge d’Ümraniye, dès lors qu’aucun des 2 000 sites en Turquie ne l’avait été ; à ce sujet, faisant valoir un certain nombre de mesures qui avaient néanmoins été prises par la mairie métropolitaine, il soutint qu’un réaménagement définitif de la décharge n’aurait pas pu être réalisé tant que des ordures continuaient à être déposées. Enfin, il déclara : « les éléments constitutifs du délit de négligence dans l’exercice des fonctions ne sont pas réunis, parce que je n’ai pas agi avec l’intention de me montrer négligent [sic] et que l’on ne saurait établir un lien de causalité » entre l’incident et une quelconque négligence de sa part. Quant à M. Öktem, il soutint que les baraquements ensevelis dataient d’avant son élection, le 26 mars 1989, et qu’il n’avait, après cette date, jamais toléré le développement des quartiers de taudis. Accusant la mairie métropolitaine et la préfecture d’Istanbul d’indifférence face aux problèmes, M. Öktem allégua qu’en réalité la prévention des constructions illégales relevait de la responsabilité des agents forestiers et qu’en tout état de cause sa municipalité manquait d’effectifs pour procéder à la destruction de tels baraquements. Par un jugement du 4 avril 1996, la chambre déclara les deux maires coupables des faits qui leur étaient reprochés, estimant que les moyens de défense qu’ils avaient présentés s’avéraient sans fondement. Pour parvenir à cette conclusion, les juges du fond se fondèrent notamment sur les preuves qui avaient déjà été recueillies au cours des investigations pénales menées sans relâche du 29 avril 1993 au 9 juillet 1993 (paragraphes 19 et 28 ci-dessus). D’ailleurs, il ressort du jugement rendu le 30 novembre 1995 que, pour déterminer la part de responsabilité de chacune des autorités mises en cause, les juges entérinèrent sans hésiter les conclusions du rapport d’expertise établi à la demande du procureur sur cette question précise, rapport qui était disponible depuis le 18 mai 1993 (paragraphe 23 ci-dessus). Par ailleurs, les juges relevèrent ce qui suit : « (...) bien qu’informés du rapport [d’expertise], les deux prévenus n’ont pris aucune mesure préventive effective. A l’image d’une personne tirant sur une foule, qui devrait savoir qu’il y aura des morts et qui, par conséquent, ne saurait prétendre avoir agi sans intention de tuer, les prévenus ne peuvent pas non plus alléguer en l’espèce qu’ils n’avaient pas l’intention de négliger leurs fonctions. On ne saurait pour autant leur imputer toute la faute. (...) Ils se sont montrés négligents tout comme d’autres. En l’espèce, la faute principale consiste à construire des habitations de fortune en aval d’un dépôt d’ordures situé sur une côte, et c’est aux habitants de ces taudis qu’il faut l’imputer. Ces derniers auraient dû prendre en considération le risque que la montagne d’ordures s’effondre un jour sur leur tête et qu’ils en subissent un préjudice. Ils n’auraient pas dû construire des baraques à cinquante mètres du dépôt. Ils ont payé leur légèreté de leur vie (...) » La chambre condamna MM. Sözen et Öktem à la peine d’emprisonnement minimum prévue à l’article 230 du code pénal, à savoir trois mois, ainsi qu’à des amendes de 160 000 TRL. Puis, en application de l’article 4 § 1 de la loi no 647, elle commua les peines d’emprisonnement en des peines d’amendes ; les sanctions finalement prononcées consistaient à payer 610 000 TRL. Convaincue que les prévenus se garderaient de récidiver, la chambre décida également de surseoir à l’exécution de ces peines, conformément à l’article 6 de ladite loi. Les deux maires se pourvurent en cassation. Ils reprochèrent notamment aux juges du fond de s’être livrés à une appréciation des faits allant au-delà de celle qu’appelait l’article 230 du code pénal, comme s’il s’agissait d’un cas d’homicide involontaire au sens de l’article 455 dudit code. Par un arrêt du 10 novembre 1997, la Cour de cassation confirma le jugement attaqué. Le requérant n’a, selon toute vraisemblance, jamais été informé du déroulement de cette procédure et n’a jamais été entendu par aucun des organes administratifs d’enquête ou par les instances répressives ; aucune décision judiciaire ne semble par ailleurs lui avoir été notifiée. L’action administrative du requérant Le 3 septembre 1993, le requérant saisit les mairies d’Ümraniye et d’Istanbul ainsi que les ministères de l’Intérieur et de l’Environnement, et demanda réparation de son préjudice tant matériel que moral. La somme réclamée par le requérant se ventilait ainsi : 150 millions de TRL à titre de dommages-intérêts du fait de la perte de l’habitation et des biens ménagers ; 2 550 000 000, 10 millions, 15 millions et 20 millions de TRL en réparation de la perte du soutien économique subie par lui-même et ses trois fils survivants, Hüsamettin, Aydın et Halef ; 900 millions de TRL pour lui-même et 300 millions de TRL pour chacun de ses trois fils au titre du préjudice moral du fait de la mort de leurs proches. Par des lettres des 16 septembre et 2 novembre 1993, le maire d’Ümraniye et le ministre de l’Environnement rejetèrent les demandes du requérant. Les autres administrations ne répondirent pas. Le requérant introduisit alors en son propre nom et au nom de ses trois enfants survivants une action en dommages-intérêts devant le tribunal administratif d’Istanbul (« le tribunal ») contre les quatre autorités. Dénonçant leurs négligences à l’origine de la mort de ses proches et de la destruction de sa maison ainsi que de ses biens ménagers, il réclama derechef les sommes susmentionnées. Le 4 janvier 1994, le requérant fut admis au bénéfice de l’assistance judiciaire. Le tribunal rendit son jugement le 30 novembre 1995. Se fondant sur le rapport d’expertise du 18 mai 1993 (paragraphe 23 ci-dessus), il constata l’existence d’un lien de causalité direct entre l’accident du 28 avril 1993 et les négligences concourantes des quatre administrations incriminées. En conséquence, il condamna ces dernières à verser au requérant et à ses enfants 100 millions de TRL au titre du préjudice moral et 10 millions de TRL pour dommage matériel (ces sommes équivalaient, à l’époque, à environ 2 077 et 208 euros respectivement). Ce dernier montant, jugé en équité, était limité à la destruction des biens ménagers, exception faite des appareils électroménagers que le requérant n’était pas censé posséder. A ce sujet, le tribunal semble s’en être tenu à l’argument des administrations, selon lequel « il n’y avait ni eau ni électricité dans ces habitations ». Le tribunal rejeta en outre la demande pour le surplus : d’après lui, l’intéressé ne pouvait arguer d’une privation de soutien économique parce qu’il avait une part de responsabilité dans le dommage engendré et parce que les victimes étaient des enfants en bas âge ou des femmes au foyer n’exerçant aucun emploi rémunéré susceptible de contribuer à la subsistance de la famille. De l’avis du tribunal, le requérant était aussi malvenu de réclamer réparation du fait de la destruction de son taudis, étant donné qu’à la suite de l’accident il s’était vu allouer un logement social et que, même si la mairie d’Ümraniye n’avait pas jusqu’alors exercé son pouvoir de détruire cette baraque, rien n’aurait pu l’empêcher de le faire à n’importe quel moment. Le tribunal décida enfin de ne pas appliquer d’intérêts moratoires sur l’indemnité accordée pour préjudice moral. Les parties contestèrent ce jugement devant le Conseil d’Etat, qui les débouta par un arrêt du 21 avril 1998. Le recours en rectification d’arrêt exercé par la mairie métropolitaine n’ayant pas abouti non plus, l’arrêt devint définitif et fut notifié au requérant le 10 août 1998. Les indemnités en question demeurent impayées à ce jour. L’issue des poursuites pénales contre les habitants du bidonville Le 22 décembre 2000 entra en vigueur la loi no 4616, qui prévoyait le sursis à l’exécution des mesures judiciaires pendantes concernant certaines infractions commises avant le 23 avril 1999. Le 22 avril 2003, le ministère de la Justice informa le parquet d’Istanbul qu’il avait été impossible de clore l’enquête pénale en cours contre les habitants du bidonville, que la seule décision les concernant s’avérait être l’ordonnance d’incompétence rendue le 21 mai 1993 et que l’infraction reprochée en l’espèce serait prescrite le 28 avril 2003. Partant, le 24 avril 2003, le parquet d’Istanbul décida de surseoir à l’ouverture d’une action pénale contre les intéressés, dont le requérant, et quatre jours plus tard l’action pénale fut prescrite dans leur chef. II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS A. Le droit pénal turc Les dispositions pertinentes du code pénal se lisent ainsi : Article 230 §§ 1 et 3 « Tout agent de l’Etat qui, dans l’exercice de ses fonctions publiques, (...) fait preuve de négligence et de retard ou qui, sans raison valable, refuse d’obtempérer aux ordres légitimes (...) de ses supérieurs est passible d’une peine d’emprisonnement allant de trois mois à un an ainsi que d’une amende allant de 6 000 à 30 000 livres turques. (...) Dans tous les (...) cas, si des tiers ont subi un quelconque préjudice du fait de la négligence ou du retard du fonctionnaire mis en cause, celui-ci sera également tenu de le réparer. » Article 455 §§ 1 et 2 « Quiconque, par imprudence, négligence ou inexpérience dans sa profession ou son art, ou par inobservation des lois, ordres ou prescriptions, cause la mort d’autrui est passible d’une peine d’emprisonnement allant de deux à cinq ans ainsi que d’une amende allant de 20 000 à 150 000 livres turques. Si l’acte a causé la mort de plusieurs personnes ou a été à l’origine de la mort d’une personne et des blessures d’une ou plusieurs autres (...), l’auteur sera condamné à une peine d’emprisonnement allant de quatre à dix ans ainsi qu’à une lourde amende de 60 000 livres turques minimum. » Article 29 § 8 « Le juge a toute latitude pour fixer la peine principale, dont le quantum peut varier entre un minimum et un maximum, en tenant compte d’éléments tels que les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, le moyen utilisé pour la commettre, l’importance et la gravité de l’infraction, le moment et le lieu où elle a été commise, les diverses particularités de l’acte, la gravité du préjudice causé et du risque [entraîné], le degré de l’intention [criminelle] (...), les raisons et desseins ayant conduit à l’infraction, le but, les antécédents, le statut personnel et social de son auteur ainsi que son comportement à la suite de l’acte [commis]. Même dans le cas où la peine infligée correspond au quantum minimum, les motifs de ce choix sont obligatoirement mentionnés dans le jugement. » Article 59 « Si le tribunal considère qu’il y a, en dehors des excuses atténuantes, des circonstances atténuantes militant pour une réduction de la peine [infligée] à l’auteur, la peine capitale sera commuée en réclusion à perpétuité et la réclusion à perpétuité en une peine d’emprisonnement de trente ans. Les autres peines seront réduites d’un sixième au maximum. » Les articles 4 § 1 et 6 § 1 de la loi no 647 sur l’exécution des peines se lisent ainsi : Article 4 § 1 « Hormis la réclusion criminelle, le tribunal peut, eu égard à la personnalité et à la situation de l’inculpé ainsi qu’aux circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise, commuer les peines privatives de liberté de courte durée : 1) en une amende lourde (...) à raison d’un montant allant de 5 000 à 10 000 livres turques par jour ; (...) » Article 6 § 1 « Quiconque n’ayant jamais été condamné (...) à une peine autre qu’une amende se voit infliger (...) une amende (...) et/ou une peine d’emprisonnement d’un an [maximum] peut bénéficier d’un sursis à l’exécution de cette peine, si le tribunal est convaincu que [l’auteur], compte tenu de [sa] tendance à transgresser la loi, se gardera de récidiver si on lui accorde un tel sursis (...) » Aux termes du code de procédure pénale (CPP), un procureur de la République qui – de quelque manière que ce soit – est avisé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise est tenu d’instruire les faits afin de décider s’il y a lieu ou non d’engager des poursuites (article 153 CPP). Cependant, si l’auteur présumé d’une infraction est un agent de la fonction publique et si l’acte a été commis dans le cadre de ses fonctions, l’instruction de l’affaire dépend de la loi de 1914 sur les poursuites contre les fonctionnaires, laquelle limite la compétence ratione personae du ministère public quant à cette phase de la procédure. En pareil cas, l’enquête préliminaire et, par conséquent, l’autorisation d’ouvrir des poursuites pénales seront du ressort du comité administratif local concerné (celui de la sous-préfecture ou du département selon le statut de l’intéressé). Les décisions desdits comités sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat ; la saisine est d’office si l’affaire est classée sans suite. Le droit pénal turc prévoit l’intervention des plaignants dans les procédures pénales. L’article 365 CPP contient une disposition permettant à un plaignant et à quiconque s’estimant lésé du fait d’une infraction de se constituer « partie intervenante » dans une action publique déjà ouverte par le parquet et, ainsi, d’agir aux côtés de l’accusation. Il appartient au juge, après consultation du parquet, de se prononcer sur la recevabilité de la constitution de partie intervenante (article 366 CPP). Si la demande est accueillie, la partie intervenante peut, entre autres, réclamer – en sa qualité de victime directe – réparation de ses préjudices résultant de l’infraction. Le bénéfice de cette possibilité du droit turc – du reste, comparable à celles qu’offrent la « constitution de partie civile » ou « l’action civile » prévues dans les droits de nombreux Etats membres du Conseil de l’Europe – dépend néanmoins du respect de quelques règles précises. D’après la jurisprudence de la Cour de cassation, pour qu’il soit statué sur des dommages-intérêts du fait d’une infraction, la personne lésée doit non seulement se constituer partie intervenante, mais également revendiquer explicitement son droit à réparation. En droit turc, cette demande n’est donc pas considérée comme étant incorporée à la constitution de partie intervenante. Il n’est pas obligatoire que la réparation soit revendiquée au moment où la personne se constitue partie intervenante : elle pourrait l’être ultérieurement, mais à condition qu’aucune action en dommages-intérêts n’ait été introduite auparavant devant les juridictions civiles ou administratives. De plus, toute demande d’indemnité, au sens de l’article 358 CPP (ou de l’article 365 § 2) doit être chiffrée et justifiée car, dans l’appréciation de telles demandes, les juges répressifs sont appelés à appliquer les règles de droit civil en la matière, au nombre desquelles figure l’interdiction de juger au-delà du montant réclamé en l’occurrence. La condamnation de l’inculpé est nécessaire pour statuer sur le droit à indemnité de la partie intervenante. B. Les voies administratives et civiles contre les agents de l’Etat La justice administrative S’agissant de la responsabilité civile et administrative du fait d’actes criminels et délictuels, l’article 13 de la loi no 2577 sur la procédure administrative énonce que toute victime d’un dommage résultant d’un acte de l’administration peut demander réparation à cette dernière dans le délai d’un an à compter de la date de l’acte allégué. En cas de rejet de tout ou partie de la demande ou si aucune réponse n’a été obtenue dans un délai de soixante jours, la victime peut engager une procédure administrative. Le statut des juges ainsi que l’organisation des tribunaux administratifs sont régis par la loi no 2576 du 6 janvier 1982 sur les compétences et la constitution des tribunaux administratifs et par la loi no 2575 sur le Conseil d’Etat. La justice civile En vertu du code des obligations, les personnes lésées du fait d’un acte illicite ou délictueux peuvent introduire une action en réparation pour le préjudice tant matériel (articles 41-46) que moral (article 47). En la matière, les tribunaux civils ne sont liés ni par les considérations ni par le verdict des juridictions répressives sur la culpabilité de l’intéressé (article 53). Toutefois, en vertu de l’article 13 de la loi no 657 sur les fonctionnaires de l’Etat, les personnes ayant subi un dommage du fait de l’exercice d’une fonction relevant du droit public peuvent en principe assigner en justice uniquement l’autorité publique dont relève le fonctionnaire en cause et non directement celui-ci (articles 129 § 5 de la Constitution, et 55 et 100 du code des obligations). Cette règle n’est toutefois pas absolue. Lorsque l’acte en question est qualifié d’illicite ou de délictueux et, par conséquent, perd son caractère d’acte ou de fait « administratif », les juridictions civiles peuvent accueillir une demande de dommages-intérêts dirigée contre l’auteur lui-même, sans préjudice de la possibilité d’engager la responsabilité conjointe de l’administration en sa qualité d’employeur de l’auteur de l’acte (article 50 du code des obligations). C. L’exécution des décisions judiciaires par l’administration Aux termes de l’article 138 § 4 de la Constitution de 1982 : « Les organes des pouvoirs exécutif et législatif ainsi que l’administration sont tenus de se conformer aux décisions judiciaires ; lesdits organes et l’administration ne peuvent en aucun cas modifier les décisions judiciaires ni en différer l’exécution. » L’article 28 § 2 du code de procédure administrative dispose : « Les décisions rendues relativement aux recours de pleine juridiction et concernant un montant déterminé sont exécutées (...) conformément aux dispositions du droit commun. » D’après l’article 82 § 1 de la loi no 2004 sur les voies d’exécution et la faillite, ne peuvent faire l’objet d’une saisie les biens de l’Etat et les biens qui, selon la loi les régissant, sont insaisissables. Il ressort de l’article 19 § 7 de la loi no 1580 du 3 avril 1930 sur les municipalités que les biens de ces dernières peuvent être saisis uniquement s’ils ne sont pas affectés à l’usage public. Selon la doctrine turque en la matière, il découle des dispositions cidessus que si l’administration n’obtempère pas d’elle-même à une décision judiciaire de réparation définitive et exécutoire, l’intéressé a la possibilité d’intenter une procédure d’exécution forcée conformément au droit commun. Dans ce cas, l’autorité compétente est habilitée à imposer à l’administration les mesures prévues par la loi no 2004, la saisie demeurant toutefois exceptionnelle. D. La réglementation des constructions non autorisées et des décharges d’ordures ménagères La Constitution Les dispositions pertinentes de la Constitution en matière d’environnement et de logement se lisent ainsi : Article 56 « Toute personne a le droit de vivre dans un environnement sain et équilibré. L’Etat et les citoyens ont le devoir d’améliorer l’environnement, d’en préserver la salubrité et d’en empêcher la pollution. En vue de garantir à chacun des conditions de vie physiques et psychologiques saines, (...) l’Etat instaure lui-même des institutions sanitaires et réglemente leurs prestations de services. L’Etat s’acquitte de cette tâche en utilisant les institutions sanitaires et sociales des secteurs privé et public, et en assurant le contrôle de celles-ci. (...) » Article 57 « L’Etat prend les mesures propres à remédier aux besoins de logement, dans le cadre d’une planification tenant compte des particularités des villes et des conditions de l’environnement, et favorise en outre les programmes de logements collectifs. » Article 65 « L’Etat s’acquitte des tâches que la Constitution lui assigne en matière sociale et économique, dans les limites de ses ressources financières et en veillant à préserver la stabilité économique. » Les bidonvilles et la législation les concernant D’après les informations et documents dont la Cour dispose, depuis 1960, année où commencèrent des migrations massives d’habitants des zones défavorisées vers les régions riches, la Turquie doit faire face au problème des bidonvilles, constitués le plus souvent de baraquements édifiés en dur et évoluant rapidement vers des constructions à étages. Actuellement, plus d’un tiers de la population vivrait dans des habitations de ce type. Les chercheurs, qui se sont penchés sur ce problème, affirment que la naissance de telles agglomérations ne saurait s’expliquer seulement par les défaillances de l’aménagement urbain et de la police municipale. Ils signalent l’existence de plus de dix-huit lois d’amnistie promulguées au fil du temps afin de régulariser les quartiers de taudis, dans l’optique, selon eux, de satisfaire les électeurs potentiels vivant dans ces habitations de fortune. Dans le domaine de la lutte contre le développement des bidonvilles, les principales dispositions légales en droit turc sont les suivantes : Selon l’article 15 § 2, alinéa 19, de la loi no 1580 du 3 avril 1930 sur les municipalités, ces dernières sont tenues d’empêcher et d’interdire toute installation ou construction, contraire à la loi et aux règlements, qui serait établie sans permis ou porterait atteinte à la santé, à l’ordre et à la quiétude de la ville. La loi no 775 du 20 juillet 1966 énonce dans son article 18 qu’après son entrée en vigueur, tout bâtiment non autorisé, qu’il soit en phase de construction ou déjà habité, sera immédiatement détruit sans qu’une décision préalable soit nécessaire. La mise en œuvre de ces mesures incombe aux autorités administratives, lesquelles peuvent avoir recours aux forces de l’ordre et aux autres moyens de l’Etat. Pour ce qui est des baraquements réalisés avant l’entrée en vigueur de la loi, l’article 21 de celle-ci prévoit que, sous certaines conditions, les habitants des taudis pourront acquérir le terrain qu’ils occupent et profiter de crédits avantageux pour financer la construction de bâtiments conformes aux normes et aux plans d’urbanisme. Les agglomérations où les dispositions de l’article 21 sont applicables sont déclarées « zones de réhabilitation et d’éradication des taudis » et gérées conformément à un plan d’action. Par une loi no 1990 du 6 mai 1976 portant modification de la loi no 775, les constructions irrégulières effectuées avant le 1er novembre 1976 furent elles aussi considérées comme couvertes par l’article 21 susmentionné. La loi no 2981 du 24 février 1984 concernant les constructions non conformes à la législation en matière de bidonvilles et d’aménagement urbain prévoyait également des mesures à prendre pour la conservation, la régularisation, la réhabilitation et la destruction des bâtiments irréguliers érigés jusqu’alors. Concernant les biens publics, l’article 18 § 2 de la loi no 3402 du 21 juin 1987 sur le cadastre se lit ainsi : « La prescription acquisitive ne joue pas pour les biens communs, (...) les forêts et les lieux à la disposition de l’Etat et affectés à l’usage public ni pour les biens immobiliers qui, d’après les lois les concernant, reviennent à l’Etat, que ces biens soient inscrits ou non au registre foncier. » Cependant, la loi no 4706 du 29 juin 2001 portant consolidation de l’économie turque, telle que modifiée par la loi no 4916 du 3 juillet 2003, a autorisé sous certaines conditions la vente aux tiers des biens immobiliers appartenant au Trésor public. D’après l’article 4 §§ 6 et 7 de cette loi, les biens appartenant au Trésor et abritant des constructions réalisées avant le 31 décembre 2000 seront transmis à titre gratuit aux municipalités dont dépendent les terrains sur lesquels sont situées les constructions, afin d’être vendus préférentiellement aux propriétaires de ces constructions ou à leurs ayants droit. Les ventes en question s’effectuent moyennant un acompte correspondant au quart de la valeur marchande du terrain et des mensualités pouvant être étalées sur trois ans. Les municipalités sont tenues de procéder à l’élaboration des plans d’occupation des sols ainsi que des plans d’application concernant les biens qui leur ont été aliénés au titre de la loi susmentionnée. Les sites de stockage de déchets ménagers et leur réglementation D’après l’article 15 § 2, alinéa 24, de la loi no 1580 susmentionnée, il incombe aux mairies d’assurer le ramassage régulier et approprié des ordures ménagères ainsi que leur destruction. Conformément aux articles 6-E, alinéa j), de la loi no 3030 sur les mairies métropolitaines et 22 du règlement d’administration publique relatif à cette loi, il incombe aux mairies métropolitaines de désigner les lieux de stockage des ordures et des déchets industriels ainsi que de réaliser ou de faire réaliser les installations concernant le traitement, le recyclage et la destruction de ces derniers. Selon les articles 5 et 22 du règlement sur le contrôle des déchets solides, publié au Journal officiel du 14 mars 1991, les mairies sont responsables de la planification de l’utilisation des décharges ainsi que de la mise en œuvre de toutes les mesures nécessaires afin d’éviter que leur exploitation ne nuise à l’environnement et à la santé des hommes et des animaux ; d’après l’article 31 dudit règlement, la mairie métropolitaine est habilitée à délivrer les autorisations d’exploitation des sites de stockage de déchets sis dans les territoires des mairies locales dépendant de son autorité. Aux termes du règlement, aucun site de décharge d’ordures ne peut être créé à une distance de moins de 1 000 m des habitations et, une fois ouverte à l’exploitation, aucune construction ne peut être autorisée à la périphérie du site (article 24), lequel doit être clôturé (article 25). Concernant le contrôle du biogaz, l’article 27 prévoit que : « Les mélanges d’azote, d’ammoniaque, d’hydrogène sulfuré, de dioxyde de carbone et, en particulier, le méthane, issus de la décomposition microbiologique des éléments organiques présents dans la masse des déchets (...) et susceptibles de causer des explosions et intoxications seront captés à l’aide d’un système de drainage vertical et horizontal, et libérés dans l’atmosphère de façon contrôlée ou utilisés pour produire de l’énergie. » Les informations générales que la Cour a pu se procurer quant au risque d’explosion de méthane dans de tels sites peuvent se résumer comme suit : le méthane (CH4) et le gaz carbonique (CO2) sont les deux produits majeurs de la méthanogénèse, l’étape finale et la plus longue du processus de fermentation anaérobie, c’est-à-dire qui se déroule en l’absence d’air. Ces substances sont notamment générées par les dégradations biologiques et chimiques des déchets. Les risques d’explosion et d’incendie sont principalement dus à la grande proportion de méthane dans le biogaz. Son seuil d’explosibilité se situe entre 5 % et 15 % de CH4 dans l’air. Au-dessus de 15 %, le méthane s’enflamme mais n’explose pas. Il ressort de diverses circulaires et réglementations en vigueur dans les pays membres du Conseil de l’Europe en matière de gestion des ordures ménagères et d’exploitation des décharges de résidus urbains que l’isolement des sites de décharge, qui implique un éloignement minimum de toute habitation, la prévention des risques d’éboulements par pose de talus et de digues stables ainsi que par des mesures de compactage, et l’élimination du danger de feu ou d’explosion du biogaz figurent parmi les préoccupations majeures des autorités et des exploitants concernés. Sur ce dernier point, l’assainissement préconisé semble consister à mettre en place, au fur et à mesure de l’exploitation, un système de drainage des gaz de fermentation, visant à assurer le pompage des gaz de décharge et le traitement du gaz par un biofiltre. Pareille installation de dégazage, prévue également dans le règlement du 14 mars 1991 en vigueur en Turquie, comprend généralement des puits verticaux perforés introduits par forage dans les déchets ou des drains horizontaux enfouis dans la masse des déchets, une station de ventilation, un biofiltre et un réseau de conduites d’aspiration. III. LES TEXTES PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE Concernant les divers textes adoptés par le Conseil de l’Europe dans le domaine de l’environnement et des activités industrielles des pouvoirs publics, il y a lieu de citer, parmi les travaux de l’Assemblée parlementaire, la Résolution 587 (1975) relative aux problèmes posés par l’évacuation de déchets urbains et industriels, la Résolution 1087 (1996) relative aux conséquences de l’accident de Tchernobyl, et la Recommandation 1225 (1993) relative à la gestion, au traitement, au recyclage et à la commercialisation des déchets, ainsi que, parmi les travaux du Comité des Ministres, la Recommandation no R (96) 12 concernant la répartition des compétences et des responsabilités entre autorités centrales et collectivités locales et régionales dans le domaine de l’environnement. En la matière, il convient également de mentionner la Convention sur la responsabilité civile des dommages résultant des activités dangereuses pour l’environnement (STE no 150 – Lugano, 21 juin 1993) et la Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal (STE no 172 – Strasbourg, 4 novembre 1998), lesquelles sont actuellement signées par neuf et treize Etats respectivement. On constate en lisant ces documents qu’en ce qui concerne le traitement des déchets urbains la responsabilité première incombe aux collectivités locales, que les gouvernements sont tenus d’assister tant financièrement que techniquement. L’exploitation d’un site de stockage de déchets par des autorités publiques passe pour une « activité dangereuse », et un « décès » résultant du dépôt de déchets sur un site de stockage permanent est considéré comme un « dommage » entraînant la responsabilité des autorités publiques (voir, notamment, la Convention de Lugano, article 2 §§ 1, c)-d) et 7, a)-b)). A ce sujet, la Convention de Strasbourg invite les Parties à adopter des mesures « qui pourraient être nécessaires pour qualifier d’infractions pénales » les actes relevant du domaine « de l’élimination, du traitement, du stockage (...) de déchets dangereux qui causent ou sont susceptibles de causer la mort ou de graves lésions à des personnes (...) », sachant que ces infractions peuvent aussi être commises par « négligence » (articles 2 à 4). Si cet instrument n’est pas encore entré en vigueur, il s’inscrit bien dans la tendance actuelle à réprimer plus sévèrement les atteintes à l’environnement, question indissociable de celle des atteintes à la vie humaine (voir, par exemple, la décision-cadre no 2003/80 du 27 janvier 2003 du Conseil de l’Union européenne ainsi que la proposition de directive de la Commission de l’Union européenne du 13 mars 2001, modifiée le 30 septembre 2002, relative à la protection de l’environnement par le droit pénal). L’article 6 de ladite Convention exige en outre que des mesures appropriées soient également prises pour sanctionner pénalement ces infractions en fonction de leur degré de gravité, ce qui doit permettre, entre autres, l’emprisonnement des auteurs. S’agissant de telles activités dangereuses, l’accès du public à une information claire et exhaustive est considéré comme l’un des droits fondamentaux de la personne, étant entendu qu’en vertu notamment de la Résolution 1087 (1996) précitée ce droit ne doit pas être conçu comme se limitant au domaine des risques liés à l’utilisation de l’énergie nucléaire dans le secteur civil.
0
0
1
0
1
0
0
0
0
1
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Les requérants, M. Cumpănă et M. Mazăre, sont nés respectivement en 1951 et 1968 et résident à Constanţa. A. La genèse de l’affaire Le contrat d’association de la mairie avec la société Vinalex Par une décision no 33 du 30 juin 1992, le conseil municipal de Constanţa, appliquant une décision du gouvernement no 147 du 26 mars 1992, institua une amende à la charge des conducteurs de véhicules en stationnement irrégulier sur la voie publique et confia l’activité d’enlèvement, de transport et de dépôt de tels véhicules à la société S.C. CBN de Constanţa. Par un arrêté no 163 du 30 juin 1992, le maire de Constanţa autorisa la société privée Vinalex à assurer les prestations d’enlèvement, de transport et de dépôt des véhicules en stationnement irrégulier sur la voie publique. Un contrat d’association fut conclu le 16 décembre 1992 par la mairie et la société en question, signé, pour le compte des autorités, par l’adjoint au maire (ci-après « M. D.M. ») et par la juriste de la mairie (ci-après « Mme R.M. »). Par une lettre du 1er avril 1994, le maire de Constanţa demanda à la société Vinalex de mettre un terme aux activités qu’elle exerçait en vertu de ce contrat, l’informant à cette occasion qu’il envisageait la résiliation de celui-ci. Le contenu de l’article litigieux Le 12 avril 1994, les requérants, journalistes de profession, publièrent dans le journal local Telegraf, dont le rédacteur en chef était le second requérant, un article intitulé « L’ancien adjoint au maire [D.M.] et l’actuelle juge [R.M.] ont réalisé, par un concours d’infractions, l’escroquerie Vinalex ». Les noms de l’ancien adjoint au maire et de l’ancienne juriste à la mairie, Mme R.M., qui était devenue entre-temps juge, figuraient intégralement dans le titre et dans le texte de l’article. Signé par les deux requérants, l’article était ainsi rédigé : « Par la décision no 33 du 30 juin 1992, le conseil municipal de Constanţa a confié à la société commerciale S.C. CBN S.r.l. la mise en fourrière des véhicules ou remorques en stationnement irrégulier sur la voie publique (...) Il incombait aux services spécialisés de la mairie d’établir leodalités concrètes de mise en œuvre de la décision du conseil municipal. Les choses ne se passèrent pas ainsi. Six mois après l’adoption de la décision no 33, la mairie conclut illégalement, en violant sciemment les dispositions de la loi no 69/1991, un contrat d’association (...) avec la S.C. Vinalex S.r.l., qui n’avait rien à voir avec la société initialement choisie. Notez toutefois que le contrat en question fut signé par l’adjoint au maire [D.M.] à la place du maire, (...) et par une certaine [M.], au lieu du juriste [M.T.]. Par quel miracle la S.C. Vinalex est-elle devenue l’associée de la mairie si la décision no 33 du 30 juin 1992 du conseil municipal avait donné à la société CBN S.r.l. le pouvoir de réaliser une simple prestation de services ? Ce qui est frappant, c’est que rien n’atteste que la S.C. CBN aurait consenti à renoncer à l’enlèvement des véhicules en stationnement irrégulier ! (...) L’escroc [D.M.] (ancien adjoint au maire, actuellement avocat) a donné aux employés irresponsables de Vinalex le pouvoir de constater le stationnement irrégulier des véhicules, autrement dit de se moquer des citoyens et de leurs biens. En quoi consiste cette escroquerie ? En vertu des articles 89 et 29 de la loi no 69/1991, aucun contrat d’association avec une société commerciale ne saurait être conclu en l’absence de décision préalable du conseil municipal, adoptée par la majorité des deux tiers du nombre total des conseillers. Avant sa conclusion, le contrat doit faire l’objet d’un avis de toutes les commissions spécialisées du conseil municipal (...) Le contrat conclu avec Vinalex a été négocié et signé illégalement, les signataires s’appuyant sur la décision [du 30 juin 1992] qui, comme on l’a déjà montré, se référait à une autre société, sans envisager d’autre association. Etant donné que la mairie avait déjà signé quatre autres contrats avant la conclusion de celui-ci, les signataires ne peuvent pas invoquer la méconnaissance de la loi, mais seulement sa violation intentionnelle ! Et parce que chaque violation intentionnelle de la loi poursuit un but en soi, généralement l’obtention d’avantageatériels, il est évident en l’espèce que monsieur l’ancien adjoint au maire, juriste de profession, a reçu des pots-de-vin de la part de son associé, et a corrompu des subalternes, dont [R.M.], ou les a obligés à enfreindre la loi. La Cour des comptes de Constanţa a découvert cette escroquerie flagrante, qui a rapporté des bénéfices considérables au corrupteur (S.C. Vinalex) (...) Le contrevenant [S.C. Vinalex] n’a jamais prouvé qu’il disposait de moyens adéquats pour procéder à la mise en fourrière des véhicules en stationnement irrégulier. Cela explique la détérioration de nombreux véhicules privés, et, dès lors, l’existence de milliers de réclamations à cet égard. En outre, le prétendu contrat d’association était valable un an, soit jusqu’au 16 décembre 1993. A compter de cette date, [S.C. Vinalex] n’avait plus aucun droit de porter atteinte aux biens personnels des citoyens ! Pourtant, elle a continué à enlever les véhicules, à encaisser illégalement de l’argent (...) On ne comprend pas comment la police a pu lui prêter son concours ces quatre dernierois. Arrêtons-nous un peu sur les agissements de l’ancienne juriste de la mairie, l’actuelle juge [R.M.]. Soit elle a signé le contrat en méconnaissance de la loi, auquel cas nous ne comprenons pas comment elle a pu par la suite être nommée juge (et rendre la justice sur la base de ceêmes lois qu’elle ne connaît pas), soit elle a accepté des pots-de-vin et pourrait encore le faire à l’avenir ! Rien d’étonnant à ce que la même juge fasse l’objet d’une enquête de la Cour des comptes, et ce pour un autre acte illégal, commis lui aussi à la mairie (nous en avons parlé à l’époque). L’ironie veut que le président du tribunal n’ait pris aucune mesure à son encontre, au motif que la somme perçue n’était pas (...) assez élevée. Semblant se rendre compte que l’affaire risquait d’être découverte, le service de coordination de la mairie (...) informa par écrit la S.C. Vinalex de l’éventuelle résiliation du contrat, pour leotifs suivants : (...) « vous n’avez pas présenté de documents attestant l’achat d’outils de type plate-forme, nécessaires au bon déroulement de l’activité » (en vertu de la clause figurant à l’article 3 du contrat (...)). Dans la même lettre, la mairie faisait savoir à la S.C. Vinalex ce qui suit : « Etant donné que vous n’avez pas prouvé que vous disposiez des outils appropriés, nous évaluons votre participation à l’association à la hauteur du capital social de votre société, à savoir 110 000 lei ; il reste à recalculer votre participation au revenu net de l’association sur la base des contributions des parties. » Les faits restent des faits, mais les documents dont nous disposons « parlent » d’eux-mêmes de l’illégalité et de l’escroquerie « Vinalex ». » L’article était accompagné de la photo d’une voiture de police présente lors de l’enlèvement d’un véhicule en stationnement irrégulier sur la voie publique, de photocopies des extraits du contrat d’association et de la décision du conseil municipal de Constanţa du 30 juin 1992, ainsi que de passages de certains articles de la loi no 69/1991 relatifs à la responsabilité et aux attributions du maire, du préfet et des conseilunicipaux et départementaux. L’article était également accompagné d’une caricature présentant un homme et une femme, bras dessus, bras dessous, munis d’un sac portant l’inscription « Vinalex » et plein de billets de banque. Le dialogue entre les deux personnages était le suivant : « Ecoute, [R.] [diminutif du prénom de Mme R.M.], t’as fait du bon travail ! Quand j’étais adjoint au maire, on a gagné quelques sous, assez pour partir en Amérique... [D.] [diminutif du prénom de l’ancien adjoint au maire], si toi tu deviens avocat, moi je deviendrai juge et on aura de quoi faire le tour du monde... » Les conclusions des contrôleurs financiers de la Cour des comptes Le 6 juin 1994, le département de contrôle financier près la chambre départementale de la Cour des comptes examina un rapport rendu le 26 mai 1994 par plusieurs contrôleurs à l’issue d’une vérification budgétaire qu’ils avaient effectuée au sein du conseil municipal de Constanţa pour l’année 1992, et faisant état de ce que : a) le choix, par le conseil municipal, le 30 juin 1992, de la société S.C. CBN pour effectuer les prestations d’enlèvement des véhicules en stationnement irrégulier n’était motivé par aucune offre écrite de ladite société, ni par l’objet inscrit dans le statut de celle-ci ; b) le conseil municipal n’avait pas donné son avis au contrat d’association conclu par la mairie avec la société Vinalex et aucune expertise des biens de l’associé Vinalex n’avait été réalisée ni soumise à l’approbation dudit conseil, ce qui était contraire aux dispositions de la loi no 69/1991 sur l’administration publique locale ; c) la répartition du profit dont les parties étaient convenues par leur contrat, à savoir 70 % pour la société Vinalex et 30 % pour le conseil municipal, n’était pas conforme aux apports de chacun des associés à la date de la conclusion du contrat, qui, eux, étaient de 76,4 % pour le conseil municipal et de 23,6 % pour la société Vinalex, ce qui avait entraîné un manque à gagner au détriment du conseil municipal. Le département de contrôle financier estima qu’il était nécessaire de demander au maire de Constanţa, en sa qualité d’ordonnateur des crédits, « d’entrer en légalité » s’agissant des obligations des parties découlant dudit contrat et de conclure à l’avenir plus efficacement de telles associations avec des agents privés. Une décision formelle fut adoptée en ce sens le 8 juin 1994 par le chef du département. Les requérants ont produit devant la Cour un rapport deêmes contrôleurs de la Cour des comptes daté du 17 mars 1994, qui faisait également état des irrégularités décrites au paragraphe 23 ci-dessus lors de la conclusion du contrat d’association de la mairie avec la société Vinalex, tout en indiquant qu’une résiliation de celui-ci s’imposait. Les requérants n’évoquèrent pas l’existence d’un tel rapport pendant la procédure pénale dirigée contre eux à la suite de la parution de l’article litigieux dans le journal. B. La procédure pénale à l’encontre des requérants La procédure devant le tribunal de première instance Le 14 avril 1994, après la parution de l’article, Mme R.M. assigna en justice les requérants devant le tribunal de première instance de Constanţa pour insulte et calomnie, infractions respectivement réprimées par les articles 205 et 206 du code pénal. Elle se plaignait en particulier de la caricature qui accompagnait l’article, qui la présentait comme une « dame à la jupe courte, au bras d’un homme avec un sac plein d’argent, certaines parties physiques intimes de son corps étant mises en évidence en signe de dérision ». Elle faisait valoir que l’article, le dessin et le dialogue des personnages avaient amené les lecteurs à penser qu’elle avait eu des relations intimes avec M. D.M. Or elle soulignait qu’elle-même et l’ancien adjoint au maire étaient mariés chacun de son côté. Lors de l’audience du 13 mai 1994, le tribunal ajourna l’examen de l’affaire en raison de l’absence des requérants et, fixant une nouvelle audience au 27 mai 1994, ordonna qu’ils y soient amenés souandat de comparution immédiate. Le 27 mai 1994, le second requérant déclara lors de l’audience qu’il assumait l’entière responsabilité de ce qui avait été publié dans le journal qu’il dirigeait en tant que rédacteur en chef. Il expliqua que la caricature était un moyen de critique couramment utilisé dans la presse et qu’il n’avait pas voulu porter atteinte à la réputation de la demanderesse. En réponse à une question du tribunal, il reconnut avoir su que, sur ordre du maire de Constanţa, la société Vinalex avait obtenu l’autorisation de procéder à l’enlèvement des véhicules en stationnement irrégulier. Il déclara qu’il n’avait pas, toutefois, jugé utile de publier cette information. Il souligna enfin qu’il ne tenait pas à conclure une transaction avec la partie lésée et qu’il était prêt à faire paraître un article en faveur de celle-ci, à condition qu’elle établisse que ce qu’il avait publié était faux. Le 10 juin 1994, les requérants demandèrent le renvoi de l’affaire pour examen dans un autre département. Ils sollicitèrent en outre l’ajournement de son examen, en faisant valoir qu’en raison de la qualité de juge de la partie demanderesse, il leur était impossible de trouver au barreau de Constanţa un avocat qui acceptât de les représenter. A une date non précisée, le barreau de Constanţa, sur demande du tribunal, attesta que les requérants n’avaient pas essuyé de refus de la part de tous les avocats du barreau et que, en tout état de cause, la direction du barreau n’avait pas été saisie à ce sujet. Le 15 juin et le 1er juillet 1994, le tribunal ajourna l’affaire en raison de l’absence des requérants. Par une décision avant dire droit du 21 juillet 1994, la Cour suprême de justice ordonna le renvoi de l’affaire devant le tribunal de première instance de Lehliu-Gară. Le 15 novembre 1994, l’affaire fut enregistrée au rôle de ce tribunal. Plusieurs audiences publiques eurent lieu le 21 décembre 1994 et les 25 janvier, 27 février, 20 mars, 17 avril et 17 mai 1995. Les 21 décembre 1994 et 25 janvier 1995, les requérants, bien que régulièrement cités, ne se présentèrent pas à l’audience. Le tribunal délivra à leur encontre un mandat de comparution immédiate pour les audiences des 25 janvier et 27 février 1995 respectivement. Les requérants n’y déférèrent pas. Lors des audiences des 27 février et 20 mars 1995, des représentants du journal Telegraf sollicitèrent pour le compte des requérants, qui étaient absents, l’ajournement de la procédure. Le tribunal accueillit cette demande. Le 20 mars 1995, l’avocat N.V., du barreau de Bucarest, accepta de défendre les requérants. Lors de l’audience du 17 avril 1995 au matin, N.V. demanda au tribunal de juger l’affaire après 11 h 30. Le tribunal accueillit sa demande. Toutefois, lorsqu’il voulut procéder à l’examen de l’affaire à 12 heures puis à 14 h 30, le tribunal constata que ni les requérants ni les avocats n’étaient présents dans la salle d’audience. Il reporta alors l’affaire au 17 mai 1995. Lors de l’audience du 17 mai 1995, le tribunal mit l’affaire en délibéré, après avoir constaté que ni les requérants, bien que régulièrement cités, ni leur avocat ne s’étaient présentés. Par un jugement du même jour, le tribunal estima que les requérants s’étaient rendus coupables d’insulte et de calomnie, infractions prévues respectivement par les articles 205 et 206 du code pénal. Il les condamna à troiois de prison du chef d’insulte et à sept mois de prison du chef de calomnie, et ordonna qu’ils exécutent, chacun, la peine la plus lourde, à savoir sept mois de prison ferme. Le tribunal assortit l’exécution de cette peine principale de la peine accessoire d’interdiction d’exercer tous les droits civils prévus par l’article 64 du code pénal (paragraphe 58 ci-dessous). Il infligea également aux requérants l’interdiction d’exercer le métier de journaliste pendant une durée d’un an après l’exécution de leur peine d’emprisonnement, mesure de sûreté prévue par le premier alinéa de l’article 115 du code pénal (paragraphe 59 ci-dessous). Il les condamna, enfin, à verser à Mme R.M. des dommages et intérêts d’un montant de 25 millions de lei roumains (ROL), soit 2 033 euros (EUR) à la parité euro/leu à la date des faits, au titre du préjudice moral. Pour motiver sa décision, le tribunal fit d’abord état de ce qui suit : « Le tribunal prend acte de ce que la partie lésée a toujours été présente, aussi bien devant le tribunal de première instance de Constanţa qu’au tribunal de Lehliu-Gară, alors que les inculpés, de façon injustifiée, ont été généralement absents, bien qu’ils aient été légalement cités. A l’appui de sa plainte préalable, la partie lésée, Mme [R.M.] a demandé de se prévaloir de la preuve par écrit. Mme [R.M.] a déposé au dossier l’exemplaire du journal local Telegraf du 12 avril 1994, comprenant l’article mentionné dans la plainte préalable ainsi que la caricature qui la ridiculisait. Le tribunal prend acte de ce que les inculpés, tout comme la partie civilement responsable, bien que légalement cités, ne se sont déplacés à aucune audience, seule la partie lésée ayant été présente. Le tribunal prend acte de ce que les inculpés R. Mazăre et C. Cumpănă ont été informés de leurs chefs d’inculpation, ainsi que des dates des audiences, et qu’ils ont été assistés par un avocat de leur choix (qui a demandé auprès du tribunal d’abord l’ajournement, ensuite le report du dossier pour le second appel, après 11 h 30). Le tribunal note que l’inculpé R. Mazăre a été entendu par le tribunal de Constanţa lors de l’audience publique du 27 mai 1994, et en retient ce qui suit : l’inculpé considère qu’il n’est pas obligatoire de poursuivre des études à l’Université de journalisme pour exercer la profession de journaliste ; l’inculpé refuse de dire s’il a disposé ou non d’autres documents sur lesquels était fondée la décision no 33 du conseil municipal de Constanţa ; il entend par la notion de « concours d’infractions » le fait de commettre plusieurs infractions ; il entend par « méconnaissance de la loi pénale par concours » la commission de plusieurs infractions ; selon lui, la partie lésée, en signant le contrat en sa qualité de juriste à la mairie, a transgressé plusieurs dispositions de la loi no 69/1991 ; il précise qu’il ne peut pas qualifier juridiquement avec exactitude les infractions commises par la partie lésée, car cela n’entre pas dans ses compétences ; il déclare avoir dit dans l’article publié dans le journal tout ce qu’il avait à dire au sujet de la partie lésée ; il considère que les caricatures sont utilisées partout, et estime qu’il n’a pas porté atteinte (par la caricature) à la réputation d’une quelconque personne (en l’occurrence la partie lésée). [Le tribunal] retient que l’inculpé R. Mazăre entend assumer l’entière responsabilité pour tout ce qui paraît dans le journal qu’il dirige en sa qualité de rédacteur en chef ; (...) qu’il affirme connaître les dispositions constitutionnelles relatives au droit du journaliste d’informer l’opinion publique ; qu’il a lu entièrement le texte de la décision du gouvernement et qu’il ne l’a pas publié par manque d’espace ; que l’inculpé déclare avoir également lu, en entier, le texte du contrat d’association conclu par la mairie et signé par la partie lésée Mme [R.M.], mais qu’il ignorait si la décision du gouvernement faisait ou non référence aux contrats d’association ; (...) que l’inculpé était informé du fait que la société Vinalex avait été autorisée par arrêté du maire de Constanţa à effectuer le service d’enlèvement des véhicules en stationnement irrégulier, mais qu’il a estimé que sa publication dans le journal n’était pas nécessaire ; que l’inculpé déclare, enfin, que « vu la gravité des actes commis, je crois qu’il n’était pas nécessaire de discuter préalablement avec la partie lésée. Au cas où des documents prouveraient que mes affirmations sont infondées, je suis prêt à publier un article en faveur de la partie lésée. » S’agissant des preuves écrites dont la partie lésée entendait se prévaloir à l’appui de ses allégations, le tribunal fit état de ce qui suit : « Hormis l’article publié dans le journal Telegraf la partie lésée, Mme [R.M.], a versé au dossier la décision no 33 du conseil municipal de Constanţa, émise conformément à la décision du gouvernement no 147 du 26 mars 1992, par laquelle a été décidé l’enlèvement des véhicules en stationnement irrégulier sur la voie publique, ainsi que l’arrêté no 163 du 30 juin 1992 de la mairie de Constanţa (...) autorisant la société Vinalex à procéder à l’enlèvement, au transport et au dépôt des véhicules en stationnement irrégulier sur la voie publique (« Les conditions d’exercice desdites prestations figureront dans le contrat d’association qui sera rédigé ») ; la décision du gouvernement no 147 du 26 mars 1992, par laquelle leaires sont autorisés à ordonner l’enlèvement, le transport et le dépôt des véhicules en stationnement non régulier en faisant appel à des sociétés spécialisées et en leur donnant une autorisation à cette fin, et l’arrêté du maire de Constanţa no 369 du 1er juillet 1994, autorisant la société Vinalex à effectuer de telles prestations. » S’agissant plus particulièrement de l’article et de la caricature litigieux, le tribunal se prononça comme suit : « (...) signé par les inculpés R. Mazăre et C. Cumpănă, cet article visait la partie lésée, en portant atteinte à son honneur, à sa dignité et à son image publique et en affectant son sentiment propre d’estime de soi par les accusations (écrites) portées à travers des signes et des symboles dont elle était la cible déterminée. Le tribunal retient que ces faits existent, qu’ils sont prévus par la loi pénale, qu’ils présentent un danger social non pas tant par leur résultat matériel (déformation matérielle de la réalité extérieure), mais surtout par les conséquences psychosociales qu’ils entraînent, par la désinformation ou par une information incorrecte du public, en conduisant à des appréciations erronées au sujet des faits et personnes, en instaurant, compte tenu du rôle et de l’impact public deédias, une fausse échelle de valeurs, en créant des traumatismes psychiques à la partie lésée. En faisant cette appréciation, le tribunal a eu égard à la qualité particulière des parties en litige, à savoir la partie lésée, Mme [R.M.], juriste, représentante de l’autorité judiciaire, et les inculpés, M. R. Mazăre et M. C. Cumpănă, représentants deédias. Le tribunal prend acte du fait que l’inculpé R. Mazăre, tout en étant conscient de la gravité des faits qu’il a commis, déclare de manière irresponsable avoir « pris connaissance du fait que la société Vinalex avait été autorisée par arrêté du maire, mais ne pas avoir estimé nécessaire de publier (également) cet arrêté » (...) Le tribunal considère que la publication de l’article dans le journal ne pouvait pas se justifier en raison d’un « intérêt légitime » dans la mesure où il ne s’appuyait pas sur des faits réels, sur une information correcte de l’opinion publique. Le tribunal retient que les inculpés (...) ont « oublié » le contenu de l’article 30 § 6 de la Constitution : « La liberté d’expression ne peut porter préjudice à la dignité, à l’honneur, à la vie privée d’une personne, ni à son droit à sa propre image », ainsi que celui de l’article 31 § 4 de la Constitution : « Les médias publics et privés sont tenus d’assurer une information correcte de l’opinion publique. » Il ressort des conclusions écrites versées au dossier par la partie lésée (...) que celleci a toujours souhaité l’arrêt du procès pénal par voie amiable, à condition que les inculpés acceptent de rétracter les affirmations contenues dans l’article. Le tribunal retient que la partie lésée est une personne publique, qu’à la suite de la parution de l’article dans le journal, sa direction ainsi que l’autorité hiérarchique supérieure lui ont demandé de s’expliquer sur le procès en raison, notamment, de ce qu’elle devait se présenter à l’examen en vue de sa titularisation. » La procédure devant la juridiction de recours A une date non précisée, les requérants formèrent un recours contre la décision des premiers juges du 17 mai 1995. A l’audience du 2 novembre 1995, le tribunal départemental de Călăraşi, après avoir constaté que l’affaire était en état et que les requérants ne s’étaient pas présentés bien que régulièrement cités et n’avaient paotivé leur recours, mit l’affaire en délibéré. Par une décision rendue le 2 novembre 1995, le tribunal, après avoir examiné l’affaire des requérants en tous ses aspects, selon l’exigence énoncée à l’article 3856 du code de procédure pénale (ci-après « CPP »), confirma le jugement prononcé par les premiers juges, qu’il estima juste. Cette décision, envoyée aux archives le 23 novembre 1995, était définitive et exécutoire, et n’était pas susceptible d’être attaquée par les voies ordinaires de recours. La procédure faisant suite au recours en annulation formé par le procureur général Le 10 avril 1996, le parquet général saisit la Cour suprême de justice d’un recours en annulation contre les décisions des 17 mai 1995 et 2 novembre 1995. Il faisait valoir : a) que les tribunaux avaient donné aux faits litigieux une qualification juridique erronée. Soulignant que les requérants avaient simplement mis en relief, par la caricature, leurs allégations selon lesquelles certains fonctionnaires de la mairie étaient corrompus, il estimait que les faits litigieux ne constituaient pas l’élément matériel de l’infraction d’insulte, prévue par l’article 205 du code pénal ; b) que le montant des dommages et intérêts auxquels les requérants avaient été condamnés était extrêmement élevé et injustifié objectivement ; et, enfin, c) que les exigences du premier alinéa de l’article 115 du code pénal, en vertu duquel il est loisible aux tribunaux d’interdire l’exercice d’un métier à une personne ayant commis des actes illégaux en raison de son incapacité, de son manque de formation ou pour d’autres raisons qui la rendent impropre à l’exercice de ce métier, n’étaient pas remplies en l’espèce, aucune preuve n’attestant sans équivoque l’inaptitude des requérants à continuer d’exercer le métier de journaliste ou le danger potentiel que cela comportait. Par un arrêt définitif du 9 juillet 1996, la Cour suprême de justice rejeta le recours formé par le procureur général comme étant manifestement mal fondé, pour les raisons ci-après : « Au vu des preuves produites dans l’affaire, il a été établi que, le 12 avril 1994, les inculpés R. Mazăre et C. Cumpănă ont publié dans le journal Telegraf de Constanţa l’article intitulé : « L’ancien adjoint au maire [D.M.] et l’actuelle juge [R.M.] ont réalisé, par un concours d’infractions, l’escroquerie Vinalex », dont il résulte qu’en 1992, alors qu’elle remplissait la fonction de conseillère juridique au sein du conseil municipal de Constanţa, la partie lésée, Mme [R.M.], aurait participé aux agissements frauduleux de la société commerciale Vinalex. La Cour suprême note, en même temps, que les inculpés ont inclus dans l’article précité une caricature dans laquelle la partie lésée était présentée en compagnie d’un homme portant sur le dos un sac rempli d’argent, ce qui était de nature à atteindre l’honneur, la dignité et l’image publique de celle-ci. Il s’ensuit qu’à travers l’article publié dans le journal Telegraf, les inculpés ont imputé à la partie lésée la commission d’actes déterminés qui, s’ils étaient avérés, auraient engagé la responsabilité pénale de Mme [R.M.], et que, partant, les deux juridictions inférieures ont correctement retenu à la charge des inculpés l’infraction de calomnie réprimée par l’article 206 du code pénal. Le fait pour leêmes inculpés d’inclure dans l’article précité une caricature dans laquelle la partie lésée était présentée en compagnie d’un homme portant sur le dos un sac rempli d’argent, de manière à porter atteinte à son honneur et à sa réputation, constitue l’infraction d’insulte, prévue par l’article 205 du code pénal (...) » S’agissant du quantum des dommages et intérêts que les requérants avaient été condamnés à verser, la Cour suprême jugea que : « (...) l’obligation pour les inculpés de payer des dommageoraux d’un montant de 25 millions de lei était justifiée, car il est notoire qu’en publiant l’article du 12 avril 1994 dans un journal à grand tirage les inculpés ont porté gravement atteinte à la dignité et à l’honneur de la partie lésée. » La Cour suprême jugea, enfin, quant à l’illégalité prétendue de l’interdiction temporaire d’exercer le métier de journaliste, que : « (...) l’application deesures de sûreté dans d’autres conditions que celles prévues par la loi ne se trouvant pas parmi les cas limitativement prévus par la loi qui permettent au procureur de faire un recours en annulation, elle ne saurait servir de base juridique pour casser les décisions attaquées. » C. La situation des requérants après leur condamnation par la décision définitive et exécutoire du 2 novembre 1995 Sur l’exécution de la peine de prison et de la peine accessoire d’interdiction des droits civils Les requérants n’exécutèrent pas la peine d’emprisonnement à laquelle ils avaient été condamnés par la décision du 2 novembre 1995 car, immédiatement après son prononcé, le procureur général avait sursis à son exécution pour une durée de onze mois en s’appuyant sur l’article 412 CPP (paragraphe 61 in fine ci-dessous). Par une lettre du 30 septembre 1996, le parquet général près la Cour suprême de justice informa les requérants qu’il avait prorogé le sursis à exécution jusqu’au 27 novembre 1996. Le 22 novembre 1996, les requérants bénéficièrent d’une grâce présidentielle les dispensant de l’exécution de leur peine d’emprisonnement. En vertu de l’article 71 CPP, la mesure mettait également un terme à leur peine accessoire d’interdiction des droits civils (paragraphe 58 in fine cidessous). Sur l’interdiction d’exercer le métier de journaliste a) Le premier requérant Il ressort du carnet de travail (cartea de muncă) du premier requérant, dont il a produit une copie devant la Cour, qu’après la décision du tribunal départemental de Călăraşi du 2 novembre 1995 : a) il a continué d’exercer son activité au sein du journal Telegraf en tant que chef de la rubrique « Evénement », et ce jusqu’au 1er février 1996, date à laquelle il a été transféré à la société C. dans l’intérêt du service, sur un poste identique et avec la même rémunération qu’auparavant ; b) pendant qu’il travaillait au sein de la société C., son salaire a été majoré ; c) son activité auprès de la société C. a cessé le 14 avril 1997 en raison d’une réduction des effectifs de son employeur, motif de licenciement prévu par l’article 130 a) du code du travail tel qu’il était libellé à l’époque des faits ; d) il n’a plus exercé d’activité salariée jusqu’au 7 février 2000, date à laquelle il a été embauché sur la base d’un contrat à durée indéterminée par la société , en tant que rédacteur en chef adjoint. b) Le second requérant Après la décision définitive et exécutoire du 2 novembre 1995, le second requérant a continué d’exercer la fonction de rédacteur en chef du journal Telegraf, comme il ressort d’une lettre qu’il a fait parvenir à la Cour le 19 janvier 2000. Entre le 1er septembre 1997 et le 30 novembre 1999, pendant qu’il était député au Parlement roumain, 25 millions de lei ont été déduits de son indemnité parlementaire et virés sur le compte bancaire de Mme R.M., en vertu du jugement du tribunal de première instance de Lehliu-Gară du 17 mai 1995 (paragraphe 37 in fine ci-dessus). A une date non précisée après ce jugement, il a été élu maire de Constanţa, fonction qu’il continue d’exercer. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code pénal Infractions contre les personnes Les articles pertinents étaient libellés comme suit à l’époque des faits : Article 205 – L’insulte « L’atteinte à l’honneur et à la réputation d’une personne par des paroles, des gestes ou par d’autreoyens est passible d’une peine de prison d’une durée allant d’un mois à deux ans ou d’une amende. » Article 206 – La calomnie « L’affirmation ou l’imputation en public d’un certain fait concernant une personne, fait qui, s’il était vrai, exposerait cette personne à une sanction pénale, administrative ou disciplinaire, ou au mépris public, est punie d’une peine de prison d’une durée allant de troiois à trois ans ou d’une amende. » Dans sa Résolution no 1123 du 24 avril 1997 relative au respect des obligations et engagements contractés par la Roumanie, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe releva que les articles 205 et 206 du code pénal roumain étaient inacceptables, mettant gravement en cause l’exercice des libertés fondamentales et, plus particulièrement, la liberté de la presse. En conséquence, l’Assemblée invita les autorités roumaines à modifier ces dispositions sans tarder. A l’issue d’un processus de réformes législatives, la loi no 301 du 28 juin 2004 relative au nouveau code pénal roumain punit exclusivement d’une peine d’amende les auteurs de l’infraction de calomnie (article 225 du nouveau code pénal). L’insulte n’y est plus réprimée comme infraction. Ceodifications législatives entreront en vigueur le 29 juin 2005. Les peines Les articles pertinents sont libellés comme suit : Article 64 – Les peines complémentaires « L’interdiction d’un ou de plusieurs droitentionnés ci-dessous peut être imposée comme peine complémentaire : a) le droit de voter et d’être élu dans les organes de l’autorité publique ou dans des fonctions électives publiques, b) le droit d’occuper une fonction impliquant l’exercice de l’autorité de l’Etat, c) le droit d’occuper une fonction, d’exercer un métier ou une activité dont le condamné s’est servi pour l’accomplissement de l’infraction, d) les droits parentaux, e) le droit d’être tuteur ou administrateur des biens d’un enfant. » Article 71 – La peine accessoire « La peine accessoire consiste en l’interdiction de tous les droitentionnés à l’article 64. La détention à perpétuité ou toute autre peine privative de liberté entraîne automatiquement l’interdiction des droits prévus à l’alinéa précédent, pour la période comprise entre la condamnation définitive et la fin de la détention ou l’intervention d’un décret de grâce qui dispense de l’exécution de la peine (...) » Les mesures de sûreté L’article pertinent est libellé comme suit : Article 115 – L’interdiction d’exercer une fonction ou un métier « Quiconque a commis un acte [réprimé par la loi] en raison de son incapacité, de son manque de formation ou pour d’autres raisons qui le rendent inapte à occuper certaines fonctions ou à exercer une certaine profession ou activité, peut se voir interdire d’occuper cette fonction ou d’exercer la profession ou l’activité en question. Cette mesure peut être révoquée sur demande après une année si leotifs qui l’ont justifiée ont cessé d’exister. (...) » Les motifs qui font cesser la responsabilité pénale ou les conséquences de la condamnation Les dispositions pertinentes sont ainsi libellées : Article 120 – Les effets de la grâce « La grâce a comme effet la dispense de l’exécution de la peine (...) La grâce n’a d’effet ni sur leesures de sûreté ni sur leesures éducatives. » Article 134 – La réhabilitation « La réhabilitation de droit intervient en cas de condamnation à une peine de prison inférieure à un an si, pendant trois années, le condamné n’a pas commis d’autre infraction. » B. Le code de procédure pénale Les dispositions pertinentes sont libellées comme suit : Article 409 « Le procureur général peut introduire auprès de la Cour suprême de justice, d’office ou sur demande du ministre de la Justice, un recours contre toute décision définitive. » Article 410 « Les décisions définitives de condamnation (...) peuvent être attaquées par recours en annulation : I. (...) (...) Lorsque les peines ont été appliquées dans d’autres limites que celles prévues par la loi ; (...) Lorsque la qualification juridique donnée aux faits n’est pas légale (...) » Article 412 « Avant d’introduire un recours en annulation, le procureur général peut ordonner le sursis à exécution. »
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
La requérante est née en 1964 et réside à Castres. Les 21 juin et 12 juillet 1995, à Nîmes et à Paris, plusieurs personnes, dont certaines de nationalité rwandaise, dénoncèrent des faits commis, courant avril et mai 1994, à leur encontre ou à celle de membres de leur famille dans les locaux paroissiaux de la « Sainte Famille » à Kigali au Rwanda par un ressortissant rwandais, M., ecclésiastique demeurant alors à la maison paroissiale de Bourg-Saint-Andéol (Ardèche) où il exerçait depuis septembre 1994 des fonctions de vicaire. La dénonciation du 21 juin 1995 était constituée par une sommation interpellative adressée au procureur général près la cour d’appel de Nîmes, lui enjoignant de faire arrêter immédiatement M., accusé d’avoir activement participé au génocide commis à l’encontre de populations tutsies du Rwanda entre avril et juillet 1994. La plainte dont fut saisi le 12 juillet 1995 le procureur de la République de Paris contenait des attestations de témoins ou victimes certifiant que M. aurait torturé des tutsis qui s’étaient réfugiés dans sa paroisse en les privant d’eau et de nourriture, aurait participé activement à la sélection de personnes à livrer à la milice hutu pour être exterminées et aurait imposé des relations sexuelles à plusieurs femmes en échange de leur sécurité. En outre, était jointe à la plainte une liste de personnes désignées comme les principaux organisateurs et responsables du génocide des tutsis commis au Rwanda entre début avril et juillet 1994, liste sur laquelle M. figurait en quatre cent vingt et unième position. Le 21 juillet 1995, le procureur de la République de Paris transmit la plainte au procureur de la République de Privas, territorialement compétent conformément aux dispositions de l’article 693 du code de procédure pénale, en raison du lieu de résidence de M. sur le territoire français. Par réquisitoire introductif du 25 juillet 1995, le procureur de la République de Privas ouvrit une information des chefs de génocide (article 211-1 du code pénal), pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de torture ou d’actes inhumains, inspirée par des motifs politiques, religieux, philosophiques ou raciaux et organisée en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile (article 212-1 du code pénal), participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation de l’un de ces crimes (article 212-3 du code pénal), et tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la torture, articles 1 à 9). Le 26 juillet 1995, un mandat d’amener fut décerné contre M. Le 28 juillet 1995, ce dernier fut interpellé, mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire. Le 1er août 1995, le juge d’instruction interrogea M. sur le fond et décerna deux commissions rogatoires, l’une nationale au directeur central de la police judiciaire, l’autre internationale aux autorités du Rwanda. Le 3 août 1995, la commission rogatoire internationale (CRI) fut transmise au procureur général près la cour d’appel de Nîmes. Le 11 août 1995, M. fut remis en liberté sous contrôle judiciaire par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nîmes. Entre le 31 juillet et le 18 août 1995, quinze personnes se constituèrent partie civile, dont la requérante et son époux le 1er août 1995. Les plaignants visaient diverses conventions internationales, notamment celles de New York du 10 décembre 1984 (Convention contre la torture), de Genève du 9 décembre 1948 (génocide) et les quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 et leur Protocole additionnel II du 8 juin 1977 concernant les conflits armés non internationaux. Etait également citée la Convention de Strasbourg du 27 janvier 1977 relative à la répression du terrorisme, mais cette qualification fut ensuite abandonnée expressément par les parties civiles. Par note de son conseil enregistrée le 9 août 1995, M. contesta la recevabilité de ces constitutions de partie civile. Le 20 septembre 1995, le juge d’instruction transmit le dossier au procureur de la République, aux fins de réquisitions sur la contestation de recevabilité des constitutions de partie civile soulevée par le mis en examen. Le magistrat instructeur informa en outre le procureur de son intention de soumettre à la chambre d’accusation la régularité de la procédure, compte tenu de son incompétence éventuelle à instruire tout ou partie des faits et qualifications visés dans le réquisitoire introductif, et de recueillir son avis sur ce point. Le 22 septembre 1995, M. souleva l’inapplicabilité de la loi pénale française pour en connaître sous les qualifications visées dans le réquisitoire introductif, admettant toutefois la compétence résiduelle du juge au titre de la Convention de New York du 10 décembre 1984, inapplicable en l’espèce selon lui. Le 2 octobre 1995, le procureur de la République de Privas demanda au juge d’instruction de déclarer irrecevables certaines constitutions de partie civile. En revanche, il estimait le réquisitoire introductif régulier et concluait qu’il n’y avait pas lieu de saisir la chambre d’accusation. Le juge d’instruction, par ordonnance du 4 octobre 1995, et le mis en examen, par une requête en date du 19 octobre 1995, soumirent à la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nîmes la régularité de la procédure en raison de l’incompétence territoriale du juge d’instruction. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Nîmes, sur réquisitions du procureur général tendant au rejet de l’ordonnance et de la requête, déclara l’une et l’autre irrecevables par arrêt du 7 novembre 1995, au motif que la question posée sous couvert du contentieux de l’annulation était en réalité celle de la compétence du juge d’instruction auquel il appartenait de statuer sur ladite compétence par une ordonnance susceptible d’appel. Le 15 décembre 1995, le procureur de la République prit des réquisitions aux fins de continuer à informer. Le 9 janvier 1996, le juge d’instruction rendit deux ordonnances. Dans la première, il déclarait recevables 6 des 15 constitutions de partie civile et rejetait les 8 autres, dont celle de la requérante et de son mari, au motif qu’elles ne faisaient pas état d’un préjudice personnel, au sens de l’article 2 du code de procédure pénale. Dans la seconde, il se déclarait compétent pour informer sur les faits dénoncés, dans le réquisitoire introductif et dans les diverses constitutions de partie civile, sous la qualification de tortures et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants au sens de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture. En revanche, il se déclarait incompétent pour toutes les autres qualifications. Les 12 et 16 janvier 1996, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Privas, la requérante et son mari relevèrent appel des ordonnances rendues par le juge d’instruction. Le 22 janvier 1996, le procureur général près la cour d’appel de Nîmes prit un réquisitoire sur la recevabilité des constitutions de partie civile. Courant février et mars 1996, le juge d’instruction procéda à diverses auditions de parties civiles ou de témoins. Par arrêt du 20 mars 1996, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nîmes infirma l’ordonnance du 9 janvier 1996. Elle estima que la compétence du magistrat devait s’apprécier uniquement au regard de l’acception pénale la plus haute et la plus spécifique, celle de génocide, et écarta par voie de conséquence la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture. En conséquence, elle déclara le juge d’instruction totalement incompétent pour connaître du dossier, la législation française ne conférant pas au juge français compétence pour connaître d’un crime de génocide commis à l’étranger. Par arrêt du ler avril 1996, la chambre d’accusation confirma l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la requérante et de son mari, du fait de l’incompétence du juge d’instruction antérieurement constatée. Les arrêts des 20 mars et ler avril 1996 furent frappés de pourvoi par le procureur général près la cour d’appel de Nîmes et par la requérante, le 26 mars 1996. La requérante déposa son mémoire ampliatif le 30 septembre 1996 et le mis en examen, M., déposa son mémoire en défense le 3 février 1997. Par arrêt du 6 janvier 1998, la chambre criminelle de la Cour de cassation ordonna la jonction de tous les pourvois et cassa les arrêts déférés. Elle renvoya l’affaire devant la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris et décida que celle-ci serait compétente pour la poursuite de l’ensemble de la procédure. Cette cassation fut prononcée à la suite de l’adoption de la loi no 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies. La Cour de cassation estimait en outre qu’en affirmant que seule la qualification de génocide était applicable en l’espèce, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Nîmes avait méconnu l’article 689-1 du code de procédure pénale qui donne compétence aux juridictions françaises pour connaître des actes visés à l’article 1er de la Convention de New York du 10 décembre 1984 contre la torture. Le 10 février 1998, sur requête du procureur général près la Cour de cassation, la chambre criminelle rendit un arrêt ordonnant la rectification de l’arrêt du 6 janvier 1998. Les 30 juin et 28 septembre 1998, la requérante sollicita le procureur général près la cour d’appel de Paris, par lettre puis par sommation d’huissier, afin d’obtenir l’audiencement de l’affaire devant la chambre d’accusation de sa cour (article 197 du code de procédure pénale). Le 1er décembre 1998, la requérante dénonça l’inertie du procureur général par lettres adressées au ministre de la Justice et au président de la République en sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature. Le procureur général rendit son réquisitoire le 6 avril 1999 et l’avis de convocation fut envoyé au mis en examen et aux parties civiles le 13 avril 1999. La requérante déposa son mémoire le 10 mai 1999, M. le 11 mai 1999. Par arrêt du 23 juin 1999, après audience du 12 mai 1999, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris ordonna la jonction des procédures ayant donné lieu aux deux ordonnances du 9 janvier 1996. Elle confirma l’ordonnance par laquelle le juge d’instruction de Privas avait statué sur sa compétence en ce qu’elle reconnaissait la compétence des juridictions françaises pour les faits entrant dans les prévisions de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984, mais elle l’infirma dans ses dispositions relatives à l’incompétence desdites juridictions pour connaître des faits susceptibles de recevoir d’autres qualifications. Par ailleurs, la chambre d’accusation confirma partiellement l’ordonnance d’irrecevabilité de certaines constitutions de partie civile, notamment celle du mari de la requérante ; en revanche, elle infirma la décision d’irrecevabilité de la constitution de partie civile de la requérante. La chambre d’accusation de la cour d’appel de Paris renvoya le dossier à un juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris désigné aux fins de poursuite de l’information. Le 28 juin 1999, M. forma un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par arrêt du 10 novembre 1999, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta le recours, aucun moyen n’étant produit à l’appui du pourvoi et l’arrêt attaqué étant régulier en la forme. Le 7 février 2000, le procureur général près la cour d’appel de Paris transmit le dossier de la procédure au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris. Le 15 février 2000, ce dernier communiqua le dossier au juge d’instruction désigné. Le 29 février 2000, le juge d’instruction adressa une commission rogatoire au commandant de la section de recherches de Paris afin de poursuivre les investigations. Le 21 août 2000, M. sollicita l’audition de quatre témoins domiciliés à l’étranger. Les 14 septembre et 3 octobre 2000, le juge d’instruction adressa plusieurs CRI aux autorités judiciaires du Rwanda (pour audition de 52 témoins et 3 parties civiles), de Belgique (pour audition de 3 témoins) et d’Allemagne (pour audition de 16 témoins), ainsi qu’au procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPI) en vue d’obtenir copie de la procédure menée par le TPI sur les faits reprochés à M. Les 15 décembre 2000 et 19 janvier 2001, les autorités belges et allemandes retournèrent les CRI exécutées au juge d’instruction. Le 16 février 2001, M. sollicita l’audition de sept autres témoins. Le 23 avril 2001, le juge d’instruction adressa des CRI aux autorités judiciaires de Belgique (pour audition de 3 témoins), d’Allemagne (pour audition d’un témoin) et de Finlande (pour audition d’un témoin). Le 9 mai 2001, le juge d’instruction adressa une lettre de rappel aux autorités rwandaises et au TPI concernant les CRI des 14 septembre et 3 octobre 2000. Le 15 mai 2001, un second juge d’instruction fut nommé conjointement au premier pour instruire le dossier. Le 2 juillet 2001, M. sollicita l’audition d’un nouveau témoin. Le 12 juillet 2001, les autorités belges retournèrent la CRI adressée le 23 avril 2001 partiellement exécutée. Le 29 septembre 2001, le juge d’instruction adressa une CRI aux autorités de Grande-Bretagne (pour audition d’un témoin) et d’Italie (pour audition d’un témoin). Le 2 octobre 2001, les autorités allemandes retournèrent la CRI du 23 avril 2001 partiellement exécutée. Par ordonnance du 16 novembre 2001, le premier juge d’instruction fut dessaisi et le second désigné en remplacement. Les 7 janvier et 7 février 2002, les autorités finlandaises et britanniques retournèrent les CRI des 23 avril et 29 septembre 2001 exécutées (partiellement pour les secondes). Le 20 février 2002, l’exécution de la commission rogatoire adressée le 29 février 2000 au commandant de la section de recherches de Paris fut transmise au juge d’instruction. Le 21 mars 2002, le juge d’instruction adressa une demande de renseignements au procureur du TPI pour le Rwanda. Le 26 mars 2002, celui-ci répondit qu’il n’entendait pas se saisir de ce dossier. Le 30 mai 2002, M. sollicita à nouveau l’audition d’un autre témoin. Le 20 juin 2002, le procureur du TPI adressa trois CD-ROM relatifs à la procédure réclamée en exécution de la CRI du 14 septembre 2000. Le 16 juillet 2002, le juge d’instruction ordonna une expertise aux fins d’inventaire des pièces contenues par les CD-ROM et d’édition sur support papier. Le 16 juillet 2002, les autorités italiennes retournèrent, après exécution, la CRI adressée le 29 septembre 2001. L’information judiciaire est actuellement toujours pendante.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est né en 1932 et réside à Athènes. Le 19 décembre 1989, le requérant saisit le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre la caisse de prévoyance du personnel des chemins de fer helléniques (Ταμείο Πρόνοιας Προσωπικού Οργανισμού Σιδηροδρόμων Ελλάδας), tendant à obtenir l’augmentation du montant d’une allocation forfaitaire qui lui avait été allouée. Le 19 juillet 1991, le tribunal ordonna à la caisse de payer au requérant la somme litigieuse, à savoir 1 017 638 drachmes (2 986 euros) (décision no 7841/1991). Le 10 décembre 1991, la caisse interjeta appel de cette décision. Initialement fixée au 13 avril 1994, l’audience fut reportée au 14 juin 1995. Le 18 septembre 1995, la cour administrative d’appel d’Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 4100/1995). Le 15 mai 1996, la caisse se pourvut en cassation. Initialement fixée au 23 novembre 1998, l’audience fut par la suite reportée à neuf reprises et eut lieu le 26 avril 2004. A ce jour, le Conseil d’Etat n’a pas encore rendu son arrêt.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le 13 mai 1991, le requérant saisit le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre la caisse de prévoyance du personnel des chemins de fer helléniques (Ταμείο Πρόνοιας Προσωπικού Οργανισμού Σιδηροδρόμων Ελλάδας), tendant à condamner celle-ci au versement de dommages-intérêts pour avoir refusé de lui verser une allocation forfaitaire. Le 5 février 1992, le tribunal fit partiellement droit à la demande du requérant (décision no 1249/1992). Le 8 mai 1992, la caisse interjeta appel de cette décision. Le 23 janvier 1995, la cour administrative d’appel d’Athènes rejeta l’appel (arrêt no 175/1995). Le 9 octobre 1995, la caisse se pourvut en cassation. L’audience devant le Conseil d’Etat, initialement fixée au 7 octobre 2002, eut lieu, suite à douze ajournements, le 20 janvier 2003. Le 17 mars 2003, le Conseil d’Etat rejeta le pourvoi (arrêt no 707/2003).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est né en 1934 et réside au Pirée. Il est retraité de l'Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”). Le 17 décembre 1993, le requérant saisit le tribunal administratif du Pirée d'une demande contre l'IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de sa pension. Il réclamait en particulier une somme de 330 252 drachmes (969 euros). Le 31 juillet 1995, le tribunal rejeta le recours (décision no 3684/1995). Cette décision fut notifiée au requérant le 4 mars 1996. Le 20 mars 1996, le requérant interjeta appel de cette décision. Le 30 juin 1997, la cour administrative d'appel du Pirée infirma la décision attaquée et fit droit à la demande du requérant (arrêt no 1376/1997). Le 31 mars 1998, l'IKA se pourvut en cassation. L'audience devant le Conseil d'Etat, initialement fixée au 18 mars 1999 et reportée par la suite à plusieurs reprises, eut lieu le 14 janvier 2002. Le 23 décembre 2002, par un arrêt no 3756/2002, le Conseil d'Etat constata que le litige avait un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (5 870 euros environ). Dès lors, la haute juridiction prononça l'annulation de la procédure, conformément à la loi no 2944/2001 : cette dernière, publiée au Journal Officiel le 8 octobre 2001, exclut l'accès au Conseil d'Etat pour les litiges dont l'objet financier est inférieur à la somme susmentionnée.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le 11 avril 1994, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre l’Etat grec tendant à la condamnation de ce dernier au versement d’une prime familiale pour une période allant du 1er janvier 1992 au 31 décembre 1993. Le 30 avril 1996, le tribunal rejeta leur demande (décision no 5384/1996). Le 8 octobre 1996, les requérants interjetèrent appel de cette décision. Le 18 octobre 2000, la cour administrative d’appel d’Athènes infirma la décision attaquée (décision no 4021/2000). En 2001, une loi fut adoptée (no 2944/2001) qui excluait le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (5 870 euros environ). Le 26 novembre 2001, l’Etat se pourvut en cassation. L’audience devant le Conseil d’Etat fut fixée au 9 juin 2003. Le 1er novembre 2004, le Conseil d’Etat, constatant que le litige avait un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes, prononça l’annulation de la procédure, conformément à la loi no 2944/2001 (acte no 3073/2004).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le requérant est officier de l’armée à la retraite. Le 7 septembre 1992, le requérant saisit le tribunal administratif d’Athènes d’un recours en annulation contre un acte du Fonds de l’Armée (Metohiko Tameio Stratou) qui avait rejeté sa demande tendant au réajustement du montant de sa retraite. Le 26 mai 1994, le tribunal rejeta la demande du requérant (décision no 5534/1994). Le 27 septembre 1994, le requérant interjeta appel. Le 11 novembre 1996, la cour administrative d’appel d’Athènes fit droit au recours du requérant et infirma la décision attaquée (arrêt no 4387/1996). Le 15 avril 1997, le Fonds se pourvut en cassation devant le Conseil d’Etat. L’audience de l’affaire eut lieu le 20 novembre 2000. Le 14 mars 2002, le Conseil d’Etat cassa l’arrêt attaqué et renvoya l’affaire devant la cour d’appel (arrêt no 807/2002). Le 12 mars 2003, la cour administrative d’appel d’Athènes débouta le requérant de ses demandes (arrêt no 1082/2003).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Le 19 décembre 1989, E.N. mari de la première requérante et père des quatre autres requérants, saisit le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre la caisse de prévoyance du personnel des chemins de fer helléniques (Ταμείο Πρόνοιας Προσωπικού Οργανισμού Σιδηροδρόμων Ελλάδας), tendant à la condamnation de cette dernière au versement de dommages-intérêts pour avoir refusé de lui verser une allocation forfaitaire. Le 19 juillet 1991, le tribunal fit droit à son recours et lui alloua une somme de 1 842 euros (décision no 7835/1991). Le 3 janvier 1992, la caisse interjeta appel de cette décision. L’audience fut fixée au 12 janvier 1995. A cette date, les requérants déclarèrent devant la cour administrative d’appel qu’ils souhaitaient poursuivre la procédure en tant qu’héritiers de leur époux et père, entre-temps décédé. Le 22 janvier 1997, la cour administrative d’appel d’Athènes fit droit à la demande des requérants de poursuivre la procédure et confirma la décision attaquée (décision no 210/1997). Le 11 juillet 1997, la caisse se pourvut en cassation. En 2001, une loi fut adoptée (no 2944/2001) qui excluait le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 2 000 000 drachmes (5 870 euros environ). Suite à plusieurs ajournements, l’audience devant le Conseil d’Etat eut lieu le 17 mars 2003. Le 22 avril 2003, le Conseil d’Etat prononça l’annulation de la procédure, le litige ayant un objet inférieur à 5 870 euros (acte no 1087/2003).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Izmir. Il est le frère de M. Ali Ekber Kanlıbaş, qui a trouvé la mort lors d’une confrontation armée avec les forces de l’ordre, survenue le 8 janvier 1996 à Kangal, district de Sivas. A. Les antécédents de M. Ali Ekber Kanlıbaş Nul ne conteste que, de son vivant, Ali Ekber Kanlıbaş fut l’un des leaders locaux du PKK qu’il a rejoint en 1990. Selon toute vraisemblance, il était, entre autres, l’auteur du braquage de la station d’essence Derbentoğulları, perpétré à Kangal le 12 octobre 1995 et qui a coûté la vie à deux civils. La présente requête porte sur les circonstances entourant son décès. B. L’opération militaire lancée le 8 janvier 1996 Le 7 janvier 1996, les forces de la gendarmerie en faction dans la région de Kangal furent informées de la descente d’un groupe d’environ dix militants armés du PKK aux alentours du village voisin de Yellice. Le lendemain matin, une opération militaire fut lancée et, vers midi, un affrontement très violent débuta entre les forces de l’ordre et les militants traqués. L’opération prit fin le 9 janvier 1996 vers 6 heures du matin. D’après le constat des lieux, trois soldats, à savoir A.K., K.Y. et R.G., furent blessés et cinq assaillants, tués lors de l’opération. Trois fusils d’assaut modèle Kalachnikov, six chargeurs, trente cartouches et six cartouchières furent trouvés à leur côté. Le compte rendu de l’opération, dressé par le commandant de la gendarmerie de Kangal, ne fournit guère de précisions sur le déroulement de l’épisode ; le commandement y déplore la fuite du restant des assaillants mais se félicite de la prompte réaction des troupes pour repérer les terroristes, de leur déploiement effectif sur la zone et de l’absence de perte en vie de soldats. Toujours le 9 janvier 1996, les dépouilles mortelles, encore non identifiées, furent numérotées de 1 à 5 et emmenées directement à Sivas aux fins d’un examen médico-légal sous la direction du procureur de la République de Sivas. L’équipe d’autopsie prit d’abord des photographies du corps no 5, qui allait s’avérer être celui d’Ali Ekber Kanlıbaş. Sur les quatre clichés, produits par le Gouvernement, on voit un corps à même le sol avec le pantalon baissé jusqu’aux pieds et le haut remonté jusqu’au menton, les pliures du vêtement couvrant les parties auriculaires. Fondé sur des explorations superficielles, le rapport indiqua tout d’abord que les oreilles du corps no 2 avaient été « complètement détruites ». S’agissant du corps no 5, le rapport fit état de ce qui suit : « (...) on constate une balle pénétré par le côté gauche du menton et qui [s’est arrêtée] au niveau frontal après avoir détruit l’œil gauche. Sur le bras droit (à l’épaule) il existe une blessure de 10 x 10 cm (...) et l’os est broyé. On observe une blessure dans la partie supérieure de la poitrine, une autre de 4 cm dans la partie inférieure, ainsi que deux blessures de 3 cm au niveau du rein gauche ; une zone d’environ 20 cm en dessous du genou gauche est détruite. » Le médecin légiste conclut ainsi : « (...) au vu de ces constats, la cause définitive de la mort est évidente et il n’y a donc pas lieu de procéder à une autopsie classique (...). J’estime que l’individu est décédé (...) des suites d’une hémorragie grave du fait de blessures par balle (...). » A une date non précisée suivant l’examen médico-légal, les corps furent inhumés au cimetière municipal de Sivas. Tout laisse à penser qu’au plus tard le 11 janvier 1996, les autorités nationales avaient identifié le corps no 5, contrairement aux quatre autres cadavres, qui ne furent jamais revendiqués. C. Les démarches de la famille Kanlıbaş auprès des autorités Le 12 janvier 1996, le requérant lut dans les quotidiens Milliyet et Posta que cinq membres du PKK avaient été tués lors d’un affrontement. Le requérant identifia son frère à partir d’une photographie publiée comme étant celle de l’un des leaders du PKK. Le lendemain, accompagné de son épouse, de son frère et de sa sœur, le requérant se rendit à Sivas pour obtenir la restitution du corps d’Ali Ekber Kanlıbaş afin qu’il soit inhumé dans son village natal, Topraktepe. La famille fut reçue par un substitut qui leur montra cinq clichés (paragraphe 13 ci-dessus) qui leur permit d’identifier leur frère. Le substitut donna l’autorisation d’exhumer le corps. Sur ce, la famille se rendit au cimetière municipal de Sivas vers 16 heures. Le cercueil avait déjà été déterré et son couvercle mi-ouvert. Seule la tête du défunt était apparente. Le requérant et sa famille placèrent le cercueil dans leur voiture et arrivèrent au village de Topraktepe, vers 21 h 15. Au village, le requérant, aidé par cinq villageois, sortit le cadavre afin de le laver selon la tradition religieuse. A ce moment, il remarqua d’abord deux paires de chaussures de sport et une paire de chaussures en plastique posées dans le cercueil. Il vit ensuite que le pantalon de son frère avait été baissé jusqu’aux chevilles et que la moitié de la jambe gauche était en morceaux. Une fois que le corps fut complètement déplacé pour le lavage, le requérant et les villageois constatèrent que de la terre s’était accumulée notamment sur l’œil gauche. Après l’avoir nettoyé, ils comprirent que la cavité orbitale était vide et que les deux oreilles avaient été mutilées. Sur le côté gauche du torse, il y avait un trou dont le diamètre ne pouvait correspondre à une entrée de balle ordinaire et, du côté droit, des ecchymoses mêlées d’empreintes de semelles visibles, laissant suggérer que des coups de pieds avaient été donnés au défunt. Sur la cuisse droite, une blessure de projectile saignait encore, et les sous-vêtements portaient des tâches de sang. Le lendemain, le 14 janvier 1996, le requérant prit des photos de la dépouille mortelle avec les oreilles mutilées. Le 24 janvier 1996, le requérant s’adressa à l’Association des droits de l’homme à Diyarbakır (« l’association ») et dénonça notamment les mutilations infligées au cadavre de son frère : « (...) depuis le jour où j’ai appris que mon frère avait rejoint le [PKK], je savais qu’il allait être tué d’une façon ou d’une autre, du moins je le redoutais. Mais comment penser qu’il aurait pu faire l’objet d’une telle barbarie ? Nul ne pouvait s’attendre à ce que les forces de l’ordre puissent s’en prendre ainsi aux cadavres.» Le 24 juillet 1997, à la demande des avocats du requérant, un spécialiste du département de médecine légale de l’université de Sheffield émit un avis consultatif sur la pertinence du rapport médico-légal du 9 janvier 1996. A partir des photographies fournies par le requérant, le spécialiste fit remarquer qu’en dépit de l’absence de l’œil gauche, la cavité orbitale ne paraissait guère endommagée et qu’aucune blessure de balle n’était apercevable au niveau de la tête, y compris le menton et les joues. D’après le spécialiste, les oreilles devaient être coupées par un instrument tranchant, tel qu’un couteau, et la rougeur entourant la blessure évoquait une mutilation post-mortem ; à moins que le corps no 2, décrit comme étant sans oreilles, fût en réalité celui d’Ali Ekber Kanlıbaş, il fallait donc admettre qu’au moment de l’examen médico-légal il devait y avoir au moins deux cadavres avec des oreilles mutilées. D. Les investigations préliminaires Un dossier d’enquête fut ouvert (dossier no. 1996/149) d’office par le parquet de Sivas, immédiatement après l’opération militaire litigieuse. Le 15 janvier 1996, ce parquet se déclara incompétent ratione loci en faveur du parquet de Kangal, qui, le 19 janvier 1996, déclina à son tour sa compétence ratione materiae et transmit le dossier au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat de Kayseri. A partir de cette date, les investigations semblent avoir traîné jusqu’à la communication au Gouvernement de la présente requête le 3 décembre 1996. En effet, après avoir pris connaissance de la requête, le ministre des Affaires étrangères écrivit au ministre de l’Intérieur afin de s’enquérir des faits à l’origine des allégations portées devant la Cour. Dans sa lettre en réponse, le ministre indiqua que toute correspondance à ce sujet devait être effectuée avec le quartier général du commandement de la gendarmerie, ultime responsable de l’opération mise en cause. Le 20 février 1997, le ministre de la Justice, avisé de la requête, écrivit au parquet de Sivas et demanda à être immédiatement informé des circonstances dans lesquelles le décès dénoncé était survenu. Le 25 février 1997, le commandement de la gendarmerie de Sivas fournit en partie les informations demandées. D’après le commandement, l’examen médico-légal du 9 janvier 1996 suffisait à réfuter les allégations de mutilation. Le 16 mai 1997, à la suite d’un amendement législatif qui abrogea la cour de sûreté de l’Etat de Kayseri, le dossier de l’enquête fut transmis au procureur de la République près la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum et prit le numéro 1997/805. Le 22 août 1997, le nouveau procureur ordonna au parquet de Kangal de compléter d’urgence les documents manquants dans le dossier transmis, à savoir, le croquis des lieux, la liste des armes et munitions saisies lors de l’opération et les rapports d’expertise y afférents. Il informa également le ministre de la Justice de ces lacunes, en précisant cependant que l’affaire lui semblait tomber sous le coup de l’article 2 § 2 b) de la Convention. En outre, il émit l’avis que les déclarations faites le 24 janvier 1996 devant l’association, par le requérant, tenaient lieu d’une plainte pénale mettant en cause l’opération militaire du 8 janvier 1996, et dont l’instruction relevait, par conséquent, de la compétence ratione loci du parquet de Kangal. Le 11 septembre 1997, le ministre de la Justice s’adressa derechef aux parquets de Kangal, de Sivas ainsi qu’au parquet près la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum. Insatisfait de la suite donnée à son injonction du 20 février 1997, le ministre exigea qu’on l’informe d’urgence, d’une part, de la cause du décès des cinq terroristes du PKK, du type des armes utilisées par ces derniers et de la raison du transfert de leurs cadavres à Sivas, alors que l’incident avait eu lieu à Kangal, et de l’autre part, des raisons pour lesquelles : – le rapport de l’examen effectué sur le corps d’Ali Ekber Kanlıbaş n’indiquait ni l’heure ni la date probables du décès et était muet quant à la question de rigor mortis ainsi que sur celle de l’absence d’oreilles; – le projectile retrouvé dans le corps d’Ali Ekber Kanlıbaş n’avait pas été conservé ; – le personnel militaire ayant participé à l’opération n’avait pas encore été recensé et les responsables des différents commandements de la gendarmerie, interrogés, au sujet du déroulement de l’opération ; – il n’y avait pas eu d’enquête sur l’éventuel présence de douilles vides ou de cartouches sur le lieu de l’incident, ni sur la question de la conformité avec l’article 49 du code pénal du recours à la force meurtrière par les militaires ; – la décision d’incompétence du 19 janvier 1996 faisait référence à un affrontement avec « les forces armées » alors qu’à cette date précise, le parquet de Kangal ne disposait nullement d’informations ou de documents susceptibles d’appuyer cette conclusion. Le ministre continua en attirant l’attention sur l’impact des arrêts de la Cour sur le plan tant national qu’international en matière de mort d’homme, et enjoignit derechef aux parquets de compléter l’instruction avec célérité et de vérifier sérieusement les allégations du requérant, étant entendu qu’elles sous-tendaient une « dénonciation de délit ». Sur ce, les parquets de Kangal, de Sivas et le parquet de la cour de sûreté de l’Etat d’Erzurum se livrèrent à un échange de correspondance intense sur les questions soulevées, tant entre eux-mêmes qu’avec les autorités militaires. En pratique, l’enquête fut relancée et prit le numéro de dossier 1997/307. Le 12 septembre 1997, le parquet de Kangal invita le commandement local de la gendarmerie à lui fournir des renseignements concernant l’opération, notamment sur les mutilations alléguées. Par une lettre du 26 septembre, celui-ci répondit qu’il fallait s’adresser au commandement de Sivas, lequel avait planifié l’opération litigieuse. Le 29 septembre 1997, le parquet réitéra sa demande auprès de ce dernier. Au début du mois d’octobre 1997, le commandement de la gendarmerie de Sivas fit savoir qu’il était difficile d’établir une liste exhaustive du personnel mis en cause ; en effet, l’opération avait impliqué des forces militaires mixtes, composées de troupes relevant du commandement d’Amasya, accompagnées de plusieurs unités spéciales envoyées par les commandements locaux. Le 14 octobre 1997, le parquet de Sivas demanda au parquet de Kangal de lui faire part des développements concernant l’instruction. Le lendemain, le procureur de la République de Kangal adressa, entre autres, les réponses suivantes : « (...) 3. Les cadavres des cinq terroristes tués le 8 janvier 1996 (...) furent amenés au commandement départemental de la gendarmerie de Sivas à l’insu du parquet de Kangal ; [en ma qualité du procureur du district] (...) j’ai donc contacté le procureur en chef de Sivas pour m’enquérir de la situation ; informé de ce que l’autopsie sur les 5 corps allait être effectuée sous la direction du parquet de Sivas, je n’ai pas estimé utile de me rendre à Sivas (...). Aucune plainte ne se trouvait déposée devant le parquet de Kangal quant à la prétendue mutilation des oreilles d’Ali Ekber Kanlıbaş ; néanmoins, cette affaire est actuellement instruite par le parquet de Kangal, sous le numéro de dossier 1997/307 ; à ce sujet une demande d’information a été adressée au commandement départemental de Sivas, lequel m’a fait part des difficultés (...) concernant la détermination des militaires de détachement mixte ayant participé à l’opération (...). Bien qu’une instruction dans le cadre de l’article 49 du code pénal suive son cours au sujet de l’usage d’arme contre les personnes tuées (...), les noms des soldats ayant participé à l’opération n’ont encore pu être déterminés. Cependant, une enquête a eu lieu sur les armes utilisées et les munitions dépensées [par ces derniers] lors de l’opération. Seule l’information suivante a été reçue quant aux munitions : 150 cartouches anti-avions de 14,5 mm, 325 cartouches de Bixi de 7,62 mm, 250 cartouches de [mitrailleuse] MG-3/4-1 de 7,62 mm, 600 cartouches de [de fusil d’assaut] G-3 de 7,62 mm, 240 cartouches de Kalachnikov de 7,62 mm, 5 grenades d’assaut et 3 projectiles d’éclairage (...). » Par ailleurs, le procureur de Kangal ordonna au commandement de la gendarmerie du district de dresser la liste des noms et adresses de tous les officiers gradés en poste dans la circonscription militaire de Kangal. Le 22 octobre 1997, le commandement de la gendarmerie de Kangal communiqua au parquet de Kangal une liste énumérant les noms E.Y., A.T., M.A., T.D., H.S., H.A., İ.D., F.A., B.K., E.G., H.İ., G.T., O.E., H.K., M.G., H.M., H.Ö., A.K., Ş.Ç., E.T., Ö.T., D.Y., C.A., H.B. et Y.İ.. Le lendemain, le parquet de Kangal demanda à ce que les officiers susvisés, à l’exception de İ.D., F.A., H.Ö., Ş.Ç. et H.B., soient convoqués aux parquets de leur lieu de fonction et interrogés sur les points suivants : « a. (...) pourquoi les cadavres des cinq terroristes ont-ils été amenés à Sivas, sans que les responsables soient prévenus ? b. dans la requête introduite devant la Commission européenne des Droits de l’Homme par le frère du défunt Ali Ekber Kanlıbaş, il est allégué que celui-ci a été maltraité et que ses oreilles ont été mutilées. A cet égard, comment l’affrontement avec les terroristes s’est-il déroulé et est-ce qu’ils ont été tués à l’issue de coups de feu rapprochés ou par des bombes, mines ou autres armes de ce type ? c. ces armes ont-elles été utilisées dans les limites permises par la loi et, lors de l’affrontement, (...) les terroristes ont-ils été sommés de se rendre ? d. si ces derniers ont attaqué et menacé les forces de l’ordre avec des armes et engins, n’y avait-il pas la possibilité de parer à cette menace d’une manière différente, et les défunts avaient-ils été sommés auparavant de déposer leurs armes ? e. comment les sommations ont-elles été exécutées à l’encontre des terroristes ? Comment l’affrontement a-t-il débuté et s’est-il terminé ? » Il s’avéra cependant que A.K., G.T., H.M. et B.K. étaient affectés à d’autres garnisons, et que C.A. n’était plus sous les drapeaux. Ces derniers ne furent pas recherchés dans leurs nouveaux lieux de travail connus. Finalement, parmi le restant des officiers, seuls trois reconnurent avoir participé à l’opération. Il s’agit de E.Y., O.E. et H.A. qui furent entendus respectivement les 3, 19 novembre 1997 et 20 janvier 1998. Ils affirmèrent tous que les terroristes avaient été maintes fois sommés verbalement à déposer leurs armes et à se rendre ; mais, ces derniers ont continué à tirer, malgré les sommations, et les soldats ont dû riposter. Ils déclarèrent aussi n’avoir vu aucun cadavre avec des oreilles ou des yeux mutilées. Les quelques autres passages pertinents de ces témoignages se résument comme suit : « H.A. : (...) sur la zone de l’opération, j’étais chargé de la sécurité des jeeps qui transportaient les soldats (...). Alors qu’on avançait sur la route, environ 10 terroristes furent aperçus en train d’évoluer sur le terrain vague près du village de Çetinkaya ; (...) sûrement nous ont-ils repéré, car ils ont commencé à fuir, tout en nous tirant dessus, malgré la distance qui nous séparait. (...) Comme j’étais en permanence à l’écoute des annonces radio, j’ai envoyé tous les véhicules sous ma direction vers le bois où les terroristes s’étaient réfugiés, de manière à former un cercle, conformément à l’ordre qui avait été donné. Les soldats se sont déployés pour investir le bois. Comme on communiquait sans relâche par la radio, on pouvait entendre nos commandants qui ordonnaient que des sommations soient faites impérativement (...) ainsi que les répliques des troupes déclarant que cela avait été fait. Lors des conversations (...) j’ai appris que les terroristes avaient ouvert le feu sur les soldats et que ceux-ci avaient dû riposter ; (...) après quelques heures d’échanges de tirs (...), le char blindé qui nous avait convoyé fut dirigé vers le point de contact pour mitrailler intensément le bois. Par ailleurs, d’autres armes dont le char était équipé, telle que la mitrailleuse aérienne, furent également utilisées. J’ai entendu leur retentissement. (...) A l’aube, on a exploré la zone et retrouvé, au pied des arbres, dans l’eau, cinq cadavres ; les combattants vivants s’étaient enfuis. (...) J’ai vu les cadavres, mais je n’ai pas remarqué si des oreilles avaient été mutilées ou non (...). » « E.Y. : (...) Lors de l’opération, cinq terroristes ont été appréhendés morts [le 8 janvier 1996], mais l’opération ne s’est pas achevée pour autant ; craignant que d’autres groupes [de terroristes] puissent surgir, elle a été étendue à un territoire plus vaste, à l’aide des troupes arrivés de Sivas. Les cadavres ont été retrouvés le 9 janvier 1996, tôt le matin, alors que l’opération continuait (...). Quand j’ai pu voir les cadavres, aucun organe ne se trouvait amputé. Pendant l’affrontement avec les terroristes, les troupes ayant participé à l’opération ont eu recours à des lanceroquettes, grenades et mitrailleuses de longue portée. Il n’y a jamais eu de combat rapproché, car les terroristes disposaient, eux aussi, d’armes pour riposter (...). Je sais que (...) le corps [d’Ali Ekber Kanlıbaş] a été récupéré entier ; j’ai même appris que la personne qui l’a récupéré n’avait formulé aucune allégation de mutilation d’oreilles ou de mauvais traitements (...). Il est fort probable qu’après la restitution du corps, l’oreille du terroriste ait été coupée par son propre frère afin de mettre les autorités judiciaires et les forces de l’ordre dans une situation difficile. (...) Au moment où le contact avait été établi avec les terroristes, (...) qui ont d’ailleurs ouvert le feu sur nous, plusieurs appels de reddition furent lancés et [des tirs de sommation, effectués], mais les terroristes ont continué à tirer. C’est pourquoi une confrontation armée eut lieu. (...). » E. L’issue de l’enquête Le 8 mai 1998, le parquet de Kangal rendit un non-lieu à l’encontre « des forces du commandement d’Amasya (composée de l’unité de commandos de Sivas (...) de la patrouille 3 C de l’unité de commandos de la gendarmerie de Kayseri et de la patrouille 1 BTR de reconnaissance) et les forces de l’ordre [locales] », accusées « de négligence dans l’exercice des fonctions judiciaires, d’abus du seuil de la nécessité absolue [pour le recours à la force], et de mauvais traitements sur autrui ». Le procureur conclut en ses termes : « (...) Il ressort des éléments versés au dossier : (...) que les malfaiteurs armés n’ont pas obtempéré aux appels de reddition lancés par les forces de l’ordre et ont menacé ces dernières par des armes de longue portée ; qu’un affrontement a ainsi débuté, faute de tout autre moyen pour parer à cette menace ; que, s’agissant de la question de savoir si en l’espèce le seuil de la nécessité absolue a été dépassé (...), il convenait de tenir compte de l’état d’esprit des [militaires] et du fait que trois soldats avaient été blessés ; que les cadavres des cinq personnes ont été transportés au centre-ville de Sivas, (...) à l’insu du procureur de Kangal, pour des motifs de sécurité ; (...) que le corps numéroté 5, celui d’Ali Ekber Kanlıbaş, a été exhumé puis identifié par Hüseyin Kanlıbaş et ensuite récupéré par ce dernier ; que, lors de la restitution, nul n’a formulé une quelconque contestation ni usé d’un recours judiciaire au sujet de la mutilation ‘de l’oreille’ ou des mauvais traitements [prétendument] infligés au cadavre ; que l’autopsie effectuée sur celui-ci (...) par le parquet de Sivas ne permet d’inférer aucune information dans ce sens ; qu’en revanche, il s’en déduit que la destruction de l’œil gauche du cadavre résultait de l’échange de coups de feu ; qu’enfin, Ali Ekber Kanlıbaş, (...) était bien le leader des assaillants ayant attaqué la station d’essence Kangal Derbentoğulları, et tué deux individus en date du 12 octobre 1995. Il s’ensuit que la mort des cinq personnes tuées lors de l’opération du 9 janvier 1996 tombe sous le coup de l’article 2 § 2 de la Convention européenne des Droits de l’Homme et que, par conséquent, les éléments constitutifs des infractions reprochées en l’espèce ne sont pas réunis. Il n’y a donc pas lieu d’entamer de poursuites pénales à l’encontre de qui que ce soit, cette décision étant susceptible d’opposition en vertu de l’article [165] du code de la procédure pénale. » Le 30 juin 1998, l’ordonnance fut mise sous pli en vue d’être notifiée au requérant à l’adresse « village de Topraktepe, Doğanşehir – Malatya ». Le 17 décembre 1998, le parquet de Kangal informa le ministère de la Justice qu’en l’absence de l’intéressé à l’adresse précitée, l’ordonnance avait été signifiée au maire du village, qu’un avertissement de passage avait été posé sur la porte et que le voisin M.B., avisé de la situation. Le procureur précisa aussi que, depuis lors, aucune opposition n’avait été formée par l’intéressé contre l’ordonnance en question. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Les dispositions pertinentes du droit turc concernant la poursuite des actes, tels que ceux en cause en l’espèce, imputables aux agents de l’Etat et les voies de recours ouvertes à cet égard, se trouvent exposées, entre autres, dans la décision Şahmo c. Turquie (no 37415/97, 1er avril 2003).
0
0
0
0
1
0
0
0
0
0
Le requérant est pêcheur de profession. En 1984, le Ministère de l’Agriculture et la Commission Européenne approuvèrent la demande du requérant de participer à un programme de rénovation ou de remplacement de navires de pêche subventionné par l’Etat grec et l’Union Européenne. Le 12 août 1992, la Commission Européenne n’approuva pas la demande finale de paiement des frais de construction du nouveau bateau, faute pour le requérant de s’être conformé à une condition sur les spécifications du navire à construire. Le 1er avril 1998, le requérant demanda auprès de l’administration le réexamen de son dossier. Le 29 mai 1998, le Département de pêche maritime du Ministère de l’Agriculture rejeta sa demande. Le 24 juillet 1998, le requérant saisit le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de l’acte du département de pêche maritime du Ministère de l’Agriculture. L’audience de l’affaire fut initialement fixée au 20 octobre 1999. Après plusieurs ajournements, l’audience eut lieu le 14 janvier 2004. Le 4 février 2004, la cinquième section du Conseil d’Etat se déclara incompétente pour connaître du litige et renvoya l’affaire devant la quatrième section (arrêt no 236/2004). L’affaire est actuellement pendante devant cette juridiction.
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
Les requérantes, Dilşah Özgen, Seniha Özgen et Nurcihan Altındağ, sont nées respectivement en 1937, 1956 et 1961 et résident à Diyarbakır. Il s’agit respectivement de l’épouse et des filles de Fikri Özgen qui a disparu depuis le 27 février 1997. I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE A. Les faits tels qu’exposés par les requérantes Le 27 février 1997 vers 10 h, alors que Fikri Özgen, âgé de soixante-treize ans, se trouvait à une centaine de mètres de son domicile, devant le restaurant Aşiyan, quatre personnes en tenue civile, dont l’une tenait un talkie-walkie, vérifièrent son identité et le firent entrer dans une voiture blanche. La voiture était une Renault immatriculée 34 BHV 60. Le 28 février 1997, la première requérante s’adressa au procureur de la République de Diyarbakır. Elle l’informa de l’enlèvement de son mari en précisant le numéro d’immatriculation de la voiture et demanda à être informée de son sort. Le 5 mars 1997, le procureur indiqua que le nom de Fikri Özgen ne se trouvait dans aucun registre de garde à vue. Le 6 mars 1997, les requérantes portèrent plainte auprès du procureur de la République de Diyarbakır contre les quatre personnes non identifiées, responsables de l’enlèvement de Fikri Özgen. Elles prétendirent que l’enlèvement de celui-ci était le fait des forces de l’Etat. Seniha Özgen déclara notamment devant le procureur qu’elle avait vu par hasard son père emmené dans une voiture par quatre personnes, dont l’une portait un pistolet et tenait « quelque chose qui ressemblait à un talkie-walkie ». Elle affirma aussi que les gens qui se trouvaient sur les lieux de l’incident lui avaient indiqué que les quatre personnes en question pouvaient être des policiers. En raison de la foule présente, elle ne serait pas en mesure de reconnaître les personnes qui ont enlevé son père. B. Les faits tels qu’exposés par le Gouvernement Le Gouvernement affirme que Fikri Özgen n’a jamais été placé en garde à vue et que sa disparition n’est nullement due aux actes des forces de sécurité de l’Etat. C. Les mesures prises par les autorités turques afin de retrouver Fikri Özgen Le 13 mars 1997, le procureur de Diyarbakır ouvrit une instruction en ce sens et demanda par courrier aux parquets de différents districts, à la gendarmerie et à la direction de la sûreté de Diyarbakır, d’enquêter d’urgence afin de vérifier si Fikri Özgen avait été placé en garde à vue. Le même jour, il demanda à la direction de la sûreté d’Istanbul d’identifier le propriétaire de l’automobile immatriculée à Istanbul sous le numéro 34 BHV 60. Par des lettres du 17 mars et du 28 mai 1997, la gendarmerie de Diyarbakır informa le procureur que Fikri Özgen n’avait jamais été placé en garde à vue et qu’aucun renseignement n’avait été trouvé sur lui ni sur les quatre personnes qui seraient responsables de son enlèvement. Par une lettre du 31 mars 1997, la direction de la sûreté de Diyarbakır informa le procureur que Fikri Özgen n’avait fait l’objet d’aucune garde à vue dans ses locaux et que la plaque d’immatriculation 34 BHV 60 était celle d’un camion de couleur blanche et de marque Ford. Les immatriculations semblables (comme BMV, DHV etc.) correspondaient à des véhicules d’autres marques et couleurs qu’une Renault blanche. Ladite direction précisa qu’elle avait renseigné l’ensemble des directions de la sûreté au niveau national ainsi que la gendarmerie de la région afin de retrouver la personne disparue. Par des notes datées des 14 avril, 20 mai, 10 juin 1997, 12 juin 1998, 12 avril et 24 juin 1999, le procureur de Diyarbakır indiqua qu’une enquête concernant la disparition de Fikri Özgen était en cours. A diverses reprises, les 22 mai, 5 août 1997 et 18 février 1998, le procureur de Diyarbakır demanda de nouveau à la gendarmerie et à la brigade de la sécurité publique de Diyarbakır de s’assurer le plus rapidement possible du sort de Fikri Özgen et d’enquêter sur son enlèvement. Le 11 août 1997, dans sa déposition recueillie par le commissariat de Baĝlar, la deuxième requérante, Seniha Özgen, fille aînée de Fikri Özgen, affirma que se trouvant à une vingtaine de mètres du lieu de l’incident, elle avait été témoin de l’enlèvement de son père et exposa que quatre personnes armées en tenue civile tenant des talkies-walkies demandèrent à son père sa carte d’identité et le firent entrer dans une voiture blanche alors que celui-ci se trouvait devant le restaurant appelé Aşiyan. La voiture était une Renault immatriculée 34 BHV 60. Le même jour, la première requérante, Dilşah Özgen, épouse de Fikri Özgen, déclara qu’elle n’avait pas assisté à l’enlèvement et qu’elle n’avait pas pu obtenir d’autres renseignements. Elle réitéra sa plainte contre les personnes responsables de l’enlèvement de son époux. Le 23 juin 1998, le parquet de Diyarbakır demanda à la brigade de la sécurité publique de lui présenter un des membres de la famille Özgen. Le 30 juin 1998, le commissariat de Bağlar indiqua que la famille Özgen avait déménagé de l’adresse indiquée au parquet sans toutefois laisser leur nouvelle adresse. Le 12 août 1998, le commissariat de Kulp fit la même constatation. A l’issue des recherches effectuées, les forces de sécurité établirent que la nouvelle résidence de la famille se trouvait à Bağlar. Dans sa déposition recueillie au commissariat de Bağlar le 5 octobre 1998, la requérante Seniha Özgen déclara qu’elle avait vu elle-même quatre inconnus, portant des armes et des talkies-walkies, vérifiant la carte d’identité de son père et se présentant comme des policiers, avant de le faire monter dans la voiture. Dans sa déposition recueillie à la même date, la troisième requérante, Nurcihan Altındağ, fille cadette de Fikri Özgen, déclara qu’elle avait vu son père avec trois personnes dans une voiture blanche de marque Renault et immatriculée 34 BHV 60. Elle ne les avait pas vu monter dans la voiture. Elle affirma en outre qu’elle ne pourrait pas reconnaître ces trois personnes et qu’elle n’avait pas vu s’ils étaient armés ou s’ils tenaient des talkies-walkies en raison des vitres teintées de la voiture. Elle renouvela sa plainte contres ces personnes non identifiées. Le 5 octobre 1998, le commissariat de Bağlar adressa un courrier auquel étaient annexées les dispositions des requérantes recueillies à la direction de la sûreté ainsi qu’au parquet de Diyarbakır les 11 août 1997 et 5 octobre 1998. L’enquête est toujours pendante devant le parquet de Diyarbakır. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le code pénal turc réprime toute forme d’homicide (articles 448 à 455) et de tentative d’homicide (articles 61 et 62). Il érige aussi en infraction le fait pour un agent public de soumettre un individu à la torture ou à de mauvais traitements (articles 243 pour la torture et 245 pour les mauvais traitements). Les articles 151 à 153 du code de procédure pénale régissent les obligations incombant aux autorités quant à la conduite d’une enquête préliminaire au sujet des faits et omissions susceptibles de constituer pareilles infractions que l’on porte à leur connaissance. Les infractions peuvent être dénoncées non seulement auprès des parquets ou des forces de sécurité, mais également auprès des autorités administratives locales. Les plaintes peuvent être déposées par écrit ou oralement. Dans ce dernier cas, l’autorité est tenue d’en dresser procès-verbal (article 151). S’il existe des indices qui mettent en doute le caractère naturel d’un décès, les agents des forces de l’ordre qui en ont été avisés sont tenus d’en faire part au procureur de la République ou au juge du tribunal correctionnel (article 152). Le procureur qui, de quelque manière que ce soit, est avisé d’une situation permettant de soupçonner qu’une infraction a été commise est obligé d’instruire les faits afin de décider s’il y a lieu ou non de lancer l’action publique (article 153 du code de procédure pénale).
0
0
1
0
0
0
0
0
0
0
Le requérant est né en 1931 et réside à Athènes. Il est retraité de l’Organisme de Sécurité Sociale (Ίδρυμα Κοινωνικών Ασφαλίσεων - ci-après “IKA”). Le 17 décembre 1993, le requérant saisit le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre l’IKA tendant à la condamnation de ce dernier au versement de dommages-intérêts pour avoir mal calculé le montant de ses cotisations. Le 31 juillet 1995, le tribunal rejeta le recours (décision no 3682/1995). Le 20 mars 1996, le requérant interjeta appel de cette décision. Le 30 juin 1997, la cour administrative d’appel d’Athènes infirma la décision attaquée et fit droit à la demande du requérant (arrêt no 1375/1997). Le 8 avril 1998, l’IKA se pourvut en cassation. Par la suite, le Parlement grec adopta la loi no 2721/1999 qui excluait le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 500 000 drachmes et prononçait l’annulation de toute procédure judiciaire y afférente éventuellement pendante devant cette juridiction. Le 15 avril 2002, le Conseil d’Etat prononça l’annulation de la procédure en application des dispositions de la loi no 2721/1999 (arrêt no 1169/2002).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE Le requérant est né en 1960 et réside à Jytomyr (Ukraine). Par un jugement du 6 novembre 2001, le tribunal d'arrondissement Korolyovsky à Jytomyr fit droit à la demande du requérant relative au recouvrement d'arriérés d'indemnités ainsi que d'une allocation exceptionnelle, et dirigée contre son ancien employeur, le département du ministère de l'Intérieur dans la région de Jytomyr. Il ordonna à ce dernier de payer au requérant la somme de 5 406,51 UAH à ce titre. Ce jugement fut confirmé par la cour d'appel de la région de Jytomyr et devint définitif, le 12 mars 2002. En août 2002, le requérant se vit verser la somme de 608,53 UAH. L'exécution dudit jugement restant inachevée, le requérant attaqua, en mai 2002, le Service d'Etat des huissiers de justice devant le tribunal d'arrondissement Bogunsky à Jytomyr. Par un jugement du 14 juin 2002, le tribunal rejeta la demande du requérant pour défaut de fondement. Le tribunal nota que la saisie des comptes bancaires du département régional du ministère avait été effectuée, que le manque de fonds avait été constaté et que les prétentions étaient traitées par ordre de précédence. Par un arrêt du 28 août 2002, la cour d'appel de Jytomyr confirma le jugement du 14 juin 2002. Le 23 octobre 2002, le requérant interjeta un pourvoi en cassation devant la Cour Suprême de l'Ukraine en vue de contester la décision du 14 juin 2002 et l'arrêt du 28 août 2002. En août 2004, le requérant se vit verser les sommes de 549,78 UAH, 830,70 UAH et 3 417,50 UAH. Ce jugement fut donc exécuté en intégralité. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT Le droit interne pertinent est décrit dans l'arrêt Romachov c. Ukraine (no 67534/01, du 27 juillet 2004).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE Le requérant est né en 1962 et réside à Istanbul. Le requérant est le président de l’Association culturelle et d’entraide de Tunceli (Tunceli Kültür ve Dayanışma Derneği, ci-après « l’Association »), dont le siège est à Istanbul. Selon le requérant, dans le cadre de ses activités, l’Association décida d’organiser un voyage de dix jours dans le but de visiter la région de Tunceli et de rencontrer la population locale, afin de se rendre compte des problèmes pouvant exister dans cette région. Il était également convenu que ce voyage devait constituer des vacances pour les participants. Le 15 juillet 1998, un groupe de trente personnes, dont le requérant, prit ainsi la route en direction de Tunceli. Toutefois, au point de contrôle situé à l’entrée d’Elazığ, département limitrophe de celui de Tunceli, le groupe s’en vit interdire l’entrée. Les participants furent ainsi verbalement informés qu’un arrêté préfectoral portant interdiction d’entrer à Tunceli avait été pris à leur encontre. Malgré les demandes en ce sens du requérant, ils ne purent obtenir aucune notification officielle. Les représentants du groupe tentèrent vainement de lever l’interdiction dont ils faisaient l’objet en téléphonant au préfet et à la direction de la sûreté de la région de Tunceli. Toujours selon le requérant, le même jour, le groupe tenta de se rendre d’Elazığ à Tunceli mais fut à nouveau arrêté à l’entrée de Tunceli par des militaires. Il fut encore verbalement informé qu’il faisait l’objet d’une interdiction d’entrer à Tunceli du 10 au 30 juillet 1998. Nonobstant ses réclamations auprès des autorités militaires tendant à obtenir une notification officielle de l’interdiction, le requérant se heurta à un refus. Les participants au voyage furent ainsi contraints de faire demi-tour. Par un courrier non daté émanant du préfet adjoint de Tunceli, no 001121, portant le cachet de la poste du 9 décembre 1998, le requérant fut informé qu’il lui était interdit d’entrer à Tunceli jusqu’au 30 juillet 1998, en vertu des prescriptions de l’article 11 alinéa k de la loi no 2935 relative à la région soumise à l’état d’urgence. II. LE DROIT INTERNE PERTINENT La législation pertinente relative à la région soumise à l’état d’urgence à l’époque des faits peut être consultée dans les arrêts Güneri et autres c. Turquie (nos 42853/98, 43609/98 et 44291/98, §§ 54-60, 12 juillet 2005), Çetin et autres c. Turquie (nos 40153/98 et 40160/98, §§ 28-32, CEDH 2003-III) et Doğan et autres c. Turquie (nos 8803-8811/02, 8813/02 et 8815-8819/02, §§ 79-88 (en particulier § 80), 29 juin 2004). L’article 7 du décret-loi no 285 promulgué le 10 juillet 1987 et portant sur la préfecture de la région soumise à l’état d’urgence, tel que modifié par le décret-loi no 425 du 9 mai 1990, dispose qu’aucun acte administratif pris en application du décret-loi no 285 ne peut faire l’objet d’un recours en annulation. L’article 8 du décret no 430 est ainsi libellé : « La responsabilité pénale, financière ou juridique du gouverneur de la région soumise à l’état d’urgence ou du gouverneur d’une province où règne l’état d’urgence ne saurait être engagée pour des décisions ou des actes pris dans l’exercice des pouvoirs que leur confère le présent décret, et aucune action ne saurait être intentée en ce sens devant quelque autorité judiciaire que ce soit, sans préjudice du droit pour la victime de demander réparation à l’Etat des dommages injustifiés subis par elle. » L’article 11, alinéa k, de la loi no 2935 du 25 octobre 1983 sur l’état d’urgence, en vigueur à l’époque des faits, disposait que toute personne ou tout groupement pouvait se voir interdire d’entrer sur une partie ou la totalité de la région où l’état d’urgence était en vigueur, ou en être expulsé.
0
1
1
0
0
0
0
0
0
0
Les requérants sont nés respectivement en 1936, 1930, 1936, 1933, 1927 et 1934. Le 10 décembre 1993, les requérants saisirent le tribunal administratif d’Athènes d’une demande contre la caisse de prévoyance du personnel des chemins de fer helléniques (Ταμείο Πρόνοιας Προσωπικού Οργανισμού Σιδηροδρόμων Ελλάδας), tendant à l’obtention d’intérêts sur une allocation forfaitaire qui leur avait été allouée. Ils réclamaient de sommes allant de 47 408 drachmes (139,12 euros) à 303 406 drachmes (890,40 euros). Le 30 novembre 1994, le tribunal condamna la caisse à payer aux requérants les sommes réclamées (décision no 11189/1994). Le 10 mars 1995, la caisse interjeta appel de cette décision. Le 30 septembre 1996, la cour administrative d’appel d’Athènes confirma la décision attaquée (arrêt no 3901/1996). Le 23 avril 1997, la caisse se pourvut en cassation. Par la suite, le Parlement grec adopta la loi no 2721/1999 qui excluait le pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat pour les litiges ayant un objet financier inférieur à 500 000 drachmes et prononçait l’annulation de toute procédure judiciaire y afférente éventuellement pendante devant cette juridiction. Le 4 mars 2002, le Conseil d’Etat prononça l’annulation de la procédure en application des dispositions de la loi no 2721/1999 (arrêt no 628/2002).
0
0
1
0
0
0
0
1
0
0